Thursday, August 31, 2006

RAPHAEL DRAI: LE PLAN ULTIME DE L'IRAN

Après la bombe, le plan ultime de l'Iran, par Raphaël Draï
«Une fois la bombe acquise, l'Iran est convaincu qu'on le priera poliment de bien vouloir négocier» .
Publié le 30 août 2006
Actualisé le 30 août 2006 : 08h55
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Àquelques jours de la réunion du Conseil de sécurité, Mahmoud Ahmadinedjad vient d'inaugurer à Arak une nouvelle usine de fabrication d'eau lourde destinée à remplir le programme nucléaire de la République islamique d'Iran. Le message est clair : en dépit de l'ultimatum de la communauté internationale, le régime iranien poursuivra ses objectifs, arguant de son droit à disposer de l'énergie atomique aux fins qu'il jugera légitimes. Pourquoi redouter qu'il y réussisse ? Les programmes d'un État ne sont pas dissociables de ses intentions avérées. Les intentions de l'Iran nucléarisé, de l'Iranium, sont annoncées depuis longtemps : répandre la doctrine islamique chiite pour lui assurer une hégémonie mondiale.
Mahmoud Ahmadinedjad n'éprouve aucun état d'âme à propos du «choc des civilisations». À ses yeux, il s'agit d'une donnée fondamentale et d'un tel choc, si ce n'est d'une telle guerre, il s'agit de sortir définitivement vainqueur. Cette vision du monde actuel et des temps à venir prétend pressentir et hâter le retour apocalyptique du Mahdi. Elle nécessite la disparition préliminaire, politique et religieuse, de l'État d'Israël. Les menaces réitérées proférées à l'encontre de cet État doivent être entendues comme un officiel et permanent casus belli qui ne se limite pourtant pas à ce dernier.
À cette fin, deux stratégies se combinent : l'obtention de l'arme nucléaire et, sous ce parapluie, la pratique concomitante du terrorisme. Jusqu'à la réalisation de ce couplage destructeur, le régime de Mahmoud Ahmadinedjad et de l'ayatollah Khamenei doit gagner du temps et démontrer son leadership non plus sur le monde arabe du Moyen-Orient mais sur le monde islamique planétaire. Pour gagner du temps il est prêt à prodiguer la fausse monnaie du langage d'apaisement, persuadé que les démocraties «molles» se laisseront duper.
À cette fin, l'Iranium protestera de son désir de paix et de culture, de sa volonté de modernisation, de ses efforts vers la tolérance et, s'il le faut, de son désir de coexistence avec l'«entité sioniste». Il espère ainsi fissurer le consensus international qui devrait s'exprimer ce 31 août, conforté en cette vue par les propos déroutants du ministre des Affaires étrangères de la France déclarant récemment à Beyrouth que l'Iran était une grande civilisation et un partenaire incontournable dans la recherche d'une solution au conflit libanais.
Quoi qu'il en soit, ses programmes sont sans cesse activés et ses ingénieurs mobilisés encore plus intensément. À supposer que des sanctions soient décidées le 31 août, il en a d'ores et déjà anticipé les effets et il saura faire en sorte que le peuple iranien, ayant connu des épreuves bien plus sanglantes, s'en accommode. Une fois la bombe acquise, il est convaincu que sa situation politique changera du tout au tout : on lui parlera sur un autre ton, on le priera poliment de bien vouloir négocier à sa convenance les points jusqu'alors en litige virulent.
L'asymétrie de «l'arme absolue» neutralisée, il en fera ressentir une autre : celle que dicte l'action terroriste à sens unique laissant les démocraties désemparées ou condamnées à la «défense maniaque», comme la qualifient les psychanalystes : celle qui mobilise des ressources considérables pour des résultats aléatoires et démoralisants. L'aéroport de Londres vient d'en être le théâtre d'angoisse pure. De ce point de vue, la dernière confrontation entre le Hezbollah et Israël mérite une véritable analyse. Le Hezbollah pro-iranien a intelligemment testé les réactions de l'État voué à la destruction par Téhéran et y a partiellement réussi. En enlevant deux soldats de l'armée israélienne au moment et à l'endroit voulus, il a démontré qu'il avait pris l'ascendant sur la force militaire réputée la plus redoutable du Moyen-Orient, pour la faire réagir à sa guise. En attaquant ensuite massivement les populations civiles du nord d'Israël, contraignant plus d'un million de personnes à s'enfermer pendant plus d'un mois dans des abris ou à se retirer dans le centre et le sud du pays, il a fait la preuve que dans ce type de guerre, les bombardiers F16 et les chars Merkava sont moins opérationnels que les katiouchas tirés à partir de bunkers installés parmi des populations civiles, manipulées et parfois fanatisées comme autant de personnels combattants.
De la sorte, et avec l'appui de caméras naïves ou à l'objectif déformant, il a pu prendre le Liban en otage tout en se prévalant du droit de la guerre et plus généralement des droits de l'homme sans se soucier de les respecter aucunement. De ce point de vue, Nasrallah a marqué des points et a conforté la stratégie de Téhéran. Dopé par ces succès, imaginaires ou non, le Hezbollah et l'Iranium, avec l'appoint d'une Syrie revancharde et adonnée à la haine de la France, ne doutent plus de pouvoir vider la résolution 1 701 de sa substance.
Il n'est pas invraisemblable que la mort de deux soldats français des Forces spéciales opérant en Afghanistan, au moment où la France vient renforcer la Finul, prenne également valeur de message à peine codé. Cependant, en dépit des erreurs et des échecs du gouvernement inexpérimenté d'Ehoud Olmert, l'État d'Israël ne l'entendra pas indéfiniment de cette oreille. Beaucoup plus uni que lors de l'opération «Paix en Galilée» de 1982, le peuple israélien est pleinement conscient que sa vie même est collectivement en danger. Toute la question est de savoir s'il se retrouvera seul dans une confrontation où il n'y va nullement de sa seule existence.
* Professeur à la faculté de droit et de science politique d'Aix-en-Provence et à l'École doctorale de recherches en psychanalyse de Paris-VII.


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