Jean-David Levitte, "Diplomator" à l'Elysée
Jean-David Levitte, "Diplomator" à l'Elysée
LE MONDE | 06.06.07 | 15h00 • Mis à jour le 06.06.07 | 15h00
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l n'a pas fait l'ENA. Son père était russe, sa mère sud-africaine. Dans un milieu bardé de particules, Jean-David Levitte a réussi à devenir la figure emblématique de la diplomatie française. Le diplomate des diplomates. "Un pro, ou plutôt le pro", dit de lui l'un de ses anciens collaborateurs. L'ambassadeur est tellement parfait, tellement toujours le même, égal, précis, "inoxydable" qu'il paraît venu d'ailleurs. "Il a un côté presque androïde", ajoute le même l'interlocuteur. "Le diplomator", résume un autre.
PARCOURS
1946
Naissance à Moissac (Tarn-et-Garonne).
1970
Entre au Quai d'Orsay après des études à l'Ecole des langues orientales.
1972
Troisième secrétaire à l'ambassade de France à Pékin.
1995
Conseiller diplomatique du président Jacques Chirac.
2000
Ambassadeur à l'ONU, puis à Washington en décembre 2002.
2007
Conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy.
[-] fermer
Après cinq ans à l'ambassade de Washington et trois à la mission française à l'ONU, Jean-David Levitte a été appelé à l'Elysée par Nicolas Sarkozy. Il est devenu sherpa et conseiller diplomatique. Il avait déjà occupé le même poste sous Jacques Chirac et participera au côté du président français, mercredi 6 juin en Allemagne, à son douzième sommet des pays les plus industrialisés du monde.
"Il est toujours positif, explique un diplomate. C'est une grande qualité quand on est au contact des décideurs politiques. Il sait leur expliquer le problème en deux phrases et suggérer une solution." Un rapide sondage au Quai d'Orsay montre un vrai soulagement. "Quelle que soit leur couleur politique, les diplomates sont rassurés de le savoir à l'Elysée. On se dit que la machine va continuer à tourner."
Spécialiste de la Chine et de l'Orient, Jean-David Levitte est toujours souriant, tiré à quatre épingles. Toujours dans son rôle. Tout juste a-t-il été aperçu sans cravate, un dimanche à New York, pendant les négociations marathon de la résolution 1441, enjoignant à l'Irak de rendre compte de ses armes chimiques, bactériologiques et nucléaires. "On ne connaît pas l'homme et on se dit : ne cherchons pas, dit un ancien collaborateur. En même temps, on a envie de lui demander quel est son secret." A New York, il avait pris l'habitude de réunir les ONG pour les informer des travaux du Conseil de sécurité. Les humanitaires étaient touchés qu'on ne les prenne pas de haut. A la fin de la séance, tout le monde applaudissait.
Partisan d'un monde "multipolaire harmonieux", Jean-David Levitte est d'un optimisme perpétuel. C'est son carburant et il prie les Cassandre de ne pas tenter de l'en priver. Sa famille a été éprouvée par les événements du XXe siècle. Du côté de son père : des Russes blancs, émigrés en France après la révolution bolchevique. Du côté maternel, une improbable famille anglo-hollandaise d'Afrique du Sud installée au Mozambique.
Deux de ses grands-parents sont morts à Auschwitz. Georges, son père, a réussi à rejoindre la Résistance avec son frère. Ils appartenaient à un réseau qui faisait passer les enfants juifs en zone libre jusqu'à Moissac. Après 1942, il a fallu cacher les enfants dans des familles. Sur plusieurs centaines, pas un n'a été dénoncé. Jean-David Levitte s'est souvent servi de cet exemple pour essayer de faire comprendre aux Américains que la France était moins antisémite qu'ils ne le croyaient. "Il y a eu Vichy et il y a eu les Justes."
Au printemps 2003, au moment de la grande vague de francophobie aux Etats-Unis, il a mené la contre-attaque. "Il ne s'est pas effarouché, commente Simon Serfaty, du Center for Strategic and International Studies. Il fallait construire un rempart contre cette hostilité. Il l'a fait à sa façon, avec une grande tolérance pour ce qui lui était dit." L'ambassadeur a convaincu Paris qu'il fallait réagir, plutôt que de se borner à laisser passer l'orage. "Aux Etats-Unis, celui qui ne se défend pas a tort. Il y a 300 000 Français dans ce pays. Il faut qu'ils sentent que le gouvernement les soutient."
Quelques jours avant l'entrée en guerre, il s'est trouvé sur le même plateau de télévision que John McCain. Il est allé à l'abordage. "Je sais que vous avez des réticences à l'égard de la France. Je veux en parler avec vous." Il n'a été reçu par le sénateur républicain que plusieurs mois plus tard. L'entretien a duré une heure. Ils ont parlé du Vietnam, du Cambodge. McCain a rappelé qu'il avait été détenu à Hanoï dans "une prison construite par les Français". Aujourd'hui, le candidat à la présidence qu'est John McCain aimerait assez venir en France et rencontrer Nicolas Sarkozy.
Quand Bill O'Reilly, l'animateur de Fox News, a dépassé les bornes du "french bashing" (le dénigrement des Français), Jean-David Levitte a pris rendez-vous. Il lui a reproché d'attiser la haine. "Venez dire cela sur le plateau !", a proposé O'Reilly. Le commentateur a laissé entendre que l'opinion pourrait se retourner en faveur des Français. Il faudrait évidemment que Paris fasse un geste. "Mettez 5 000 hommes en Irak", a-t-il proposé...
Les conseillers ont fait la liste des insultes anti-françaises circulant dans les médias. L'ambassadeur l'avait toujours dans la poche. Quand il était invité quelque part, il la lisait à ses hôtes en remplaçant "Français" par "juifs". Un jour il l'a lue à Colin Powell. "Permettez-moi maintenant de remplacer Français par Noirs", a-t-il suggéré sans se soucier de l'embarras de l'Américain. "Quand il revenait, il disait : "J'ai encore gâché l'ambiance !"", raconte un collaborateur.
Le 17 mai 2003, M. Levitte a publié une lettre ouverte qui a sidéré le Tout-Washington, peu habitué à ce qu'un diplomate s'exprime directement. Il dénonçait "la campagne de désinformation" contre la France orchestrée "par des responsables gouvernementaux anonymes". Le Washington Times venait d'affirmer que la France avait fourni des passeports à Saddam Hussein et à son entourage. Il a fallu faxer la lettre à Colin Powell, qui était en déplacement. Le Congrès se l'est arrachée. "C'était un coup de dés, confie un membre de l'équipe de l'époque. On s'attaquait à l'exécutif, au législatif et au quatrième pouvoir." L'audace a payé. La désinformation a cessé. "Levitte est unanimement respecté, dit aujourd'hui Joseph Biden, le président démocrate de la commission des affaires étrangères du Sénat. Et il connaît très bien notre pays."
Jean-David Levitte et son épouse, Marie-Cécile, ont labouré la société américaine, de la Floride à l'Oregon. Ils ont ouvert la résidence française pour des centaines de manifestations. L'an dernier, 10 000 personnes y ont été reçues : magistrats de la Cour suprême, hommes d'affaires, éditorialistes, républicains qui n'auraient jamais voulu accepter une invitation officielle, mais qui, conviés sous leur casquette de membre bienfaiteur de l'Opéra, ne se sont pas fait prier.
A Buffalo, dans l'Etat de New York, l'ambassadeur a sympathisé avec un banquier francophile. Il en est résulté un Fonds pour la coopération universitaire doté de 10 millions de dollars. L'ambassadeur estime que l'image de la France "est un peu remontée". S'il y a un jour une autre crise, "elle se déroulera dans un climat moins pollué par les préjugés. On tombera moins bas".
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l n'a pas fait l'ENA. Son père était russe, sa mère sud-africaine. Dans un milieu bardé de particules, Jean-David Levitte a réussi à devenir la figure emblématique de la diplomatie française. Le diplomate des diplomates. "Un pro, ou plutôt le pro", dit de lui l'un de ses anciens collaborateurs. L'ambassadeur est tellement parfait, tellement toujours le même, égal, précis, "inoxydable" qu'il paraît venu d'ailleurs. "Il a un côté presque androïde", ajoute le même l'interlocuteur. "Le diplomator", résume un autre.
PARCOURS
1946
Naissance à Moissac (Tarn-et-Garonne).
1970
Entre au Quai d'Orsay après des études à l'Ecole des langues orientales.
1972
Troisième secrétaire à l'ambassade de France à Pékin.
1995
Conseiller diplomatique du président Jacques Chirac.
2000
Ambassadeur à l'ONU, puis à Washington en décembre 2002.
2007
Conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy.
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Après cinq ans à l'ambassade de Washington et trois à la mission française à l'ONU, Jean-David Levitte a été appelé à l'Elysée par Nicolas Sarkozy. Il est devenu sherpa et conseiller diplomatique. Il avait déjà occupé le même poste sous Jacques Chirac et participera au côté du président français, mercredi 6 juin en Allemagne, à son douzième sommet des pays les plus industrialisés du monde.
"Il est toujours positif, explique un diplomate. C'est une grande qualité quand on est au contact des décideurs politiques. Il sait leur expliquer le problème en deux phrases et suggérer une solution." Un rapide sondage au Quai d'Orsay montre un vrai soulagement. "Quelle que soit leur couleur politique, les diplomates sont rassurés de le savoir à l'Elysée. On se dit que la machine va continuer à tourner."
Spécialiste de la Chine et de l'Orient, Jean-David Levitte est toujours souriant, tiré à quatre épingles. Toujours dans son rôle. Tout juste a-t-il été aperçu sans cravate, un dimanche à New York, pendant les négociations marathon de la résolution 1441, enjoignant à l'Irak de rendre compte de ses armes chimiques, bactériologiques et nucléaires. "On ne connaît pas l'homme et on se dit : ne cherchons pas, dit un ancien collaborateur. En même temps, on a envie de lui demander quel est son secret." A New York, il avait pris l'habitude de réunir les ONG pour les informer des travaux du Conseil de sécurité. Les humanitaires étaient touchés qu'on ne les prenne pas de haut. A la fin de la séance, tout le monde applaudissait.
Partisan d'un monde "multipolaire harmonieux", Jean-David Levitte est d'un optimisme perpétuel. C'est son carburant et il prie les Cassandre de ne pas tenter de l'en priver. Sa famille a été éprouvée par les événements du XXe siècle. Du côté de son père : des Russes blancs, émigrés en France après la révolution bolchevique. Du côté maternel, une improbable famille anglo-hollandaise d'Afrique du Sud installée au Mozambique.
Deux de ses grands-parents sont morts à Auschwitz. Georges, son père, a réussi à rejoindre la Résistance avec son frère. Ils appartenaient à un réseau qui faisait passer les enfants juifs en zone libre jusqu'à Moissac. Après 1942, il a fallu cacher les enfants dans des familles. Sur plusieurs centaines, pas un n'a été dénoncé. Jean-David Levitte s'est souvent servi de cet exemple pour essayer de faire comprendre aux Américains que la France était moins antisémite qu'ils ne le croyaient. "Il y a eu Vichy et il y a eu les Justes."
Au printemps 2003, au moment de la grande vague de francophobie aux Etats-Unis, il a mené la contre-attaque. "Il ne s'est pas effarouché, commente Simon Serfaty, du Center for Strategic and International Studies. Il fallait construire un rempart contre cette hostilité. Il l'a fait à sa façon, avec une grande tolérance pour ce qui lui était dit." L'ambassadeur a convaincu Paris qu'il fallait réagir, plutôt que de se borner à laisser passer l'orage. "Aux Etats-Unis, celui qui ne se défend pas a tort. Il y a 300 000 Français dans ce pays. Il faut qu'ils sentent que le gouvernement les soutient."
Quelques jours avant l'entrée en guerre, il s'est trouvé sur le même plateau de télévision que John McCain. Il est allé à l'abordage. "Je sais que vous avez des réticences à l'égard de la France. Je veux en parler avec vous." Il n'a été reçu par le sénateur républicain que plusieurs mois plus tard. L'entretien a duré une heure. Ils ont parlé du Vietnam, du Cambodge. McCain a rappelé qu'il avait été détenu à Hanoï dans "une prison construite par les Français". Aujourd'hui, le candidat à la présidence qu'est John McCain aimerait assez venir en France et rencontrer Nicolas Sarkozy.
Quand Bill O'Reilly, l'animateur de Fox News, a dépassé les bornes du "french bashing" (le dénigrement des Français), Jean-David Levitte a pris rendez-vous. Il lui a reproché d'attiser la haine. "Venez dire cela sur le plateau !", a proposé O'Reilly. Le commentateur a laissé entendre que l'opinion pourrait se retourner en faveur des Français. Il faudrait évidemment que Paris fasse un geste. "Mettez 5 000 hommes en Irak", a-t-il proposé...
Les conseillers ont fait la liste des insultes anti-françaises circulant dans les médias. L'ambassadeur l'avait toujours dans la poche. Quand il était invité quelque part, il la lisait à ses hôtes en remplaçant "Français" par "juifs". Un jour il l'a lue à Colin Powell. "Permettez-moi maintenant de remplacer Français par Noirs", a-t-il suggéré sans se soucier de l'embarras de l'Américain. "Quand il revenait, il disait : "J'ai encore gâché l'ambiance !"", raconte un collaborateur.
Le 17 mai 2003, M. Levitte a publié une lettre ouverte qui a sidéré le Tout-Washington, peu habitué à ce qu'un diplomate s'exprime directement. Il dénonçait "la campagne de désinformation" contre la France orchestrée "par des responsables gouvernementaux anonymes". Le Washington Times venait d'affirmer que la France avait fourni des passeports à Saddam Hussein et à son entourage. Il a fallu faxer la lettre à Colin Powell, qui était en déplacement. Le Congrès se l'est arrachée. "C'était un coup de dés, confie un membre de l'équipe de l'époque. On s'attaquait à l'exécutif, au législatif et au quatrième pouvoir." L'audace a payé. La désinformation a cessé. "Levitte est unanimement respecté, dit aujourd'hui Joseph Biden, le président démocrate de la commission des affaires étrangères du Sénat. Et il connaît très bien notre pays."
Jean-David Levitte et son épouse, Marie-Cécile, ont labouré la société américaine, de la Floride à l'Oregon. Ils ont ouvert la résidence française pour des centaines de manifestations. L'an dernier, 10 000 personnes y ont été reçues : magistrats de la Cour suprême, hommes d'affaires, éditorialistes, républicains qui n'auraient jamais voulu accepter une invitation officielle, mais qui, conviés sous leur casquette de membre bienfaiteur de l'Opéra, ne se sont pas fait prier.
A Buffalo, dans l'Etat de New York, l'ambassadeur a sympathisé avec un banquier francophile. Il en est résulté un Fonds pour la coopération universitaire doté de 10 millions de dollars. L'ambassadeur estime que l'image de la France "est un peu remontée". S'il y a un jour une autre crise, "elle se déroulera dans un climat moins pollué par les préjugés. On tombera moins bas".
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