Maurice Medioni sort un disque avec le cubain Roberto
World. A 77 ans, il sort un disque avec le Cubain Roberto Rodriguez. L'occasion de le redécouvrir.
Maurice El Médioni, piano pied-noir
par Michel HENRYQUOTIDIEN : lundi 10 avril 2006
A Marseille
Maurice El Médioni meets Roberto Rodriguez. «Descarga Oriental. The New York Sessions». (Piranha).
Maurice El Médioni a fait deux choses dans la vie, vendre des fringues sur la Canebière à Marseille (il a arrêté), et jouer du piano depuis soixante-huit ans (il continue). «Le clavier me connaît, rigole-t-il. Je mets mes mains au service du public.» On prend sa paluche gauche en photo. «Mais on ne verra pas mon visage, alors ?» A une terrasse de café, il raconte sa vie. Ce mois-ci, il est en Israël, avant il revenait d'Angleterre. Maurice a 77 ans, il sort un disque avec Roberto Rodriguez, Cubain de l'East Village new-yorkais. Percussions et cuivres cubains, autour d'un piano venu d'Oran : Juif algérien devenu pied-noir, Maurice marche au mélange. Raï, liturgie juive, jazz, musique tsigane, flamenco, tango, bossa-nova...
«Bonheur». Avec son «pianOriental», on l'a connu derrière Reinette l'Oranaise, voilà qu'il se met au «latinOriental». Affaire montée par Piranha, maison de disques basée à Berlin, dont le patron, Christoph Borkowsky, explique : «On voulait aller ensemble à Cuba. Puis il y a eu le Buena Vista Social Club. On a changé d'optique, pour ne pas faire une pâle copie» Borkowsky a trouvé Roberto Rodriguez, «un autre exilé, comme Maurice, et avec un grand intérêt pour les musiques juives». L'été 2005, ils jouent dix jours en studio à New York. «Si j'avais gagné au loto, je n'aurais pas eu autant de bonheur, assure Maurice. Borkowsky m'a dit : "Il faut étaler tes doigts, tu vaux à 95 % par tes doigts". Le reste, c'est de la garniture.» Le reste, Maurice le chante, dans Oran Oran, sa ville natale, quittée en 1961, jamais revue : «Tu as assisté à ma naissance/Dans le derb j'ai passé mon enfance(...)/ Je n'avais jamais pris de vacances/Je ne connaissais même pas la France (...)/ Oran Oran, je ne t'oublierai pas/Oran oui on se reverra...» Mais quand ? En 1990, il a failli y retourner avec Lili Boniche. Contrats signés, puis voyage annulé : «J'ai une envie folle ! Mais je retourne seulement quand c'est la paix entre nos peuples.» Ça risque d'attendre.
En 2004, Khaled lui a fait sa «plus grande joie depuis quarante ans» en le réunissant, sur un morceau de son disque Ya-Rayi, avec son vieux pote de l'Oran des années 50, le guitariste Blaoui El-Houari. Avant, juifs comme Maurice et musulmans comme Blaoui jouaient ensemble, même s'«il y a toujours eu de l'antisémitisme ; on a toujours été méprisés. Mais on faisait mine de rien».
Son oncle Saoud l'Oranais, maître de la chanson arabo-andalouse, a été pris en 1943 avec son fils dans la rafle du Vieux-Port à Marseille, déporté et gazé à Sobibor. Avant, l'oncle Saoud jouait à Oran, au café Saoud, qu'il tenait avec le père de Maurice. Né en 1928, Maurice a commencé par jouer de l'oud sur une poêle à frire, pour imiter ces soirées au cabaret. A 7 ans, il perd son père, sa mère élève seule les quatre enfants. A 9 ans, son frère lui achète un vieux piano aux puces. A 11 ans, la guerre commence, les Juifs, renvoyés des écoles, vivent «toutes les misères». Le 8 novembre 1942, les Américains débarquent, «tous les Juifs d'Afrique du Nord sont nés à nouveau ce jour-là».
«A l'assaut du piano». Maurice a alors 14 ans, «petit garçon dégourdi», il entre dans les bars américains «à l'assaut du piano. Quand le patron me renvoyait, les soldats américains l'enguirlandaient. J'ai appris leur musique. Boogie-woogie avec les soldats noirs, rumba avec les Portoricains.» A 18 ans, il devient un pro du piano, «latino, variété française». Et le raï frappe à sa porte «musique sexy, les filles aux moeurs légères le cultivaient» ; il l'accompagnera façon rumba, pour «un mélange fabuleux».
«Virus franco-oriental». D'Algérie, Maurice le tailleur se taille, contraint et forcé ; en 1961, essaye Israël, vient à Paris. Au Poussin Bleu, face aux Folies Bergère, il accompagne Lili Labassi, Line Monty ou Blond-Blond. Piano la nuit, confection le jour, le soleil lui manque. En 1967, il s'installe à Marseille, renonce à la musique, vend du costume. Puis Line Monty le fait monter pour ses concerts à Paris. «Elle avait le virus franco-oriental, comme moi, elle disait "Maurice apporte autre chose avec sa main gauche, la culture du boogie-woogie".»
Dans cette carrière à éclipses, il sort son premier disque, Café Oran, en 1996, à 68 ans. Puis il y aura Pianoriental en 2 000, un troisième disque à Tel-Aviv, un quatrième, de liturgie judéo-andalouse. Et le cinquième, pour lequel un critique parle d'«Eddie Palmieri d'Afrique du Nord». Borkowsky, le producteur berlinois, s'interroge : «Pourquoi aucune maison de disque française ne l'a-t-elle signé ? Maurice est un héritage culturel vivant de la France. Mais il reste dans la périphérie, alors qu'il devrait se trouver dans la lumière. C'est un mystère.»
Maurice El Médioni, piano pied-noir
par Michel HENRYQUOTIDIEN : lundi 10 avril 2006
A Marseille
Maurice El Médioni meets Roberto Rodriguez. «Descarga Oriental. The New York Sessions». (Piranha).
Maurice El Médioni a fait deux choses dans la vie, vendre des fringues sur la Canebière à Marseille (il a arrêté), et jouer du piano depuis soixante-huit ans (il continue). «Le clavier me connaît, rigole-t-il. Je mets mes mains au service du public.» On prend sa paluche gauche en photo. «Mais on ne verra pas mon visage, alors ?» A une terrasse de café, il raconte sa vie. Ce mois-ci, il est en Israël, avant il revenait d'Angleterre. Maurice a 77 ans, il sort un disque avec Roberto Rodriguez, Cubain de l'East Village new-yorkais. Percussions et cuivres cubains, autour d'un piano venu d'Oran : Juif algérien devenu pied-noir, Maurice marche au mélange. Raï, liturgie juive, jazz, musique tsigane, flamenco, tango, bossa-nova...
«Bonheur». Avec son «pianOriental», on l'a connu derrière Reinette l'Oranaise, voilà qu'il se met au «latinOriental». Affaire montée par Piranha, maison de disques basée à Berlin, dont le patron, Christoph Borkowsky, explique : «On voulait aller ensemble à Cuba. Puis il y a eu le Buena Vista Social Club. On a changé d'optique, pour ne pas faire une pâle copie» Borkowsky a trouvé Roberto Rodriguez, «un autre exilé, comme Maurice, et avec un grand intérêt pour les musiques juives». L'été 2005, ils jouent dix jours en studio à New York. «Si j'avais gagné au loto, je n'aurais pas eu autant de bonheur, assure Maurice. Borkowsky m'a dit : "Il faut étaler tes doigts, tu vaux à 95 % par tes doigts". Le reste, c'est de la garniture.» Le reste, Maurice le chante, dans Oran Oran, sa ville natale, quittée en 1961, jamais revue : «Tu as assisté à ma naissance/Dans le derb j'ai passé mon enfance(...)/ Je n'avais jamais pris de vacances/Je ne connaissais même pas la France (...)/ Oran Oran, je ne t'oublierai pas/Oran oui on se reverra...» Mais quand ? En 1990, il a failli y retourner avec Lili Boniche. Contrats signés, puis voyage annulé : «J'ai une envie folle ! Mais je retourne seulement quand c'est la paix entre nos peuples.» Ça risque d'attendre.
En 2004, Khaled lui a fait sa «plus grande joie depuis quarante ans» en le réunissant, sur un morceau de son disque Ya-Rayi, avec son vieux pote de l'Oran des années 50, le guitariste Blaoui El-Houari. Avant, juifs comme Maurice et musulmans comme Blaoui jouaient ensemble, même s'«il y a toujours eu de l'antisémitisme ; on a toujours été méprisés. Mais on faisait mine de rien».
Son oncle Saoud l'Oranais, maître de la chanson arabo-andalouse, a été pris en 1943 avec son fils dans la rafle du Vieux-Port à Marseille, déporté et gazé à Sobibor. Avant, l'oncle Saoud jouait à Oran, au café Saoud, qu'il tenait avec le père de Maurice. Né en 1928, Maurice a commencé par jouer de l'oud sur une poêle à frire, pour imiter ces soirées au cabaret. A 7 ans, il perd son père, sa mère élève seule les quatre enfants. A 9 ans, son frère lui achète un vieux piano aux puces. A 11 ans, la guerre commence, les Juifs, renvoyés des écoles, vivent «toutes les misères». Le 8 novembre 1942, les Américains débarquent, «tous les Juifs d'Afrique du Nord sont nés à nouveau ce jour-là».
«A l'assaut du piano». Maurice a alors 14 ans, «petit garçon dégourdi», il entre dans les bars américains «à l'assaut du piano. Quand le patron me renvoyait, les soldats américains l'enguirlandaient. J'ai appris leur musique. Boogie-woogie avec les soldats noirs, rumba avec les Portoricains.» A 18 ans, il devient un pro du piano, «latino, variété française». Et le raï frappe à sa porte «musique sexy, les filles aux moeurs légères le cultivaient» ; il l'accompagnera façon rumba, pour «un mélange fabuleux».
«Virus franco-oriental». D'Algérie, Maurice le tailleur se taille, contraint et forcé ; en 1961, essaye Israël, vient à Paris. Au Poussin Bleu, face aux Folies Bergère, il accompagne Lili Labassi, Line Monty ou Blond-Blond. Piano la nuit, confection le jour, le soleil lui manque. En 1967, il s'installe à Marseille, renonce à la musique, vend du costume. Puis Line Monty le fait monter pour ses concerts à Paris. «Elle avait le virus franco-oriental, comme moi, elle disait "Maurice apporte autre chose avec sa main gauche, la culture du boogie-woogie".»
Dans cette carrière à éclipses, il sort son premier disque, Café Oran, en 1996, à 68 ans. Puis il y aura Pianoriental en 2 000, un troisième disque à Tel-Aviv, un quatrième, de liturgie judéo-andalouse. Et le cinquième, pour lequel un critique parle d'«Eddie Palmieri d'Afrique du Nord». Borkowsky, le producteur berlinois, s'interroge : «Pourquoi aucune maison de disque française ne l'a-t-elle signé ? Maurice est un héritage culturel vivant de la France. Mais il reste dans la périphérie, alors qu'il devrait se trouver dans la lumière. C'est un mystère.»
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