186 - EST CE QUE LES POLICIERS FRANCAIS ONT TORTURE DES ISLAMISTES DANS DES CONDITIONS QUI RAPPELLENT ABOU GRAIB EN IRAK ?
Enquête sur d'éventuels sévices infligés après les attentats de 1995 et dénoncés dans un livre.
Un islamiste en laisse pour distraire un pot de policiers?
par Patricia TOURANCHEAUQUOTIDIEN : samedi 11 février 2006
Des officiers de la police judiciaire antiterroriste se sont-ils livrés à des sévices et tortures sur des islamistes durant l'enquête sur les attentats de 1995 ? Une enquête administrative a été déclenchée vendredi par le ministère de l'Intérieur et confiée à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour vérifier si de telles exactions ont été commises au sein du service de pointe de la lutte antiterroriste française, alors dirigé par l'impétueux commissaire Roger Marion. En tout cas, trois journalistes du Point, Jean-Michel Decugis, Christophe Labbé et Olivia Recasens rapportent des scènes édifiantes en ce sens dans leur livre Place Beauvau, à paraître aux éditions Robert Laffont. Dans le chapitre «Cadavres dans le placard», cinq officiers de cette 6e division centrale de police judiciaire (6e DCPJ) devenue direction nationale antiterroriste (Dnat) témoignent de tortures à l'électricité et de mauvais traitements, sur des gardés à vue, de la même veine que ceux perpétrés en 2004, par l'armée américaine sur des prisonniers irakiens à Abou Ghraïb. Au fil de leur enquête, les journalistes qui cherchent des éléments de portrait du commissaire Marion, se retrouvent au printemps 2005 face à «un ancien de l'antiterrorisme, aujourd'hui retraité» qui «craque», et «les larmes aux yeux», déballe «la scène du sac plastique» à laquelle il a participé voilà dix ans. Ils l'ont recoupé auprès de quatre de ses collègues. Sur les cinq officiers qui leur ont parlé, deux «confient non seulement avoir frappé certains gardés à vue mais aussi les avoir humiliés et parfois torturés», écrivent les auteurs, «les trois autres disent y avoir seulement assisté».
Guerre de clans. L'été 1995, les bombes explosent en série : dans le RER à Saint-Michel le 25 juillet (8 morts), place Charles-de-Gaulle, font long feu sur le trajet du TGV Lyon-Paris le 26 août, ou dans une Sanisette et sur un marché à Paris. Une voiture piégée explose à Villeurbanne (Rhône) devant une école juive le 7 septembre. Les services de police antiterroristes sont à cran. C'est la guerre entre la 6e DCPJ nationale de Roger Marion et le service régional de PJ de Lyon chapeauté par Bernard Trenque. Le premier vient de s'arroger la piste de Khaled Kelkal, qui évolue pourtant sur les terres lyonnaises. Le 9 septembre, 31 islamistes interpellés dans le Rhône. Parmi eux, Slimane Rahmouni, 24 ans, dit l'Afghan. Le lendemain, Jacques Chirac vilipende sur TF1 le «manque de cohérence» et le «désordre» entre services de police puis menace de faire tomber des têtes si les chefs n'y remédient pas.
D'après le livre, le 11 septembre, le gardé à vue Rahmouni a été «tiré par une laisse», «un sac plastique sur la tête», par deux officiers parisiens de la 6e DCPJ dans une pièce de l'hôtel de police de Lyon, et «exhibé comme une bête de foire devant une quinzaine de policiers réunis pour un pot de service». Les auteurs rapportent qu'un commissaire de Lyon, «témoin involontaire» de la scène, s'en serait pris au patron de la «6» qui l'aurait envoyé paître. Bernard Trenque, que nous avons joint, «réserve ses déclarations aux enquêteurs de l'IGPN». Deux policiers de son entourage et de celui de Marion, interrogés vendredi par Libération, ne «se souviennent pas de telles violences illégitimes, ni d'engueulade à ce sujet entre les deux patrons», pas même d'un «pot de service» : «On était à couteaux tirés entre collègues de Lyon et de Paris. Vu les relations empoisonnées entre les deux services, s'il y avait eu le moindre dérapage d'un côté ou de l'autre, je suis convaincu qu'il aurait été exploité», insiste cet ex de la 6e DCPJ présent à Lyon lors de l'interrogatoire de Rahmouni.
Bond électrique. Les journalistes du Point expliquent pourtant en détail comment Rahmouni a été torturé à l'électricité au moyen d'une «arme d'autodéfense achetée dans une armurerie» par deux policiers de la 6 qui, par «jeu», lui envoyaient des décharges électriques pour le faire bondir : «L'un des deux fonctionnaires nous confie avoir soigneusement noté d'un trait sur le mur la hauteur de chaque saut», écrivent-ils. La scène laisse dubitatif un ancien de Lyon : «On ne peut jurer de rien, mais les affidés de Marion squattaient nos bureaux, comment ce genre de méthodes aurait-il pu nous échapper ?»
Il n'empêche, l'officier retraité qui a fait ces confidences aux auteurs n'avait «aucun intérêt à ces révélations», si ce n'est de soulager sa conscience, puisqu'il se dénonce lui-même en train de tenir Rahmouni en laisse avec un collègue et d'utiliser la «gégène». De plus, deux autres islamistes, Maaméri et Bouhadjar, interpellés à Lyon le 27 septembre 1995 en train de ravitailler le terroriste fugitif Kelkal, avaient aussitôt dénoncé sur PV à la juge Laurence Le Vert avoir été «passés à l'électricité» et obligés de «monter sur un Coran» par des policiers cagoulés. Le 1er novembre, dans les locaux de la 6e DCPJ rue des Saussaies à Paris, un imam de la mosquée de Villeneuve-d'Ascq (Nord) aurait aussi été «frappé et torturé» si l'on en croit Place Beauvau. Un ancien de ce service nous le confirme : «La seule scène de violence que je connaisse, c'est sur cet émir du nord qui avait donné un coup de pied dans le volant et fait partir le véhicule de service en embardée sur l'autoroute, après ce fut très chaud pour lui.» Le même jour, c'est au tour de Boualem Bensaïd de recevoir des coups en garde à vue pour lui extorquer des aveux comme en témoignent des photos de son visage «tuméfié et difforme» et d'un certificat médical éloquent qui fut présenté lors de son procès devant la cour d'assises de Paris.
Claude Guéant, actuel directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur et directeur général de la police nationale en 1995, se déclare «sidéré, stupéfait» par ce qu'il a lu dans le livre : «Je suis tombé de l'armoire. Si ces agissements sont vrais, c'est scandaleux. J'ai peine à croire que dans ce milieu policier où on parle beaucoup, nous n'en ayons eu aucun écho. Nous diligentons une enquête pour en avoir le coeur net.»
Un islamiste en laisse pour distraire un pot de policiers?
par Patricia TOURANCHEAUQUOTIDIEN : samedi 11 février 2006
Des officiers de la police judiciaire antiterroriste se sont-ils livrés à des sévices et tortures sur des islamistes durant l'enquête sur les attentats de 1995 ? Une enquête administrative a été déclenchée vendredi par le ministère de l'Intérieur et confiée à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour vérifier si de telles exactions ont été commises au sein du service de pointe de la lutte antiterroriste française, alors dirigé par l'impétueux commissaire Roger Marion. En tout cas, trois journalistes du Point, Jean-Michel Decugis, Christophe Labbé et Olivia Recasens rapportent des scènes édifiantes en ce sens dans leur livre Place Beauvau, à paraître aux éditions Robert Laffont. Dans le chapitre «Cadavres dans le placard», cinq officiers de cette 6e division centrale de police judiciaire (6e DCPJ) devenue direction nationale antiterroriste (Dnat) témoignent de tortures à l'électricité et de mauvais traitements, sur des gardés à vue, de la même veine que ceux perpétrés en 2004, par l'armée américaine sur des prisonniers irakiens à Abou Ghraïb. Au fil de leur enquête, les journalistes qui cherchent des éléments de portrait du commissaire Marion, se retrouvent au printemps 2005 face à «un ancien de l'antiterrorisme, aujourd'hui retraité» qui «craque», et «les larmes aux yeux», déballe «la scène du sac plastique» à laquelle il a participé voilà dix ans. Ils l'ont recoupé auprès de quatre de ses collègues. Sur les cinq officiers qui leur ont parlé, deux «confient non seulement avoir frappé certains gardés à vue mais aussi les avoir humiliés et parfois torturés», écrivent les auteurs, «les trois autres disent y avoir seulement assisté».
Guerre de clans. L'été 1995, les bombes explosent en série : dans le RER à Saint-Michel le 25 juillet (8 morts), place Charles-de-Gaulle, font long feu sur le trajet du TGV Lyon-Paris le 26 août, ou dans une Sanisette et sur un marché à Paris. Une voiture piégée explose à Villeurbanne (Rhône) devant une école juive le 7 septembre. Les services de police antiterroristes sont à cran. C'est la guerre entre la 6e DCPJ nationale de Roger Marion et le service régional de PJ de Lyon chapeauté par Bernard Trenque. Le premier vient de s'arroger la piste de Khaled Kelkal, qui évolue pourtant sur les terres lyonnaises. Le 9 septembre, 31 islamistes interpellés dans le Rhône. Parmi eux, Slimane Rahmouni, 24 ans, dit l'Afghan. Le lendemain, Jacques Chirac vilipende sur TF1 le «manque de cohérence» et le «désordre» entre services de police puis menace de faire tomber des têtes si les chefs n'y remédient pas.
D'après le livre, le 11 septembre, le gardé à vue Rahmouni a été «tiré par une laisse», «un sac plastique sur la tête», par deux officiers parisiens de la 6e DCPJ dans une pièce de l'hôtel de police de Lyon, et «exhibé comme une bête de foire devant une quinzaine de policiers réunis pour un pot de service». Les auteurs rapportent qu'un commissaire de Lyon, «témoin involontaire» de la scène, s'en serait pris au patron de la «6» qui l'aurait envoyé paître. Bernard Trenque, que nous avons joint, «réserve ses déclarations aux enquêteurs de l'IGPN». Deux policiers de son entourage et de celui de Marion, interrogés vendredi par Libération, ne «se souviennent pas de telles violences illégitimes, ni d'engueulade à ce sujet entre les deux patrons», pas même d'un «pot de service» : «On était à couteaux tirés entre collègues de Lyon et de Paris. Vu les relations empoisonnées entre les deux services, s'il y avait eu le moindre dérapage d'un côté ou de l'autre, je suis convaincu qu'il aurait été exploité», insiste cet ex de la 6e DCPJ présent à Lyon lors de l'interrogatoire de Rahmouni.
Bond électrique. Les journalistes du Point expliquent pourtant en détail comment Rahmouni a été torturé à l'électricité au moyen d'une «arme d'autodéfense achetée dans une armurerie» par deux policiers de la 6 qui, par «jeu», lui envoyaient des décharges électriques pour le faire bondir : «L'un des deux fonctionnaires nous confie avoir soigneusement noté d'un trait sur le mur la hauteur de chaque saut», écrivent-ils. La scène laisse dubitatif un ancien de Lyon : «On ne peut jurer de rien, mais les affidés de Marion squattaient nos bureaux, comment ce genre de méthodes aurait-il pu nous échapper ?»
Il n'empêche, l'officier retraité qui a fait ces confidences aux auteurs n'avait «aucun intérêt à ces révélations», si ce n'est de soulager sa conscience, puisqu'il se dénonce lui-même en train de tenir Rahmouni en laisse avec un collègue et d'utiliser la «gégène». De plus, deux autres islamistes, Maaméri et Bouhadjar, interpellés à Lyon le 27 septembre 1995 en train de ravitailler le terroriste fugitif Kelkal, avaient aussitôt dénoncé sur PV à la juge Laurence Le Vert avoir été «passés à l'électricité» et obligés de «monter sur un Coran» par des policiers cagoulés. Le 1er novembre, dans les locaux de la 6e DCPJ rue des Saussaies à Paris, un imam de la mosquée de Villeneuve-d'Ascq (Nord) aurait aussi été «frappé et torturé» si l'on en croit Place Beauvau. Un ancien de ce service nous le confirme : «La seule scène de violence que je connaisse, c'est sur cet émir du nord qui avait donné un coup de pied dans le volant et fait partir le véhicule de service en embardée sur l'autoroute, après ce fut très chaud pour lui.» Le même jour, c'est au tour de Boualem Bensaïd de recevoir des coups en garde à vue pour lui extorquer des aveux comme en témoignent des photos de son visage «tuméfié et difforme» et d'un certificat médical éloquent qui fut présenté lors de son procès devant la cour d'assises de Paris.
Claude Guéant, actuel directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur et directeur général de la police nationale en 1995, se déclare «sidéré, stupéfait» par ce qu'il a lu dans le livre : «Je suis tombé de l'armoire. Si ces agissements sont vrais, c'est scandaleux. J'ai peine à croire que dans ce milieu policier où on parle beaucoup, nous n'en ayons eu aucun écho. Nous diligentons une enquête pour en avoir le coeur net.»
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