TRIGANO... GUERRE, MENSONGE ET VIDEO
Manipulés, les médias réactivent le mythe antisémite du Juif tueur d'enfants.
Guerre, mensonges et vidéos
Par Shmuel TRIGANO
QUOTIDIEN : Jeudi 31 août 2006 - 06:00
Shmuel Trigano président de l'Observatoire du monde juif, directeur de la revue Controverses. Dernier ouvrage paru : l'Avenir des Juifs de France (Grasset).
Mais où êtes-vous ? Où sont les grandes âmes, le scandale ? Les déclarations des plus hautes autorités politiques du monde ? Depuis le 14 août, je cherche désespérément dans les colonnes des journaux et sur les écrans la condamnation du bombardement d'un orphelinat par l'armée sri-lankaise dans sa lutte contre le mouvement terroriste des Tigres tamouls. Quarante-trois écolières tuées, soixante autres blessées. Pas seize enfants sur vingt-huit morts, comme à Cana. On ne peut qu'être abasourdi devant la différence de traitement. Les victimes arabo-musulmanes seraient-elles plus précieuses que les autres ? Pas nécessairement, car qui s'émeut des meurtres de masse perpétrés en Irak par des Arabes sur d'autres Arabes ? Non ce qui est en question, c'est Israël ou, plus exactement, les Juifs.
Toute personne sensée aura remarqué, depuis l'année 2000, quelque chose d'étrange dans les images du conflit : la centralité de la figure de l'enfant, des corps sanguinolents des victimes d'Israël. Il suffit d'ouvrir la télévision française pour voir le projecteur braqué uniquement sur les civils libanais alors que l'image d'Israël se résume à des blindés, des avions ou des soldats. Aucune société civile n'est visible : ni les dégâts matériels, ni les victimes et les drames. Pas de corps ensanglantés, ni de blessés, ni de cadavres ou de cercueils. Ce choix ne fait que réactiver une idée antisémite très archaïque : les Juifs tuent des enfants. Dans l'Antiquité, ils étaient accusés de cannibalisme, au Moyen Age et encore aujourd'hui dans le monde arabe de crimes rituels.
La fabrication délirante de ce mensonge suit les mêmes chemins qu'au Moyen Age. Affabulations et «mystères de la foi» mettent en scène et «prouvent» le meurtre, en construisant de toutes pièces une narration, un exemplum édifiant, comme l'a si bien analysé Marie-France Rouart dans le Crime rituel ou le sang de l'autre (1). Le récent scandale (vite étouffé) de la photo truquée de Beyrouth en flammes, diffusée par l'agence Reuters, face émergée d'un ensemble de trucages, nous montre comment l' exemplum est fabriqué avec des images, alors qu'auparavant on agençait des mots pour mettre en forme le fantasme. Par exemple, cette photo du magazine US News où l'on voit un terroriste du Hezbollah en pose guerrière devant un avion israélien abattu et en flammes : examinée de plus près, la photo révèle en fait l'incendie d'un dépôt d'ordures. Le trucage de l'image du réel est le plus souvent moins grossier : ce n'est pas la photo qui se voit manipulée mais son angle ou sa composition, avant prise de vue. Le spectacle des destructions de Beyrouth est ainsi surdimensionné. Ce sont toujours les mêmes prises de vue qui passent en boucle à la télé, pour donner une impression d'étendue. Le spectateur innocent pense que tout Beyrouth est en flammes. Comment saura-t-il que, en dehors du quartier qui sert de QG au Hezbollah, les gens vont à la plage ou sont attablés aux cafés ? Ou alors, on place, comme à Cana, dans une photo de destruction, un objet insolite : un nounours (bizarrement très propre au milieu des gravats), une robe de mariée (très blanche), un petit Mickey (très coloré) (2)... La suggestion est ici encore plus forte que des cadavres: l'enfant absent, la jeune mariée promise au bonheur mais déplacée... On n'a jamais vu les «combattants» du Hezbollah, ni leurs bunkers systématiquement placés au milieu des civils, utilisés comme boucliers «moraux». On a gommé le caractère de milice fasciste du parti, ses provocations, ses tirs centrés sur la population civile israélienne.
Ce sur quoi il faut attirer l'attention de l'opinion, c'est la résurgence de l'accusation du meurtre rituel, c'est-à-dire le retour d'un stéréotype antisémite classique. Il est sciemment mis en oeuvre, de façon massive, par les médias arabes : la mort filmée «en direct» de Mohammed al-Dura à Gaza (3), puis Jénine, puis la plage de Gaza, puis Cana. Nous avons là une série d'événements pour le moins douteux quant à leur réalité exacte, qui nous sont parvenus à travers une mise en scène théâtrale par des reporters sous le contrôle de l'Autorité palestinienne, du Hamas ou du Hezbollah. Filmer dans ces régions dépend en effet, comme tous les journalistes le savent, de l'autorisation des pouvoirs en place, qui exercent un étroit contrôle sur les images et les accréditations qu'ils donnent aux reporters. Des simulations sont créées de toutes pièces au point que certains experts, comme le professeur Richard Landes, de la Boston University, parlent aujourd'hui des studios de «Pallywood» (du mot «Palestine»).
A voir les photos les unes après les autres, on retrouve souvent, dans des situations différentes, les mêmes acteurs, jouant des rôles différents. Quoi qu'il en soit de la réalité exacte des différentes affaires, et il ne s'agit pas ici de justifier tout, on constate qu'un scénario du type du légendaire «génocide de Jénine» (56 morts parmi les milices palestiniennes contre 23 soldats israéliens, au terme d'un combat au corps à corps pour éviter les victimes civiles) sous-tend tous ces exemples. Un scandale mondial est à chaque fois orchestré par les médias, avant que l'examen des faits n'en réduise la portée, et toujours en isolant comme par enchantement l'événement de son contexte et de la guerre menée contre les populations civiles israéliennes, sans doute, elle, jugée «juste». Entre-temps, l'impact a été gravé dans l'imaginaire collectif. Le plus terrible est que cette camelote puisse trouver acheteur dans la gent médiatique occidentale sans aucun recul critique.
Comment les journalistes peuvent-ils sous-traiter enquêtes et reportages auprès d'acteurs engagés dans le conflit aux côtés de mouvements totalitaires ? Que recherchent-ils ? Le spectacle brut et violent ? Les belles images ? Se rendent-ils compte que celles-ci incitent à la haine et au meurtre ?
Le mal est profond, car la facilité avec laquelle de nombreux médias acceptent ce récit montre que subsiste un fond archaïque, toujours vivace. Le discours sur Israël est hanté par une forme nouvelle de l'antisémitisme, un antisémitisme compassionnel qui se focalise sur la «victime» des Juifs, forcément innocente et pure comme un enfant, sans pour autant formuler directement le nom du bourreau cruel et inhumain que sa victime désigne. Un antisémitisme «par défaut», que la moralité conforte.
(1) Berg International, 1997.
(2) http://zombietime.com/reuters_photo_fraud/
(3) Images tournées à Gaza par France 2 en septembre 2000, abondamment rediffusées par les médias arabes, et controversées, ndlr.
http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/201328.FR.php
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QUOTIDIEN : Jeudi 31 août 2006 - 06:00
Shmuel Trigano président de l'Observatoire du monde juif, directeur de la revue Controverses. Dernier ouvrage paru : l'Avenir des Juifs de France (Grasset).
Mais où êtes-vous ? Où sont les grandes âmes, le scandale ? Les déclarations des plus hautes autorités politiques du monde ? Depuis le 14 août, je cherche désespérément dans les colonnes des journaux et sur les écrans la condamnation du bombardement d'un orphelinat par l'armée sri-lankaise dans sa lutte contre le mouvement terroriste des Tigres tamouls. Quarante-trois écolières tuées, soixante autres blessées. Pas seize enfants sur vingt-huit morts, comme à Cana. On ne peut qu'être abasourdi devant la différence de traitement. Les victimes arabo-musulmanes seraient-elles plus précieuses que les autres ? Pas nécessairement, car qui s'émeut des meurtres de masse perpétrés en Irak par des Arabes sur d'autres Arabes ? Non ce qui est en question, c'est Israël ou, plus exactement, les Juifs.
Toute personne sensée aura remarqué, depuis l'année 2000, quelque chose d'étrange dans les images du conflit : la centralité de la figure de l'enfant, des corps sanguinolents des victimes d'Israël. Il suffit d'ouvrir la télévision française pour voir le projecteur braqué uniquement sur les civils libanais alors que l'image d'Israël se résume à des blindés, des avions ou des soldats. Aucune société civile n'est visible : ni les dégâts matériels, ni les victimes et les drames. Pas de corps ensanglantés, ni de blessés, ni de cadavres ou de cercueils. Ce choix ne fait que réactiver une idée antisémite très archaïque : les Juifs tuent des enfants. Dans l'Antiquité, ils étaient accusés de cannibalisme, au Moyen Age et encore aujourd'hui dans le monde arabe de crimes rituels.
La fabrication délirante de ce mensonge suit les mêmes chemins qu'au Moyen Age. Affabulations et «mystères de la foi» mettent en scène et «prouvent» le meurtre, en construisant de toutes pièces une narration, un exemplum édifiant, comme l'a si bien analysé Marie-France Rouart dans le Crime rituel ou le sang de l'autre (1). Le récent scandale (vite étouffé) de la photo truquée de Beyrouth en flammes, diffusée par l'agence Reuters, face émergée d'un ensemble de trucages, nous montre comment l' exemplum est fabriqué avec des images, alors qu'auparavant on agençait des mots pour mettre en forme le fantasme. Par exemple, cette photo du magazine US News où l'on voit un terroriste du Hezbollah en pose guerrière devant un avion israélien abattu et en flammes : examinée de plus près, la photo révèle en fait l'incendie d'un dépôt d'ordures. Le trucage de l'image du réel est le plus souvent moins grossier : ce n'est pas la photo qui se voit manipulée mais son angle ou sa composition, avant prise de vue. Le spectacle des destructions de Beyrouth est ainsi surdimensionné. Ce sont toujours les mêmes prises de vue qui passent en boucle à la télé, pour donner une impression d'étendue. Le spectateur innocent pense que tout Beyrouth est en flammes. Comment saura-t-il que, en dehors du quartier qui sert de QG au Hezbollah, les gens vont à la plage ou sont attablés aux cafés ? Ou alors, on place, comme à Cana, dans une photo de destruction, un objet insolite : un nounours (bizarrement très propre au milieu des gravats), une robe de mariée (très blanche), un petit Mickey (très coloré) (2)... La suggestion est ici encore plus forte que des cadavres: l'enfant absent, la jeune mariée promise au bonheur mais déplacée... On n'a jamais vu les «combattants» du Hezbollah, ni leurs bunkers systématiquement placés au milieu des civils, utilisés comme boucliers «moraux». On a gommé le caractère de milice fasciste du parti, ses provocations, ses tirs centrés sur la population civile israélienne.
Ce sur quoi il faut attirer l'attention de l'opinion, c'est la résurgence de l'accusation du meurtre rituel, c'est-à-dire le retour d'un stéréotype antisémite classique. Il est sciemment mis en oeuvre, de façon massive, par les médias arabes : la mort filmée «en direct» de Mohammed al-Dura à Gaza (3), puis Jénine, puis la plage de Gaza, puis Cana. Nous avons là une série d'événements pour le moins douteux quant à leur réalité exacte, qui nous sont parvenus à travers une mise en scène théâtrale par des reporters sous le contrôle de l'Autorité palestinienne, du Hamas ou du Hezbollah. Filmer dans ces régions dépend en effet, comme tous les journalistes le savent, de l'autorisation des pouvoirs en place, qui exercent un étroit contrôle sur les images et les accréditations qu'ils donnent aux reporters. Des simulations sont créées de toutes pièces au point que certains experts, comme le professeur Richard Landes, de la Boston University, parlent aujourd'hui des studios de «Pallywood» (du mot «Palestine»).
A voir les photos les unes après les autres, on retrouve souvent, dans des situations différentes, les mêmes acteurs, jouant des rôles différents. Quoi qu'il en soit de la réalité exacte des différentes affaires, et il ne s'agit pas ici de justifier tout, on constate qu'un scénario du type du légendaire «génocide de Jénine» (56 morts parmi les milices palestiniennes contre 23 soldats israéliens, au terme d'un combat au corps à corps pour éviter les victimes civiles) sous-tend tous ces exemples. Un scandale mondial est à chaque fois orchestré par les médias, avant que l'examen des faits n'en réduise la portée, et toujours en isolant comme par enchantement l'événement de son contexte et de la guerre menée contre les populations civiles israéliennes, sans doute, elle, jugée «juste». Entre-temps, l'impact a été gravé dans l'imaginaire collectif. Le plus terrible est que cette camelote puisse trouver acheteur dans la gent médiatique occidentale sans aucun recul critique.
Comment les journalistes peuvent-ils sous-traiter enquêtes et reportages auprès d'acteurs engagés dans le conflit aux côtés de mouvements totalitaires ? Que recherchent-ils ? Le spectacle brut et violent ? Les belles images ? Se rendent-ils compte que celles-ci incitent à la haine et au meurtre ?
Le mal est profond, car la facilité avec laquelle de nombreux médias acceptent ce récit montre que subsiste un fond archaïque, toujours vivace. Le discours sur Israël est hanté par une forme nouvelle de l'antisémitisme, un antisémitisme compassionnel qui se focalise sur la «victime» des Juifs, forcément innocente et pure comme un enfant, sans pour autant formuler directement le nom du bourreau cruel et inhumain que sa victime désigne. Un antisémitisme «par défaut», que la moralité conforte.
(1) Berg International, 1997.
(2) http://zombietime.com/reuters_photo_fraud/
(3) Images tournées à Gaza par France 2 en septembre 2000, abondamment rediffusées par les médias arabes, et controversées, ndlr.
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