Sunday, March 05, 2006

197 - De l'emballement au déni, par Laurent Greilsamer



C'est un emballement à l'envers. Voilà l'un des aspects les plus surprenants dans l'enquête sur le meurtre d'Ilan Halimi et l'arrestation de la "bande des barbares". Après avoir trop souvent crié à contretemps à l'antisémitisme - on se souvient des déclarations émues et hâtives des plus hautes autorités de l'Etat à l'occasion des affabulations de Marie L. prétendant avoir été agressée dans le RER D -, la police, la justice, les associations et les médias ont dans un premier temps minoré ou carrément oublié, selon les cas, la dimension antijuive d'un fait divers exceptionnel à tous égards.

La police a été grandiose. Sachant que la victime, un jeune juif de 23 ans, a été enlevé, séquestré et torturé durant vingt-trois jours par une bande commandée par Youssouf Fofana, jeune musulman de 25 ans ; sachant qu'Ilan Halimi fut finalement abandonné nu, agonisant et menotté ; sachant que le gang des barbares l'avait choisi en raison de ses origines parce qu'un juif, c'est riche, elle a préféré s'en tenir à la version d'un crime strictement crapuleux.


La justice, par la voix du procureur de la République de Paris, a tenu le même discours, opérant un distinguo entre le stéréotype antisémite et le crime antisémite. Comme si l'un ne servait pas de base à l'autre... "Aucun élément ne permet de rattacher ce meurtre à un propos ou une action antisémite", a souligné le procureur lors d'une conférence de presse. Le ministre de l'intérieur a pour sa part innové en évoquant devant l'Assemblée nationale une nouvelle manière de pratiquer le racisme sans le savoir : "l'antisémitisme par de l'amalgame".
Bien sûr, on force le trait. La prudence est nécessaire. Mais pourquoi ne pas rester simple ? Imaginons une seconde un jeune musulman séquestré et torturé par un groupe commandé par un "gaulois", selon la terminologie en vogue. Que dirait-on ? Qu'il s'agit d'un crime raciste. Et l'on aurait raison. Pensons à ces dizaines de milliers de jeunes issus de l'immigration qui perdent tout espoir de trouver du travail en raison de la couleur de leur peau ou de leur patronyme. Que dit-on ? Qu'ils sont victimes du racisme. Et c'est juste.
En n'osant plus utiliser les mots les plus simples, en refusant de nommer, de désigner les personnes pour ce qu'elles sont - Noires, musulmanes, juives, etc. - une partie des élites participe au brouillage général. C'est le règne du politiquement correct. Certains mots brûlent ; on les évite ; on s'étonne presque de les trouver dans le dictionnaire.
A ce rythme, le mot race n'y figurera bientôt plus qu'à titre de curiosité, de butte témoin d'une époque lointaine et barbare... Dans Le Petit Robert, les dernières éditions donnent la définition suivante presque à contrecoeur : " Subdivision de l'espèce humaine d'après des caractères physiques héréditaires. En dépit des recherches sur l'indice céphalique, les groupes sanguins et la génétique, rien ne permet de définir la notion de race, sinon des caractères visibles globaux, relatifs et partiels. La race blanche, la race jaune. Croisement entre races."
La peur des mots est caractéristique d'une volonté d'échapper au réel, de le contourner coûte que coûte. La crise des banlieues, en novembre 2005, est passée par là, sans compter les attentats du 11-Septembre, de Madrid et de Londres. Le multiculturalisme est devenu le grand tabou de la France d'aujourd'hui. C'est la raison du terrible écho rencontré par le meurtre d'Ilan Halimi et du déni, dans un premier temps, de sa composante antisémite. Ce fait divers, devenu fait politique, dévoile une réalité niée et fantasmée. Chaque année, des dizaines de faits divers tout aussi insupportables sont rendus publics. Mais celui-là renvoie très brutalement au nouveau puzzle communautaire français.
LAURENT GREILSAMER
Article paru dans l'édition du 28.02.06

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