Tuesday, July 18, 2006

UNE BATAILLE LEGITIME PAR DAVID GROSSMAN

Israël ne mène pas la même guerre contre le Hezbollah et les Palestiniens.
Une guerre légitime, une bataille problématique
Par David GROSSMAN
QUOTIDIEN : Lundi 17 juillet 2006 - 06:00
David Grossman écrivain israélien.

avec
L'attaque surprise massive du Hezbollah sur la Galilée, au nord d'Israël, prouve ­ pour autant que quelqu'un ait un doute ­ à quel point toute cette région du monde est sensible et explosive et à quel point il en faut peu pour l'amener au bord de la guerre.
Israël a répliqué, avec un plein droit à le faire. Cette offensive violente et ample du Hezbollah, depuis le territoire libanais, sur des dizaines de paisibles agglomérations israéliennes, n'a aucune justification. Aucun Etat au monde ne peut demeurer les bras croisés et abandonner ses citoyens à leur sort, à l'heure où son voisin l'attaque sans qu'il l'ait en rien provoqué.
Il y a six ans, Israël s'est retiré jusqu'à la frontière internationale de tous les territoires du Liban qu'il avait conquis en 1982. L'ONU avait alors approuvé cette initiative et avait entériné la fin de l'occupation israélienne et l'établissement d'une démarcation entre les deux Etats. Aussitôt après le retrait israélien, le Hezbollah a commencé à violer les décisions de l'ONU, à prendre position le long de la frontière, à contester la validité du tracé international (au lieu-dit fermes de Chabaa) et à se renforcer militairement avec l'aide de la Syrie et de l'Iran.
Pendant des années, le gouvernement libanais a évité d'affronter le Hezbollah, qui a établi, dans le sud du pays, un réseau de bunkers et accumulé des arsenaux colossaux, dont des missiles à longue portée menaçant le coeur même d'Israël. De son côté, Israël s'est refusé à «rallumer» le front et s'est abstenu d'actions militaires contre le Hezbollah. C'est ainsi qu'une situation intolérable s'est instaurée sur le territoire du Liban souverain, qui n'a aucun conflit avec Israël, où une organisation déclarée terroriste par les Nations unies agit à sa guise et agresse Israël.
Aujourd'hui, Israël attaque le Liban parce que ce pays est l'allié officiel du Hezbollah et parce que c'est depuis son territoire qu'Israël est bombardé. Des hommes du Hezbollah sont membres du gouvernement libanais et sont associés à sa politique. A l'heure où j'écris, des millions de citoyens innocents, israéliens comme libanais, se trouvent sous le feu. A Beyrouth et à Haïfa, dans la Bekaa libanaise comme dans la Galilée israélienne, adultes et enfants sont menacés d'une guerre prolongée. Israël et le Liban doivent tout faire pour épargner des vies innocentes. Mais quiconque désire la fin immédiate des hostilités et l'ouverture d'une négociation doit reconnaître que le Hezbollah, de manière cynique et délibérée, a créé une situation dans laquelle Israël se voit obligé de riposter à cette agression.
L'embrasement récent met en relief une attitude parallèle, et problématique, dans la position du gouvernement libanais et de l'Autorité palestinienne à l'égard d'Israël. Chacun des deux a deux «têtes» qui se contredisent l'une l'autre : l'une agit de manière «étatique» à travers des canaux politiques, et avec une relative modération, tandis que la seconde se déclare libre d'agir comme bon lui semble, se sert du terrorisme contre des citoyens avec une rhétorique raciste et appelle publiquement à la destruction d'Israël. Cette confusion représente, aux yeux d'Israël, l'une des difficultés majeures pour parvenir à un accord stable avec ses voisins. C'est aussi la raison principale pour laquelle la majorité de l'opinion israélienne ­ y compris de nombreux partisans de la paix ­ a perdu toute confiance à l'endroit des modérés du camp arabe. Une autre complication naît d'une confusion identique entretenue par Israël quant à ses intentions à l'égard des Palestiniens ­ moins extrémiste cependant et sans volonté exterminatrice.
Les scénarios prévisibles ne sont pas optimistes : on le sait, Israël n'a pas comme seule intention de répondre à l'agression du Hezbollah. Il opère afin de façonner une nouvelle fois la situation à sa frontière nord avec le Liban, selon la résolution 1559 de l'ONU, et afin d'obliger le gouvernement libanais à en éloigner le Hezbollah. Cet objectif est rationnel et juste, mais la manière agressive avec laquelle Israël mène sa campagne recèle des dangers. Le régime libanais est faible et risque de s'écrouler, laissant la place à une nouvelle guerre civile ; ce conflit local peut très bien s'élargir à toute la région, avec des conséquences incalculables ; enfin, au cours des dernières décennies, Israël s'est «embourbé» à chaque fois au Liban et n'a jamais pu y concrétiser ses buts de guerre. Dans le passé, comme on sait, la volonté israélienne de «façonner la réalité arabe» a échoué (et, aujourd'hui, le président Bush peut témoigner du succès relatif de telles ambitions...). Proclamé par de hauts gradés et des hommes politiques, l'autre objectif, briser la puissance et l'influence du Hezbollah, est vain et rappelle la myopie des dirigeants du pays, quand ils affirmaient, en 1982, vouloir détruire l'OLP... Même si les moyens militaires sont clairement en faveur d'Israël, le Hezbollah jouit d'une solide «couverture» en Iran, en Syrie et dans le monde arabe, et il faut être naïf pour croire à une victoire israélienne par KO.
S'il existe une ressemblance flagrante entre Palestiniens et Libanais à l'égard d'Israël, il existe aussi une différence essentielle entre ces deux fronts : le Hezbollah ­ au vu et au su de tous ­ est un satellite de l'Iran au Proche-Orient et la tête de pont de ses intentions meurtrières à l'encontre d'Israël. On ne peut mettre en doute son souci des Palestiniens, mais ses aspirations excluent un juste accord entre Palestiniens et Israël. A en juger par ses principes et sa manière d'opérer, même si Israéliens et Palestiniens parviennent à l'avenir à un accord, le Hezbollah s'opposera à tout compromis, continuera d'agir contre Israël et de menacer l'équilibre fragile ainsi obtenu.
Les relations entre Israël et les Palestiniens sont d'une nature totalement différente : ces deux peuples sont obligés de parvenir à un accord de paix s'ils veulent continuer d'exister dans cette région. Leurs sorts sont étroitement mêlés ; tous deux ont un intérêt suprême à parvenir à un accord et, pour cela, à renoncer à certaines de leurs revendications les plus profondes. Tous deux savent qu'en fin de compte il n'y a pas de solution violente à ce conflit.
Néanmoins, l'agression du Hezbollah incite de nombreux Israéliens à opérer un amalgame intellectuel entre les deux fronts où combat leur pays et à éprouver un profond sentiment de menace existentielle. Même si celui-ci n'est pas justifié, la disproportion des moyens militaires étant ce qu'elle est, il peut entraîner une réponse exagérée contre le Liban et conduire à un recul sine die de la solution du conflit israélo-palestinien.
En Israël et dans un certain Beyrouth prospère, si occidental par certains côtés, beaucoup ont voulu croire qu'ils n'appartiennent plus au conflit proche-oriental. Déçus par l'aspect sanguinaire, fondamentaliste et désespéré de ce conflit, ils se sont construit une bulle confortable, de commodités et d'indifférence. En Israël, beaucoup ont aussi réussi à refouler le conflit sanglant en cours à Gaza, les roquettes Qassam tirées sur le sud d'Israël et les souffrances des Palestiniens sous la riposte israélienne. Les derniers événements ébranlent tout le monde, apportent la guerre jusqu'au seuil des maisons et rappellent la réalité fondamentale de nos vies dans cette région. Il semble que, pour en transmuer la nature, il faille plus que de la sagacité diplomatique, mais bien des dons d'alchimiste.
(Traduit de l'hébreu par Jean-Luc Allouche)
Dernier roman paru en français : J'écoute

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