FRANCOIS BAYROU A L'ASSEMBLEE SUR LA SITUATION AU PROCHE-ORIENT
Intervention de Bayrou à l’Assemblée nationale
08/09/06
- - Thème: Discours
Vous trouverez ci-dessous l’intervention de François Bayrou, président de l’UDF, à l’Assemblée nationale, le jeudi 7 septembre 2006, dans le cadre du débat sur la situation au Proche-Orient et la participation de la France à la mise en oeuvre de la résolution 1701 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies.
« Nous sommes à l’entracte de la tragédie du Proche-Orient 2006. Un acte vient de s’achever. Un acte commence. Et c’est la même tragédie qui se poursuit.
L’acte I de la guerre 2006 s’est achevé au moment où la résolution 1701, dans la rédaction de laquelle la France a joué un rôle positif, a mis un terme au plus brûlant du conflit. Mais l’acte II commence et son issue n’est pas définie. Nous l’espérons positive. Mais elle peut être aussi inquiétante et dangereuse selon que nous saurons, ou non, faire évoluer la situation sur le terrain.
Il faut commencer par dire ceci : ce conflit, cet affrontement, ne pouvait être, qu’un cas de conscience pour la France.
Car la politique de la France peut connaître des hésitations et des éclipses. Elle peut être plus ou moins lisible. Mais il y a au travers du temps et des dirigeants des constantes à la politique française.
La France a un lien avec les trois protagonistes du conflit : un lien avec Israël, un lien fort, impossible à briser. La France a un lien avec le peuple palestinien. Et la France a un lien avec le Liban, celui-là aussi impossible à oublier, impossible à éluder.
La France qui dépasse les aléas de la politique, veut l’existence, la paix et la sécurité d’Israël !La France voit un lien entre l’existence, la paix, la sécurité d’Israël avec l’équilibre du monde.Non pas seulement parce que des résolutions diplomatiques ont été prises, depuis 1948, qui ont donné force de loi internationale à cette existence.
Mais parce que la France a vécu comme une blessure pour l’ensemble de l’humanité, une blessure pour le visage du monde, le sort fait pendant des siècles à ce peuple d’exilés, à ce peuple sans terre, sort qui a débouché, dans la folie hitlérienne et nazie, jusqu’à une shoah, une catastrophe à l’échelle de l’humanité. C’est une blessure pour l’ensemble de l’humanité qu’une tentative délirante et planifiée, en Europe, sur notre terre, chez nous, et parfois avec l’aide et la complicité de nos compatriotes, ait décidé et réalisé l’extermination des femmes, des enfants, des malades, des filles et des garçons, des sages et des savants, et jusqu’au plus ordinaire des enfants du peuple juif.
De cela, nous nous sentons débiteurs. Non pas à l’égard du seul peuple juif. Mais à l’égard du peuple humain.
C’est pourquoi nous considérons, nous la France, la France au-dessus des péripéties de l’Histoire, nous considérons que la décision qui s’est forgée dans le peuple juif de retrouver une terre, un foyer et une patrie, est une décision dont l’humanité est solidaire.
Ceux qui si longtemps avaient enduré, ceux que si longtemps on avait pliés, ceux qui n’avaient pas d’armes, et dont les mains étaient nues se sont levés, à bout de désespoir, et d’humiliation et d’infinie douleur et ont dit « plus jamais ». Et ils ont dit « plus jamais » non seulement au nom des victimes de Dachau, d’Auschwitz, de Drancy ou de Gurs, mais au nom des générations humiliées, dans la suite des siècles.
La France doit être solidaire de ce « plus jamais ».
Et pourtant, de ce même mouvement, nous n’ignorons rien des souffrances que cette décision a fait naître. Nous savons bien qu’il y avait sur cette terre d’élection non pas seulement le désert - comme on dit quelques fois - mais des familles, des femmes et des enfants et des hommes faits et des vieillards que cette catastrophe a touchés eux aussi, bien qu’ils n’y eussent aucune part. Et que ceux-là aussi, peuple de Palestine, sont des victimes, et ont bien le droit de dire « plus jamais ».
Voilà pourquoi la France considère que l’équilibre nouveau à trouver entre l’État qu’ont formé les humiliés juifs d’hier et l’État que doivent former les humiliés palestiniens d’aujourd’hui, cet équilibre importe à l’ensemble de l’humanité.
Et la France a un lien indissoluble avec le Liban.
Sans la France, le Liban n’existerait pas. C’est la France qui a pris la responsabilité historique de donner une chance à l’indépendance libanaise face à la revendication de Grande Syrie. C’est la France qui plus d’un siècle auparavant avait protégé le Mont Liban pour en faire une province autonome de l’empire ottoman. Et c’est la France qui a servi de garant à cette idée historique de faire une communauté nationale d’un peuple éclaté entre tant de communautés, liées par un contrat complexe. Cette fidélité, faut-il le rappeler, a été lourde de conséquences pour notre pays. Dois-je le rappeler, la France a vu son ambassadeur, Louis Delamarre, assassiné le 4 septembre 1981 parce que la France voulait qu’on sorte de la guerre civile. Dois-je le rappeler, la France, le 23 octobre 1983, à 6 h15 du matin, a payé le lourd tribut de 58 hommes dans l’attentat du Drakkar. C’est le lien indissoluble de la France au Liban, pour qui la langue française est une seconde patrie…
C’est pourquoi pour la France cette guerre a été d’emblée vécue comme une épreuve.Autant le dire clairement, nous avons pour l’essentiel apprécié l’équilibre de la ligne fixée par le Président de la République et nous avons soutenu cette ligne dès les premiers jours où elle s’est exprimée.
Nous avons apprécié que le président de la République exprime très clairement, le 14 juillet, la responsabilité du Hezbollah dans l’explosion du conflit. Tirs de missiles à Safed, à Nahariya. Enlèvement de deux soldats, après l’enlèvement d’un premier soldat franco-israélien près de Gaza. Cette ligne était claire et juste.
Chemin faisant, nous avons eu un désaccord grave sur un point : nous avons trouvé déplacés et dangereux les signes multipliés en direction de l’Iran. Que le ministre français des Affaires étrangères se rende à l’ambassade d’Iran à Beyrouth et délivre de surcroît un brevet de respectabilité en désignant l’Iran comme « une puissance stabilisatrice dans la région » nous a paru un risque que la France n’aurait pas dû prendre.
Nous avons suivi les péripéties de la décision de participation à la Finul. Décision revendiquée d’abord, puis éludée, puis enfin assumée. Et nous avons compris, au terme de ce processus, les interrogations que la France avait exprimées et que vous avez rappelées Monsieur le Premier ministre à cette tribune.
Nous soutenons cette issue, avec une question qui n’est pas une question de principe, qui est la première question politique de ce deuxième acte. Nous sommes tous d’accord sur la démarche de reconstruction du Liban. Nous sommes tous d’accord sur la démarche de demander à la Communauté internationale d’aider le Liban.
Mais il y a une question politique : Quel est exactement le mandat de la Finul ?
Si le mandat de la Finul est le même que le mandat précédent, la Finul-2, la deuxième force des Nations Unies au Liban, ne servira pas davantage que la Finul-1, la première force. Et l’on risque, sous les yeux même des contingents armés de l’ONU, d’assister au réarmement de la milice du Hezbollah.
Ceci ne serait pas conforme à la lettre, et pas davantage à l’esprit, des résolutions des Nations unies. La résolution 1559 qui oblige au désarmement effectif des milices et à l’exercice de l’autorité sur le terrain de l’armée libanaise. Et la résolution 1701 qui indique l’armée libanaise comme seule autorité légitime au Liban en matière de sécurité.
Et surtout, ce serait un risque immense pour le Liban, pour Israël, et pour la paix. Cela signifierait qu’une faction, qui vise ouvertement la destruction d’Israël, s’arroge, sur le terrain, la domination sur une région d’un pays souverain. Et on voit bien les conséquences, en déconsidération des Nations unies, de déstabilisation de la région et du Liban tout entier que supposerait cette acceptation.
Les mots qui ont été prononcés sur ce sujet sont des mots vagues, diplomatiques sans doute. Leur flou recèle un monde de menaces. Nous demandons que ces menaces soient prises en considération, à leur juste poids, et qu’il y soit mis un terme. Le réarmement des milices, ce serait l’échec assuré pour la politique nécessaire de paix et de restauration de la souveraineté d’un Liban indépendant.
Je voudrais conclure par deux considérations plus lourdes encore de conséquences, si c’est possible.
La première concerne l’Iran. Les démocraties de la planète se trouvent devant une question plus grave qu’aucune de celles qu’elles ont eu à traiter depuis des décennies. Une question aussi lourde que la question qui fut posée à nos pères le jour du réarmement de l’Allemagne ou le jour de Munich.
De la même autorité politique, exprimée par la même voix, celle du président iranien Monsieur Ahmadinejad, viennent aujourd’hui, sans ambiguïté, une décision et une affirmation qui mettent en danger l’ordre mondial.
Les gouvernants iraniens actuels sont engagés dans une double obsession mortifère : l’appel sans ambiguïté à la destruction d’Israël ; et la décision d’acquérir la puissance nucléaire. Et l’obsession de la destruction d’Israël donne à l’obsession nucléaire sa portée et son sens, sa véritable dimension.
Quand le Président iranien déclare en juillet : « le problème fondamental du monde musulman est l’existence du régime sioniste qui doit être éliminé ». Quand il déclare en octobre dernier : « comme l’a dit l’imam Khomeiny, Israël doit être rayé de la carte… La nation musulmane ne permettra pas à son ennemi historique de vivre en son cœur même. », ce qu’il dit ne peut être ignoré, et ne peut pas ne pas être mis en rapport avec la question du contrôle de l’arme nucléaire.
Les démocraties sont donc devant une question qu’elles ne pourront éluder.
Est-ce qu’elles acceptent le fait accompli ou en train de s’accomplir, ou est-ce qu’elles disent non ?
Est-ce qu’elles acceptent de considérer que la question qui leur est posée doit trouver une réponse, ou est-ce qu’elles éludent la réponse…
Est-ce qu’elles recommencent Munich, 1938 en 2006, ou est-ce qu’elles manifestent la détermination et la solidarité des démocraties ?
Les démocraties ne peuvent pas accepter la prolifération nucléaire. Les démocraties ne peuvent pas accepter la prolifération nucléaire de surcroît dans un pays qui affirme haut et fort qu’il faut en détruire un autre.
Le peuple iranien ne peut entendre cette détermination que si nous l’exprimons sans ambiguïté.
Si les démocraties l’expriment ensemble et si spécialement, nous l’exprimons, nous la France, dont le monde sait que la voix a su se faire entendre, par votre bouche Monsieur le Premier ministre, lorsqu’il s’agissait de résister à l’inexorable mécanique de la décision américaine préparant la guerre en Irak.
Au lendemain de Munich, Winston Churchill a eu une phrase que personne ne peut oublier. Alors que le peuple britannique fait une ovation à Chamberlain, lui dit : « vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur ; vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. » Et à Paris, un jeune professeur d’histoire, signait un éditorial dans un petit journal qui s’appelait l’Aube. Ce jeune professeur d’histoire allait connaître un destin glorieux d’abord et controversé ensuite. Mais la suite n’efface pas pour Georges Bidault la gloire et l’honneur d’avoir été, à la suite de Jean Moulin, le président du Conseil national de la Résistance. Le 30 septembre 1938 au matin, dans l’Aube, excédé de l’applaudissement unanime que toute la classe politique, et tout le pays, réservent à Daladier, Georges Bidault écrit cette autre phrase que je trouve sublime et qui fait écho aux mots de Churchill : « lorsqu’il s’agit de dire non, le meilleur moment, c’est le premier… »
Encore eux ne savaient pas la suite… Nous, nous savons.
Nous demandons donc aux gouvernants français que vous êtes d’être fermement du côté du refus, du côté de la solidarité avec tous ceux qui diront non.
Et la dernière réflexion concerne l’Europe. J’ai été frappé, et vous aussi sans doute, du caractère distrait de notre démarche européenne pendant cette période.
Nous n’avons accepté de réunion européenne en fait que quand tout fut fini, et nous avons pris soin d’annoncer l’ensemble de nos décisions nationale à la télévision la veille au soir de la réunion européenne.
Les nations européennes ont fait comme nous, elles ont joué leur carte diplomatique, bien ou mal. Mais pour l’essentiel, elles ont joué cette carte chacun pour soi. Tant que nous adopterons cette attitude, ne nous étonnons pas que notre division nous condamne à l’évanescence. Les européens envoient les troupes et l’argent, mais ce sont les américains qui trop souvent décident ! La France devrait être celle qui propose d’utiliser la capacité diplomatique de chacun au sein d’une démarche réfléchie et travaillée en commun.
Le jour où l’Europe s’éveillera, le monde changera de face. Et la France est la seule qui puisse donner le signal de cet éveil de l’Europe.
J’ai achevé le texte que je voulais dire sur le sujet. Je voudrais vous demander au nom de la représentation nationale que ce qui se passe au Darfour depuis quelques jours, ne demeure pas ignoré. Le refus par le gouvernement de Khartoum d’accepter des soldats de l’ONU et le déclenchement d’une opération militaire dans le nord du Darfour, méritent que la France et le gouvernement disent où nous en sommes et ce que nous allons faire. Nous sommes nombreux a considérer qu’il y a quelque chose de grave qui n’est pas étranger à la situation au Proche-Orient et qui mérite la mobilisation du pays. »
08/09/06
- - Thème: Discours
Vous trouverez ci-dessous l’intervention de François Bayrou, président de l’UDF, à l’Assemblée nationale, le jeudi 7 septembre 2006, dans le cadre du débat sur la situation au Proche-Orient et la participation de la France à la mise en oeuvre de la résolution 1701 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies.
« Nous sommes à l’entracte de la tragédie du Proche-Orient 2006. Un acte vient de s’achever. Un acte commence. Et c’est la même tragédie qui se poursuit.
L’acte I de la guerre 2006 s’est achevé au moment où la résolution 1701, dans la rédaction de laquelle la France a joué un rôle positif, a mis un terme au plus brûlant du conflit. Mais l’acte II commence et son issue n’est pas définie. Nous l’espérons positive. Mais elle peut être aussi inquiétante et dangereuse selon que nous saurons, ou non, faire évoluer la situation sur le terrain.
Il faut commencer par dire ceci : ce conflit, cet affrontement, ne pouvait être, qu’un cas de conscience pour la France.
Car la politique de la France peut connaître des hésitations et des éclipses. Elle peut être plus ou moins lisible. Mais il y a au travers du temps et des dirigeants des constantes à la politique française.
La France a un lien avec les trois protagonistes du conflit : un lien avec Israël, un lien fort, impossible à briser. La France a un lien avec le peuple palestinien. Et la France a un lien avec le Liban, celui-là aussi impossible à oublier, impossible à éluder.
La France qui dépasse les aléas de la politique, veut l’existence, la paix et la sécurité d’Israël !La France voit un lien entre l’existence, la paix, la sécurité d’Israël avec l’équilibre du monde.Non pas seulement parce que des résolutions diplomatiques ont été prises, depuis 1948, qui ont donné force de loi internationale à cette existence.
Mais parce que la France a vécu comme une blessure pour l’ensemble de l’humanité, une blessure pour le visage du monde, le sort fait pendant des siècles à ce peuple d’exilés, à ce peuple sans terre, sort qui a débouché, dans la folie hitlérienne et nazie, jusqu’à une shoah, une catastrophe à l’échelle de l’humanité. C’est une blessure pour l’ensemble de l’humanité qu’une tentative délirante et planifiée, en Europe, sur notre terre, chez nous, et parfois avec l’aide et la complicité de nos compatriotes, ait décidé et réalisé l’extermination des femmes, des enfants, des malades, des filles et des garçons, des sages et des savants, et jusqu’au plus ordinaire des enfants du peuple juif.
De cela, nous nous sentons débiteurs. Non pas à l’égard du seul peuple juif. Mais à l’égard du peuple humain.
C’est pourquoi nous considérons, nous la France, la France au-dessus des péripéties de l’Histoire, nous considérons que la décision qui s’est forgée dans le peuple juif de retrouver une terre, un foyer et une patrie, est une décision dont l’humanité est solidaire.
Ceux qui si longtemps avaient enduré, ceux que si longtemps on avait pliés, ceux qui n’avaient pas d’armes, et dont les mains étaient nues se sont levés, à bout de désespoir, et d’humiliation et d’infinie douleur et ont dit « plus jamais ». Et ils ont dit « plus jamais » non seulement au nom des victimes de Dachau, d’Auschwitz, de Drancy ou de Gurs, mais au nom des générations humiliées, dans la suite des siècles.
La France doit être solidaire de ce « plus jamais ».
Et pourtant, de ce même mouvement, nous n’ignorons rien des souffrances que cette décision a fait naître. Nous savons bien qu’il y avait sur cette terre d’élection non pas seulement le désert - comme on dit quelques fois - mais des familles, des femmes et des enfants et des hommes faits et des vieillards que cette catastrophe a touchés eux aussi, bien qu’ils n’y eussent aucune part. Et que ceux-là aussi, peuple de Palestine, sont des victimes, et ont bien le droit de dire « plus jamais ».
Voilà pourquoi la France considère que l’équilibre nouveau à trouver entre l’État qu’ont formé les humiliés juifs d’hier et l’État que doivent former les humiliés palestiniens d’aujourd’hui, cet équilibre importe à l’ensemble de l’humanité.
Et la France a un lien indissoluble avec le Liban.
Sans la France, le Liban n’existerait pas. C’est la France qui a pris la responsabilité historique de donner une chance à l’indépendance libanaise face à la revendication de Grande Syrie. C’est la France qui plus d’un siècle auparavant avait protégé le Mont Liban pour en faire une province autonome de l’empire ottoman. Et c’est la France qui a servi de garant à cette idée historique de faire une communauté nationale d’un peuple éclaté entre tant de communautés, liées par un contrat complexe. Cette fidélité, faut-il le rappeler, a été lourde de conséquences pour notre pays. Dois-je le rappeler, la France a vu son ambassadeur, Louis Delamarre, assassiné le 4 septembre 1981 parce que la France voulait qu’on sorte de la guerre civile. Dois-je le rappeler, la France, le 23 octobre 1983, à 6 h15 du matin, a payé le lourd tribut de 58 hommes dans l’attentat du Drakkar. C’est le lien indissoluble de la France au Liban, pour qui la langue française est une seconde patrie…
C’est pourquoi pour la France cette guerre a été d’emblée vécue comme une épreuve.Autant le dire clairement, nous avons pour l’essentiel apprécié l’équilibre de la ligne fixée par le Président de la République et nous avons soutenu cette ligne dès les premiers jours où elle s’est exprimée.
Nous avons apprécié que le président de la République exprime très clairement, le 14 juillet, la responsabilité du Hezbollah dans l’explosion du conflit. Tirs de missiles à Safed, à Nahariya. Enlèvement de deux soldats, après l’enlèvement d’un premier soldat franco-israélien près de Gaza. Cette ligne était claire et juste.
Chemin faisant, nous avons eu un désaccord grave sur un point : nous avons trouvé déplacés et dangereux les signes multipliés en direction de l’Iran. Que le ministre français des Affaires étrangères se rende à l’ambassade d’Iran à Beyrouth et délivre de surcroît un brevet de respectabilité en désignant l’Iran comme « une puissance stabilisatrice dans la région » nous a paru un risque que la France n’aurait pas dû prendre.
Nous avons suivi les péripéties de la décision de participation à la Finul. Décision revendiquée d’abord, puis éludée, puis enfin assumée. Et nous avons compris, au terme de ce processus, les interrogations que la France avait exprimées et que vous avez rappelées Monsieur le Premier ministre à cette tribune.
Nous soutenons cette issue, avec une question qui n’est pas une question de principe, qui est la première question politique de ce deuxième acte. Nous sommes tous d’accord sur la démarche de reconstruction du Liban. Nous sommes tous d’accord sur la démarche de demander à la Communauté internationale d’aider le Liban.
Mais il y a une question politique : Quel est exactement le mandat de la Finul ?
Si le mandat de la Finul est le même que le mandat précédent, la Finul-2, la deuxième force des Nations Unies au Liban, ne servira pas davantage que la Finul-1, la première force. Et l’on risque, sous les yeux même des contingents armés de l’ONU, d’assister au réarmement de la milice du Hezbollah.
Ceci ne serait pas conforme à la lettre, et pas davantage à l’esprit, des résolutions des Nations unies. La résolution 1559 qui oblige au désarmement effectif des milices et à l’exercice de l’autorité sur le terrain de l’armée libanaise. Et la résolution 1701 qui indique l’armée libanaise comme seule autorité légitime au Liban en matière de sécurité.
Et surtout, ce serait un risque immense pour le Liban, pour Israël, et pour la paix. Cela signifierait qu’une faction, qui vise ouvertement la destruction d’Israël, s’arroge, sur le terrain, la domination sur une région d’un pays souverain. Et on voit bien les conséquences, en déconsidération des Nations unies, de déstabilisation de la région et du Liban tout entier que supposerait cette acceptation.
Les mots qui ont été prononcés sur ce sujet sont des mots vagues, diplomatiques sans doute. Leur flou recèle un monde de menaces. Nous demandons que ces menaces soient prises en considération, à leur juste poids, et qu’il y soit mis un terme. Le réarmement des milices, ce serait l’échec assuré pour la politique nécessaire de paix et de restauration de la souveraineté d’un Liban indépendant.
Je voudrais conclure par deux considérations plus lourdes encore de conséquences, si c’est possible.
La première concerne l’Iran. Les démocraties de la planète se trouvent devant une question plus grave qu’aucune de celles qu’elles ont eu à traiter depuis des décennies. Une question aussi lourde que la question qui fut posée à nos pères le jour du réarmement de l’Allemagne ou le jour de Munich.
De la même autorité politique, exprimée par la même voix, celle du président iranien Monsieur Ahmadinejad, viennent aujourd’hui, sans ambiguïté, une décision et une affirmation qui mettent en danger l’ordre mondial.
Les gouvernants iraniens actuels sont engagés dans une double obsession mortifère : l’appel sans ambiguïté à la destruction d’Israël ; et la décision d’acquérir la puissance nucléaire. Et l’obsession de la destruction d’Israël donne à l’obsession nucléaire sa portée et son sens, sa véritable dimension.
Quand le Président iranien déclare en juillet : « le problème fondamental du monde musulman est l’existence du régime sioniste qui doit être éliminé ». Quand il déclare en octobre dernier : « comme l’a dit l’imam Khomeiny, Israël doit être rayé de la carte… La nation musulmane ne permettra pas à son ennemi historique de vivre en son cœur même. », ce qu’il dit ne peut être ignoré, et ne peut pas ne pas être mis en rapport avec la question du contrôle de l’arme nucléaire.
Les démocraties sont donc devant une question qu’elles ne pourront éluder.
Est-ce qu’elles acceptent le fait accompli ou en train de s’accomplir, ou est-ce qu’elles disent non ?
Est-ce qu’elles acceptent de considérer que la question qui leur est posée doit trouver une réponse, ou est-ce qu’elles éludent la réponse…
Est-ce qu’elles recommencent Munich, 1938 en 2006, ou est-ce qu’elles manifestent la détermination et la solidarité des démocraties ?
Les démocraties ne peuvent pas accepter la prolifération nucléaire. Les démocraties ne peuvent pas accepter la prolifération nucléaire de surcroît dans un pays qui affirme haut et fort qu’il faut en détruire un autre.
Le peuple iranien ne peut entendre cette détermination que si nous l’exprimons sans ambiguïté.
Si les démocraties l’expriment ensemble et si spécialement, nous l’exprimons, nous la France, dont le monde sait que la voix a su se faire entendre, par votre bouche Monsieur le Premier ministre, lorsqu’il s’agissait de résister à l’inexorable mécanique de la décision américaine préparant la guerre en Irak.
Au lendemain de Munich, Winston Churchill a eu une phrase que personne ne peut oublier. Alors que le peuple britannique fait une ovation à Chamberlain, lui dit : « vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur ; vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. » Et à Paris, un jeune professeur d’histoire, signait un éditorial dans un petit journal qui s’appelait l’Aube. Ce jeune professeur d’histoire allait connaître un destin glorieux d’abord et controversé ensuite. Mais la suite n’efface pas pour Georges Bidault la gloire et l’honneur d’avoir été, à la suite de Jean Moulin, le président du Conseil national de la Résistance. Le 30 septembre 1938 au matin, dans l’Aube, excédé de l’applaudissement unanime que toute la classe politique, et tout le pays, réservent à Daladier, Georges Bidault écrit cette autre phrase que je trouve sublime et qui fait écho aux mots de Churchill : « lorsqu’il s’agit de dire non, le meilleur moment, c’est le premier… »
Encore eux ne savaient pas la suite… Nous, nous savons.
Nous demandons donc aux gouvernants français que vous êtes d’être fermement du côté du refus, du côté de la solidarité avec tous ceux qui diront non.
Et la dernière réflexion concerne l’Europe. J’ai été frappé, et vous aussi sans doute, du caractère distrait de notre démarche européenne pendant cette période.
Nous n’avons accepté de réunion européenne en fait que quand tout fut fini, et nous avons pris soin d’annoncer l’ensemble de nos décisions nationale à la télévision la veille au soir de la réunion européenne.
Les nations européennes ont fait comme nous, elles ont joué leur carte diplomatique, bien ou mal. Mais pour l’essentiel, elles ont joué cette carte chacun pour soi. Tant que nous adopterons cette attitude, ne nous étonnons pas que notre division nous condamne à l’évanescence. Les européens envoient les troupes et l’argent, mais ce sont les américains qui trop souvent décident ! La France devrait être celle qui propose d’utiliser la capacité diplomatique de chacun au sein d’une démarche réfléchie et travaillée en commun.
Le jour où l’Europe s’éveillera, le monde changera de face. Et la France est la seule qui puisse donner le signal de cet éveil de l’Europe.
J’ai achevé le texte que je voulais dire sur le sujet. Je voudrais vous demander au nom de la représentation nationale que ce qui se passe au Darfour depuis quelques jours, ne demeure pas ignoré. Le refus par le gouvernement de Khartoum d’accepter des soldats de l’ONU et le déclenchement d’une opération militaire dans le nord du Darfour, méritent que la France et le gouvernement disent où nous en sommes et ce que nous allons faire. Nous sommes nombreux a considérer qu’il y a quelque chose de grave qui n’est pas étranger à la situation au Proche-Orient et qui mérite la mobilisation du pays. »
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