Libres Opinions
Le dialogue inter-libanais de La Celle-St-Cloud, Marc Brzustowski
Ou quand la politique "new look" du Quai d’Orsay déroule ses tapis persans…
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09/07/07
Depuis la fin du mois de mai dernier, les initiatives diplomatiques françaises n’ont eu de cesse de dérouler des tapis rouges sous les pieds du Hezbollah, dans sa longue marche vers la conquête du pouvoir à Beyrouth. Le nouveau Ministère des Affaires étrangères, sous la direction de Bernard Kouchner, n’a fait que répondre avec toujours plus de déférence aux ultimatums de l’opposition libanaise pro-syrienne dont le « Parti de Dieu » est le fer de lance. Les discussions inter-libanaises du Château de la Celle-St-Cloud apparaissent comme l’apogée de cette reconnaissance officielle de l’utilisation forcenée du terrorisme comme mode de consécration légitime en diplomatie.
Depuis quelque temps, en effet, le Président Michel Lahoud tempête et menace : si une solution n’est pas trouvée à la crise libanaise d’ici le 15 juillet, il autorisera cette opposition pro-irano-syrienne menée par la milice chi’ite, avec le concours du groupe Amal de Nabih Berri, mais aussi les chrétiens de Michel Aoun, à constituer un « gouvernement bis », parallèle à celui de Fouad Siniora, regroupant sunnites, druzes, et chrétiens maronites. Le 15 juillet coïncide également avec la mise en œuvre, par le Conseil de Sécurité de l’ONU, d’une nouvelle étape vers le Tribunal International, pour déterminer les responsabilités dans l’assassinat de Rafic Hariri. Autant dire que, pour Damas, il s’agit d’une date-butoir, à partir de laquelle tous les coups seront permis. C’est donc sur cette journée-charnière que la politique étrangère française s’est alignée et calée pour résoudre, d’un coup d’un seul, tous les défis qui pavent le chemin de Damas, clé de la résolution de la crise libanaise.
Le seul risque de « rupture » qu’encourt la diplomatie française avec son passé, est celui qui menace la chaîne de décision et les rapports de forces dans le Liban sous tutelles concurrentes et impitoyables : les Forces libanaises, composées à 40% d’officiers chi’ites, pourraient adopter une prudente neutralité, laissant alors grand ouvert le portail vers l’accession au pouvoir des plus déterminés, après une période, plus ou moins longue, de guerre civile.
Le Hezbollah s’y prépare ardemment, si l’on en croit la presse arabe et iranienne synthétisée par MEMRI. Elle surentraîne ses séides dans la plaine de la Beqaa et envoie, sans discontinuer, les plus affûtés d’entre eux parfaire leur formation en guérilla dans les camps de la Force Quds, en Iran, dont les officiers sont les spécialistes du lavage de cerveaux, étape élémentaire pour la mise en condition des bombes humaines.
La montée des marches au pas cadencé des menaces et du crime
Si l’on suit, page par page, l’agenda observé par le Quai d’Orsay depuis cette période, l’opposition pro-syrienne a eu la part belle dans cette écoute attentive des revendications du camp anti-occidental libanais :
· Le lundi 28 mai, le général Michel Aoun était reçu durant 45 minutes par Bernard Kouchner. Il passait à Paris pour présenter et signer son livre : Général Aoun, une certaine vision du Liban, écrit par Frédéric Domont, correspondant de RFI au Liban. Le 31 mai, Aoun était présent au Palais des Congrès de Paris, pour un rassemblement avec ses partisans en France.
· Le lendemain de sa visite au nouveau ministre des Affaires étrangères, le 29 mai, ce dernier recevait une autre demande expresse du député du Hezbollah de Bint Jbeil (fief du Hezbollah au Sud-Liban, théâtre central durant la dernière guerre avec Israël), Hassan (Sayed Mohammed Hussein) Fadlallah. Lui aussi souhaitait « discuter avec les autorités » françaises des « issues possibles » à la crise inter- libanaise. Inutile de préciser que le Quai s’empressa de lui donner un avis favorable. Ce n’était que pour mieux pousser, à peine deux jours plus tard, son fameux cri de guerre : « Mort à l’Amérique », à Berne, devant le très attentif ambassadeur suisse, intrigué par le sens de cette rhétorique. Evidemment, avec ce petit rien de bonnes manières châtiées que lui enseignent ses invités, renouvelées sous les ors des différents ministères et ambassades :
" « Les États-Unis jouent un rôle dommageable au Liban, en faisant la promotion du chaos et de la discorde et limitent ainsi les solutions potentielles », avait-il alors déclaré, riant déjà sous djellabah, suite à une réunion avec l'ambassadeur suisse, François Barras, avec lequel il avait discuté des dernières évolutions de la scène politique libanaise et de l'initiative de Berne pour promouvoir un dialogue entre les Libanais." (Libnanews, 31 mai 2007).
Un premier projet visant à organiser le dialogue inter-libanais voit le jour, accueilli à la Celle Saint-Cloud. Il est d’abord fixé entre le 29 juin et le 1er juillet. Mais quelques jours après cette annonce, Damas impose sa marque à cette initiative ; elle se solde, le 13 juin, par une fin de non-recevoir : l’assassinat du député anti-syrien Walid Eido. Paris donne alors le sentiment de comprendre, une première fois, qu’il peut recevoir et rassembler sous ses bons offices, tous les dialogues et tous les intermédiaires qu’il voudra. Les "Parrains" iraniens et syriens ne manqueront pas de répondre à sa généreuse sollicitude, en poussant à une résolution qui ne puisse qu’être conforme à leur propre vision de l’avenir du Liban. Si l’on a bien entendu Fadlallah, ceux qui font la promotion du chaos ne peuvent être les voisins bienveillants de ce pays du Cèdre, souverain et indépendant. Mais par là, il annonçait un autre projet parallèle : celui de faire du Liban un nouvel Irak à gérer pour les Occidentaux, la France étant aux premières loges.
Cette fois, Paris annule (en fait, reporte) tout. Jean-Claude Cousseran, qui était sur le départ vers Damas, fait ses valises diplomatiques pour Paris. Au préalable, il devait rencontrer le vice-président, Farouk Chareh, et le ministre des Affaires étrangères, Walid Al Moallem, pour s’entretenir avec eux de la situation au Liban. Il n’en sera rien.
On s’est alors interrogé sur les motivations de ce changement de programme. En l’absence de réponse claire, on pouvait émettre des hypothèses. Parmi celles-ci, certains ont estimé que « la diplomatie française » avait signé « son premier échec sous l’ère Sarkozy ». D’autres ont évoqué « une prudence surérogatoire, qui a poussé Paris à renoncer à sa médiation, de peur d’un échec ».
Reste la dernière hypothèse - la plus probable : les rapports des services du renseignement et des diplomates convergent vers un seul constat, « la Syrie joue son va-tout et ne permettra pas aux Libanais de se réconcilier ».
D’où les événements de Nahr El-Bared ;
d’où aussi le renforcement des positions des factions palestiniennes liées à Damas ;
d’où également le coup d’Etat du Hamas à Gaza (avec toutes ses retombées sur l’ensemble de la région) ;
et d’où la poursuite des assassinats au Liban.
Ces rapports, qui sont désormais entre les mains de toutes les chancelleries, devant le Conseil de sécurité de l’ONU et devant la Ligue arabe, condamnent la Syrie et attestent de sa détermination à mettre en échec toute médiation inter-libanaise. D’où l’annulation de la conférence de Paris. La décision a été prise, soulignons-le, après une rencontre qui s’est tenue au Maroc entre Cousseran et le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal.
Quant à l’annulation de la visite de Cousseran à Damas, l’hypothèse la plus probable est celle d’un « refus de la France de se faire humilier gratuitement par la Syrie ».
Dans la même veine, Albert Soued écrivait, le 13 juin, le jour même de l’assassinat de Walid Eido, ce texte envoyé à plus de 2000 correspondants :
« Sous l'influence du quai d'Orsay, le trio Sarkosy-Fillon-Kouchner vient de commettre sa première bévue au Moyen-Orient. Dans sa grande générosité, il a invité un groupe terroriste à une réunion sur le Liban à Paris. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Au bout de 48 h, un attentat du type "Hariri" a fauché, à Beyrouth, une dizaine de vies, dont celle du député anti-syrien Walid Eido et son fils. Le trio Iran-Syrie-Hezbollah (Iran commanditaire, Syrie commandité, Hezbollah petite main) poursuit ses éliminations ciblées, après une trêve. Son but est d'obtenir, au parlement libanais, le quorum nécessaire pour bloquer les décisions prises à l'encontre de la Syrie et refaire du Liban un satellite de fait. Le trio infernal n'a pas trouvé mieux comme solution que d'éliminer progressivement le groupe anti-syrien au Parlement, le groupe du 14 mars (*). Le quai d'Orsay lui a donné le feu vert. C'est ce qu'on appelle le changement dans la continuité. »
Suite à cette interprétation, par Albert Soued, du message de Damas, on eût pu croire qu'il y aurait une inclination gouvernementale à détecter lucidement le genre de "diplomatie" terroriste à laquelle se heurte, en faisant la danse de St Guy, cette politique étrangère faite d'amnistie, d'amnésie d'une fois sur l'autre, de conciliation et, disons-le, de "diplomatie du turban" à l'égard des Mollahs. Il n’a pas fallu plus d’une quinzaine de jours pour que la chancellerie comprenne l’avertissement de Damas, reprenne langue avec lui et mette à nouveau la main à l’ouvrage. La voilà persuadée de réussir, cette fois, sa broderie, avec un peu de persévérance et de sens de la persuasion. Bernard Kouchner se muerait en animateur bienveillant des sessions d’entretiens entre les 14 différents partis, et à l’issue de ce "brainstorming", toutes les menaces fratricides seraient levées afin que, sous les lampions du 14 juillet, des solutions inédites commencent enfin à poindre. Le "French Doctor" ferait aux différentes familles libanaises irréconciliables, le coup des « Etats Généraux », ou conférences de consensus, qui ont tant réussi à son ancienne égérie, Ségolène Royale ; et, de jury en jury, pas à pas, la loi et l’ordre juste et le sens du compromis reprendraient leurs droits au Liban. Finies les dates-butoir et tous ces ultimatums qui ne sont qu’autant de barrières psychologiques limitant l’innovation à la française, la dynamique de groupes spontanée des Libanais !
Tout le monde a intérêt, surtout au Liban, à faire comme si. Le Hezbollah fait en sorte d'être considéré comme incontournable, apparemment "pacifié", mais il réarme à tout va, joue parfaitement, au plan politique, son rôle de "minorité de blocage", lorsqu'à chaque proposition, un incident survient, auquel, bien entendu, il n’est absolument pour rien. Entre temps, on aura inventé d'autres milices pour faire le sale boulot à sa place. Parfois Assad s'en mêle directement. Comme cette annonce - qui n’a effarouché aucun des invités au bal de la République -, selon laquelle l’armée syrienne s’enfonçait dans une bande de 3 km à l’intérieur de la Beqaa, confisquée au Liban souverain. Et ça marche. Personne ne bronche. Ni Ban Ki Moon, ni Kouchner, ni Rice, ni personne.
Suite aux infos de Lebnanews, il n'y a eu, à cette heure, aucune réaction sensée quant à ce qui constituerait une violation de souveraineté, une provocation ouverte de la part de la Syrie. Nouvel ultimatum qui, si le Liban avait jamais été souverain, aurait constitué un casus belli.
Le matin du 8 juillet encore, Dennis Ross, ex-médiateur d'Oslo, envisageait la possibilité d'une guerre entre Israël et la Syrie (d’après Ynet).
Israël est trop fréquemment aux abonnés absents, pour cause de crise de leadership, mais se sait à deux doigts de la guerre sur l’une ou plusieurs de ses frontières en même temps. Nos institutions juives ont du mal à prendre position sur le fait de savoir s’il s’agit d’un Etat supposé protégé par la France. Elles "déploreront" la présence du Hezbollah et demeureront dans le flou "diplomatiquement correct" ; pendant ce temps, en toute quiétude, les Etats-voyous prennent leurs marques et imposent leur cadence. Le "loup" est depuis longtemps dans la bergerie, mais nous attendons, sans réaction d'aucune sorte, qu'il nous envoie une invitation, en bonne et due forme, au festin. "Wait and see" – attendons de voir venir. Nous vivons dans l'illusion qu'en France, un vent de réforme soufflerait favorablement, qui permettrait de tenir plus solidement les rênes que par le passé, et d’avoir la franchise de ses "convictions". Bien avant d’annoncer sa candidature, Nicolas Sarkozy n’avait-il pas été beaucoup plus franc, n’était-il pas allé beaucoup plus loin encore qu’un Jacques Chirac, qui s’était pourtant montré inhabituellement sévère, le 14 juillet 2006, à l’encontre du Hezbollah, qualifié par lui d’« irresponsable », tandis que son dauphin n’hésitait pas à traiter le Parti de Dieu de « terroriste », l’appelant, pour une fois, par son nom. Mais c’était avant, à une époque où l’on affirmait encore qu’on ne nous « mentirait pas », qu'on ne nous « décevrait pas ».
Il serait temps que nos yeux se dessillent. Si nous ne nous faisons pas un peu violence, qui le fera ?
Eux, assurément.
© Marc Brzustowski
(*) Il y a déjà eu trois meurtres ; il ne reste plus que deux autres députés à assassiner, pour réduire la majorité anti-syrienne à 65 députés, et la rendre ainsi impuissante.
Mis en ligne le 09 juillet 2007, par M. Macina, sur le site upjf.org
Le dialogue inter-libanais de La Celle-St-Cloud, Marc Brzustowski
Ou quand la politique "new look" du Quai d’Orsay déroule ses tapis persans…
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09/07/07
Depuis la fin du mois de mai dernier, les initiatives diplomatiques françaises n’ont eu de cesse de dérouler des tapis rouges sous les pieds du Hezbollah, dans sa longue marche vers la conquête du pouvoir à Beyrouth. Le nouveau Ministère des Affaires étrangères, sous la direction de Bernard Kouchner, n’a fait que répondre avec toujours plus de déférence aux ultimatums de l’opposition libanaise pro-syrienne dont le « Parti de Dieu » est le fer de lance. Les discussions inter-libanaises du Château de la Celle-St-Cloud apparaissent comme l’apogée de cette reconnaissance officielle de l’utilisation forcenée du terrorisme comme mode de consécration légitime en diplomatie.
Depuis quelque temps, en effet, le Président Michel Lahoud tempête et menace : si une solution n’est pas trouvée à la crise libanaise d’ici le 15 juillet, il autorisera cette opposition pro-irano-syrienne menée par la milice chi’ite, avec le concours du groupe Amal de Nabih Berri, mais aussi les chrétiens de Michel Aoun, à constituer un « gouvernement bis », parallèle à celui de Fouad Siniora, regroupant sunnites, druzes, et chrétiens maronites. Le 15 juillet coïncide également avec la mise en œuvre, par le Conseil de Sécurité de l’ONU, d’une nouvelle étape vers le Tribunal International, pour déterminer les responsabilités dans l’assassinat de Rafic Hariri. Autant dire que, pour Damas, il s’agit d’une date-butoir, à partir de laquelle tous les coups seront permis. C’est donc sur cette journée-charnière que la politique étrangère française s’est alignée et calée pour résoudre, d’un coup d’un seul, tous les défis qui pavent le chemin de Damas, clé de la résolution de la crise libanaise.
Le seul risque de « rupture » qu’encourt la diplomatie française avec son passé, est celui qui menace la chaîne de décision et les rapports de forces dans le Liban sous tutelles concurrentes et impitoyables : les Forces libanaises, composées à 40% d’officiers chi’ites, pourraient adopter une prudente neutralité, laissant alors grand ouvert le portail vers l’accession au pouvoir des plus déterminés, après une période, plus ou moins longue, de guerre civile.
Le Hezbollah s’y prépare ardemment, si l’on en croit la presse arabe et iranienne synthétisée par MEMRI. Elle surentraîne ses séides dans la plaine de la Beqaa et envoie, sans discontinuer, les plus affûtés d’entre eux parfaire leur formation en guérilla dans les camps de la Force Quds, en Iran, dont les officiers sont les spécialistes du lavage de cerveaux, étape élémentaire pour la mise en condition des bombes humaines.
La montée des marches au pas cadencé des menaces et du crime
Si l’on suit, page par page, l’agenda observé par le Quai d’Orsay depuis cette période, l’opposition pro-syrienne a eu la part belle dans cette écoute attentive des revendications du camp anti-occidental libanais :
· Le lundi 28 mai, le général Michel Aoun était reçu durant 45 minutes par Bernard Kouchner. Il passait à Paris pour présenter et signer son livre : Général Aoun, une certaine vision du Liban, écrit par Frédéric Domont, correspondant de RFI au Liban. Le 31 mai, Aoun était présent au Palais des Congrès de Paris, pour un rassemblement avec ses partisans en France.
· Le lendemain de sa visite au nouveau ministre des Affaires étrangères, le 29 mai, ce dernier recevait une autre demande expresse du député du Hezbollah de Bint Jbeil (fief du Hezbollah au Sud-Liban, théâtre central durant la dernière guerre avec Israël), Hassan (Sayed Mohammed Hussein) Fadlallah. Lui aussi souhaitait « discuter avec les autorités » françaises des « issues possibles » à la crise inter- libanaise. Inutile de préciser que le Quai s’empressa de lui donner un avis favorable. Ce n’était que pour mieux pousser, à peine deux jours plus tard, son fameux cri de guerre : « Mort à l’Amérique », à Berne, devant le très attentif ambassadeur suisse, intrigué par le sens de cette rhétorique. Evidemment, avec ce petit rien de bonnes manières châtiées que lui enseignent ses invités, renouvelées sous les ors des différents ministères et ambassades :
" « Les États-Unis jouent un rôle dommageable au Liban, en faisant la promotion du chaos et de la discorde et limitent ainsi les solutions potentielles », avait-il alors déclaré, riant déjà sous djellabah, suite à une réunion avec l'ambassadeur suisse, François Barras, avec lequel il avait discuté des dernières évolutions de la scène politique libanaise et de l'initiative de Berne pour promouvoir un dialogue entre les Libanais." (Libnanews, 31 mai 2007).
Un premier projet visant à organiser le dialogue inter-libanais voit le jour, accueilli à la Celle Saint-Cloud. Il est d’abord fixé entre le 29 juin et le 1er juillet. Mais quelques jours après cette annonce, Damas impose sa marque à cette initiative ; elle se solde, le 13 juin, par une fin de non-recevoir : l’assassinat du député anti-syrien Walid Eido. Paris donne alors le sentiment de comprendre, une première fois, qu’il peut recevoir et rassembler sous ses bons offices, tous les dialogues et tous les intermédiaires qu’il voudra. Les "Parrains" iraniens et syriens ne manqueront pas de répondre à sa généreuse sollicitude, en poussant à une résolution qui ne puisse qu’être conforme à leur propre vision de l’avenir du Liban. Si l’on a bien entendu Fadlallah, ceux qui font la promotion du chaos ne peuvent être les voisins bienveillants de ce pays du Cèdre, souverain et indépendant. Mais par là, il annonçait un autre projet parallèle : celui de faire du Liban un nouvel Irak à gérer pour les Occidentaux, la France étant aux premières loges.
Cette fois, Paris annule (en fait, reporte) tout. Jean-Claude Cousseran, qui était sur le départ vers Damas, fait ses valises diplomatiques pour Paris. Au préalable, il devait rencontrer le vice-président, Farouk Chareh, et le ministre des Affaires étrangères, Walid Al Moallem, pour s’entretenir avec eux de la situation au Liban. Il n’en sera rien.
On s’est alors interrogé sur les motivations de ce changement de programme. En l’absence de réponse claire, on pouvait émettre des hypothèses. Parmi celles-ci, certains ont estimé que « la diplomatie française » avait signé « son premier échec sous l’ère Sarkozy ». D’autres ont évoqué « une prudence surérogatoire, qui a poussé Paris à renoncer à sa médiation, de peur d’un échec ».
Reste la dernière hypothèse - la plus probable : les rapports des services du renseignement et des diplomates convergent vers un seul constat, « la Syrie joue son va-tout et ne permettra pas aux Libanais de se réconcilier ».
D’où les événements de Nahr El-Bared ;
d’où aussi le renforcement des positions des factions palestiniennes liées à Damas ;
d’où également le coup d’Etat du Hamas à Gaza (avec toutes ses retombées sur l’ensemble de la région) ;
et d’où la poursuite des assassinats au Liban.
Ces rapports, qui sont désormais entre les mains de toutes les chancelleries, devant le Conseil de sécurité de l’ONU et devant la Ligue arabe, condamnent la Syrie et attestent de sa détermination à mettre en échec toute médiation inter-libanaise. D’où l’annulation de la conférence de Paris. La décision a été prise, soulignons-le, après une rencontre qui s’est tenue au Maroc entre Cousseran et le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal.
Quant à l’annulation de la visite de Cousseran à Damas, l’hypothèse la plus probable est celle d’un « refus de la France de se faire humilier gratuitement par la Syrie ».
Dans la même veine, Albert Soued écrivait, le 13 juin, le jour même de l’assassinat de Walid Eido, ce texte envoyé à plus de 2000 correspondants :
« Sous l'influence du quai d'Orsay, le trio Sarkosy-Fillon-Kouchner vient de commettre sa première bévue au Moyen-Orient. Dans sa grande générosité, il a invité un groupe terroriste à une réunion sur le Liban à Paris. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Au bout de 48 h, un attentat du type "Hariri" a fauché, à Beyrouth, une dizaine de vies, dont celle du député anti-syrien Walid Eido et son fils. Le trio Iran-Syrie-Hezbollah (Iran commanditaire, Syrie commandité, Hezbollah petite main) poursuit ses éliminations ciblées, après une trêve. Son but est d'obtenir, au parlement libanais, le quorum nécessaire pour bloquer les décisions prises à l'encontre de la Syrie et refaire du Liban un satellite de fait. Le trio infernal n'a pas trouvé mieux comme solution que d'éliminer progressivement le groupe anti-syrien au Parlement, le groupe du 14 mars (*). Le quai d'Orsay lui a donné le feu vert. C'est ce qu'on appelle le changement dans la continuité. »
Suite à cette interprétation, par Albert Soued, du message de Damas, on eût pu croire qu'il y aurait une inclination gouvernementale à détecter lucidement le genre de "diplomatie" terroriste à laquelle se heurte, en faisant la danse de St Guy, cette politique étrangère faite d'amnistie, d'amnésie d'une fois sur l'autre, de conciliation et, disons-le, de "diplomatie du turban" à l'égard des Mollahs. Il n’a pas fallu plus d’une quinzaine de jours pour que la chancellerie comprenne l’avertissement de Damas, reprenne langue avec lui et mette à nouveau la main à l’ouvrage. La voilà persuadée de réussir, cette fois, sa broderie, avec un peu de persévérance et de sens de la persuasion. Bernard Kouchner se muerait en animateur bienveillant des sessions d’entretiens entre les 14 différents partis, et à l’issue de ce "brainstorming", toutes les menaces fratricides seraient levées afin que, sous les lampions du 14 juillet, des solutions inédites commencent enfin à poindre. Le "French Doctor" ferait aux différentes familles libanaises irréconciliables, le coup des « Etats Généraux », ou conférences de consensus, qui ont tant réussi à son ancienne égérie, Ségolène Royale ; et, de jury en jury, pas à pas, la loi et l’ordre juste et le sens du compromis reprendraient leurs droits au Liban. Finies les dates-butoir et tous ces ultimatums qui ne sont qu’autant de barrières psychologiques limitant l’innovation à la française, la dynamique de groupes spontanée des Libanais !
Tout le monde a intérêt, surtout au Liban, à faire comme si. Le Hezbollah fait en sorte d'être considéré comme incontournable, apparemment "pacifié", mais il réarme à tout va, joue parfaitement, au plan politique, son rôle de "minorité de blocage", lorsqu'à chaque proposition, un incident survient, auquel, bien entendu, il n’est absolument pour rien. Entre temps, on aura inventé d'autres milices pour faire le sale boulot à sa place. Parfois Assad s'en mêle directement. Comme cette annonce - qui n’a effarouché aucun des invités au bal de la République -, selon laquelle l’armée syrienne s’enfonçait dans une bande de 3 km à l’intérieur de la Beqaa, confisquée au Liban souverain. Et ça marche. Personne ne bronche. Ni Ban Ki Moon, ni Kouchner, ni Rice, ni personne.
Suite aux infos de Lebnanews, il n'y a eu, à cette heure, aucune réaction sensée quant à ce qui constituerait une violation de souveraineté, une provocation ouverte de la part de la Syrie. Nouvel ultimatum qui, si le Liban avait jamais été souverain, aurait constitué un casus belli.
Le matin du 8 juillet encore, Dennis Ross, ex-médiateur d'Oslo, envisageait la possibilité d'une guerre entre Israël et la Syrie (d’après Ynet).
Israël est trop fréquemment aux abonnés absents, pour cause de crise de leadership, mais se sait à deux doigts de la guerre sur l’une ou plusieurs de ses frontières en même temps. Nos institutions juives ont du mal à prendre position sur le fait de savoir s’il s’agit d’un Etat supposé protégé par la France. Elles "déploreront" la présence du Hezbollah et demeureront dans le flou "diplomatiquement correct" ; pendant ce temps, en toute quiétude, les Etats-voyous prennent leurs marques et imposent leur cadence. Le "loup" est depuis longtemps dans la bergerie, mais nous attendons, sans réaction d'aucune sorte, qu'il nous envoie une invitation, en bonne et due forme, au festin. "Wait and see" – attendons de voir venir. Nous vivons dans l'illusion qu'en France, un vent de réforme soufflerait favorablement, qui permettrait de tenir plus solidement les rênes que par le passé, et d’avoir la franchise de ses "convictions". Bien avant d’annoncer sa candidature, Nicolas Sarkozy n’avait-il pas été beaucoup plus franc, n’était-il pas allé beaucoup plus loin encore qu’un Jacques Chirac, qui s’était pourtant montré inhabituellement sévère, le 14 juillet 2006, à l’encontre du Hezbollah, qualifié par lui d’« irresponsable », tandis que son dauphin n’hésitait pas à traiter le Parti de Dieu de « terroriste », l’appelant, pour une fois, par son nom. Mais c’était avant, à une époque où l’on affirmait encore qu’on ne nous « mentirait pas », qu'on ne nous « décevrait pas ».
Il serait temps que nos yeux se dessillent. Si nous ne nous faisons pas un peu violence, qui le fera ?
Eux, assurément.
© Marc Brzustowski
(*) Il y a déjà eu trois meurtres ; il ne reste plus que deux autres députés à assassiner, pour réduire la majorité anti-syrienne à 65 députés, et la rendre ainsi impuissante.
Mis en ligne le 09 juillet 2007, par M. Macina, sur le site upjf.org
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