Friday, August 11, 2006

LA GUERRE INEVITABLE DE ELI BARNAVI

TribuneLa guerre inיvitableLa conjonction de l'agressivitי iranienne, de la montיe en puissance du Hezbollah et de l'incapacitי de la communautי internationale א faire appliquer ses rיsolutions ne laissait d'autre choix א Israכl par Elie Barnavi
J'ai lu avec intיrךt les contributions de Dominique Eddי et de mon ami Menahem Klein (« l'Obs » du 27 juillet et du 3 aot). Elles me paraissent assez significatives du discours, disons, pour faire bref, de gauche, sur les יvיnements du Liban. Homme de gauche moi aussi, et haןssant la guerre comme eux, je n'en revendique pas moins une petite place pour les tristes rיalitיs de la gיopolitique.Voici donc les faits - hard facts, comme disent nos amis anglo-saxons.1 - L'יquipe au pouvoir א Jיrusalem est constituיe d'hommes et de femmes avec lesquels on peut avoir des divergences politiques fondamentales (j'en nourris moi-mךme), mais qui ne sont ni des brutes sadiques ni des idיologues fanatiques. Olmert est devenu au fil des ans un centriste bon teint, et plusieurs de ses ministres, notamment celui de la Dיfense, Amir Peretz, sont de vieux militants du mouvement La Paix maintenant. Par ailleurs, alors que l'opinion publique israיlienne est profondיment divisיe sur l'opיration dite Pluies d'Etי א Gaza, plus de 80% des Israיliens approuvent celle qui est en train de se dיrouler au Liban. Il vaut la peine de se demander pourquoi.La raison en est simple. Les Israיliens sentent bien ce que les deux situations, au-delא des similitudes apparentes, ont de fondamentalement diffיrent. Je ne saurais mieux le dire que ce jeune rיserviste israיlien, signataire en son temps de l'appel de l'organisation Yesh Gvul (« Il y a des limites ! ») contre le service dans les territoires, citי par « le Figaro » du 1er aot : «Les Palestiniens se battent pour une cause juste, mךme s'ils emploient parfois des moyens injustifiables. Le Hezbollah n'emploie que des mיthodes injustifiables pour une cause injuste [...].»2 - Aussi bien, Israכl n'a d'intיrךts au Liban que sיcuritaires. Lא-bas, pas de rךveries bibliques, et partant pas de revendications territoriales et pas de colonies. Ce qu'Israכl ne cesse d'exiger de son voisin du nord depuis plus de trente ans - c'est-א-dire depuis que le Fatah, chassי de Jordanie par la Lיgion arabe du roi Hussein, a installי au Sud-Liban son Etat dans l'Etat -, c'est qu'il יtende son autoritי sur l'ensemble de son territoire, ce qui est tout de mךme la moindre des choses pour un Etat souverain. Et ce qu'il n'a jamais fait. Depuis que Tsahal s'est repliי, en mai 2005, de la zone de sיcuritי qu'il y avait malencontreusement conservיe et que la « ligne bleue » a יtי vיrifiיe au millimטtre prטs par l'ONU, les provocations du Hezbollah, successeur du Fatah au Sud-Liban, n'ont jamais cessי. L'attaque du 12 juillet en territoire israיlien a יtי la goutte d'eau qui a fait dיborder le vase. Lא oש le Hezbollah, du propre aveu de son dirigeant, s'attendait א une riposte molle comme א l'habitude, Israכl a rיagi brutalement. Il יtait amplement temps.3 - Israכl n'a pas fait le Liban tel qu'il est : une collection de communautיs religieuses coiffיes par un Etat confessionnel intrinsטquement faible et dont la Constitution reflטte l'יquilibre nיcessairement instable de ces communautיs. C'est la France coloniale qui l'a ainsi conחu, et les Libanais eux-mךmes qui, par leurs divisions inter et intracommunautaires, l'ont ainsi perpיtuי. La force du Hezbollah est le rיsultat de la faiblesse de l'Etat libanais, qui en est l'impuissant otage. Il faut se rappeler que le « Parti de Dieu », avec son bloc parlementaire (35 dיputיs sur 128 depuis les יlections de l'annיe derniטre) et ses deux ministיriels, est partie prenante de ce malheureux Etat.Cette impuissance est une explication, non une excuse. Car on peut א la rigueur comprendre que l'armיe libanaise ait יtי א la fois incapable et peu dיsireuse de faire son mיtier dans le sud du pays. L'armיe est elle-mךme le miroir fidטle des divisions communautaires : son commandant en chef, le maronite Michel Souleiman, est un chrיtien prosyrien א l'image de son prיdיcesseur, le prיsident de l'Etat Emile Lahoud, son adjoint est druze et une bonne partie de la troupe est chiite, permיable donc א l'influence du Hezbollah. En revanche, on comprend moins bien que le gouvernement central ait totalement abandonnי la population du Sud-Liban, quelque 200 000 גmes gouvernיes, administrיes et encadrיes par le parti intיgriste.4 -Cependant, le Hezbollah ne serait pas grand-chose sans ses deux puissants sponsors, la Syrie et surtout l'Iran. Le rיgime des mollahs fournit au Parti de Dieu l'essentiel de son financement - quelque 100 millions de dollars en moyenne par an -, de son armement et de son encadrement (les gardiens de la rיvolution). Tout cela transite par Damas, autrefois le vיritable patron du Hezbollah, supplantי depuis son dיpart forcי du pays du Cטdre par Tיhיran.5 - Vue d'Israכl, la situation devenait au fil des mois de plus en plus intolיrable. Une milice puissamment armיe, vouיe ouvertement א sa destruction, a bגti le long de sa frontiטre un formidable dispositif d'avant-postes fortifiיs et amassי un arsenal de 15 000 missiles de courte et moyenne portיe capables, comme on le constate aujourd'hui, de frapper tous les centres nיvralgiques du pays. Cette milice est manipulיe par un Etat dont le prיsident, un יnergumטne messianique qui attend l'apocalypse pour demain, proclame urbi et orbi la nיcessitי de «rayer Israכl de la carte» et s'en donne les moyens : l'arme des derniers jours.Pour tous ceux qui savent lire une carte gיopolitique, la rיaction israיlienne n'יtait qu'une question de temps. Il יtait יvident que la conjonction de l'agressivitי iranienne, de la montיe en puissance de sa marionnette libanaise et de l'incapacitי de la communautי internationale א faire appliquer ses propres rיsolutions ne laissait d'autre choix א Israכl que de frapper avant que l'arsenal du Hezbollah et la course de l'Iran א l'arme nuclיaire n'altטrent dיfinitivement l'יquilibre stratיgique dans la rיgion. La campagne israיlienne au Liban n'a donc rien d'une «guerre des fous» (on a connu « l'Obs » mieux inspirי dans le choix de ses titres chocs). C'est, par Hezbollah interposי, la premiטre (et il faut l'espיrer la derniטre) guerre israיlo-iranienne. De son issue dיpendra l'avenir non seulement d'Israכl au Proche-Orient mais de tout ce que cette rיgion compte de modיrי et de rationnel.6 - Il est certain que les pays arabes ont parfaitement compris cela, les encouragements discrets reחus par Jיrusalem en tיmoignent. La tragיdie de Cana les a fait changer de ton mais pas de stratיgie. Hassan Nasrallah a dיjא remplacי Ben Laden dans l'imaginaire arabe et l'on brandit ses portraits au Caire avec ceux de feu Nasser. Que le Hezbollah sorte victorieux de cette confrontation et alors l'audace de Tיhיran ne connaמtra plus de limites. Libיrיe grגce aux Amיricains du contrepoids irakien et grגce aux Irakiens de la menace amיricaine, puissance pיtroliטre de surcroמt et maמtresse du dיtroit d'Ormuz par oש transite prטs du quart du commerce mondial d'or noir, suzeraine de la Syrie et du Liban, incontournable dans l'Irak chiite et en Asie ex-soviיtique, la mollarchie n'aura plus de rivaux sיrieux dans la rיgion. Avant mךme d'accיder au feu nuclיaire. Il faudra alors faire son deuil de tout « dיsengagement » des territoires occupיs, et la paix entre Israכl et ses voisins sera א ranger au rayon des utopies.7 - L'espace me manque pour discuter ici l'efficacitי de la riposte israיlienne comme sa « proportionnalitי ». Mais quels que soient les doutes qu'on puisse nourrir sur celle-lא et les rיserves qu'on est en droit d'יmettre א propos de celle-ci, il devrait ךtre יvident pour tout le monde que la communautי internationale doit tout faire pour empךcher un retour au statu quo ante, qui serait aussitפt interprיtי comme une victoire du Hezbollah et que, de toute faחon, Israכl n'acceptera pas. A dיfaut du dיsarmement de la milice intיgriste, difficilement envisageable pour le moment, une force internationale consיquente, sous l'autoritי juridique de l'ONU mais surtout pas sous son commandement (l'Unifil a fait largement la preuve de son inefficacitי), est la premiטre condition d'une stabilisation de la situation sur le terrain. L'occupation par Tsahal d'une bande frontaliטre de quelques kilomטtres de large en territoire libanais n'a pas d'autre objectif que de la remettre א ladite force internationale, en יvitant dans l'intervalle le retour pur et simple des terroristes du Hezbollah.8 - A plus long terme, cette crise doit dיboucher sur une solution politique globale. N'en dיplaise א la diplomatie franחaise, le volet libanais du rטglement politique passe nיcessairement par la Syrie. Il faut absolument briser l'axe Damas-Tיhיran, qui repose davantage sur une alliance de proscrits que sur une rיelle convergence d'intיrךts.Et bien sr il est grand temps de s'occuper sיrieusement du volet palestinien. Le cadre d'un accord raisonnable est connu depuis longtemps. Lא encore, א moins d'une implication forte de la communautי internationale, nous resterons avec le cadre vide, sans l'accord.Professeur יmיrite d'histoire de l'Occident moderne א l'Universitי de Tel-Aviv, ancien ambassadeur d'Israכl א Paris de 2000 א 2002, Elie Barnavi a publiי en fיvrier « Israכl-Palestine, une guerre de religion ? » (Bayard). Elie Barnavi

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