Sunday, November 04, 2007

Faut-il bombarder l'Iran ?, Martin Van Creveld

Faut-il bombarder l'Iran ?, Martin Van Creveld
LE MONDE | 01.11.07 | 14h41 • Mis à jour le 01.11.07 | 14h41
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en juger par son comportement, le pouvoir iranien est en proie à la panique. Et il a tout lieu de l'être : il y a un peu plus d'un mois, Israël a mené, avec succès, un raid en Syrie contre ce que l'on pense être des installations nucléaires, prouvant ainsi que les défenses antiaériennes de construction russe, dont l'Iran s'est lui aussi doté, sont vulnérables.




Derrière le premier ministre israélien Ehoud Olmert, il faut voir George Bush. Les deux chefs d'Etat ont fait part à maintes reprises de leur détermination à empêcher l'Iran d'acquérir l'arme nucléaire, si nécessaire par la force. Et, dans ce cas, l'Iran n'aura pas grand-chose à leur opposer. L'International Institute of Strategic Studies de Londres a évalué son budget de défense à environ 6,3 milliards de dollars (4,3 milliards d'euros). Soit un peu plus de la moitié de celui d'Israël et moins de 2 % de celui des Etats-Unis. A ce budget s'ajoutent probablement des programmes secrets, mais l'Iran est à cet égard loin d'être une exception.

Si les Etats-Unis attaquent Téhéran (nous parlons ici d'une frappe reposant sur des tirs de missiles de croisière et l'aviation), l'Iran n'aura aucun moyen de répliquer. Leurs forces terrestres et navales ne conviennent pas pour ce type de frappe. Il se peut que le pays possède des missiles Shihab III ayant la portée nécessaire, mais seulement en petit nombre et pour une fiabilité très aléatoire. Si ces missiles sont dotés d'ogives conventionnelles, en termes militaires, l'effet sera quasi nul. A l'inverse, si ces ogives sont non conventionnelles, l'Iran s'exposera, pour reprendre les termes employés par l'ancien premier ministre israélien Itzhak Shamir peu avant la première guerre du Golfe, à des représailles "redoutables et terribles".

L'aviation iranienne n'est guère plus brillante. En 1988 déjà, à la fin de la guerre Iran-Irak, la flotte iranienne de vieux appareils de construction américaine n'était pour ainsi dire pas en état de marche. Depuis, hormis les avions irakiens qui se sont enfuis vers l'Iran pendant la guerre du Golfe de 1991 (et ne sont probablement plus en état non plus), les seuls apports hypothétiques seraient quelques avions de chasse russes. Seuls un petit nombre de témoins ont vu ces appareils. Et quand bien même l'Iran les aurait en sa possession, ces avions sont incapables d'atteindre Israël sans un ravitaillement en vol lors duquel ils risquent d'être abattus.

L'Iran construit aussi ses propres avions. Présenté récemment lors d'un défilé et baptisé Saeqeh (littéralement, "éclair"), il est une variation du F-5 Tiger américain. Conçu dans les années 1950 puis amélioré au cours de la décennie suivante, le F-5 fut refusé par l'armée américaine. Il a donc été vendu à d'autres pays, notamment à l'Iran, à la Jordanie et à plusieurs pays d'Amérique latine, qui n'étaient pas équipés pour exploiter des appareils plus sophistiqués. Le combat le plus illustre jamais livré par le F-5 a sans doute eu lieu dans le film Top Gun, de 1986, où il jouait le "rôle" d'un modèle imaginaire de MIG soviétique.

L'Iran aurait ainsi copié certains de ces appareils en leur apportant quelques améliorations. Il n'en reste pas moins que les Saeqeh n'ont pas la moindre chance face à des chasseurs dernier cri. De plus, Téhéran n'en possède qu'un nombre très limité. Et tout comme les avions de chasse russes, ils ne peuvent atteindre Israël qu'à condition d'être ravitaillés en vol.

Une autre solution consisterait pour les Iraniens à attiser les conflits dans le Golfe - c'est vraisemblablement ce qui trottait dans la tête du responsable des missiles au sein des Gardiens de la révolution, le général Mahmoud Chaharbaghi, lorsqu'il a affirmé être en mesure de lancer "11 000 roquettes à la minute". Ineptie. Exception faite des Katioucha, de courte portée et peu précis, aucun pays ne possède autant de roquettes, loin s'en faut. De fait, les forces américaines et leurs alliés dans le Golfe devraient pouvoir faire face à la menace des missiles iraniens. Sinon, à quoi bon maintenir dans la région 40 000 militaires (sans compter ceux postés en Irak) et deux ou trois groupes aéronavals dotés de 25 000 hommes ?

Dernière option pour Téhéran, organiser des attentats terroristes contre l'Occident. Mais en termes stratégiques, ces opérations auraient des effets quasi nuls : après tout, les attentats du 11-Septembre, les plus importants de l'histoire, n'ont en rien entamé les capacités des forces armées américaines. Une campagne terroriste coordonnée, contrairement à de petites attaques isolées, est plus facile à annoncer qu'à organiser, car beaucoup de choses peuvent capoter. En 1991 déjà, certains avaient craint que Saddam Hussein ne prépare une campagne de ce type ; au bout du compte, il n'y eut pas un seul attentat.

Rien de tout cela ne signifie pour autant que les Etats-Unis et ou Israël doivent réagir et lancer une offensive. Il n'est pas certain que les installations nucléaires iraniennes, vastes, bien disséminées et bien cachées, puissent vraiment être éliminées, et contrairement aux attaques menées par Israël contre l'Irak en 1981 et contre la Syrie, il est cette fois impossible de compter sur le facteur surprise. Il n'est d'ailleurs pas certain que ces attaques, si tant est qu'elles soient faisables, soient d'une quelconque utilité.

Depuis 1945, il ne s'est guère passé une année sans que ne se fassent entendre des voix, pour la plupart américaines, prédisant au monde les pires tourments si de nouveaux pays devaient se doter de l'arme nucléaire. Mais jusqu'ici, rien n'a donné raison à ces Cassandre. Bien au contraire : partout où l'arme nucléaire a fait son apparition, ses détenteurs ont cessé de se livrer des guerres à grande échelle. Notons que le général John P. Abizaid, ancien commandant en chef des forces américaines au Moyen-Orient, est venu s'ajouter à une longue liste d'experts qui, comme lui, estiment que le monde peut tout à fait vivre avec un Iran doté de l'arme nucléaire. Voilà un point de vue dont il faut tenir compte si l'on veut éviter que la pose anxiogène de Mahmoud Ahmadinejad ne pousse quiconque à commettre une bêtise.

Traduit de l'anglais par Julie Marcot © Global Viewpoint



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Martin Van Creveld est professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, spécialiste des questions stratégiques

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