Monday, September 03, 2007

Avraham Burg : « Israël doit choisir entre la foi et l’effroi

Avraham Burg : « Israël doit choisir entre la foi et l’effroi »

ISRAËL - 26 août 2007 - par PROPOS RECUEILLIS PAR ARI SHAVIT

Président de l’Agence juive de 1995 à 1999, puis président de la Knesset jusqu’en janvier 2003, Avraham Burg occupe une place à part en Israël. Signataire de l’Initiative de Genève (décembre 2003) sur les conditions de la coexistence entre Palestiniens et Israéliens, il cultive le parler vrai et n’hésite pas à bousculer les tabous. Reconverti aujourd’hui dans les affaires, il vient de publier un essai intitulé Vaincre Hitler, où il soutient que l’État juif reste « arc-bouté sur ses traumatismes ». Voici les extraits d’une interview-réquisitoire au Yediot Aharonot publiée en français par Courrier International.
Hamid Barrada


Yediot Aharonot : Vous craignez une régression fasciste en Israël ? Pour vous, les slogans graffités sur les murs de Jérusalem sont identiques à ceux qui s’affichaient sur les murs de Berlin dans les années 1930.
Avraham Burg : Je pense que cette régression est déjà à l’œuvre. Nous ne combattons pas ces slogans avec assez de force. J’écoute ce qui se dit à Sderot [ville ciblée par les roquettes du Hamas] : « Nous allons les détruire. Nous allons détruire leurs villes. Nous allons les expulser. Nous allons les anéantir.

» Notre gouvernement ne compte-t-il pas en son sein un parti qui prône le transfert [des Palestiniens vers la Jordanie] ? Ces dernières années, nous avons franchi tant de lignes rouges que je suis en droit de me demander lesquelles nous franchirons demain.


Dans votre livre, vous écrivez : « J’appréhende fortement ce moment où la Knesset interdira les rapports sexuels avec les Arabes ou adoptera des mesures interdisant aux Arabes d’employer des nettoyeuses ou des ouvriers juifs, comme dans les lois de Nuremberg. » N’y allez-vous pas un peu fort ?

Quand j’étais président de la Knesset, j’ai pu discuter avec des gens de tous bords. J’ai entendu des pacifistes me dire qu’ils étaient pour la paix parce qu’ils haïssaient les Arabes et ne voulaient plus les voir. J’ai entendu des élus de droite parler le langage de Meir Kahane [leader d’extrême droite assassiné à New York en 1990]. Le kahanisme siège déjà à la Knesset. Le parti de Kahane a beau être interdit [depuis 1986, pour apologie de la haine raciale], ses idées sont défendues par 10 %, 15 %, voire 20 % des députés juifs.

Je vais être franc avec vous. Nous, Israéliens, avons de sérieux problèmes éthiques. Mais la comparaison avec l’Allemagne nazie n’est pas fondée. Certes, la place de l’armée dans nos vies et dans notre politique pose problème. Mais comparer Israël à une sorte de Sparte prussienne ne vivant que par et pour le glaive, c’est un déni de réalité.

Ce n’est pas par hasard que je fais des comparaisons avec l’Allemagne. La conviction que nous sommes obligés de vivre par le glaive vient de notre expérience de l’Allemagne. Ce qu’ils nous ont infligé pendant douze ans exige que nous ayons un glaive effilé et qui résiste à l’épreuve du temps. C’est le pourquoi de la Clôture [le mur]. La clôture de séparation est une clôture contre notre paranoïa. Et elle est le fruit de mon milieu politique. C’est Haïm Ramon [ancien travailliste et actuel centriste] qui l’a théorisée. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il suffit de la dresser pour que notre problème soit résolu parce que nous ne les voyons plus ? Cette muraille veut aussi représenter physiquement les confins de l’Europe, un peu comme le limes romain était censé séparer la civilisation latine des Barbares. C’est pathétique. Ce n’est pas seulement un acte de divorce, c’est aussi un acte de xénophobie. Tout ça au moment où l’Europe et le reste du monde semblent enfin intégrer les enseignements universels de la Shoah dans le corpus juridique international.


Vous êtes un européiste acharné. Vous vivez à Nataf [un village israélien frontalier de la Cisjordanie], mais votre esprit est à Bruxelles. Vous êtes le prophète de Bruxelles.

Absolument. Pour moi, la construction de l’Union européenne, c’est l’utopie biblique dans sa quintessence. Je ne sais pas combien de temps cela tiendra, mais l’idée est incroyablement juive.


Affectivement, vous vous accrochez au modèle du judaïsme allemand et du judaïsme américain. Ainsi, l’option sioniste ne peut que vous paraître grossière et spirituellement indigente.

Oui, c’est exact, Israël n’est pas particulièrement excitant. Vous avez du mal à admettre qu’Israël va droit dans le mur. Demandez à vos proches s’ils sont certains que leurs enfants vivront encore longtemps ici. Combien vous répondront oui ? Pas plus de la moitié. Les élites israéliennes sont d’ores et déjà en train de prendre congé de ce lieu. Or, sans élites, il n’y a pas de nation. On n’en parle pas encore dans les informations, mais nous sommes déjà morts. Ce n’est pas en Israël mais aux États-Unis que l’on trouve une littérature juive de valeur. Il n’y a personne à qui parler, ici. La communauté religieuse dont je suis issu m’est devenue étrangère. Et je ne fais pas davantage partie de la communauté laïque. Regardez-vous. Je vous parle et vous ne me comprenez pas. Vous êtes prisonnier de votre prisme nationaliste.


Vous vous réclamez aussi de Gandhi. Pour vous, la bonne riposte à la Shoah, ce n’était pas Anjelewicz [commandant suicidé de l’insurrection du ghetto de Varsovie], mais Gandhi.

La non-violence, ce n’est pas être un pigeon. En ce sens, Gandhi était aussi juif que Yohannan Ben Zakkaï [fondateur du judaïsme rabbinique consécutif à la destruction du Second Temple], qui, lors de la révolte contre Rome, a sauvé Yavneh et ses sages plutôt que Jérusalem et son Temple.


Et pour cela vous affirmez qu’Israël devrait se débarrasser de l’arme atomique ?

Bien entendu. Le jour où la bombe sera démantelée sera le plus important de l’histoire juive. Car nous serons parvenus à conclure avec la partie adverse un accord si bon que nous n’aurons plus besoin de la bombe. Ce doit être ça, notre ambition.

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