Sunday, October 22, 2006

CATHERINE CESARSKI PRESIDENT DE L'UNION ASTRONOMIQUE INTERNATIONALE

Catherine Cesarsky, l'astronome qui a disqualifié Pluton
LE MONDE 17.10.06 15h50 • Mis à jour le 17.10.06 15h50

ne lecture d'enfance n'a jamais cessé de la faire rêver. Comme l'héroïne des Sabines de Marcel Aymé, Catherine Cesarsky s'imagine dotée d'un don d'ubiquité qui lui éviterait d'avoir à choisir entre les pays qu'elle a aimés, entre les fonctions qu'elle a embrassées. Il y en aurait une en Argentine, qui prolongerait les années de sa jeunesse à Buenos Aires. Une en Amérique, qui poursuivrait ses travaux d'astrophysicienne dans une université prestigieuse. La Française dirigerait des équipes et conduirait des projets. L'Européenne, dans la banlieue de Munich, pourrait ainsi assurer sans regrets la direction générale de l'Observatoire européen austral (ESO), qui gère notamment le Very Large Telescope (VLT), le plus puissant des instruments d'observation terrestres en activité. Et, comme celui-ci se trouve au Chili, une cinquième Catherine Cesarsky y ferait des séjours beaucoup plus longs que ceux que son emploi du temps lui permet actuellement.

Parcours
1943Naissance à Ambazac (Haute-Vienne).
1966Départ d'Argentine pour une thèse d'astronomie à Harvard.
1974Retour en France, au Commissariat à l'énergie atomique (CEA).
1985Directrice du service d'astrophysique au CEA.
1999Directrice générale de l'Observatoire européen austral (ESO).
2006Présidente de l'Union astronomique internationale (UAI).
[-] fermerToutes ces incarnations demeureraient liées par la même passion. "Dans la vie, dit-elle, j'aime résoudre les problèmes. C'était le cas comme théoricienne, ça le reste comme dirigeante." A la jonction de la science et de la politique, elle vient de s'attaquer à un délicat sujet de controverses entre astronomes. Depuis trois ans, elle se savait désignée pour prendre la tête, en août 2006, de l'Union astronomique internationale (UAI), l'instance chargée de classifier et de nommer les corps célestes depuis près de cent ans.
Elle ne se voyait pas accéder à ces fonctions sans avoir réglé le cas de Pluton, l'astre considéré comme la neuvième planète du système solaire depuis sa découverte en 1930, alors que sa composition, sa taille et son orbite lui déniaient cette distinction. "Il fallait clarifier cette situation. Sinon, nous aurions été ridicules." C'est donc elle qui a fait aboutir les discussions qui ont conduit l'assemblée générale de l'UAI, le 24 août, à destituer la planète.
La vénérable institution est secouée depuis d'une agitation inédite. Protestations, brouilles et pétitions n'inquiètent guère Catherine Cesarsky. Elle compte sur son goût de la diplomatie pour résorber les malentendus. Sa carrière d'astronome à saute-frontières l'y a préparée. Et sans doute aussi, chez cette Européenne convaincue, le besoin de réparer, par le dialogue et la coopération, les douleurs à l'origine de son tout premier voyage.
C'était un exil, qu'elle n'évoque qu'avec une extrême pudeur. Troisième fille d'une famille juive réfugiée en Haute-Vienne le temps de sa naissance en 1943, elle n'avait que 3 ans lorsque, devant ses difficultés à retrouver sa place dans la France d'après-guerre, son père, ancien résistant, se résolut à accepter un poste diplomatique temporaire à Buenos Aires. Il y ouvrit, plus tard, une librairie franco-argentine, qui devint le point de passage obligé de tous les intellectuels francophones en visite.
Aujourd'hui, dans leur appartement du centre de Munich, où ils vivent depuis 1999, Catherine Cesarsky et son mari, un astronome argentin qui a toujours réussi à trouver des postes à proximité de ceux de sa femme, se parlent en espagnol. Elle maîtrise évidemment le français, sa langue maternelle, et l'anglais, celle de la science, mais n'a jamais réussi à apprendre l'allemand.
Elle ne cache pas avoir hésité à prendre la direction de l'ESO, parce que son siège est en Allemagne. C'est la possibilité d'un autre retour vers le passé qui l'a poussée à accepter. En visitant quatre fois par an les sites des observatoires gérés par l'organisme au Chili, elle a retrouvé l'Amérique latine. Elle peut, à la fin de chaque séjour, passer brièvement dans l'appartement de Buenos Aires qu'elle a acheté avec l'une de ses soeurs. Mme Cesarsky demeure viscéralement attachée à cette ville, où la "forte en maths" qu'elle était a mené toute sa scolarité et ses études en physique.
Son retour au pays natal a, lui aussi, été partiellement décidé par l'Histoire. C'était en 1974, au bout de huit années passées aux sommets de la science américaine, à Harvard puis à Caltech (California Institute of Technology). La dégradation de la situation politique en Argentine achève alors de la convaincre d'accepter un poste au tout récent service d'astrophysique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Elle en prendra plus tard la tête avant d'assurer celle de la direction des sciences de la matière.
A ces différents postes, sa formation multiculturelle est un atout crucial dans la révolution de l'observation que vit l'astronomie. Plus puissants, satellites et observatoires vont permettre d'ouvrir de nouvelles fenêtres dans l'Univers. Plus coûteux, ils ont impérativement besoin d'être portés par des coopérations internationales. Le satellite fétiche de Catherine Cesarsky, ISO, pionnier dans les années 1990, est soutenu par l'Agence spatiale européenne. Et seule l'alliance des 11 Etats membres de l'ESO peut supporter un projet tel que le VLT, auquel l'astronome rêverait d'assurer une succession avant de quitter l'organisme, en 2007.
Car les pays qu'elle a traversés ont aiguisé son sens de la compétition tout autant que de la coopération. Catherine Cesarsky ne manque jamais d'afficher sa fierté de voir le VLT dominer aujourd'hui ses rivaux américains. "Avec cet observatoire, dit-elle, nous avons enfin crevé le plafond de verre qui nous séparait des télescopes américains." Plafond de verre : l'expression vient spontanément à la bouche de celle qui occupe les plus hautes fonctions dans une discipline scientifique si longtemps masculine. Aujourd'hui, la première femme présidente de l'UAI s'estime préservée des inégalités de traitement. Mais elle a connu la misogynie à ses débuts, particulièrement à Caltech, en Californie.
Là-bas, en forme de défi, elle avait soumis les rares effectifs féminins à un questionnaire de sociologie. Des résultats obtenus à l'époque, elle garde la conviction que "les femmes, et principalement les jeunes chercheuses, qui doivent concilier carrière, féminité et vie de famille, ont tendance à avoir moins confiance en elles que les hommes". Elle-même pense toutefois n'avoir renoncé à rien d'important : "Je me suis attribué le droit d'être une femme, une chercheuse, une mère de deux enfants, une dirigeante."
De ce point de vue, sa puissance de travail lui a permis d'approcher son rêve d'ubiquité : il y a bien eu déjà plusieurs Catherine Cesarsky.
Jérôme Fenoglio

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