EXCELLENTE REPONSE DE SARKOZY A LIBERATION ET A TOUS SES DETRACTEURS
Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur et président de l'UMP :
«Je connais mieux ce qui se passe en banlieue que Thuram»
Au terme d'une année mouvementée qui le voit caricaturé en Le Pen sur les murs de Paris, Nicolas Sarkozy s'explique dans Libération. Entretien musclé.
Que pensez-vous de l'affiche d'Act Up sur les murs de Paris qui reproduit une photo de vous avec le slogan «Votez Le Pen» ?
Cette affiche est directement inspirée des méthodes du Front national. Cela porte un nom : l'amalgame. On ne dénonce pas l'extrémisme en étant soi-même extrémiste et en cédant à la pratique systématique de l'amalgame. Voilà ce que je dis aux dirigeants d'Act Up.
Donc l'extrémiste, c'est vous ?
Ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Je ne pense pas que l'on ait le droit de s'opposer avec des méthodes pareilles. Pour ma part, je ne me mets pas dans le camp des extrêmes. Jamais personne ne m'y a mis, d'ailleurs.
Est-ce que vous n'avez pas parfois honte de votre manière de réagir aux événements sans aucun recul, et parfois sans beaucoup de réflexion ?
Est-ce une question ou une déclaration militante ? Venant d'un journal dont le manque de recul est une caractéristique, je pourrais prendre votre question comme un hommage ! Pour le reste, je suis un républicain scrupuleux, sans doute moins sectaire que vous.
Vous êtes ministre, pas journaliste...
Le fait d'être ministre ne vous disqualifie pas en tant qu'être humain. Comment pouvez-vous dire une chose aussi outrancière ? Alors que j'ai été le ministre de l'Intérieur qui a connu vingt-cinq nuits d'émeutes et que, à la différence de tous les pays qui ont connu ça, il n'y a eu ni morts ni blessés graves. Et que tout le monde, y compris votre journal, a noté la maîtrise des forces de l'ordre. Je ne crois pas qu'on puisse croire que les forces de l'ordre aient pu être maîtrisées par un ministre qui ne serait pas maître de lui-même. Il y aurait contradiction. Depuis quatre ans, j'ai porté des débats qui, dans nombre de cas, étaient en opposition frontale avec les thèses du Front national. Le FN, par exemple, se bat sur le thème de l'immigration zéro. Je n'ai jamais défendu cette thèse. J'ai défendu les quotas d'immigrés, c'est-à-dire une immigration positive. Je suis l'homme politique en France qui s'est le plus battu pour la discrimination positive. C'est une idée nouvelle qui est exactement le contraire de l'idéologie véhiculée non seulement par l'extrême droite, mais aussi par une partie de la droite. Troisièmement, j'ai écrit dès 2001, dans mon livre Libre, que j'étais favorable au vote des étrangers aux municipales. Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen soit d'accord pour donner le droit de vote aux immigrés. Quatrième élément : j'ai été celui qui a porté la question de l'islam en France. J'ai dit que l'islam était une grande religion de France, qu'elle devait être représentée dans le cadre des institutions de la République, et que, si les musulmans pratiquants n'étaient pas au-dessus des lois, ils n'étaient pas non plus au-dessous. J'ai d'ailleurs été attaqué violemment sur ce sujet par Villiers et Le Pen. Cinquième élément: je suis le ministre de l'Intérieur qui a fait voter la suppression de la double peine à l'unanimité. Sixième élément : pour les lycéens dont les parents n'ont pas de papiers, j'ai pris la décision lourde d'arrêter les expulsions durant l'année scolaire ; sur toutes ces questions, j'ai exprimé un diagnostic et une vision de notre société. Et vous osez dire que je devrais avoir honte ? C'est vous qui devriez avoir honte de poser une question aussi contraire à l'objectivité la plus élémentaire.
Tout cela, personne ne vous le conteste. Mais quand vous parlez de «racaille» en vous rendant à Argenteuil, n'est-ce pas une réaction qui manque de recul ?
L'émission Arrêt sur images de Daniel Schneidermann a démontré les choses. Quand j'arrive à Argenteuil, c'est une personne qui me dit depuis le premier étage, une personne maghrébine par ailleurs : «M. Sarkozy, débarrassez-nous de ces racailles, on n'en peut plus, on a peur.» Et je réponds : «Oui, madame, faites-moi confiance, on va vous débarrasser de ces racailles», visant les gens qui lançaient des tessons de bouteille et autres projectiles. Je ne vois rien qui soit si peu que ce soit antirépublicain dans ce que j'ai fait durant ces trois semaines de violences, ni durant mes trente ans de vie politique.
Vous parlez de la pratique de l'amalgame par les extrêmes. Justement, beaucoup de gens ont eu l'impression que la réponse du gouvernement à la crise des banlieues s'est faite sur la stigmatisation des étrangers. Durcissement des règles du regroupement familial, des mariages mixtes, du droit d'asile, dénonciation de la polygamie.
Cela ne relève-t-il pas aussi de l'amalgame ?
Ce dont vous parlez, ce sont des déclarations qui, en ce qui me concerne, ont été faites bien avant les événements de banlieue. En aucun cas après. Je n'ai par ailleurs jamais parlé de la polygamie dans le cadre de ces événements. Je ne suis pas de ceux qui font le moindre amalgame entre les étrangers et les émeutes. Sur la question de l'expulsion des étrangers pris en flagrant délit de violences urbaines, ce n'est pas moi qui ai inventé la loi qui le permet. Et mon devoir c'est d'appliquer la loi.
Sur l'expulsion des étrangers, justement, est-ce que vous ne remettez pas en selle la double peine ?
Au contraire. J'ai fait voter la suppression de la double peine : 700 étrangers y ont échappé depuis. En l'occurrence, ce ne serait pas la double peine, mais ce serait la peine unique ! Soyons précis. Mais pourquoi ai-je évoqué à l'Assemblée nationale ma volonté d'appliquer la loi ? C'était pour mettre en garde les ressortissants étrangers contre une participation aux émeutes.
Sachant que très peu d'étrangers sont finalement concernés par cette menace, sur des centaines de personnes ayant participé à ces violences, n'est-ce pas une pratique de l'amalgame ?
Quand j'ai dit que je demanderais l'expulsion des imams qui font des prêches violents depuis le 1er janvier, on en a expulsé 21 ou 22 , cela ne veut pas dire que tous les imams font des prêches violents. De la même façon que le mot «racaille» ne visait pas tous les habitants de banlieue, mais seulement les voyous. Quand on a fait des sondages pour voir comment les habitants des banlieues avaient perçu ma manière de gérer la crise, ils pensaient exactement la même chose que moi. On a le droit de dire que la polygamie est interdite en France sans stigmatiser les étrangers. Votre comportement est un comportement d'ayatollah. Je parle de cette pensée unique qui conduit un certain nombre de gens à l'exaspération. Mais le débat, ce n'est pas cela. Vous, vous pouvez vous complaire dans des alliances avec le Parti communiste, avec l'extrême gauche, donner la parole à tous les extrémistes de la création. Ça, c'est bien, puisque c'est la pensée unique ! On ne peut plus rien dire dans notre pays sans qu'immédiatement on soit accusé d'arrière-pensées nauséabondes ! C'est la pensée unique qui est intolérable. Et je pense que c'est vous qui êtes coupés des réalités et de l'aspiration des gens. En interdisant aux républicains de parler librement, vous faites en vérité le lit du Front national.
On ne vous interdit pas de parler, vous avez sans arrêt la parole...
Vous êtes sectaires ! C'est d'ailleurs une partie de vos problèmes que ce décalage total entre le côté systématique de votre pensée et l'aspiration du plus grand nombre. Si j'ai des bons sondages, si les gens se reconnaissent dans la façon dont j'ai géré les banlieues, ce serait donc parce que le peuple est stupide ? Vous, vous avez toujours raison et c'est le peuple qui se trompe ? C'est formidable : ou bien les Français ne me suivent pas, et dans ce cas-là j'ai tort, ou bien ils me suivent, et dans ce cas-là ce sont les Français qui ont tort. Mais vous, vous avez toujours raison. C'est exceptionnel ! Vous ne doutez donc jamais ?
Et ne faites-vous pas un amalgame quand vous annoncez, dès le début des événements en banlieue, qu'il s'agit de bandes qui manipulent, alors que par la suite le rapport des RG va dire le contraire ?
Je confirme les chiffres : 70 % des gens qui ont été arrêtés avaient un passé délictuel. La preuve : comment voulez-vous qu'il y ait eu 800 condamnations à de la prison ferme s'il s'était agi de primodélinquants ? Les deux tiers des émeutiers étaient des multiréitérants (connus de la police, ndlr). La preuve, c'est qu'on ne va pas en prison quand on incendie une voiture pour la première fois ou qu'on jette des pierres sur les forces de l'ordre.
Les chiffres de la justice disent le contraire...
Les deux tiers des personnes interpellées étaient connues des services de police. Ce n'est pas parce qu'une personne n'est pas condamnée qu'elle n'a pas commis d'infraction.
Le Pen vous décerne des brevets de bonne pratique, et Lilian Thuram déclare : «Le discours de Sarkozy est dangereux, car il réveille le racisme latent qui sommeille chez les gens.» Cela ne vous trouble pas ?
Arrêtez de citer Le Pen comme référence unique. Et vous, vous n'êtes pas troublés d'avoir dénoncé pendant vingt-cinq ans une réalité que vous n'avez cessé d'exalter et d'exciter ?
Vous parlez de Lilian Thuram ?
Non, de vous, Libération ! Quant à Thuram, je le plains de pouvoir être si caricatural. C'est un grand footballeur, ce n'est pas encore un maître à penser... Est-ce que vous n'êtes pas troublés que ces véhémentes dénonciations du FN n'ont abouti qu'à une seule chose : à enfler le phénomène du FN ? Est-ce que vous n'êtes pas troublés que la pensée unique dont vous êtes vous, comme d'autres, les porteurs, n'a conduit qu'à pousser à la désespérance un certain nombre de gens qui n'ont rien à voir avec le FN ? Est-ce que vous expliquez comment l'extrême droite a pu passer de 3 % au début des années 80 à 25 % sous François Mitterrand ? Est-ce que vous ne pensez pas qu'il convient que, les uns et les autres, on se remette en question dans notre façon de parler, de faire de la politique et de répondre aux angoisses des gens ? Ces questions, est-ce que vous ne vous les posez pas ? Est-ce que vous ne pensez pas, vous, qui perdez des lecteurs, qu'il y a un décalage entre la réalité et ce que vous écrivez ? Car qui sont les électeurs du FN ? Il y a sans doute une petite partie d'authentiques fascistes ou racistes, mais l'immense majorité, ce sont des gens qui poussent un cri d'appel au secours. Ils ont peur, ils se sentent abandonnés. Parce que nous, journalistes et politiques, nous leur donnons le sentiment de ne pas parler pour eux. Le fait que je sois entendu de tous ces gens devrait plutôt vous réjouir. On n'a pas le droit de considérer que les 20 % de gens qui ont voté pour Le Pen sont à tout jamais perdus pour la République.
Donc, vous pensez être un rempart essentiel contre la montée du FN ?
Exactement. Quant à monsieur Thuram, s'il pensait que j'étais si proche du FN, il ne serait pas venu discuter avec moi pendant une heure.
A sa sortie, il a quand même déclaré que votre discours réveillait le racisme latent qui sommeille chez les gens.
Monsieur Thuram, ça fait bien longtemps qu'il n'a pas été dans les banlieues. Il vit en Italie, avec un salaire qui le regarde. Permettez-moi de vous dire que je considère que je connais un peu mieux ce qui se passe dans les banlieues françaises que Lilian Thuram, qui a certainement une vision nostalgique de ce qui se passait dans les banlieues à l'époque où il s'y trouvait.
Vous dites la même chose de Jamel Debbouze ou de Joey Starr, ces stars issues de l'immigration qui invitent aujourd'hui les jeunes à voter en 2007 ?
Je ne peux que me réjouir qu'ils appellent les jeunes à voter, car voter c'est participer à la vie de notre pays. Je suis moi-même allé plus de 40 fois dans les quartiers difficiles en tant que ministre de l'Intérieur, justement pour faire en sorte que ces quartiers soient mieux intégrés à la vie de notre pays. Mais je ne reconnais aucun titre à Joey Starr, compte tenu de son passé, ni à Jamel Debbouze de me donner des leçons de droits de l'homme ou de respect des autres. Nous pouvons comparer nos bilans.
Vous pouvez donc nous annoncer que le score de Le Pen sera en très nette baisse en 2007 ?
Je ne sais pas, je ne lis pas dans le marc de café. Ce que je peux dire, c'est que, sur les dix élections législatives partielles et les quelque 200 cantonales partielles, le FN a perdu en moyenne entre 30 et 40 % de ses suffrages.
Que répondez-vous à l'évêque d'Arras qui se plaint des poursuites contre les associations qui aident les migrants à Sangatte ?
Ecoutez, dans le Calaisis, il y avait 3 000 personnes dans un hangar. Peu de ministres sont allés autant que moi dans le Calaisis. On ne peut pas dire que je ne m'en suis pas occupé. J'ai fermé Sangatte, j'ai divisé par dix le nombre de migrants, j'ai multiplié par deux le nombre de places dans les centres d'hébergement. N'oubliez pas que les migrants du Calaisis ne souhaitent pas rester chez nous. Ils ne demandent pas l'asile. Ils veulent aller au Royaume-Uni. C'est vrai que j'ai aussi augmenté le nombre de places de rétention pour les reconduire dans leur pays.
Quelle horreur ! Et que pensez-vous des déclarations du commissaire aux Droits de l'homme du Conseil de l'Europe, à propos du dépôt des étrangers de Paris : «De ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n'ai vu un centre pire que celui-là» ?
Je l'ai reçu.
Mais qu'avez-vous fait pour le centre ?
Des travaux de construction d'un nouveau centre sont engagés. L'actuel sera fermé avant l'été.
Vous n'avez pas sanctionné les propos homophobes du député UMP Christian Vanneste. Est-ce une position tolérée au sein de votre parti ?
Ces propos, je les ai dénoncés fermement en conférence de presse. J'ai trente ans de vie politique derrière moi. On ne peut me reprocher aucune déclaration qui ne soit pas conforme aux valeurs de la République. C'est moi le premier qui ai regretté l'attitude de la droite face au Pacs et qui ai fait voter un statut fiscal pour les pacsés.
Mais ce député, comme un autre qui a proposé de déchoir les émeutiers de leur nationalité, reste dans votre parti...
Oui, bien sûr, et alors ? A l'UMP, c'est comme à Libération, il n'y a pas de ligne obligatoire.
Donc, il n'y a pas de ligne à l'UMP ?
Il y a une ligne à l'UMP pour les principaux sujets. Pour le reste, je peux défendre le droit de vote pour les immigrés sans être majoritaire. C'est même ce que Libération avait retenu en titrant : «Sarkozy giflé par les siens».
Vous n'êtes toujours pas favorable à ce qu'on revienne sur la loi qui demande aux manuels scolaires de reconnaître le «rôle positif» de la colonisation ?
Je suis favorable à ce qu'on trouve une solution pour sortir de cette crise, car l'émotion créée dans les départements d'outre-mer est réelle. Je ne suis pas pour autant favorable à un exercice de repentance systématique. Je crois qu'il faut expliquer que l'article 4 ne s'adressait pas aux départements d'outre-mer, au sens où on les entend aujourd'hui, mais s'adressait à la France d'outre-mer (l'ensemble de l'ancien empire colonial, ndlr). Une nouvelle rédaction pourrait lever les malentendus sur ce point. Nous pouvons par ailleurs être fiers qu'en 2001 l'Assemblée nationale ait qualifié l'esclavage de crime contre l'humanité. Quant à la date de commémoration de l'abolition de l'esclavage, j'ai eu l'occasion d'évoquer celle du 10 mai. D'autres pensent que celle du 23 mai pourrait aussi être envisagée. Le débat est ouvert. Je suis attentif et prêt à me rallier à la date qui fera le plus consensus.
Vous ne craignez pas d'avoir les jeunes contre vous en 2007 ?
Les jeunes ont deux aspirations : trouver un travail et réussir leur vie. Ils veulent que la France change à l'unisson du monde qui bouge. Je veux porter une énergie nouvelle au service de ce changement. Nombreux sont les jeunes qui l'ont compris et nous rejoignent. Si j'en juge par l'accueil qu'ils ont réservé aux stars du show biz, ils ne sont pas décidés à être récupérés. Ils veulent qu'on les respecte. C'est très exactement ce que je veux faire.
Vous pensez comme Eric Raoult que Clichy-sous-Bois «fait honte à notre pays» ?
Non.
Votre image s'est droitisée alors qu'un candidat à la présidentielle doit rassembler. Cela vous rend pessimiste pour la suite ?
Je ne vois ni dérive, ni droitisation, mais des Français de droite comme de gauche qui veulent que les valeurs du travail, du respect, de l'autorité, de la justice et de l'humanité soient davantage mises en avant. Ce sont les valeurs que je défends. Elles sont celles de tous les Français.
«Je connais mieux ce qui se passe en banlieue que Thuram»
Au terme d'une année mouvementée qui le voit caricaturé en Le Pen sur les murs de Paris, Nicolas Sarkozy s'explique dans Libération. Entretien musclé.
Que pensez-vous de l'affiche d'Act Up sur les murs de Paris qui reproduit une photo de vous avec le slogan «Votez Le Pen» ?
Cette affiche est directement inspirée des méthodes du Front national. Cela porte un nom : l'amalgame. On ne dénonce pas l'extrémisme en étant soi-même extrémiste et en cédant à la pratique systématique de l'amalgame. Voilà ce que je dis aux dirigeants d'Act Up.
Donc l'extrémiste, c'est vous ?
Ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Je ne pense pas que l'on ait le droit de s'opposer avec des méthodes pareilles. Pour ma part, je ne me mets pas dans le camp des extrêmes. Jamais personne ne m'y a mis, d'ailleurs.
Est-ce que vous n'avez pas parfois honte de votre manière de réagir aux événements sans aucun recul, et parfois sans beaucoup de réflexion ?
Est-ce une question ou une déclaration militante ? Venant d'un journal dont le manque de recul est une caractéristique, je pourrais prendre votre question comme un hommage ! Pour le reste, je suis un républicain scrupuleux, sans doute moins sectaire que vous.
Vous êtes ministre, pas journaliste...
Le fait d'être ministre ne vous disqualifie pas en tant qu'être humain. Comment pouvez-vous dire une chose aussi outrancière ? Alors que j'ai été le ministre de l'Intérieur qui a connu vingt-cinq nuits d'émeutes et que, à la différence de tous les pays qui ont connu ça, il n'y a eu ni morts ni blessés graves. Et que tout le monde, y compris votre journal, a noté la maîtrise des forces de l'ordre. Je ne crois pas qu'on puisse croire que les forces de l'ordre aient pu être maîtrisées par un ministre qui ne serait pas maître de lui-même. Il y aurait contradiction. Depuis quatre ans, j'ai porté des débats qui, dans nombre de cas, étaient en opposition frontale avec les thèses du Front national. Le FN, par exemple, se bat sur le thème de l'immigration zéro. Je n'ai jamais défendu cette thèse. J'ai défendu les quotas d'immigrés, c'est-à-dire une immigration positive. Je suis l'homme politique en France qui s'est le plus battu pour la discrimination positive. C'est une idée nouvelle qui est exactement le contraire de l'idéologie véhiculée non seulement par l'extrême droite, mais aussi par une partie de la droite. Troisièmement, j'ai écrit dès 2001, dans mon livre Libre, que j'étais favorable au vote des étrangers aux municipales. Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen soit d'accord pour donner le droit de vote aux immigrés. Quatrième élément : j'ai été celui qui a porté la question de l'islam en France. J'ai dit que l'islam était une grande religion de France, qu'elle devait être représentée dans le cadre des institutions de la République, et que, si les musulmans pratiquants n'étaient pas au-dessus des lois, ils n'étaient pas non plus au-dessous. J'ai d'ailleurs été attaqué violemment sur ce sujet par Villiers et Le Pen. Cinquième élément: je suis le ministre de l'Intérieur qui a fait voter la suppression de la double peine à l'unanimité. Sixième élément : pour les lycéens dont les parents n'ont pas de papiers, j'ai pris la décision lourde d'arrêter les expulsions durant l'année scolaire ; sur toutes ces questions, j'ai exprimé un diagnostic et une vision de notre société. Et vous osez dire que je devrais avoir honte ? C'est vous qui devriez avoir honte de poser une question aussi contraire à l'objectivité la plus élémentaire.
Tout cela, personne ne vous le conteste. Mais quand vous parlez de «racaille» en vous rendant à Argenteuil, n'est-ce pas une réaction qui manque de recul ?
L'émission Arrêt sur images de Daniel Schneidermann a démontré les choses. Quand j'arrive à Argenteuil, c'est une personne qui me dit depuis le premier étage, une personne maghrébine par ailleurs : «M. Sarkozy, débarrassez-nous de ces racailles, on n'en peut plus, on a peur.» Et je réponds : «Oui, madame, faites-moi confiance, on va vous débarrasser de ces racailles», visant les gens qui lançaient des tessons de bouteille et autres projectiles. Je ne vois rien qui soit si peu que ce soit antirépublicain dans ce que j'ai fait durant ces trois semaines de violences, ni durant mes trente ans de vie politique.
Vous parlez de la pratique de l'amalgame par les extrêmes. Justement, beaucoup de gens ont eu l'impression que la réponse du gouvernement à la crise des banlieues s'est faite sur la stigmatisation des étrangers. Durcissement des règles du regroupement familial, des mariages mixtes, du droit d'asile, dénonciation de la polygamie.
Cela ne relève-t-il pas aussi de l'amalgame ?
Ce dont vous parlez, ce sont des déclarations qui, en ce qui me concerne, ont été faites bien avant les événements de banlieue. En aucun cas après. Je n'ai par ailleurs jamais parlé de la polygamie dans le cadre de ces événements. Je ne suis pas de ceux qui font le moindre amalgame entre les étrangers et les émeutes. Sur la question de l'expulsion des étrangers pris en flagrant délit de violences urbaines, ce n'est pas moi qui ai inventé la loi qui le permet. Et mon devoir c'est d'appliquer la loi.
Sur l'expulsion des étrangers, justement, est-ce que vous ne remettez pas en selle la double peine ?
Au contraire. J'ai fait voter la suppression de la double peine : 700 étrangers y ont échappé depuis. En l'occurrence, ce ne serait pas la double peine, mais ce serait la peine unique ! Soyons précis. Mais pourquoi ai-je évoqué à l'Assemblée nationale ma volonté d'appliquer la loi ? C'était pour mettre en garde les ressortissants étrangers contre une participation aux émeutes.
Sachant que très peu d'étrangers sont finalement concernés par cette menace, sur des centaines de personnes ayant participé à ces violences, n'est-ce pas une pratique de l'amalgame ?
Quand j'ai dit que je demanderais l'expulsion des imams qui font des prêches violents depuis le 1er janvier, on en a expulsé 21 ou 22 , cela ne veut pas dire que tous les imams font des prêches violents. De la même façon que le mot «racaille» ne visait pas tous les habitants de banlieue, mais seulement les voyous. Quand on a fait des sondages pour voir comment les habitants des banlieues avaient perçu ma manière de gérer la crise, ils pensaient exactement la même chose que moi. On a le droit de dire que la polygamie est interdite en France sans stigmatiser les étrangers. Votre comportement est un comportement d'ayatollah. Je parle de cette pensée unique qui conduit un certain nombre de gens à l'exaspération. Mais le débat, ce n'est pas cela. Vous, vous pouvez vous complaire dans des alliances avec le Parti communiste, avec l'extrême gauche, donner la parole à tous les extrémistes de la création. Ça, c'est bien, puisque c'est la pensée unique ! On ne peut plus rien dire dans notre pays sans qu'immédiatement on soit accusé d'arrière-pensées nauséabondes ! C'est la pensée unique qui est intolérable. Et je pense que c'est vous qui êtes coupés des réalités et de l'aspiration des gens. En interdisant aux républicains de parler librement, vous faites en vérité le lit du Front national.
On ne vous interdit pas de parler, vous avez sans arrêt la parole...
Vous êtes sectaires ! C'est d'ailleurs une partie de vos problèmes que ce décalage total entre le côté systématique de votre pensée et l'aspiration du plus grand nombre. Si j'ai des bons sondages, si les gens se reconnaissent dans la façon dont j'ai géré les banlieues, ce serait donc parce que le peuple est stupide ? Vous, vous avez toujours raison et c'est le peuple qui se trompe ? C'est formidable : ou bien les Français ne me suivent pas, et dans ce cas-là j'ai tort, ou bien ils me suivent, et dans ce cas-là ce sont les Français qui ont tort. Mais vous, vous avez toujours raison. C'est exceptionnel ! Vous ne doutez donc jamais ?
Et ne faites-vous pas un amalgame quand vous annoncez, dès le début des événements en banlieue, qu'il s'agit de bandes qui manipulent, alors que par la suite le rapport des RG va dire le contraire ?
Je confirme les chiffres : 70 % des gens qui ont été arrêtés avaient un passé délictuel. La preuve : comment voulez-vous qu'il y ait eu 800 condamnations à de la prison ferme s'il s'était agi de primodélinquants ? Les deux tiers des émeutiers étaient des multiréitérants (connus de la police, ndlr). La preuve, c'est qu'on ne va pas en prison quand on incendie une voiture pour la première fois ou qu'on jette des pierres sur les forces de l'ordre.
Les chiffres de la justice disent le contraire...
Les deux tiers des personnes interpellées étaient connues des services de police. Ce n'est pas parce qu'une personne n'est pas condamnée qu'elle n'a pas commis d'infraction.
Le Pen vous décerne des brevets de bonne pratique, et Lilian Thuram déclare : «Le discours de Sarkozy est dangereux, car il réveille le racisme latent qui sommeille chez les gens.» Cela ne vous trouble pas ?
Arrêtez de citer Le Pen comme référence unique. Et vous, vous n'êtes pas troublés d'avoir dénoncé pendant vingt-cinq ans une réalité que vous n'avez cessé d'exalter et d'exciter ?
Vous parlez de Lilian Thuram ?
Non, de vous, Libération ! Quant à Thuram, je le plains de pouvoir être si caricatural. C'est un grand footballeur, ce n'est pas encore un maître à penser... Est-ce que vous n'êtes pas troublés que ces véhémentes dénonciations du FN n'ont abouti qu'à une seule chose : à enfler le phénomène du FN ? Est-ce que vous n'êtes pas troublés que la pensée unique dont vous êtes vous, comme d'autres, les porteurs, n'a conduit qu'à pousser à la désespérance un certain nombre de gens qui n'ont rien à voir avec le FN ? Est-ce que vous expliquez comment l'extrême droite a pu passer de 3 % au début des années 80 à 25 % sous François Mitterrand ? Est-ce que vous ne pensez pas qu'il convient que, les uns et les autres, on se remette en question dans notre façon de parler, de faire de la politique et de répondre aux angoisses des gens ? Ces questions, est-ce que vous ne vous les posez pas ? Est-ce que vous ne pensez pas, vous, qui perdez des lecteurs, qu'il y a un décalage entre la réalité et ce que vous écrivez ? Car qui sont les électeurs du FN ? Il y a sans doute une petite partie d'authentiques fascistes ou racistes, mais l'immense majorité, ce sont des gens qui poussent un cri d'appel au secours. Ils ont peur, ils se sentent abandonnés. Parce que nous, journalistes et politiques, nous leur donnons le sentiment de ne pas parler pour eux. Le fait que je sois entendu de tous ces gens devrait plutôt vous réjouir. On n'a pas le droit de considérer que les 20 % de gens qui ont voté pour Le Pen sont à tout jamais perdus pour la République.
Donc, vous pensez être un rempart essentiel contre la montée du FN ?
Exactement. Quant à monsieur Thuram, s'il pensait que j'étais si proche du FN, il ne serait pas venu discuter avec moi pendant une heure.
A sa sortie, il a quand même déclaré que votre discours réveillait le racisme latent qui sommeille chez les gens.
Monsieur Thuram, ça fait bien longtemps qu'il n'a pas été dans les banlieues. Il vit en Italie, avec un salaire qui le regarde. Permettez-moi de vous dire que je considère que je connais un peu mieux ce qui se passe dans les banlieues françaises que Lilian Thuram, qui a certainement une vision nostalgique de ce qui se passait dans les banlieues à l'époque où il s'y trouvait.
Vous dites la même chose de Jamel Debbouze ou de Joey Starr, ces stars issues de l'immigration qui invitent aujourd'hui les jeunes à voter en 2007 ?
Je ne peux que me réjouir qu'ils appellent les jeunes à voter, car voter c'est participer à la vie de notre pays. Je suis moi-même allé plus de 40 fois dans les quartiers difficiles en tant que ministre de l'Intérieur, justement pour faire en sorte que ces quartiers soient mieux intégrés à la vie de notre pays. Mais je ne reconnais aucun titre à Joey Starr, compte tenu de son passé, ni à Jamel Debbouze de me donner des leçons de droits de l'homme ou de respect des autres. Nous pouvons comparer nos bilans.
Vous pouvez donc nous annoncer que le score de Le Pen sera en très nette baisse en 2007 ?
Je ne sais pas, je ne lis pas dans le marc de café. Ce que je peux dire, c'est que, sur les dix élections législatives partielles et les quelque 200 cantonales partielles, le FN a perdu en moyenne entre 30 et 40 % de ses suffrages.
Que répondez-vous à l'évêque d'Arras qui se plaint des poursuites contre les associations qui aident les migrants à Sangatte ?
Ecoutez, dans le Calaisis, il y avait 3 000 personnes dans un hangar. Peu de ministres sont allés autant que moi dans le Calaisis. On ne peut pas dire que je ne m'en suis pas occupé. J'ai fermé Sangatte, j'ai divisé par dix le nombre de migrants, j'ai multiplié par deux le nombre de places dans les centres d'hébergement. N'oubliez pas que les migrants du Calaisis ne souhaitent pas rester chez nous. Ils ne demandent pas l'asile. Ils veulent aller au Royaume-Uni. C'est vrai que j'ai aussi augmenté le nombre de places de rétention pour les reconduire dans leur pays.
Quelle horreur ! Et que pensez-vous des déclarations du commissaire aux Droits de l'homme du Conseil de l'Europe, à propos du dépôt des étrangers de Paris : «De ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n'ai vu un centre pire que celui-là» ?
Je l'ai reçu.
Mais qu'avez-vous fait pour le centre ?
Des travaux de construction d'un nouveau centre sont engagés. L'actuel sera fermé avant l'été.
Vous n'avez pas sanctionné les propos homophobes du député UMP Christian Vanneste. Est-ce une position tolérée au sein de votre parti ?
Ces propos, je les ai dénoncés fermement en conférence de presse. J'ai trente ans de vie politique derrière moi. On ne peut me reprocher aucune déclaration qui ne soit pas conforme aux valeurs de la République. C'est moi le premier qui ai regretté l'attitude de la droite face au Pacs et qui ai fait voter un statut fiscal pour les pacsés.
Mais ce député, comme un autre qui a proposé de déchoir les émeutiers de leur nationalité, reste dans votre parti...
Oui, bien sûr, et alors ? A l'UMP, c'est comme à Libération, il n'y a pas de ligne obligatoire.
Donc, il n'y a pas de ligne à l'UMP ?
Il y a une ligne à l'UMP pour les principaux sujets. Pour le reste, je peux défendre le droit de vote pour les immigrés sans être majoritaire. C'est même ce que Libération avait retenu en titrant : «Sarkozy giflé par les siens».
Vous n'êtes toujours pas favorable à ce qu'on revienne sur la loi qui demande aux manuels scolaires de reconnaître le «rôle positif» de la colonisation ?
Je suis favorable à ce qu'on trouve une solution pour sortir de cette crise, car l'émotion créée dans les départements d'outre-mer est réelle. Je ne suis pas pour autant favorable à un exercice de repentance systématique. Je crois qu'il faut expliquer que l'article 4 ne s'adressait pas aux départements d'outre-mer, au sens où on les entend aujourd'hui, mais s'adressait à la France d'outre-mer (l'ensemble de l'ancien empire colonial, ndlr). Une nouvelle rédaction pourrait lever les malentendus sur ce point. Nous pouvons par ailleurs être fiers qu'en 2001 l'Assemblée nationale ait qualifié l'esclavage de crime contre l'humanité. Quant à la date de commémoration de l'abolition de l'esclavage, j'ai eu l'occasion d'évoquer celle du 10 mai. D'autres pensent que celle du 23 mai pourrait aussi être envisagée. Le débat est ouvert. Je suis attentif et prêt à me rallier à la date qui fera le plus consensus.
Vous ne craignez pas d'avoir les jeunes contre vous en 2007 ?
Les jeunes ont deux aspirations : trouver un travail et réussir leur vie. Ils veulent que la France change à l'unisson du monde qui bouge. Je veux porter une énergie nouvelle au service de ce changement. Nombreux sont les jeunes qui l'ont compris et nous rejoignent. Si j'en juge par l'accueil qu'ils ont réservé aux stars du show biz, ils ne sont pas décidés à être récupérés. Ils veulent qu'on les respecte. C'est très exactement ce que je veux faire.
Vous pensez comme Eric Raoult que Clichy-sous-Bois «fait honte à notre pays» ?
Non.
Votre image s'est droitisée alors qu'un candidat à la présidentielle doit rassembler. Cela vous rend pessimiste pour la suite ?
Je ne vois ni dérive, ni droitisation, mais des Français de droite comme de gauche qui veulent que les valeurs du travail, du respect, de l'autorité, de la justice et de l'humanité soient davantage mises en avant. Ce sont les valeurs que je défends. Elles sont celles de tous les Français.
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