Y-A-T-IL EU UNE OPA SUR LES JUIFS DE FRANCE ?
Juifs de France : le livre qui sème la division
Effrayée par l'antisémitisme en France à l'automne 2000, et à la recherche de nouveaux immigrants, l'Agence juive va dépêcher des émissaires pour convaincre les Français juifs de faire leur alya. Une opération qui a bouleversé la vie de cette « communauté ». Telle est la thèse choc d'« OPA sur les juifs de France », publié cette semaine chez Grasset.
Emilie Lanez
«Une partie de notre travail pour combattre l'antisémitisme consiste à rendre le peuple juif conscient de l'antisémitisme qui le touche. » Ces propos de Tzipi Livni, alors ministre de l'Intégration et de la Justice israélienne, dessinent en creux la charpente idéologique d'une opération, menée en 2004, consistant à convaincre les juifs de France de venir vivre en Israël, à faire leur alya, leur « montée vers Jérusalem ». 2 415 Français s'exileront effectivement en 2004. Un chiffre, certes le plus élevé recensé depuis 1972, qui demeure toutefois bien en deçà des espoirs fondés par l'Agence juive, qui escomptait 30 000 départs. Elle concevra alors un nouveau plan pour convaincre ces citoyens français : « l'alya by choice, l'alya marketing », « la rencontre entre le sionisme et les techniques modernes de marketing ». Testée aux Etats-Unis, où vivent 5,7 millions de juifs, la campagne de séduction est construite d'après une étude marketing fournie par IBM Business Consulting Services. L'alya marketing sera ensuite lancée, publiquement, en France. Avec un succès modeste, d'ailleurs.
Cependant, en frappant aux portes de ces citoyens français pour les convaincre qu'Israël est leur pays, ces émissaires auront - ils ne seront pas, tant s'en faut, les seuls responsables - durablement transformé la vie des juifs de France, nourrissant leur peur, abreuvant un sentiment nouveau d'appartenance à une « communauté ». Telle est, brièvement résumée, la thèse de Cécilia Gabizon et Johan Weisz, auteurs d'un livre, « OPA sur les juifs de France. Enquête sur un exode programmé (2000-2005) », qui sort cette semaine aux éditions Grasset. Ce livre, fruit d'une solide enquête, choquera sans doute. Son récit est passionnant.
Tout commence à l'automne 2000 dans les banlieues nord de Paris. Des actes antisémites sont commis. Lionel Jospin et son ministre de l'Intérieur, Daniel Vaillant, craignent alors, en réagissant trop, d'attiser la haine et se persuadent qu'en parlant peu le feu s'éteindra. Patelins, ils échouent à rassurer ces Français, affolés de retrouver une croix gammée sur le mur de leur synagogue, terrorisés après avoir été insultés parce qu'ils portaient une kippa dans la rue. En ce mois d'octobre 2000, alors que des voyous beurs insultent leurs voisins juifs, la deuxième Intifada embrase la Palestine. Et enfièvre, via les journaux télévisés, quelques esprits faibles. Au même instant, coïncidence historique, l'Agence juive fait ses comptes. La balance démographique joue contre les juifs d'Israël, les Palestiniens sont en effet de plus en plus nombreux - 20 % de la population d'Israël est arabe -, leur fécondité est élevée. Sans immigration, l'Etat juif s'éteindra. Il faut donc à nouveau convaincre la diaspora de prendre le chemin d'Israël. « Cette idée est au coeur du sionisme, elle a fondé Israël. L'Agence juive, chargée de ces opérations, fut en 1922 le premier interlocuteur de la Grande-Bretagne, alors que la Palestine est sous son protectorat », rappelle Johan Weisz.
Il existe dans le monde trois « réservoirs d'alya », trois pays où la communauté juive est numériquement importante : les Etats-Unis, la France et la Russie. En cette fin des années 90, l'Agence juive achève une importante alya dans ce dernier pays. Et si désormais c'était en France qu'il fallait prospecter, puisque, justement, la situation s'y crispe odieusement ? Cette conjonction entre une flambée des actes antisémites dans nos banlieues, minimisée par les autorités françaises, et une reprise de l'Intifada fournit à l'Agence juive un calendrier qu'elle estime, par devoir, nécessaire. « Pendant des mois, une poignée d'hommes, puis une trentaine d'émissaires vont au-devant des juifs dans les centres communautaires, les synagogues. Ils évoquent le rapport de nombre, 500 000 juifs, 5 millions d'Arabes. Laissent entendre qu'il n'y a plus d'avenir. Ce faisant, ils vont alimenter la crise d'angoisse des juifs de France pour faire du départ une option presque rationnelle », reprend Cécilia Gabizon.
Les juifs de France ne vont alors trouver aucun interlocuteur prenant dignement en compte leur peur réveillée. Le gouvernement Jospin hésite, relativise, convaincu qu'en taisant la haine il l'étouffera. Un atermoiement vécu par les juifs de France, alors majoritairement électeurs de gauche, comme une cruelle blessure. Une frange se tournera vers quelques relais d'extrême droite, qui leur fournissent un corpus idéologique prêt à l'emploi. Les responsables communautaires échouent également. Ils auraient refusé dans un premier temps l'idée d'une flambée de l'antisémitisme, car ils méconnaissent cette réalité, vécue le plus souvent dans les banlieues difficiles. Enfin, dernier élément, le paysage des juifs de France s'est recomposé sans qu'on en saisisse jusqu'alors les nouveaux équilibres.
Les juifs d'Afrique du Nord, venus après la décolonisation, forment aujourd'hui 68 % de la communauté et 80 % des ménages avec enfants en âge scolaire. « Les juifs communautaires séfarades ont, par leur nombre, et surtout leur implication beaucoup plus importante dans les synagogues, modifié en profondeur la façon d'être juif en France. Le judaïsme français devient majoritairement sioniste. Un sionisme de chair et de sang. Il ne s'agit plus d'un attachement idéologique à un projet de construction d'une nation mais bien d'une réalité : les Israéliens sont des cousins, des frères, des proches », écrivent les auteurs. L'alya marketing ne marchera guère, « mais ce qui a marché, c'est l'alya mentale. Beaucoup de juifs de France se sont réveillés juifs, ils se sentent un peu moins français », concluent Johan Weisz et Cécilia Gabizon. Extraits
© le point 27/04/06 - N°1754 - Page 69 - 870 mots
Effrayée par l'antisémitisme en France à l'automne 2000, et à la recherche de nouveaux immigrants, l'Agence juive va dépêcher des émissaires pour convaincre les Français juifs de faire leur alya. Une opération qui a bouleversé la vie de cette « communauté ». Telle est la thèse choc d'« OPA sur les juifs de France », publié cette semaine chez Grasset.
Emilie Lanez
«Une partie de notre travail pour combattre l'antisémitisme consiste à rendre le peuple juif conscient de l'antisémitisme qui le touche. » Ces propos de Tzipi Livni, alors ministre de l'Intégration et de la Justice israélienne, dessinent en creux la charpente idéologique d'une opération, menée en 2004, consistant à convaincre les juifs de France de venir vivre en Israël, à faire leur alya, leur « montée vers Jérusalem ». 2 415 Français s'exileront effectivement en 2004. Un chiffre, certes le plus élevé recensé depuis 1972, qui demeure toutefois bien en deçà des espoirs fondés par l'Agence juive, qui escomptait 30 000 départs. Elle concevra alors un nouveau plan pour convaincre ces citoyens français : « l'alya by choice, l'alya marketing », « la rencontre entre le sionisme et les techniques modernes de marketing ». Testée aux Etats-Unis, où vivent 5,7 millions de juifs, la campagne de séduction est construite d'après une étude marketing fournie par IBM Business Consulting Services. L'alya marketing sera ensuite lancée, publiquement, en France. Avec un succès modeste, d'ailleurs.
Cependant, en frappant aux portes de ces citoyens français pour les convaincre qu'Israël est leur pays, ces émissaires auront - ils ne seront pas, tant s'en faut, les seuls responsables - durablement transformé la vie des juifs de France, nourrissant leur peur, abreuvant un sentiment nouveau d'appartenance à une « communauté ». Telle est, brièvement résumée, la thèse de Cécilia Gabizon et Johan Weisz, auteurs d'un livre, « OPA sur les juifs de France. Enquête sur un exode programmé (2000-2005) », qui sort cette semaine aux éditions Grasset. Ce livre, fruit d'une solide enquête, choquera sans doute. Son récit est passionnant.
Tout commence à l'automne 2000 dans les banlieues nord de Paris. Des actes antisémites sont commis. Lionel Jospin et son ministre de l'Intérieur, Daniel Vaillant, craignent alors, en réagissant trop, d'attiser la haine et se persuadent qu'en parlant peu le feu s'éteindra. Patelins, ils échouent à rassurer ces Français, affolés de retrouver une croix gammée sur le mur de leur synagogue, terrorisés après avoir été insultés parce qu'ils portaient une kippa dans la rue. En ce mois d'octobre 2000, alors que des voyous beurs insultent leurs voisins juifs, la deuxième Intifada embrase la Palestine. Et enfièvre, via les journaux télévisés, quelques esprits faibles. Au même instant, coïncidence historique, l'Agence juive fait ses comptes. La balance démographique joue contre les juifs d'Israël, les Palestiniens sont en effet de plus en plus nombreux - 20 % de la population d'Israël est arabe -, leur fécondité est élevée. Sans immigration, l'Etat juif s'éteindra. Il faut donc à nouveau convaincre la diaspora de prendre le chemin d'Israël. « Cette idée est au coeur du sionisme, elle a fondé Israël. L'Agence juive, chargée de ces opérations, fut en 1922 le premier interlocuteur de la Grande-Bretagne, alors que la Palestine est sous son protectorat », rappelle Johan Weisz.
Il existe dans le monde trois « réservoirs d'alya », trois pays où la communauté juive est numériquement importante : les Etats-Unis, la France et la Russie. En cette fin des années 90, l'Agence juive achève une importante alya dans ce dernier pays. Et si désormais c'était en France qu'il fallait prospecter, puisque, justement, la situation s'y crispe odieusement ? Cette conjonction entre une flambée des actes antisémites dans nos banlieues, minimisée par les autorités françaises, et une reprise de l'Intifada fournit à l'Agence juive un calendrier qu'elle estime, par devoir, nécessaire. « Pendant des mois, une poignée d'hommes, puis une trentaine d'émissaires vont au-devant des juifs dans les centres communautaires, les synagogues. Ils évoquent le rapport de nombre, 500 000 juifs, 5 millions d'Arabes. Laissent entendre qu'il n'y a plus d'avenir. Ce faisant, ils vont alimenter la crise d'angoisse des juifs de France pour faire du départ une option presque rationnelle », reprend Cécilia Gabizon.
Les juifs de France ne vont alors trouver aucun interlocuteur prenant dignement en compte leur peur réveillée. Le gouvernement Jospin hésite, relativise, convaincu qu'en taisant la haine il l'étouffera. Un atermoiement vécu par les juifs de France, alors majoritairement électeurs de gauche, comme une cruelle blessure. Une frange se tournera vers quelques relais d'extrême droite, qui leur fournissent un corpus idéologique prêt à l'emploi. Les responsables communautaires échouent également. Ils auraient refusé dans un premier temps l'idée d'une flambée de l'antisémitisme, car ils méconnaissent cette réalité, vécue le plus souvent dans les banlieues difficiles. Enfin, dernier élément, le paysage des juifs de France s'est recomposé sans qu'on en saisisse jusqu'alors les nouveaux équilibres.
Les juifs d'Afrique du Nord, venus après la décolonisation, forment aujourd'hui 68 % de la communauté et 80 % des ménages avec enfants en âge scolaire. « Les juifs communautaires séfarades ont, par leur nombre, et surtout leur implication beaucoup plus importante dans les synagogues, modifié en profondeur la façon d'être juif en France. Le judaïsme français devient majoritairement sioniste. Un sionisme de chair et de sang. Il ne s'agit plus d'un attachement idéologique à un projet de construction d'une nation mais bien d'une réalité : les Israéliens sont des cousins, des frères, des proches », écrivent les auteurs. L'alya marketing ne marchera guère, « mais ce qui a marché, c'est l'alya mentale. Beaucoup de juifs de France se sont réveillés juifs, ils se sentent un peu moins français », concluent Johan Weisz et Cécilia Gabizon. Extraits
© le point 27/04/06 - N°1754 - Page 69 - 870 mots
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