Friday, June 15, 2007

gary kasparov

Garry Kasparov, la diagonale du Kremlin
LE MONDE | 12.06.07 | 15h07 • Mis à jour le 12.06.07 | 15h07
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'est une partie d'échecs pas comme les autres que dispute aujourd'hui l'ancien champion du monde Garry Kasparov, occupé à défier le Kremlin. Passé de l'échiquier des compétitions internationales à celui de la politique russe, l'"Ogre de Bakou", comme on le surnommait au début de sa carrière sportive, n'a plus qu'une idée en tête : changer le cours politique imposé à la Russie par Vladimir Poutine. De Saint-Pétersbourg à Strasbourg, le maître tacticien n'a de cesse de dénoncer "le régime anthropophage" mis en place par les hommes en uniforme du Kremlin. S'il veut en changer, c'est avant tout parce que son pays, la Russie, "mérite, lui aussi, de faire partie du monde libre". L'ogre, sourcils noirs épais, regard intense, est devenu le cerveau de l'Autre Russie, une coalition d'opposants à Vladimir Poutine qui espère l'emporter lors de la présidentielle de mars 2008 contre le candidat que le Kremlin désignera. Garry Kasparov n'est pas candidat.



PARCOURS

1963


Naissance à Bakou (Azerbaïdjan, URSS).


1985


Devient champion du monde des échecs contre Anatoli Karpov.


1990


Rend sa carte du Parti communiste de l'URSS et rejoint l'opposition.


1996


Devient l'émissaire de Boris Eltsine lors de la campagne présidentielle.


2000


Perd son titre de champion du monde contre le Russe Vladimir Kramnik.


2005


Se retire du monde des échecs pour se consacrer à la lutte politique.

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Ayant délaissé la position statique du joueur d'échecs, les coudes sur la table, la tête dans les mains, il est toujours en mouvement. Il était présent, le 5 juin à Prague, au congrès des dissidents organisé par l'ancien refuznik Natan Chtcharanski à l'occasion de la visite du président américain George Bush. Garry Kasparov l'a rencontré. Le 9, il haranguait le millier de participants à "la marche du désaccord", organisée par l'Autre Russie à Saint-Pétersbourg. Le lundi 11 juin, il devait prendre la tête de la manifestation des opposants à Moscou.

Escorté en permanence par ses gardes du corps, Garry Kasparov a été plus d'une fois menacé, interpellé, entravé. Arrêté lors d'une manifestation à Moscou le 14 mai, il est cité à comparaître et doit acquitter une amende de 29 euros pour "troubles à l'ordre public". Sa femme et sa petite fille de neuf mois sont à l'abri, à New York. Lui-même, craignant d'être empoisonné, avoue ne rien boire, ne rien manger lorsqu'il voyage sur les lignes aériennes russes.

Mais qu'est-ce qui peut bien pousser cet homme de 44 ans, à la renommée déjà faite et à la situation financière confortable, à se lancer dans une bataille plutôt risquée ? "J'ai toujours voulu défendre l'honneur de mon pays. Je l'ai fait devant l'échiquier, je le fais en politique de la même façon", explique-t-il. Son expérience de joueur lui est-elle utile en politique ? "Il s'agit d'un autre jeu. Un jeu sans règles celui-là." Il n'est pas du genre à plier : "J'avais le choix entre partir ou lutter, j'ai choisi de lutter." Comment peut-il croire une seconde que la politique mise en place par Vladimir Poutine, qui bénéficie d'une cote de confiance de 82 % auprès de la population, sera désavouée en mars 2008 ? "Si le régime de Poutine se maintient, l'Etat russe s'écroulera comme l'URSS s'est écroulée, car ce genre de régime ne résistera pas à l'épreuve de la modernité." N'est-il pas un peu trop sûr de son fait ? Son expérience des échecs, où il faut anticiper chaque mouvement de l'adversaire, lui permet "d'évaluer objectivement la situation". Il sait bien que l'Autre Russie "n'est pas assez puissante mais c'est un mouvement politique qui compte". Et puis "la vérité est de notre côté", alors que le Kremlin "a pour arme principale le mensonge".

Le mensonge, l'injustice, l'hypocrisie, il connaît, pour les avoir affrontés tout au long de sa carrière de joueur d'échecs. C'est dans l'adversité qu'il s'est construit. La partie qu'il joue aujourd'hui contre le pouvoir russe n'est que le prolongement de celle engagée il y a vingt-trois ans contre le joueur d'échecs Anatoli Karpov pour le titre mondial.

Le match, entamé à l'automne 1984, est interrompu le 15 février 1985 sous un faux prétexte au moment où Garry Kasparov est en train de revenir au score (il passe de 5-0 à 5-3, le premier à 6 points l'emportant) face à un Karpov désarçonné, éreinté, en proie à l'insomnie. La défaite de Karpov aurait fait le désespoir des huiles du Parti communiste dont il est le protégé. "Ils voulaient défendre leur poulain, c'est pourquoi ils ont tout stoppé", se remémore Garry. Tout sépare les deux joueurs. Face à Anatoli Karpov, Russe bon teint, fils d'ouvrier, Garry Kasparov, né à Bakou d'un père juif et d'une mère arménienne, est plutôt atypique. Prototype même de l'"Homo sovieticus", Karpov est le chouchou du Parti communiste, le protégé de son secrétaire général, Leonid Brejnev. La mort de ce dernier en 1982 ne changera rien, Karpov restera la mascotte des apparatchiks. A côté de lui, Kasparov n'est rien. Sa carte du parti, il l'a prise en 1984, à quelques mois du match et encore à reculons.

Sa mère, Klara Kasparian, avait compris très tôt que l'origine de son fils allait lui compliquer la vie. En 1974, cette femme clairvoyante, grande joueuse d'échecs - c'est en regardant ses parents résoudre des problèmes que Garry a appris les rudiments du jeu - fait changer l'état civil de son fils, quatre ans après la mort du père. Garry Weinstein devient Garry Kasparov, une version russifiée de Kasparian. La mention de sa nationalité (le point 5 du passeport soviétique) est changée, passant de "juif" à "arménien". L'initiative de Klara déclenche la colère de la famille Weinstein, une lignée de musiciens et de compositeurs renommés à Bakou, ville cosmopolite où théâtres et opéras sortent de terre grâce à l'argent du pétrole.

Ulcéré par l'interruption injustifiée du match, Garry Kasparov dénonce, dans une interview donnée au magazine allemand Der Spiegel à l'été 1985, "l'antisémitisme de la fédération soviétique des échecs". Ses déclarations font scandale, il est menacé d'exclusion. Obstiné, avide de justice, il décide d'aller plaider sa cause auprès d'Alexandre Iakovlev, le chef du service de la propagande du Parti communiste de l'URSS qui s'illustrera à l'époque de Mikhaïl Gorbatchev en mettant en place le concept de "glasnost" (transparence). Grâce à son intervention, il n'est pas sanctionné.

Le 3 septembre 1985, une nouvelle partie commence entre les deux K. Elle durera deux mois et dix jours. A la fin, Karpov est terrassé. Kasparov devient champion du monde, il a 22 ans. Jamais il n'oubliera les avanies endurées, les compétitions à l'étranger annulées au tout dernier moment sous prétexte que sa sécurité ne pouvait être assurée. Elles ont nourri son esprit frondeur. "Le même mensonge prévaut aujourd'hui", dénonce-t-il. Revoit -il Anatoli Karpov ? "Une fois de plus, nous ne sommes pas dans le même camp. Resté proche du pouvoir, il siège à la Chambre publique (un organe consultatif créé par Vladimir Poutine), moi je suis un opposant."

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