texte interessant de segolene royal sur la diplomatie de sarkozy
Une diplomatie incohérente, par Ségolène Royal
LE MONDE | 01.10.07 | 13h31 • Mis à jour le 01.10.07 | 13h31
aris, le 27 août, conférence des ambassadeurs. Abordant l'épineuse question de la Turquie, Nicolas Sarkozy tient des propos qui, dans sa bouche, prennent une résonance singulière. "La France ne s'opposera pas à ce que de nouveaux chapitres de la négociation entre l'Union et la Turquie soient ouverts", dit-il devant une assistance médusée.
Le refus de l'entrée de la Turquie dans l'Union semblait pourtant réglé. Association oui, adhésion non : Nicolas Sarkozy en avait fait une question de principe, lors de notre débat. Quelques mois plus tard, frappé par un principe de réalité jusqu'alors nié, il dessine une perspective radicalement différente. La fermeture qu'il prônait se voit du jour au lendemain disqualifiée. On pense même à supprimer le référendum obligatoire préalable à une éventuelle adhésion. Pour la Turquie, tout redevient possible !
Ce revirement n'est pas isolé. Le 14 juillet : les principales forces politiques libanaises, dont le Hezbollah, sont invitées à dialoguer à La Celle-Saint-Cloud, dans la résidence du ministre des affaires étrangères. "Le Hezbollah est un acteur politique important au Liban. Il est l'une des composantes du dialogue national et, à ce titre, il est invité aux rencontres inter-libanaises", affirme ce jour-là le porte-parole de l'Elysée. Oubliée la déclaration de Nicolas Sarkozy lors du forum de l'UMP du 9 décembre 2006 à propos d'une candidate qui avait rencontré la commission des affaires étrangères du Liban en présence de l'ambassadeur de France et dans laquelle ne siégeait qu'un seul député du Hezbollah : "Le fait d'être un élu ne suffit pas pour discuter. Hitler avait été élu, ça n'en fait pas un interlocuteur respectable et responsable." La polémique fut entretenue une bonne semaine : faute lourde, inexcusable, inqualifiable, méconnaissance des questions internationales, et pour tout dire, incompétence.
Et que dire du dossier iranien et de l'accès à la filière nucléaire, qui inclut la maîtrise de l'enrichissement de l'uranium ? Je m'y suis toujours opposée tant que les garanties de contrôle n'étaient pas apportées. Aujourd'hui, faute de n'avoir pas défendu cette attitude préventive et responsable, on nous exhorte par la voix du ministre des affaires étrangères à "nous préparer au pire", à la guerre, ne faisant d'ailleurs que traduire l'incroyable déclaration de Nicolas Sarkozy devant les ambassadeurs, évoquant une alternative menaçante entre "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran".
Cette succession de retournements inspire de l'inquiétude et pose la question de la crédibilité de la parole de la France. Récemment, nos partenaires se sont encore demandé s'il s'agissait d'improvisation ou de provocation lorsque le président a fait du nucléaire civil, à la tribune des Nations unies, "la meilleure réponse à ceux qui veulent, en violation des traités, se doter de l'arme nucléaire", confondant, une nouvelle fois, l'achat d'électricité et la maîtrise de la totalité de la filière avec l'enrichissement de l'uranium qui permet, tôt ou tard, de passer du civil au militaire.
De tels revirements, soudains et imprévisibles, soulèvent des questions aujourd'hui sans réponses. Pourquoi cette navigation à vue, cette gestion erratique du dossier iranien ? Comment le Hezbollah infréquentable du mois de décembre 2006 est-il devenu l'interlocuteur acceptable du mois de juillet ? Que s'est-il passé pour que Nicolas Sarkozy change son fusil d'épaule sur la Turquie ?
A aucun moment le président ne s'en est expliqué. A-t-il péché par ignorance des contraintes internationales ? A-t-il délibérément oublié de révéler ses intentions ? Se doutait-il que certains de ses choix ne seraient pas tenables ? Si oui, pourquoi n'a-t-il rien dit ? Chauffer l'opinion, donner l'apparence de la fermeté puis se dédire face aux risques d'isolement : serait-ce cela, la nouvelle diplomatie de rupture ? C'est la perte de crédibilité de la France qui est en jeu aujourd'hui, et ce qui la menace c'est la banalisation de sa parole, une marginalisation très difficilement récupérable par la suite.
Dans le "concert des nations", notre pays apportait traditionnellement un contrepoint salutaire. Il faisait entendre une musique différente, parfois mezza voce, parfois fortissimo, mais toujours en harmonie avec deux valeurs cardinales : le sens du bien commun et l'éthique de la responsabilité qui interdisait d'utiliser la politique étrangère à des fins de politique intérieure.
Ex-Yougoslavie, Irak, Liban, Darfour, conflit israélo-palestinien : autant de théâtres sur lesquels la France récusait les fausses évidences et les manichéismes simplificateurs. A l'idéologie facile, à l'intérêt étroit, elle préférait l'analyse rationnelle des faits, ultime boussole d'un monde singulièrement complexe, ultime condition à une action crédible et respectée.
Or quel spectacle la France donne-t-elle depuis quatre mois ? En Europe, celui d'un président qui tire la couverture à lui, exaspérant nos plus fidèles partenaires et notamment l'Allemagne, ahurie par la dramatisation du dossier iranien, agacée par la récupération du traité, choquée par l'ingérence sur l'abandon du nucléaire, et blessée d'entendre Nicolas Sarkozy appeler Angela Merkel "cette femme de l'Est" ! Bourde sur bourde. En Afrique, celui d'un président qui dénonce avec brutalité ce continent comme "absent de l'Histoire, empêtré dans l'éternel recommencement où jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir", pour ensuite s'afficher avec les chefs d'Etat gabonais ou libyen. Où est la cohérence, où est le message, où est la dignité ?
Au fond, seul le rapprochement avec Washington donne à la diplomatie de Nicolas Sarkozy un semblant de cohérence. A l'heure où l'Amérique remet en cause ses choix de politique étrangère, à l'heure où le rapport Baker prône une nouvelle approche fondée sur le dialogue plutôt que sur le rapport de force militaire, à l'heure où même nos amis britanniques marquent leurs distances, Nicolas Sarkozy fait le choix de l'atlantisme. C'est une décision lourde de conséquence et pourtant, là encore, nulle explication, aucun débat au Parlement.
Le président de la République serait bien avisé de se ressaisir et de s'inspirer de cette sage recommandation du rapport Védrine : amis, alliés mais pas alignés. C'est en ne cédant pas à la tentation des surenchères et de la politique spectacle que la France, dont la crédibilité est indispensable à la paix du monde, disposera d'une diplomatie forte et écoutée, avant qu'il ne soit trop tard.
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LE MONDE | 01.10.07 | 13h31 • Mis à jour le 01.10.07 | 13h31
aris, le 27 août, conférence des ambassadeurs. Abordant l'épineuse question de la Turquie, Nicolas Sarkozy tient des propos qui, dans sa bouche, prennent une résonance singulière. "La France ne s'opposera pas à ce que de nouveaux chapitres de la négociation entre l'Union et la Turquie soient ouverts", dit-il devant une assistance médusée.
Le refus de l'entrée de la Turquie dans l'Union semblait pourtant réglé. Association oui, adhésion non : Nicolas Sarkozy en avait fait une question de principe, lors de notre débat. Quelques mois plus tard, frappé par un principe de réalité jusqu'alors nié, il dessine une perspective radicalement différente. La fermeture qu'il prônait se voit du jour au lendemain disqualifiée. On pense même à supprimer le référendum obligatoire préalable à une éventuelle adhésion. Pour la Turquie, tout redevient possible !
Ce revirement n'est pas isolé. Le 14 juillet : les principales forces politiques libanaises, dont le Hezbollah, sont invitées à dialoguer à La Celle-Saint-Cloud, dans la résidence du ministre des affaires étrangères. "Le Hezbollah est un acteur politique important au Liban. Il est l'une des composantes du dialogue national et, à ce titre, il est invité aux rencontres inter-libanaises", affirme ce jour-là le porte-parole de l'Elysée. Oubliée la déclaration de Nicolas Sarkozy lors du forum de l'UMP du 9 décembre 2006 à propos d'une candidate qui avait rencontré la commission des affaires étrangères du Liban en présence de l'ambassadeur de France et dans laquelle ne siégeait qu'un seul député du Hezbollah : "Le fait d'être un élu ne suffit pas pour discuter. Hitler avait été élu, ça n'en fait pas un interlocuteur respectable et responsable." La polémique fut entretenue une bonne semaine : faute lourde, inexcusable, inqualifiable, méconnaissance des questions internationales, et pour tout dire, incompétence.
Et que dire du dossier iranien et de l'accès à la filière nucléaire, qui inclut la maîtrise de l'enrichissement de l'uranium ? Je m'y suis toujours opposée tant que les garanties de contrôle n'étaient pas apportées. Aujourd'hui, faute de n'avoir pas défendu cette attitude préventive et responsable, on nous exhorte par la voix du ministre des affaires étrangères à "nous préparer au pire", à la guerre, ne faisant d'ailleurs que traduire l'incroyable déclaration de Nicolas Sarkozy devant les ambassadeurs, évoquant une alternative menaçante entre "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran".
Cette succession de retournements inspire de l'inquiétude et pose la question de la crédibilité de la parole de la France. Récemment, nos partenaires se sont encore demandé s'il s'agissait d'improvisation ou de provocation lorsque le président a fait du nucléaire civil, à la tribune des Nations unies, "la meilleure réponse à ceux qui veulent, en violation des traités, se doter de l'arme nucléaire", confondant, une nouvelle fois, l'achat d'électricité et la maîtrise de la totalité de la filière avec l'enrichissement de l'uranium qui permet, tôt ou tard, de passer du civil au militaire.
De tels revirements, soudains et imprévisibles, soulèvent des questions aujourd'hui sans réponses. Pourquoi cette navigation à vue, cette gestion erratique du dossier iranien ? Comment le Hezbollah infréquentable du mois de décembre 2006 est-il devenu l'interlocuteur acceptable du mois de juillet ? Que s'est-il passé pour que Nicolas Sarkozy change son fusil d'épaule sur la Turquie ?
A aucun moment le président ne s'en est expliqué. A-t-il péché par ignorance des contraintes internationales ? A-t-il délibérément oublié de révéler ses intentions ? Se doutait-il que certains de ses choix ne seraient pas tenables ? Si oui, pourquoi n'a-t-il rien dit ? Chauffer l'opinion, donner l'apparence de la fermeté puis se dédire face aux risques d'isolement : serait-ce cela, la nouvelle diplomatie de rupture ? C'est la perte de crédibilité de la France qui est en jeu aujourd'hui, et ce qui la menace c'est la banalisation de sa parole, une marginalisation très difficilement récupérable par la suite.
Dans le "concert des nations", notre pays apportait traditionnellement un contrepoint salutaire. Il faisait entendre une musique différente, parfois mezza voce, parfois fortissimo, mais toujours en harmonie avec deux valeurs cardinales : le sens du bien commun et l'éthique de la responsabilité qui interdisait d'utiliser la politique étrangère à des fins de politique intérieure.
Ex-Yougoslavie, Irak, Liban, Darfour, conflit israélo-palestinien : autant de théâtres sur lesquels la France récusait les fausses évidences et les manichéismes simplificateurs. A l'idéologie facile, à l'intérêt étroit, elle préférait l'analyse rationnelle des faits, ultime boussole d'un monde singulièrement complexe, ultime condition à une action crédible et respectée.
Or quel spectacle la France donne-t-elle depuis quatre mois ? En Europe, celui d'un président qui tire la couverture à lui, exaspérant nos plus fidèles partenaires et notamment l'Allemagne, ahurie par la dramatisation du dossier iranien, agacée par la récupération du traité, choquée par l'ingérence sur l'abandon du nucléaire, et blessée d'entendre Nicolas Sarkozy appeler Angela Merkel "cette femme de l'Est" ! Bourde sur bourde. En Afrique, celui d'un président qui dénonce avec brutalité ce continent comme "absent de l'Histoire, empêtré dans l'éternel recommencement où jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir", pour ensuite s'afficher avec les chefs d'Etat gabonais ou libyen. Où est la cohérence, où est le message, où est la dignité ?
Au fond, seul le rapprochement avec Washington donne à la diplomatie de Nicolas Sarkozy un semblant de cohérence. A l'heure où l'Amérique remet en cause ses choix de politique étrangère, à l'heure où le rapport Baker prône une nouvelle approche fondée sur le dialogue plutôt que sur le rapport de force militaire, à l'heure où même nos amis britanniques marquent leurs distances, Nicolas Sarkozy fait le choix de l'atlantisme. C'est une décision lourde de conséquence et pourtant, là encore, nulle explication, aucun débat au Parlement.
Le président de la République serait bien avisé de se ressaisir et de s'inspirer de cette sage recommandation du rapport Védrine : amis, alliés mais pas alignés. C'est en ne cédant pas à la tentation des surenchères et de la politique spectacle que la France, dont la crédibilité est indispensable à la paix du monde, disposera d'une diplomatie forte et écoutée, avant qu'il ne soit trop tard.
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