ENFIN DES LIVRES QUI OSENT EGRATIGNER ARDISSON
Médiatique
Paysage de l'après-Ardisson
Par Daniel SCHNEIDERMANN
QUOTIDIEN : Vendredi 29 septembre 2006 - 06:00
7 réactions
loadNbReaction('NbReactions',curDocId);
avec
Mieux vaut tard que jamais. Ardisson éjecté de son trône de meilleur vendeur de livres de la télé française, les éditeurs s'enhardissent, et voici, ô miracle, qu'ils osent faire leur travail : publier des livres égratignant l'homme en noir. Car Ardisson, jusqu'en juin dernier, était l'Intouchable. Philosophes, ministres, anciens ministres, candidats aux candidatures, sociologues, pamphlétaires, investigateurs, comploteurs, découvreurs de complots, directeurs de rédaction : pour tout auteur, un passage chez Ardisson faisait miroiter la promesse des plus étincelants succès. Donc, on ne critiquait pas Ardisson. Pas question de s'attaquer aux mots d'Ardisson, au pouvoir d'Ardisson, à l'évidence Ardisson, et plus précisément à la longue influence d'Ardisson sur le débat public.
La page est donc tournée, et autour de Gulliver enchaîné, quel grouillement soudain ! Ainsi, Stock publie ces jours-ci un passionnant la Face visible de l'homme en noir (1). Oui, face visible, et non pas cachée. Car le plus fascinant, chez l'animateur-producteur de Tout le monde en parle, fut cet art de «se cacher dans la lumière», selon la formule de l'auteur du premier pamphlet anti-Ardisson, Jean Robin (2). C'est-à-dire, de se surexposer, pour mieux se dissimuler. A cet égard, Tout le monde en parle, émission chatoyante, multifacettes, polysémique, avec son lot d'inventions, de fulgurances, de malaise et de perversité, est bien une oeuvre audiovisuelle majeure de la décennie écoulée, et mérite d'être analysée comme telle.
Tout aussi fascinant fut cet art provocant d'Ardisson de faire passer sa propre personnalité, son propre machisme, son propre nihilisme, pour des évidences universelles. Surgi d'on ne sait où, son ricanement personnel recouvrit comme une chape l'époque et ses acteurs. L'éloge de la partouze et de la coke, ou la constatation navrée de la corruption universelle, devinrent ainsi, semaine après semaine, des axiomes indiscutables. Pour ne rien dire du thème majeur de l'ardissonisme : l'obsession du déterminisme ethnique, et un encouragement de supporter, semaine après semaine, au morcellement communautaire. Les citations collectées par Birnbaum et Chevènement permettent d'évaluer, non sans vertige, combien Ardisson contribua à la crispation communautaire de la société française. Dans quelle mesure il a surreprésenté l'excroissance française de l'affrontement du Proche-Orient. A force d'inviter systématiquement sur ses plateaux le Juif, le Musulman et le Black de service, si possible face à face, et si possible en les amenant à se jeter des verres d'eau à la figure, Ardisson a peut-être enjoint à une société française qui n'y aurait pas forcément pensé toute seule, de reproduire en son sein les mêmes tensions. Pour ne prendre que l'exemple Dieudonné, la relecture de toutes ses interviews par Ardisson donne le même vertige : en contribuant, émission après émission, à durcir les positions du comique, Ardisson ne fut-il pas son pousse-au-crime ?
Dans les vapeurs de l'après-Ardisson, se dégagent aujourd'hui d'autres tonalités possibles, apparaissent d'autres tentatives, d'autres contours, encore incertains. On ne parle pas, bien entendu, de Bern et de Ruquier, qui semblent bien partis pour perpétuer la dictature du calembour et du combat de catch. Mais dans la toute nouvelle émission quotidienne de Frédéric Taddeï, sur France 3, sur laquelle reposent tous les espoirs culturels du service public, on remarque d'abord, par opposition au modèle tombé, toutes les absences. Absence de ricanements sexistes et de grivoiserie. Absence de chroniqueur impertinent se faisant mousser sur le dos des invités. Absence d'interruptions impertinentes de l'animateur (Presque trop peu, d'ailleurs. On frôle parfois l'excès inverse). Absence de SMS aussi intrusifs qu'illisibles. Absence de rires enregistrés ou suscités, même si l'on ne peut s'empêcher de s'interroger sur le profond silence des silhouettes de figurants-consommateurs de l'arrière-plan. Qui sont-ils, ces fantômes ? De qui portent-ils ainsi le deuil ? Mystères.
En un mot, c'est un étrange soulagement qui prédomine : aucune obligation syndicale d'impertinence. Redeviendrait-il possible, interrogeant des écrivains, des réalisateurs, des comédiens, de s'étonner, de s'émerveiller, de dialoguer simplement ? Pour autant, la révérence ne règne pas. Ainsi, le premier soir, Taddeï orchestra un étrange combat de divas, entre Jorge Semprun et Claude Lanzmann, pour savoir lequel des deux avait le mieux compris les Bienveillantes, best-seller surprise de la rentrée, de Jonathan Littell. S'amorça, entre les deux monstres sacrés, l'homme de Shoah et l'ancien déporté, une affligeante compétition. Moi, j'étais à Buchenwald, Monsieur. Et moi, Monsieur, je me suis battu pour la France. Et, tout d'un coup, voilà le jeunot Taddeï qui les plante là, les anciens combattants : bon, vous n'avez qu'à continuer sans moi, je vais voir ailleurs. Et il part, la caméra à ses trousses. C'eût pu être violent, insupportable, arrogant. Ça ne le fut pas. A ce moment-là, on était plutôt du côté de Taddeï que de cette confrontation d'ego. Et on avait même tendance à oublier que c'était Taddeï lui-même qui avait organisé l'affrontement.
(1) Par Jean Birnbaum et Raphaël Chevènement.
(2) Ils ont tué la télé publique, éditions du Journalisme continu.
Manuel Atréide
Ardisson en parle ...Cher M. Schneidermann, voila un article qui fait plaisir à lire. Va-t-on enfin parler d'Ardisson pour ce qu'il est, et non pour l'image qu'il donne de lui même ? Ce serait interessant, à defaut... Samedi 30 Septembre 2006 - 14:43
plouf
j'ai ptet pas tout suivije regarde ASI depuis longtemps et en fait si je me souviens bien au début, au moins, Schneidermann était un grand fan, il avait d'ailleurs invité ardisson à ASI. Bien sûr on peut changer d'av... Samedi 30 Septembre 2006 - 14:21
Grégory
TLMEP... une sacré emission quand même!Moi je note surtout que cet article concrétise Ardisson comme une référence, un pilier de la télévision française et franchement ça n'est que justice. Ce que je retiens surtout d'Ardisson c'est... Vendredi 29 Septembre 2006 - 18:05
Jennie Jamin
bouc-emmissaireArdisson a des tors. il a des manies, des obsessions, une perversité excessive, un coté cul fatiguant... Mais dans son émissions Ardisson n'a fait que révéler les maux qui étaient déjà présen... Vendredi 29 Septembre 2006 - 16:37
PHIL
parallèlesJe suis d’accord avec votre analyse. Le pire a été atteint lorsque Ardisson a invité Salman Rushdy en même temps que Samy Nacéry. Hyper agressif, ce dernier a proféré des menaces de mort env... Vendredi 29 Septembre 2006 - 14:21
abdel
On se trompe de débatM.scheidermann,je toruve vos articles de plus en plus "conformiste":en effet ces papiers que vous publiez me semblent concerner principalement la forme et l'individualisation des programmes dont vous ... Vendredi 29 Septembre 2006 - 14:20
fanny
c'est excessif!!!J'aime votre impertinence, votre façon d'élever le débat, de poser les questions qui fâchent, votre insoumission aux idées reçues, mais là, je ne vous suis pas. ". La France n'a pas attendu Ard... Vendredi 29 Septembre 2006 - 12:40
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Paysage de l'après-Ardisson
Par Daniel SCHNEIDERMANN
QUOTIDIEN : Vendredi 29 septembre 2006 - 06:00
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Mieux vaut tard que jamais. Ardisson éjecté de son trône de meilleur vendeur de livres de la télé française, les éditeurs s'enhardissent, et voici, ô miracle, qu'ils osent faire leur travail : publier des livres égratignant l'homme en noir. Car Ardisson, jusqu'en juin dernier, était l'Intouchable. Philosophes, ministres, anciens ministres, candidats aux candidatures, sociologues, pamphlétaires, investigateurs, comploteurs, découvreurs de complots, directeurs de rédaction : pour tout auteur, un passage chez Ardisson faisait miroiter la promesse des plus étincelants succès. Donc, on ne critiquait pas Ardisson. Pas question de s'attaquer aux mots d'Ardisson, au pouvoir d'Ardisson, à l'évidence Ardisson, et plus précisément à la longue influence d'Ardisson sur le débat public.
La page est donc tournée, et autour de Gulliver enchaîné, quel grouillement soudain ! Ainsi, Stock publie ces jours-ci un passionnant la Face visible de l'homme en noir (1). Oui, face visible, et non pas cachée. Car le plus fascinant, chez l'animateur-producteur de Tout le monde en parle, fut cet art de «se cacher dans la lumière», selon la formule de l'auteur du premier pamphlet anti-Ardisson, Jean Robin (2). C'est-à-dire, de se surexposer, pour mieux se dissimuler. A cet égard, Tout le monde en parle, émission chatoyante, multifacettes, polysémique, avec son lot d'inventions, de fulgurances, de malaise et de perversité, est bien une oeuvre audiovisuelle majeure de la décennie écoulée, et mérite d'être analysée comme telle.
Tout aussi fascinant fut cet art provocant d'Ardisson de faire passer sa propre personnalité, son propre machisme, son propre nihilisme, pour des évidences universelles. Surgi d'on ne sait où, son ricanement personnel recouvrit comme une chape l'époque et ses acteurs. L'éloge de la partouze et de la coke, ou la constatation navrée de la corruption universelle, devinrent ainsi, semaine après semaine, des axiomes indiscutables. Pour ne rien dire du thème majeur de l'ardissonisme : l'obsession du déterminisme ethnique, et un encouragement de supporter, semaine après semaine, au morcellement communautaire. Les citations collectées par Birnbaum et Chevènement permettent d'évaluer, non sans vertige, combien Ardisson contribua à la crispation communautaire de la société française. Dans quelle mesure il a surreprésenté l'excroissance française de l'affrontement du Proche-Orient. A force d'inviter systématiquement sur ses plateaux le Juif, le Musulman et le Black de service, si possible face à face, et si possible en les amenant à se jeter des verres d'eau à la figure, Ardisson a peut-être enjoint à une société française qui n'y aurait pas forcément pensé toute seule, de reproduire en son sein les mêmes tensions. Pour ne prendre que l'exemple Dieudonné, la relecture de toutes ses interviews par Ardisson donne le même vertige : en contribuant, émission après émission, à durcir les positions du comique, Ardisson ne fut-il pas son pousse-au-crime ?
Dans les vapeurs de l'après-Ardisson, se dégagent aujourd'hui d'autres tonalités possibles, apparaissent d'autres tentatives, d'autres contours, encore incertains. On ne parle pas, bien entendu, de Bern et de Ruquier, qui semblent bien partis pour perpétuer la dictature du calembour et du combat de catch. Mais dans la toute nouvelle émission quotidienne de Frédéric Taddeï, sur France 3, sur laquelle reposent tous les espoirs culturels du service public, on remarque d'abord, par opposition au modèle tombé, toutes les absences. Absence de ricanements sexistes et de grivoiserie. Absence de chroniqueur impertinent se faisant mousser sur le dos des invités. Absence d'interruptions impertinentes de l'animateur (Presque trop peu, d'ailleurs. On frôle parfois l'excès inverse). Absence de SMS aussi intrusifs qu'illisibles. Absence de rires enregistrés ou suscités, même si l'on ne peut s'empêcher de s'interroger sur le profond silence des silhouettes de figurants-consommateurs de l'arrière-plan. Qui sont-ils, ces fantômes ? De qui portent-ils ainsi le deuil ? Mystères.
En un mot, c'est un étrange soulagement qui prédomine : aucune obligation syndicale d'impertinence. Redeviendrait-il possible, interrogeant des écrivains, des réalisateurs, des comédiens, de s'étonner, de s'émerveiller, de dialoguer simplement ? Pour autant, la révérence ne règne pas. Ainsi, le premier soir, Taddeï orchestra un étrange combat de divas, entre Jorge Semprun et Claude Lanzmann, pour savoir lequel des deux avait le mieux compris les Bienveillantes, best-seller surprise de la rentrée, de Jonathan Littell. S'amorça, entre les deux monstres sacrés, l'homme de Shoah et l'ancien déporté, une affligeante compétition. Moi, j'étais à Buchenwald, Monsieur. Et moi, Monsieur, je me suis battu pour la France. Et, tout d'un coup, voilà le jeunot Taddeï qui les plante là, les anciens combattants : bon, vous n'avez qu'à continuer sans moi, je vais voir ailleurs. Et il part, la caméra à ses trousses. C'eût pu être violent, insupportable, arrogant. Ça ne le fut pas. A ce moment-là, on était plutôt du côté de Taddeï que de cette confrontation d'ego. Et on avait même tendance à oublier que c'était Taddeï lui-même qui avait organisé l'affrontement.
(1) Par Jean Birnbaum et Raphaël Chevènement.
(2) Ils ont tué la télé publique, éditions du Journalisme continu.
Manuel Atréide
Ardisson en parle ...Cher M. Schneidermann, voila un article qui fait plaisir à lire. Va-t-on enfin parler d'Ardisson pour ce qu'il est, et non pour l'image qu'il donne de lui même ? Ce serait interessant, à defaut... Samedi 30 Septembre 2006 - 14:43
plouf
j'ai ptet pas tout suivije regarde ASI depuis longtemps et en fait si je me souviens bien au début, au moins, Schneidermann était un grand fan, il avait d'ailleurs invité ardisson à ASI. Bien sûr on peut changer d'av... Samedi 30 Septembre 2006 - 14:21
Grégory
TLMEP... une sacré emission quand même!Moi je note surtout que cet article concrétise Ardisson comme une référence, un pilier de la télévision française et franchement ça n'est que justice. Ce que je retiens surtout d'Ardisson c'est... Vendredi 29 Septembre 2006 - 18:05
Jennie Jamin
bouc-emmissaireArdisson a des tors. il a des manies, des obsessions, une perversité excessive, un coté cul fatiguant... Mais dans son émissions Ardisson n'a fait que révéler les maux qui étaient déjà présen... Vendredi 29 Septembre 2006 - 16:37
PHIL
parallèlesJe suis d’accord avec votre analyse. Le pire a été atteint lorsque Ardisson a invité Salman Rushdy en même temps que Samy Nacéry. Hyper agressif, ce dernier a proféré des menaces de mort env... Vendredi 29 Septembre 2006 - 14:21
abdel
On se trompe de débatM.scheidermann,je toruve vos articles de plus en plus "conformiste":en effet ces papiers que vous publiez me semblent concerner principalement la forme et l'individualisation des programmes dont vous ... Vendredi 29 Septembre 2006 - 14:20
fanny
c'est excessif!!!J'aime votre impertinence, votre façon d'élever le débat, de poser les questions qui fâchent, votre insoumission aux idées reçues, mais là, je ne vous suis pas. ". La France n'a pas attendu Ard... Vendredi 29 Septembre 2006 - 12:40
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