Thursday, January 08, 2009

Point de vue
Dieudonné ou l'obsession antisémite, par Dominique Sopo
LE MONDE | 05.01.09 | 13h37 Réagissez (25) Classez Imprimez Envoyez Partagez
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Ce qui a été accompli sur la scène du Zénith renvoie à une propagande antisémite qui n'avait pas été distillée devant une assistance aussi fournie depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Faisant foin des précautions oratoires ou scéniques d'un Le Pen, Dieudonné a effectué une plongée abyssale dans l'ignominie.


Consultez les dépêches vidéo des agences AFP et Reuters, en français et en anglais.
Abonnez-vous au Monde.fr : 6€ par mois + 30 jours offertsCar Dieudonné n'a pas honoré Faurisson en se contentant - si l'on ose dire... - de transformer cet antisémite obsessionnel en croisé d'un combat téméraire, celui de la négation de la Shoah. Il a tenu à honorer Faurisson en pratiquant une mise en scène fondée sur un ressort abject : le renversement des rôles entre le bourreau et la victime. Le négationniste Faurisson se trouve ainsi salué comme le faible de l'Histoire, celui qui a eu le "courage", l'"insolence" de se lever contre les forces du mensonge et de la mystification. Le déporté juif - puisque ainsi était déguisée la personne qui remit le prix à Faurisson sur la scène du Zénith - se trouve, lui, convoqué pour assister à la glorification de la négation du crime qu'il a subi.

Et, pourtant, chacune des sorties de Dieudonné est l'occasion de défenses de la part de tout une série de personnes, dont je voudrais ici discuter quelques-uns des arguments avancés.

La première façon de fuir le débat sur la nature politique des propos de Dieudonné, c'est de mettre en avant le statut d'artiste de ce dernier. Argument fallacieux à un double titre. Fallacieux parce que Dieudonné, lorsqu'il se produit au Zénith, ne donne pas un spectacle, il tient un meeting. L'immense majorité des 5 000 personnes qui se rendent au Zénith savent qu'elles vont assister à une soirée antisémite. N'est-ce pas d'ailleurs là le ressort principal de l'achat de leur place ?

Mais l'argument est également fallacieux, dans la mesure où l'art ne peut pas être invoqué pour couvrir les pires ignominies. Le rire est une arme à double tranchant. La question est alors de savoir au service de quoi le ressort du rire est activé. Pour Dieudonné - qui se présente comme un artiste "engagé" -, l'humour, lorsqu'il est convoqué sur des thèmes aussi sensibles que le racisme et l'antisémitisme, n'est pas un simple exercice de style. Il a un but.

Et, là, deux voies s'offrent : soit le rire va servir à déconstruire les préjugés, soit le rire vise à donner une légitimité à ces préjugés. Dieudonné a choisi très clairement la seconde voie car, pour reprendre ce qui s'est passé au Zénith, le public n'était pas appelé à se moquer des négationnistes. Au contraire, des milliers de personnes, comprenant parfaitement à quoi elles étaient invitées, se sont moquées, dans un rire mauvais, des victimes du nazisme.


QUELS COMBATS MENÉS ?


Un deuxième argument consiste à parer Dieudonné non plus du talent de l'artiste mais du courage de l'homme déterminé bien qu'isolé. A une époque où sévit un génocide au Darfour et où le système économique mondial se trouve mis en péril par la mainmise que les financiers y avaient acquise, on pourrait alors s'attendre à ce que Dieudonné s'attaque à ces puissants qui massacrent des innocents ou qui mettent des millions de gens dans la rue. On pourrait également s'attendre à ce qu'il tourne en dérision le pouvoir politique pour contester sa bien peu humaniste politique d'expulsions massives. Eh bien non ! Dieudonné, en guise de puissants, s'en prend à la figure du déporté juif ! Croire qu'attaquer le déporté juif c'est attaquer un "puissant" renvoie à cette pensée antisémite qui consiste à voir dans le juif la figure du pouvoir et de la malfaisance et donc, d'une certaine façon, la racine de tous les problèmes, quand bien même le juif ne serait pas pris la main dans le sac.

Un troisième argument consiste cette fois à replacer la pensée antisémite de Dieudonné dans la prétendue noblesse des combats qu'il mènerait par ailleurs. Mais je voudrais ici soulever une question trop souvent négligée : quels sont les combats aujourd'hui menés par Dieudonné ?

Souvenons-nous que toute sa dérive antisémite était naguère couverte par le prétexte de la reconnaissance du fait esclavagiste ou par celui de la participation à la dynamique de libération de la Palestine. En réalité, ni l'un ni l'autre de ces combats n'ont sans doute jamais intéressé en soi Dieudonné.

Ces thèmes lui ont servi à maquiller un antisémitisme aujourd'hui à nu. D'ailleurs, depuis quand Dieudonné n'a plus parlé de la question esclavagiste, alors qu'il s'en était autoproclamé le héraut il y a quelques années ?

Pourquoi celui qui se présentait comme l'instrument d'un retour à la fierté des Noirs n'a jamais rien dit sur les expulsions massives de sans-papiers ou sur la dérive de pans entiers du continent africain, et je pense ici au génocide en cours au Darfour ? Pourquoi - alors que l'actualité s'y prêterait ! - n'évoque-t-il plus le conflit du Proche-Orient, lui qui jurait être profondément concerné par la question palestinienne ? Ni "pro-black", ni "pro-palestinien", Dieudonné est juste "anti-juif".

La vérité est sans doute sincèrement douloureuse pour celles et ceux qui avaient cru voir dans Dieudonné une personnalité de référence, mais cette vérité est somme toute très simple : Dieudonné est un personnage qui a achevé son voyage vers l'extrême droite et qui, de ce fait, ne mérite aucune excuse politique à cette trahison des idéaux antiracistes au nom desquels il prétendait se battre du temps de sa gloire.


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Dominique Sopo est président de SOS-Racisme.

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