126 - POLEMIQUE MARIANNE , L'HUMA ET MELANCHON DEFENDENT HUGO CHAVEZ
Après la polémique autour d'un dérapage du président vénézuélien, «Libération» répond.
Retour sur un discours d'Hugo Chavez
QUOTIDIEN : vendredi 20 janvier 2006
Pierre Haski directeur adjoint de la rédaction à Libération.
«Faux», «manipulation», «désinformation»... Les accusations les plus violentes pleuvent depuis que Libération s'est fait l'écho, le 9 janvier, d'une déclaration du président vénézuélien Hugo Chavez, datant du 24 décembre, interprétée dans nos colonnes comme un dérapage antisémite (1). La violence de la campagne que cet article a déclenchée, et la qualité de certains de nos détracteurs, qu'il s'agisse du sénateur socialiste Jean-Luc Mélenchon qui s'en prend avec virulence à Libération sur son blog, ou de Marianne qui nous accuse tout simplement d'avoir commis un «faux», appellent une remise à plat de cette «affaire».
De quoi s'agit-il ? Aurions-nous fabriqué un faux document qui n'existerait pas en réalité ? Le discours de Hugo Chavez auquel se référait l'article de Libération existe bel et bien, et peut être consulté sur le site Internet du ministère vénézuélien de la Communication et de l'Information, comme le précisait, dès son premier article, notre journaliste Jean-Hébert Armengaud. Drôle de «faussaire» qui fournirait les moyens d'être débusqué ! Aurions-nous inventé des mots que Chavez n'aurait pas prononcés ? Il suffit de se référer au texte du discours en espagnol pour constater que pas un mot n'a été mis dans sa bouche qu'il n'aurait pas prononcé, en particulier la référence aux «descendants de ceux qui ont crucifié le Christ».
Les passages de la longue phrase intégrale qui en ont été retirés l'ont été signalés par la formule classique des trois points de suspension entre parenthèses : là encore une drôle de précaution pour un prétendu «faussaire». Convenons néanmoins qu'il aurait été préférable de publier la citation dans son intégralité. Ecartons également l'erreur de traduction qui a été avancée, et qui n'a pas tenu la route très longtemps. Plus grand monde ne conteste que le chef de l'Etat vénézuélien a prononcé les paroles incriminées. Reste donc un problème d'interprétation : le Centre Simon Wiesenthal de Buenos Aires, qui porte le nom du célèbre «chasseur de nazis», a, le premier, tiré la sonnette d'alarme face à un propos reprenant, faisait-il observer, «deux arguments centraux de l'antisémitisme».
Depuis, la polémique fait rage, mêlant les explications de texte et les postures idéologiques. Rappelons d'abord les propos qui fâchent. La cohabitation dans la même phrase de la référence aux «descendants de ceux qui ont crucifié le Christ» et à ceux qui se sont emparés des «richesses du monde» a tout de la vulgate antisémite classique, celle en particulier de cet antisémitisme chrétien ancien, auquel le concile de Vatican II a mis fin en 1962, bâti sur le thème du «peuple déicide». Le président vénézuélien ne cite jamais explicitement les juifs, mais ceux qui, en France, exonèrent Hugo Chavez en faisant valoir que le Christ a été crucifié par les Romains (dans ce cas, visait-il les Italiens d'aujourd'hui ?...) feignent d'ignorer la connotation historique extrêmement lourde de la formule. C'est cet usage d'un vocabulaire connoté qui a inquiété le Centre Wiesenthal ; c'est ce qu'a relevé notre journaliste, Jean-Hébert Armengaud, en le rapprochant d'éléments de contexte tout aussi préoccupants, comme l'ancien conseiller négationniste de Chavez, Norberto Ceresole, auteur d'un essai préfacé par Roger Garaudy, les inquiétudes d'une partie de la communauté juive locale, très divisée, et l'invitation lancée par Caracas au président iranien malgré son appel à «rayer Israël de la carte».
De fait, même si l'interprétation «anti-impérialiste» de cette phrase était la bonne, comme le soutiennent sans sourciller les défenseurs du président Chavez en France, sa formulation est tellement identique au vieil antisémitisme chrétien qu'elle suffirait à se poser la question de savoir s'il s'agit d'une confusion de langage ou d'un message délibéré. Un dérapage de langage ne suffit sans doute pas à faire un «credo antisémite», comme l'affirmait brutalement le titre du premier article de Libération, un titre plus affirmatif et plus catégorique que l'article dont on rappellera qu'il commence ainsi : «Antinéolibéral, anti-impérialiste... et antisémite ?»
Le point d'interrogation a son importance. Mais l'interrogation journalistique sur les propos d'un chef d'Etat comme Hugo Chavez est légitime et nécessaire. La violence de la réaction des partisans du président Chavez en France a de quoi inquiéter. Surtout lorsqu'elle est le fait de responsables politiques comme le sénateur Mélenchon que rien ne semble déranger, ni les menaces sur les libertés au Venezuela, largement recensées par les défenseurs des droits de l'homme, ni les amitiés iraniennes de Caracas, ni par ailleurs, les approximations et contre-vérités sur Libération et ses collaborateurs.
Avec bien plus de mesure, le Venezuela a également allumé les contre-feux, à Paris ou à Washington, notamment pour rassurer les communautés juives. «Je ne sais pas si le président Chavez se référait aux juifs quand il parlait de ceux qui ont crucifié le Christ et on ne saura jamais comment interpréter ses propos, a déclaré Dina Siegel Vann, directrice de l'Institut d'Amérique latine à l'American Jewish Committee, jointe par téléphone par notre journaliste Annette Lévy-Willard. Mais il a pris la peine de s'exprimer publiquement et d'affirmer qu'il ne visait pas les juifs. Alors on lui fait crédit. Il ne faut pas brandir l'antisémitisme à tort et à travers.»
Le moins que l'on puisse dire est que la déclaration de Chavez méritait clarification, ce que le président vénézuélien lui-même a fait en démentant tout antisémitisme, une mise au point salutaire dont Libération s'est fait l'écho, ne faisant, là encore, que son travail d'information.
(1) «Le monde a assez de richesses pour tous, donc, mais il se trouve que des minorités, les descendants de ceux qui crucifièrent le Christ, les descendants de ceux mêmes qui chassèrent Bolivar d'ici et aussi le crucifièrent à leur manière à Santa Marta, en Colombie. Une minorité s'est appropriée l'or de la planète, son argent, ses minerais, ses eaux, ses terres fertiles, son pétrole, ses richesses, je disais donc, et ils ont concentré les richesses en peu de mains... plus de la moitié des habitants de la planète sont pauvres et il y a de plus en plus de pauvres dans le monde entier.»
Retour sur un discours d'Hugo Chavez
QUOTIDIEN : vendredi 20 janvier 2006
Pierre Haski directeur adjoint de la rédaction à Libération.
«Faux», «manipulation», «désinformation»... Les accusations les plus violentes pleuvent depuis que Libération s'est fait l'écho, le 9 janvier, d'une déclaration du président vénézuélien Hugo Chavez, datant du 24 décembre, interprétée dans nos colonnes comme un dérapage antisémite (1). La violence de la campagne que cet article a déclenchée, et la qualité de certains de nos détracteurs, qu'il s'agisse du sénateur socialiste Jean-Luc Mélenchon qui s'en prend avec virulence à Libération sur son blog, ou de Marianne qui nous accuse tout simplement d'avoir commis un «faux», appellent une remise à plat de cette «affaire».
De quoi s'agit-il ? Aurions-nous fabriqué un faux document qui n'existerait pas en réalité ? Le discours de Hugo Chavez auquel se référait l'article de Libération existe bel et bien, et peut être consulté sur le site Internet du ministère vénézuélien de la Communication et de l'Information, comme le précisait, dès son premier article, notre journaliste Jean-Hébert Armengaud. Drôle de «faussaire» qui fournirait les moyens d'être débusqué ! Aurions-nous inventé des mots que Chavez n'aurait pas prononcés ? Il suffit de se référer au texte du discours en espagnol pour constater que pas un mot n'a été mis dans sa bouche qu'il n'aurait pas prononcé, en particulier la référence aux «descendants de ceux qui ont crucifié le Christ».
Les passages de la longue phrase intégrale qui en ont été retirés l'ont été signalés par la formule classique des trois points de suspension entre parenthèses : là encore une drôle de précaution pour un prétendu «faussaire». Convenons néanmoins qu'il aurait été préférable de publier la citation dans son intégralité. Ecartons également l'erreur de traduction qui a été avancée, et qui n'a pas tenu la route très longtemps. Plus grand monde ne conteste que le chef de l'Etat vénézuélien a prononcé les paroles incriminées. Reste donc un problème d'interprétation : le Centre Simon Wiesenthal de Buenos Aires, qui porte le nom du célèbre «chasseur de nazis», a, le premier, tiré la sonnette d'alarme face à un propos reprenant, faisait-il observer, «deux arguments centraux de l'antisémitisme».
Depuis, la polémique fait rage, mêlant les explications de texte et les postures idéologiques. Rappelons d'abord les propos qui fâchent. La cohabitation dans la même phrase de la référence aux «descendants de ceux qui ont crucifié le Christ» et à ceux qui se sont emparés des «richesses du monde» a tout de la vulgate antisémite classique, celle en particulier de cet antisémitisme chrétien ancien, auquel le concile de Vatican II a mis fin en 1962, bâti sur le thème du «peuple déicide». Le président vénézuélien ne cite jamais explicitement les juifs, mais ceux qui, en France, exonèrent Hugo Chavez en faisant valoir que le Christ a été crucifié par les Romains (dans ce cas, visait-il les Italiens d'aujourd'hui ?...) feignent d'ignorer la connotation historique extrêmement lourde de la formule. C'est cet usage d'un vocabulaire connoté qui a inquiété le Centre Wiesenthal ; c'est ce qu'a relevé notre journaliste, Jean-Hébert Armengaud, en le rapprochant d'éléments de contexte tout aussi préoccupants, comme l'ancien conseiller négationniste de Chavez, Norberto Ceresole, auteur d'un essai préfacé par Roger Garaudy, les inquiétudes d'une partie de la communauté juive locale, très divisée, et l'invitation lancée par Caracas au président iranien malgré son appel à «rayer Israël de la carte».
De fait, même si l'interprétation «anti-impérialiste» de cette phrase était la bonne, comme le soutiennent sans sourciller les défenseurs du président Chavez en France, sa formulation est tellement identique au vieil antisémitisme chrétien qu'elle suffirait à se poser la question de savoir s'il s'agit d'une confusion de langage ou d'un message délibéré. Un dérapage de langage ne suffit sans doute pas à faire un «credo antisémite», comme l'affirmait brutalement le titre du premier article de Libération, un titre plus affirmatif et plus catégorique que l'article dont on rappellera qu'il commence ainsi : «Antinéolibéral, anti-impérialiste... et antisémite ?»
Le point d'interrogation a son importance. Mais l'interrogation journalistique sur les propos d'un chef d'Etat comme Hugo Chavez est légitime et nécessaire. La violence de la réaction des partisans du président Chavez en France a de quoi inquiéter. Surtout lorsqu'elle est le fait de responsables politiques comme le sénateur Mélenchon que rien ne semble déranger, ni les menaces sur les libertés au Venezuela, largement recensées par les défenseurs des droits de l'homme, ni les amitiés iraniennes de Caracas, ni par ailleurs, les approximations et contre-vérités sur Libération et ses collaborateurs.
Avec bien plus de mesure, le Venezuela a également allumé les contre-feux, à Paris ou à Washington, notamment pour rassurer les communautés juives. «Je ne sais pas si le président Chavez se référait aux juifs quand il parlait de ceux qui ont crucifié le Christ et on ne saura jamais comment interpréter ses propos, a déclaré Dina Siegel Vann, directrice de l'Institut d'Amérique latine à l'American Jewish Committee, jointe par téléphone par notre journaliste Annette Lévy-Willard. Mais il a pris la peine de s'exprimer publiquement et d'affirmer qu'il ne visait pas les juifs. Alors on lui fait crédit. Il ne faut pas brandir l'antisémitisme à tort et à travers.»
Le moins que l'on puisse dire est que la déclaration de Chavez méritait clarification, ce que le président vénézuélien lui-même a fait en démentant tout antisémitisme, une mise au point salutaire dont Libération s'est fait l'écho, ne faisant, là encore, que son travail d'information.
(1) «Le monde a assez de richesses pour tous, donc, mais il se trouve que des minorités, les descendants de ceux qui crucifièrent le Christ, les descendants de ceux mêmes qui chassèrent Bolivar d'ici et aussi le crucifièrent à leur manière à Santa Marta, en Colombie. Une minorité s'est appropriée l'or de la planète, son argent, ses minerais, ses eaux, ses terres fertiles, son pétrole, ses richesses, je disais donc, et ils ont concentré les richesses en peu de mains... plus de la moitié des habitants de la planète sont pauvres et il y a de plus en plus de pauvres dans le monde entier.»
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