1. Si, au début de la semaine, l’ampleur de la riposte d’Israël au harcèlement des tirs de roquettes du Hamas (et de missiles sans doute sophistiqués) a suscité des réactions alarmées, c’est d’abord parce qu’elle a rappelé les méthodes employées pour écraser les premières agressions du Hezbollah libanais il y a deux ans. Mais c’est aussi parce que les Américains ont perdu le seul interlocuteur en qui ils avaient vraiment confiance, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne.
C’est dans ce contexte que la France recevra le prestigieux président Shimon Pérès en visite d’Etat et une quarantaine d’écrivains israéliens invités à Paris par le Salon du Livre. J’ai souvent la tentation de ne plus parler du conflit israélo-palestinien. [J’ai déjà beaucoup donné. Trop, peut-être. En tous cas pendant près d’un demi-siècle, comme le prouve la réunion de mes chroniques(1).] Et je ne trouve décidément pas très agréable de blesser des amis que j’aime dès que je me manifeste.
2. Mais voici que pour m’inviter à ne pas rester silencieux, on m’adjure de lire deux textes. Le premier est publié par le quotidien israélien Haaretz. Nos confrères sont sur place. Ils savent de quoi ils parlent. Ils ne sont ni antisionistes ni antisémites. Ils ne sont pas confortablement installés à Turin, à Paris ou à Londres, dans des cafés intellectuels d’extrême gauche où règnerait le radicalisme pro-palestinien. Ils ont peur pour leurs enfants. Ils aiment passionnément leur pays. Mais ils sont acculés à faire ce terrible constat : les forces israéliennes viennent de tuer en deux jours plus de Palestiniens que les roquettes aveugles du Hamas n’avaient tué d’Israéliens pendant des mois et des mois. Et elles sont loin, elles aussi, d’avoir épargné les civils. Voici pour le premier texte, et il est insupportable. Car il nous fait revenir aux thèmes déjà traités ici de la "répression collective" et de la "disproportion" entre les agressions et les ripostes. Il y a donc des enfants palestiniens dont les dents grincent parce que leurs pères ont mangé des raisins verts (Ezéchiel).
Mais le second texte est celui du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France. Le CRIF "affirme sa solidarité pleine et entière avec Israël qui ne fait qu’exercer son devoir de protéger ses civils agressés depuis des mois à Sdérot, Ashkelon et d’autres localités israéliennes, par le Hamas qui dispose d’armes de plus en plus sophistiquées fournies par l’Iran."
Voici le seul cri que le CRIF, même ravalé par un nouveau président, croit devoir faire entendre. Au lieu d’être solidaire de tous les enfants victimes de la tragédie, il prend partie en faveur non pas d’un Etat mais d’un gouvernement dont la politique est désavouée par la quasi totalité des écrivains israéliens que nous avons invités.
3. Alors il me faut dire, hélas, une fois encore : non, je ne me sens pas "représenté" par ce Conseil "représentatif". Et il faut que les personnalités les plus emblématiques proclament qu’elles ne se reconnaissent pas elles non plus dans des déclarations de solidarité si inconditionnelle. Il faut que nous disions que nous sommes du côté des rédacteurs du quotidien "Haaretz" et des écrivains israéliens que nous allons recevoir à Paris plutôt que du côté des hommes politiques et des généraux qui font perdre leur âme aux élus de la Terre Promise. On voit très bien ce qu’auraient pu dire un Blum, un Mendès France pour adresser un message des juifs de France aux Israéliens et aux Palestiniens, les gestes politiques qu’ils auraient recommandés aux uns et aux autres. Lorsque Théo Klein était président du CRIF et lorsque Elie Barnavi était ambassadeur d’Israël, l’honneur des juifs de France était mieux défendu. Je suis toujours rassuré quand Simone Veil prend la parole. Mais il faut toujours la laisser libre de choisir les moments qu’elle juge opportuns.
4. Les hommes qui assument la responsabilité de la répression massive et collective avec dommages collatéraux aux dépens des civils ont toujours les mêmes illusions. Malgré les exemples du Liban et de l’Irak, ils croient dans la capacité dissuasive de leur entreprise. Cette logique implique que l’on s’installe dans la seule stratégie du rapport de forces alors qu’il n’y a plus personne pour estimer qu’il y a une solution militaire à ce conflit.
Au fait, et pour revenir au communiqué du CRIF qui ose reprocher à Mahmoud Abbas son éloignement, il faut bien souligner combien le sens politique peut faire défaut autant que la préoccupation éthique. Car l’idée n’est même pas venue aux rédacteurs de ce communiqué que pour fortifier le combat contre le Hamas de M. Mahmoud Abbas, président mille fois célébré de l’Autorité palestinienne, il aurait fallu proclamer hautement le gel de toute colonie (principale cause, depuis 1967, de l’aggravation du conflit), la libération des prisonniers par centaines sinon par milliers et non par dizaines et l’autorisation donnée aux Européens d’exploiter en Cisjordanie les milliards votés par les Européens à la Conférence de Paris en janvier dernier, ces idées simples et fortes que Bernard Kouchner et Tony Blair ont fait valoir récemment à leurs interlocuteurs ne comptent pour rien lorsqu’on est obsédé par l’unique besoin et la seule idée de riposter, de sanctionner et de punir sans perspective politique.
5. Les pièges tendus par le Hamas à Gaza comme ceux du Hezbollah au Liban ne peuvent que profiter au président iranien en visite d’Etat en Irak qui peut, lui, se promener dans Bagdad avec la protection militaire américaine et qui continue de prévoir ou de préconiser la disparition de l’Etat d’Israël. George Bush a cru pouvoir promettre que son mandat ne se finirait pas sans la naissance d’un Etat palestinien. Tony Blair a affirmé de son côté que le seul Etat du monde où son ami George Bush était encore populaire, c’était Israël.
Sans doute les Américains semblent-ils avoir obtenu un retrait plus rapide que prévu des forces israéliennes de Gaza. Mais pour le moment il n’y a aucune attitude de leur part qui rappelle celle de James Baker, le Secrétaire d’Etat de George H.W. Bush, père du président actuel, lorsqu’il menaçait Yitzhak Shamir de lui couper les vivres s’il s’opposait à la Conférence de Madrid en 1991. La décision de Mahmoud Abbas de suspendre les pourparlers avec Israël révèle que sa position était absolument intenable. N’eût-il pas pris cette décision, il eût été définitivement désavoué par les siens et il n’eût plus jamais été en mesure de jouer le rôle que l’on s’efforce d’attendre encore de lui. J.D.
(le jeudi 6 mars 2008)
(1) "Israël, les Arabes, la Palestine – Chroniques 1956-2008", éditions Galaade.
C’est dans ce contexte que la France recevra le prestigieux président Shimon Pérès en visite d’Etat et une quarantaine d’écrivains israéliens invités à Paris par le Salon du Livre. J’ai souvent la tentation de ne plus parler du conflit israélo-palestinien. [J’ai déjà beaucoup donné. Trop, peut-être. En tous cas pendant près d’un demi-siècle, comme le prouve la réunion de mes chroniques(1).] Et je ne trouve décidément pas très agréable de blesser des amis que j’aime dès que je me manifeste.
2. Mais voici que pour m’inviter à ne pas rester silencieux, on m’adjure de lire deux textes. Le premier est publié par le quotidien israélien Haaretz. Nos confrères sont sur place. Ils savent de quoi ils parlent. Ils ne sont ni antisionistes ni antisémites. Ils ne sont pas confortablement installés à Turin, à Paris ou à Londres, dans des cafés intellectuels d’extrême gauche où règnerait le radicalisme pro-palestinien. Ils ont peur pour leurs enfants. Ils aiment passionnément leur pays. Mais ils sont acculés à faire ce terrible constat : les forces israéliennes viennent de tuer en deux jours plus de Palestiniens que les roquettes aveugles du Hamas n’avaient tué d’Israéliens pendant des mois et des mois. Et elles sont loin, elles aussi, d’avoir épargné les civils. Voici pour le premier texte, et il est insupportable. Car il nous fait revenir aux thèmes déjà traités ici de la "répression collective" et de la "disproportion" entre les agressions et les ripostes. Il y a donc des enfants palestiniens dont les dents grincent parce que leurs pères ont mangé des raisins verts (Ezéchiel).
Mais le second texte est celui du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France. Le CRIF "affirme sa solidarité pleine et entière avec Israël qui ne fait qu’exercer son devoir de protéger ses civils agressés depuis des mois à Sdérot, Ashkelon et d’autres localités israéliennes, par le Hamas qui dispose d’armes de plus en plus sophistiquées fournies par l’Iran."
Voici le seul cri que le CRIF, même ravalé par un nouveau président, croit devoir faire entendre. Au lieu d’être solidaire de tous les enfants victimes de la tragédie, il prend partie en faveur non pas d’un Etat mais d’un gouvernement dont la politique est désavouée par la quasi totalité des écrivains israéliens que nous avons invités.
3. Alors il me faut dire, hélas, une fois encore : non, je ne me sens pas "représenté" par ce Conseil "représentatif". Et il faut que les personnalités les plus emblématiques proclament qu’elles ne se reconnaissent pas elles non plus dans des déclarations de solidarité si inconditionnelle. Il faut que nous disions que nous sommes du côté des rédacteurs du quotidien "Haaretz" et des écrivains israéliens que nous allons recevoir à Paris plutôt que du côté des hommes politiques et des généraux qui font perdre leur âme aux élus de la Terre Promise. On voit très bien ce qu’auraient pu dire un Blum, un Mendès France pour adresser un message des juifs de France aux Israéliens et aux Palestiniens, les gestes politiques qu’ils auraient recommandés aux uns et aux autres. Lorsque Théo Klein était président du CRIF et lorsque Elie Barnavi était ambassadeur d’Israël, l’honneur des juifs de France était mieux défendu. Je suis toujours rassuré quand Simone Veil prend la parole. Mais il faut toujours la laisser libre de choisir les moments qu’elle juge opportuns.
4. Les hommes qui assument la responsabilité de la répression massive et collective avec dommages collatéraux aux dépens des civils ont toujours les mêmes illusions. Malgré les exemples du Liban et de l’Irak, ils croient dans la capacité dissuasive de leur entreprise. Cette logique implique que l’on s’installe dans la seule stratégie du rapport de forces alors qu’il n’y a plus personne pour estimer qu’il y a une solution militaire à ce conflit.
Au fait, et pour revenir au communiqué du CRIF qui ose reprocher à Mahmoud Abbas son éloignement, il faut bien souligner combien le sens politique peut faire défaut autant que la préoccupation éthique. Car l’idée n’est même pas venue aux rédacteurs de ce communiqué que pour fortifier le combat contre le Hamas de M. Mahmoud Abbas, président mille fois célébré de l’Autorité palestinienne, il aurait fallu proclamer hautement le gel de toute colonie (principale cause, depuis 1967, de l’aggravation du conflit), la libération des prisonniers par centaines sinon par milliers et non par dizaines et l’autorisation donnée aux Européens d’exploiter en Cisjordanie les milliards votés par les Européens à la Conférence de Paris en janvier dernier, ces idées simples et fortes que Bernard Kouchner et Tony Blair ont fait valoir récemment à leurs interlocuteurs ne comptent pour rien lorsqu’on est obsédé par l’unique besoin et la seule idée de riposter, de sanctionner et de punir sans perspective politique.
5. Les pièges tendus par le Hamas à Gaza comme ceux du Hezbollah au Liban ne peuvent que profiter au président iranien en visite d’Etat en Irak qui peut, lui, se promener dans Bagdad avec la protection militaire américaine et qui continue de prévoir ou de préconiser la disparition de l’Etat d’Israël. George Bush a cru pouvoir promettre que son mandat ne se finirait pas sans la naissance d’un Etat palestinien. Tony Blair a affirmé de son côté que le seul Etat du monde où son ami George Bush était encore populaire, c’était Israël.
Sans doute les Américains semblent-ils avoir obtenu un retrait plus rapide que prévu des forces israéliennes de Gaza. Mais pour le moment il n’y a aucune attitude de leur part qui rappelle celle de James Baker, le Secrétaire d’Etat de George H.W. Bush, père du président actuel, lorsqu’il menaçait Yitzhak Shamir de lui couper les vivres s’il s’opposait à la Conférence de Madrid en 1991. La décision de Mahmoud Abbas de suspendre les pourparlers avec Israël révèle que sa position était absolument intenable. N’eût-il pas pris cette décision, il eût été définitivement désavoué par les siens et il n’eût plus jamais été en mesure de jouer le rôle que l’on s’efforce d’attendre encore de lui. J.D.
(le jeudi 6 mars 2008)
(1) "Israël, les Arabes, la Palestine – Chroniques 1956-2008", éditions Galaade.
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