Lettre réponse à un professeur d'université anglais.
Lettre réponse à un professeur d'université anglais.
Yair Lapid - 8 Juin 2007 Yediyot Haaharonot
(Traduction de Michael Grynszpan)
J'ai lu avec beaucoup d'attention la décision de l'UCU, l'association des
universitaires anglais, qui appelle au boycott universitaire d'Israël.
J'ai découvert avec joie que l'association n'avait pas encore décidé
définitivement de quelle façon précise elle allait nous boycotter.
Ces grands seigneurs réfléchissent encore à ce sujet ; des volutes bleuâtres
s'échappant de leurs pipes, leurs fronts plissés s'appuyant sur une main qui
prolonge un bras enfilé dans une veste "Harris Tweed" à carreaux ornée au
coude d'un morceau de cuir râpé.
"Peut-être, se disent-ils, allons-nous les boycotter maintenant ou
peut-être, allons-nous attendre un peu. Il n'est pas la peine de se
précipiter : ces enfants insolents quelque part au Moyen-Orient ne vont de
toutes façons pas cesser de s'entretuer du jour au lendemain. En attendant,
nous allons boire encore une pinte de bière et consulter l'exemplaire du
dix-huitième siècle de "Simplisystum" que nous avons trouvé dans la
bibliothèque. "
Nous, les Israéliens, savons qu'il y a une dimension comique dans cette
décision. Nos institutions universitaires ont toujours été des foyers de la
gauche radicale, qui s'oppose corps et âme à l'occupation. On savait déjà
que les Anglais ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait ici, mais
dans le cas présent, c'est le genre d'ignorance qui provoque ce même
ricanement méchant chez les élèves lorsqu'ils surprennent leur professeur à
faire une erreur.
Et peut-être est-ce moi qui me trompe ? Et peut-être que je me moque ici
avec légèreté de personnes concernées par ce qui se passe, de personnes qui
tentent sincèrement d'améliorer le monde ?
On sait bien qu'en face de tout groupe humain qui veut atteindre un but
noble, viendront toujours des individus cyniques comme moi pour affirmer
qu'ils ne comprennent pas le monde réel. Aux opposants à l'Apartheid on a
expliqué que la lutte contre le communisme mondial était bien plus
importante. Les écolos se sont faits traiter d'"embrasseurs d'arbres". Tony
Blair s'est fait expliquer encore et encore que le conflit en Irlande du
nord ne finira jamais. Alors peut-être qu'au lieu de pousser des cris,
d'être en colère, de se vexer et de décider que cette année on ne voyagera
plus pour aller au théâtre à West-End, peut-être vaudrait-il mieux essayer
d'aider cette assemblée de respectables professeurs dans leur processus de
réflexion ?
Peut-être est-ce prétentieux de ma part, mais je crois avoir une petite
considération à ajouter au débat : je n'ai pas envie de mourir.
Il est vrai que l'action humanitaire consisterait à retirer les barrages,
arrêter immédiatement l'occupation, permettre la libre circulation des
Palestiniens dans les territoires, démolir ce maudit mur inhumain, leur
promettre tous les doits élémentaires qui reviennent à tout être humain.
Sauf que je vais devoir payer tout cela de ma vie.
J'avoue que c'est un peu mesquin de ma part de m'obstiner sur ce point.
Après tout, quelle importance a ma petite vie comparée aux chances de paix,
de justice, d'égalité des droits... Mais malgré tout - appelez cela
faiblesse ou indifférence - je n'ai pas envie de mourir.
Et qu'il n'y ait pas de doute : si nous faisions ce qu'attendent de nous les
respectables professeurs anglais, ce serait ma mort. Elle ne serait
peut-être pas immédiate, mais même cette attente de la mort ne serait pas un
grand plaisir.
Parce que pendant ces trois ou quatre mois qui passeront avant que je meure
(et ne vous inquiétez pas ça ne prendra pas plus longtemps), je me
demanderai à chaque instant comment on va me tuer exactement, si c'est une
roquette Katioucha qui va tomber sur ma maison et si je mourrai enterré sous
les décombres ?
Est-ce un terroriste-suicide qui explosera dans le centre commercial au
moment où j'achèterai de nouvelles chaussures pour ma petite fille ?
Quelqu'un courra-t-il vers moi avec une hache dans la rue Allenby pour me
trancher la tête ? Ou peut-être qu'un tireur d'élite me descendra lorsque
j'irai chercher mon fils à l'école ? Si on me permet de choisir je préfère
cette dernière possibilité. Elle me semble être la moins douloureuse. Au
pire ma femme ira chercher l'enfant avec du retard et lui expliquera que
Papa est mort. A mon grand regret je n'ai pas le droit de faire des choix en
ce qui concerne ma mort et la curiosité - si vous me permettez ce jeu de
mot - me tue.
Contrairement à moi et à ma ridicule obstination à vouloir vivre, les
universitaires - et je parle bien sûr de ces universitaires qui circulent
dans les couloirs silencieux d'une respectable université anglaise - sont
capables d'avoir une vision plus large. Dans leur vision historique ma mort
n'est qu'un détail marginal comparé au grand projet d'en finir avec ce
qu'ils appellent "l'apartheid israélien". Leur emploi de ce mot "apartheid"
m'a rendu plutôt inquiet. Se peut-il que même des professeurs d'université
se gourent dans leur conférence ? Apartheid ? Où sont-ils allés chercher une
telle bêtise ? Apartheid ?
La répression causée par l'occupation (et oui, l'occupation cause de la
répression) n'a pas pour but de transformer les Palestiniens en esclaves.
Nous n'avons jamais tenté de les envoyer chercher des diamants dans nos
mines ni de cueillir du coton dans nos plantations ni de les forcer à
utiliser uniquement des toilettes publiques où serait écrit "réservé aux
arabes". La séparation entre les Palestiniens et les Israéliens n'est pas
liée à la race ni à la religion ni à la couleur de la peau. De fait, Israël
est un des rares pays dans le monde à avoir interdit à des politiciens
racistes d'être élus à son parlement. Presque vingt pour cent des citoyens
israéliens sont arabes - ils peuvent témoigner que personne n'a jamais osé
leur demander d'aller s'asseoir au fond de l'autobus.
La seule chose qui nous intéresse c'est que cet autobus n'explose pas parce
que c'est dans cet autobus que ma fille voyage parfois pour aller à ses
cours de gymnastique. Promettez-nous cela et vous verrez comment les
barrages disparaîtront et comment le mur s'effondrera. Promettez-nous cela
et les enfants palestiniens pourront eux aussi vivre en toute sécurité.
Promettez-nous cela et vous verrez l'Etat d'Israël se mobiliser pour aider
les Palestiniens à créer leur Etat, sauver leur économie et pour les aider à
gagner une guerre bien plus importante : la guerre contre la pauvreté,
l'ignorance et contre le fondamentalisme islamiste messianique. C'est la
seule chose que je leur demande. Pas d'argent, pas de service, même pas leur
amitié. Qu'ils reconnaissent simplement le fait énervant que je n'ai pas
envie mourir.
Je connais l'argument selon lequel l'occupation est la cause de toute cette
terrible violence. Mais c'est un argument - bon, comment dire cela ? - c'est
un argument académique. Car en fait le terrorisme arabe a commencé bien
avant que nous n'occupions la moindre parcelle de terre. De plus, les
grandes vagues de terrorisme palestinien sont arrivées précisément lorsque
la paix semblait approcher. Il en fut ainsi pour la vague d'attentats dans
les autobus lors de "Mars noir" en 1996, qui détruisit les chances de mettre
en application les accords d'Oslo. Il en fut ainsi pour l'éclatement des
violences de la deuxième Intifada qui débuta juste après qu'Ehud Barak ait
proposé de donner quasiment tous les territoires occupés y compris une
partie de Jérusalem. Il en est ainsi pour l'actuelle vague de roquettes
Kassam sur Sdérot qui intervient juste après le retrait israélien de la
bande de Gaza.
Je crois encore en la paix. Ils ne m'intéressent pas ces territoires occupés
avec tout ce qu'ils comportent de crainte et de cruauté. Je crois en la paix
comme j'y ai cru toute ma vie. Et je sais que la paix aura un prix qu'il
faudra payer. Tout ce que je demande en attendant, c'est l'opportunité
légitime d'être encore vivant lorsqu'elle arrivera.
Yair Lapid - 8 Juin 2007 Yediyot Haaharonot
(Traduction de Michael Grynszpan)
J'ai lu avec beaucoup d'attention la décision de l'UCU, l'association des
universitaires anglais, qui appelle au boycott universitaire d'Israël.
J'ai découvert avec joie que l'association n'avait pas encore décidé
définitivement de quelle façon précise elle allait nous boycotter.
Ces grands seigneurs réfléchissent encore à ce sujet ; des volutes bleuâtres
s'échappant de leurs pipes, leurs fronts plissés s'appuyant sur une main qui
prolonge un bras enfilé dans une veste "Harris Tweed" à carreaux ornée au
coude d'un morceau de cuir râpé.
"Peut-être, se disent-ils, allons-nous les boycotter maintenant ou
peut-être, allons-nous attendre un peu. Il n'est pas la peine de se
précipiter : ces enfants insolents quelque part au Moyen-Orient ne vont de
toutes façons pas cesser de s'entretuer du jour au lendemain. En attendant,
nous allons boire encore une pinte de bière et consulter l'exemplaire du
dix-huitième siècle de "Simplisystum" que nous avons trouvé dans la
bibliothèque. "
Nous, les Israéliens, savons qu'il y a une dimension comique dans cette
décision. Nos institutions universitaires ont toujours été des foyers de la
gauche radicale, qui s'oppose corps et âme à l'occupation. On savait déjà
que les Anglais ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait ici, mais
dans le cas présent, c'est le genre d'ignorance qui provoque ce même
ricanement méchant chez les élèves lorsqu'ils surprennent leur professeur à
faire une erreur.
Et peut-être est-ce moi qui me trompe ? Et peut-être que je me moque ici
avec légèreté de personnes concernées par ce qui se passe, de personnes qui
tentent sincèrement d'améliorer le monde ?
On sait bien qu'en face de tout groupe humain qui veut atteindre un but
noble, viendront toujours des individus cyniques comme moi pour affirmer
qu'ils ne comprennent pas le monde réel. Aux opposants à l'Apartheid on a
expliqué que la lutte contre le communisme mondial était bien plus
importante. Les écolos se sont faits traiter d'"embrasseurs d'arbres". Tony
Blair s'est fait expliquer encore et encore que le conflit en Irlande du
nord ne finira jamais. Alors peut-être qu'au lieu de pousser des cris,
d'être en colère, de se vexer et de décider que cette année on ne voyagera
plus pour aller au théâtre à West-End, peut-être vaudrait-il mieux essayer
d'aider cette assemblée de respectables professeurs dans leur processus de
réflexion ?
Peut-être est-ce prétentieux de ma part, mais je crois avoir une petite
considération à ajouter au débat : je n'ai pas envie de mourir.
Il est vrai que l'action humanitaire consisterait à retirer les barrages,
arrêter immédiatement l'occupation, permettre la libre circulation des
Palestiniens dans les territoires, démolir ce maudit mur inhumain, leur
promettre tous les doits élémentaires qui reviennent à tout être humain.
Sauf que je vais devoir payer tout cela de ma vie.
J'avoue que c'est un peu mesquin de ma part de m'obstiner sur ce point.
Après tout, quelle importance a ma petite vie comparée aux chances de paix,
de justice, d'égalité des droits... Mais malgré tout - appelez cela
faiblesse ou indifférence - je n'ai pas envie de mourir.
Et qu'il n'y ait pas de doute : si nous faisions ce qu'attendent de nous les
respectables professeurs anglais, ce serait ma mort. Elle ne serait
peut-être pas immédiate, mais même cette attente de la mort ne serait pas un
grand plaisir.
Parce que pendant ces trois ou quatre mois qui passeront avant que je meure
(et ne vous inquiétez pas ça ne prendra pas plus longtemps), je me
demanderai à chaque instant comment on va me tuer exactement, si c'est une
roquette Katioucha qui va tomber sur ma maison et si je mourrai enterré sous
les décombres ?
Est-ce un terroriste-suicide qui explosera dans le centre commercial au
moment où j'achèterai de nouvelles chaussures pour ma petite fille ?
Quelqu'un courra-t-il vers moi avec une hache dans la rue Allenby pour me
trancher la tête ? Ou peut-être qu'un tireur d'élite me descendra lorsque
j'irai chercher mon fils à l'école ? Si on me permet de choisir je préfère
cette dernière possibilité. Elle me semble être la moins douloureuse. Au
pire ma femme ira chercher l'enfant avec du retard et lui expliquera que
Papa est mort. A mon grand regret je n'ai pas le droit de faire des choix en
ce qui concerne ma mort et la curiosité - si vous me permettez ce jeu de
mot - me tue.
Contrairement à moi et à ma ridicule obstination à vouloir vivre, les
universitaires - et je parle bien sûr de ces universitaires qui circulent
dans les couloirs silencieux d'une respectable université anglaise - sont
capables d'avoir une vision plus large. Dans leur vision historique ma mort
n'est qu'un détail marginal comparé au grand projet d'en finir avec ce
qu'ils appellent "l'apartheid israélien". Leur emploi de ce mot "apartheid"
m'a rendu plutôt inquiet. Se peut-il que même des professeurs d'université
se gourent dans leur conférence ? Apartheid ? Où sont-ils allés chercher une
telle bêtise ? Apartheid ?
La répression causée par l'occupation (et oui, l'occupation cause de la
répression) n'a pas pour but de transformer les Palestiniens en esclaves.
Nous n'avons jamais tenté de les envoyer chercher des diamants dans nos
mines ni de cueillir du coton dans nos plantations ni de les forcer à
utiliser uniquement des toilettes publiques où serait écrit "réservé aux
arabes". La séparation entre les Palestiniens et les Israéliens n'est pas
liée à la race ni à la religion ni à la couleur de la peau. De fait, Israël
est un des rares pays dans le monde à avoir interdit à des politiciens
racistes d'être élus à son parlement. Presque vingt pour cent des citoyens
israéliens sont arabes - ils peuvent témoigner que personne n'a jamais osé
leur demander d'aller s'asseoir au fond de l'autobus.
La seule chose qui nous intéresse c'est que cet autobus n'explose pas parce
que c'est dans cet autobus que ma fille voyage parfois pour aller à ses
cours de gymnastique. Promettez-nous cela et vous verrez comment les
barrages disparaîtront et comment le mur s'effondrera. Promettez-nous cela
et les enfants palestiniens pourront eux aussi vivre en toute sécurité.
Promettez-nous cela et vous verrez l'Etat d'Israël se mobiliser pour aider
les Palestiniens à créer leur Etat, sauver leur économie et pour les aider à
gagner une guerre bien plus importante : la guerre contre la pauvreté,
l'ignorance et contre le fondamentalisme islamiste messianique. C'est la
seule chose que je leur demande. Pas d'argent, pas de service, même pas leur
amitié. Qu'ils reconnaissent simplement le fait énervant que je n'ai pas
envie mourir.
Je connais l'argument selon lequel l'occupation est la cause de toute cette
terrible violence. Mais c'est un argument - bon, comment dire cela ? - c'est
un argument académique. Car en fait le terrorisme arabe a commencé bien
avant que nous n'occupions la moindre parcelle de terre. De plus, les
grandes vagues de terrorisme palestinien sont arrivées précisément lorsque
la paix semblait approcher. Il en fut ainsi pour la vague d'attentats dans
les autobus lors de "Mars noir" en 1996, qui détruisit les chances de mettre
en application les accords d'Oslo. Il en fut ainsi pour l'éclatement des
violences de la deuxième Intifada qui débuta juste après qu'Ehud Barak ait
proposé de donner quasiment tous les territoires occupés y compris une
partie de Jérusalem. Il en est ainsi pour l'actuelle vague de roquettes
Kassam sur Sdérot qui intervient juste après le retrait israélien de la
bande de Gaza.
Je crois encore en la paix. Ils ne m'intéressent pas ces territoires occupés
avec tout ce qu'ils comportent de crainte et de cruauté. Je crois en la paix
comme j'y ai cru toute ma vie. Et je sais que la paix aura un prix qu'il
faudra payer. Tout ce que je demande en attendant, c'est l'opportunité
légitime d'être encore vivant lorsqu'elle arrivera.
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