Wednesday, August 09, 2006

PIERRE VIDAL NAQUET...LEUR MANQUE DEJA

Pierre Vidal-Naquet, ou le désir de vérité
FRANCE - 6 août 2006 - par MOHAMMED HARBI
L’historien algérien Mohammed Harbi rappelle le sens des combats menés par son collègue et ami français décédé le 29 juillet. Nous venons de perdre un ami, dont les interventions au regard du nécessaire et du vrai vont nous faire cruellement défaut.
Dès son enfance, Pierre Vidal-Naquet a rencontré le génocide hitlérien et a été marqué par la mort de ses parents à Auschwitz. Ce fut l’événement originel qui détermina toute sa vie. Il ne cessait de nous répéter qu’être juif n’était pas une adhésion à la religion ; il était athée. Ce n’était pas non plus une adhésion à l’arrogance de l’État d’Israël, qui met son destin sous l’égide de la force et ne se résout pas à réparer les torts faits au peuple palestinien. Être juif, pour Pierre, ce sera toujours être l’héritier d’une tradition qui place la reconnaissance mutuelle des hommes par d’autres hommes au centre de son intérêt. En témoigne cette « fidélité têtue » aux sans-voix, qu’ils soient victimes de l’exploitation, du racisme, de l’exclusion ou des despotismes étatiques. Tous les combats qui portent sur la dignité humaine le verront militant actif et passionné, qu’il s’agisse du droit à l’autodétermination des peuples, de la torture ou du négationnisme.
Ce qui sous-tendait son action et sa façon d’évaluer le politique, c’était un internationalisme ouvert, distant à l’égard de tout exclusivisme et de tout messianisme, ces maux qui finissent par ternir les grands idéaux. J’ai connu Vidal-Naquet en 1975. Venait alors de paraître mon essai sur Les Origines du FLN, où étaient décryptés des aspects méconnus du nationalisme algérien. Mais c’est en 1980, avec la publication du FLN mirage et réalité, que naît notre amitié. Nos échanges ne se limitaient plus seulement à l’expérience algérienne, dont il fut un acteur éminent et un observateur avisé, comme l’attestent ses prises de positions sur l’affaire Audin, sur les crimes de l’armée française, mais aussi sa participation à la défense du droit à l’insoumission (Déclaration des 121), et, après l’indépendance, son attitude face à l’implosion du FLN, au sort et à l’abandon des harkis.
Nos échanges, chez lui, chez moi, et, plus souvent, lors de longues conversations téléphoniques, nous permettaient de confronter nos appréciations respectives sur les tragédies qui affectaient le Tiers Monde. Les secousses du Moyen-Orient éprouvaient sa sensibilité ; nous défendions tous deux la coexistence entre les peuples israélien et palestinien disposant chacun de son État propre. En ces jours présents, où la guerre resurgit, il nous faut relire attentivement son dernier texte intitulé « Assez ».
Au fil des ans, j’ai découvert une personne jamais enfermée dans l’arrogance de son savoir, toujours attentive aux idées des autres, sans jamais se cramponner dans une attitude dès lors qu’elle lui paraissait discutable. Ensemble, nous avons affronté certaines épreuves : le procès Barbie, au cours duquel des militants algériens, aux côtés de l’avocat du FLN que fut Jacques Vergès, se sont portés au secours d’un bourreau ; les événements de 1988 à Alger, au cours desquels l’armée tira sur les manifestants et utilisa la torture à grande échelle, l’interruption des élections en 1992, etc.
Il nous est advenu de nous retrouver dans des camps opposés. Invité en même temps que moi à l’émission « Réplique », au moment de la crise du Golfe, Pierre a défendu le principe de l’intervention. Un ami à qui je confiais mon trouble m’a dit de ne pas trop m’inquiéter et de m’assurer que, comme pour la guerre de 1967, l’historien rattrapera bientôt l’acteur. C’est ce qui advint. Pierre craignait moins le risque que la dérobade. Il se faisait un devoir de réagir à temps à l’événement et d’aider l’opinion à faire face. Le souci de ne pas affaiblir le désir de vérité en lui l’habitait en permanence. Son éthique fut celle qu’analyse Max Weber parlant de la vocation du savant : « Dire ce que les gens n’aiment pas entendre, à ceux qui se trouvent plus haut dans la hiérarchie sociale, à ceux qui s’y trouvent plus bas, mais aussi à sa propre classe. »
On me pardonnera d’avoir privilégié des aspects politiques avec les traits militants de sa personnalité. Je n’oublie pas l’éminent historien qu’il fut, mais d’autres que moi sauront évoquer, mieux que je ne saurais le faire, ses travaux de chercheur. Avec la disparition de Pierre s’efface un peu plus une génération d’intellectuels engagés contre la guerre d’Algérie, à laquelle ont appartenu Henri Curiel, Jean-François Lyotard, Madeleine Rebérioux, Maxime Rodinson, Jacques Charby, André Mandouze et bien d’autres encore.
Nous ne les oublierons pas.

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