Tuesday, January 27, 2009

STICE - Siné dit qu'il ne comprend pas ce qu'il "fout" là. Il pense que la justice aurait mieux à faire à courir après les "vrais antisémites", les "connards". Maurice Sinet, de son état civil, comparaissait hier devant le tribunal correctionnel de Lyon qui a examiné une plainte de de la Licra pour "provocation et incitation à la haine raciale". En cause : la chronique du 2 juillet dernier dans Charlie Hebdo où le dessinateur avait ironisé sur le mariage de Jean Sarkozy avec l’héritière Darty et sa conversion annoncée au judaïsme. Ladite chronique était passée inaperçue à sa parution mais s’était mue en scandale après que le journaliste Claude Askolovitch en dénonce le caractère violemment antisémite, selon lui, une semaine plus tard sur RTL. A la suite de cela, et de la menace d’une plainte des familles Sarkozy et Darty, Philippe Val, directeur de la publication de Charlie Hebdo, limogeait son dessinateur. Déclenchant un feuilleton médiatique qui répond désormais au nom «d’affaire Siné»…

Mais, hier, Siné devait répondre d’une autre autre chronique, elle-aussi passée totalement inaperçue à sa parution, y compris une fois de plus par son propre directeur de publication. Philippe Val a expliqué à l'audience, avec une pointe d’agacement, qu'il faisait en effet « l’économie de relire Siné depuis un moment ». Dans cette chronique, en date du 11 juin dernier, Siné dénonçait "la prolifération" des femmes voilées dans sa banlieue de Noisy-le-Sec. Femmes voilées dont il avait envie « de botter le cul », après les avoir traité de « patates ». Un peu plus loin, il expliquait avoir également envie de renverser "son plat de lentilles aux saucisses" aux enfants qui refusent de manger du porc à la cantine. Pour la Licra, dans les deux cas, le dessinateur s’est rendu coupable d’inciter et de provoquer à la haine raciale.

« Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ? », interroge d’emblée le président de la 6è chambre. « Bien sûr que non, cela me paraît évident ». Le dessinateur rappelle brièvement ses engagements à gauche depuis un demi-siècle. Anti-colonialiste, pro-palestinien, contre le racisme. Maurice Sinet explique alors que ceux qui l’attaquent, ne comprenne pas son humour. « Je suis un humoriste », répète-il. « Ils font comme si j’écrivais dans le Monde Diplo. Je ne suis pas journaliste ». Siné se régale à donner des exemples pour illustrer le propos. « Par exemple, je parle d’épouvantail à bites, un journaliste ne dirait pas cela ».

Un peu plus tard dans l’après-midi, son ami Guy Bedos, vient le défendre comme un « provocateur ». « C’est un malade de la provocation et il veut montrer qu’il peut encore aggraver son cas ». "Quitte à être maladroit". De fait, bien que visiblement fatigué, le dessinateur, âgé de 80 ans, prend un visible et malin plaisir à poursuivre sur le registre qui lui vaut de se retrouver à la barre. Il explique comment il se sent agressé chaque dimanche matin par la diffusion de la messe sur « antenne 2 ». Il enfonce le clou sur les barbus et les femmes voilées qui peuplent le supermarché de son quartier. Et en rajoute une louche sur Jean Sarkozy.

C’est sur ce point, épicentre de la polémique de l’été dernier, que les débats se seront arrêtés le plus longuement. Avec une incompréhension totale entre le camp Siné et le camp Licra. Chacun opposant une lecture parallèle et totalement opposé de cette chronique. Siné tente d’expliquer qu’il a voulu dire que Jean Sarkozy était « prêt à tout » pour se marier avec un fille fortunée, même se convertir au judaïsme. "Il aurait trouvé la fille d'un nabab musulman, il se serait converti à l'Islam", pense l'humoriste qui se défend vigoureusement d'avoir fait autre chose que de se "foutre de la gueule de l'arrivisme" du fils Sarkozy.

La Licra a analysé le propos bien différemment. Selon M° Alain Jakubowicz, Siné a associé juif et argent, poncif de la pensée antisémite. Bernard-Henri Levy, cité par la Licra, est longuement intervenu sur ce point. « Le stéréotype du juif riche est là ». Selon l’écrivain, il n’est pas besoin de généraliser pour tenir là un propos antisémite. A plusieurs reprises, il fait le parallèle avec l’affaire Dreyfus. « Sous couvert d’anti-sarkozysme, on a fait passer une très sale contrebande. (…) Dans l’affaire Dreyfus, on ne parlait pas des Juifs, mais d’un seul homme. Ici, l’on parle de Jean Sarkozy, mais tout le monde sait de qui l’on parle en fait. Des Juifs ». Or, pour Bernard-Henri Levy, c'est de cet antisémitisme-là qu'il faut aujourd'hui se méfier. "Celui qui a conduit à l'affaire Ilan Halimi" (jeune garçon juif enlevé et tué en 2006, ndlr). Selon l'écrivain, Siné aurait dû mesurer ses responsabilités. "Dans ce domaine hautement inflammable qu'est le domaine du racisme et de l'antisémitisme, il n'y a pas besoin d'être explicite".

« Pensez-vous qu’il y a des limites à la liberté d’expression ? », interroge le président. « Les limites, je me les fixe moi-même. Je ne me moque jamais des prolos, des pauvres, des immigrés, des SDF », répond Siné. Il en profite pour citer a contrario ses cibles favorites : "les patrons, les curés, les militaires, les intégristes". Le président pose la même question à Philippe Val. « Nous n’avons pas la même conception de la liberté d’expression. Pour moi, la liberté d’expression est au service de la liberté. Elle ne doit pas stigmatiser des personnes en raison de leur religion ». Pour Philippe Val, Siné n'a pas au départ tenu dans sa chronique des propos antisémites mais des propos "ambigus". "Dès lors qu'il n'a pas voulu lever cette ambiguité, ils devenaient de fait antisémites", a expliqué son ancien directeur de publication.

Siné pense que la Licra lui fait ici un "faux procès". "On voulait se débarrasser de moi". Siné n'aime pas son ancien patron Philippe Val, qui le lui rend bien. Les échanges indirects d'impolitesses et de mépris réciproques à la barre en témoignent. Val compare la rubrique de Siné à celle des mots croisés. Siné se moque de Val qui a voulu "mettre du Voltaire et Spinoza partout dans Charlie". "Ça nous faisait chier, nous les vieux de Charlie, c'est un autre monde".

Deux mondes. Deux lectures. Deux époques. Deux langages. C'est ce même fossé qui oppose à l'audience les deux camps. "Ils ne parlent pas la même langue", résume Guy Bedos. "L'humour est une langue étrangère, pour laquelle certains ont besoin de sous-titres". Il y a ceux qui rient encore de tout. Et ceux qui expliquent que les temps ont changé.

Le procès doit poursuivre ce mercredi par les plaidoiries des avocats.

Alice GERAUD

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