LA SURPRENANTE DEFENSE DE LA SNCF PAR KLUGMAN ET LE FILS DE S. WEIL
Actualité Opinions
La SNCF a déjà payé pour la Shoah
Par Pierre-François Veil et Patrick Klugman (Avocats à la cour).
Publié le 28 septembre 2006
Actualisé le 28 septembre 2006 : 09h19
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La SNCF a déjà payé pour la Shoah
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Il est rare qu'une mauvaise décision de justice produise des effets positifs. S'agissant du jugement « Lipietz » du 6 juin dernier, qui a condamné la SNCF pour avoir transporté au mois de mai 1944 la famille du député européen de Toulouse à Paris « dans des conditions indignes de la personne humaine », ils sont proprement dévastateurs. Il ne s'est pas écoulé trois mois depuis cette funeste décision heureusement frappée d'appel, que déjà nous apprenons que « 200 familles » entendent à leur tour réclamer « dû » à l'entreprise publique à raison des mêmes faits.
Quiconque a le souci de la justice et de l'histoire ne peut que s'élever contre ceux qui veulent invoquer une créance au nom de la souffrance passée. Sur le fond, personne ne discute le fait que les trains de la SNCF ont été utilisés lors de la déportation des juifs de France. Cependant, si nous sommes en mesure de le savoir, c'est grâce à la SNCF aujourd'hui vouée aux gémonies. De fait, en 1992, l'entreprise a signé une convention avec un laboratoire du CNRS, l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP) dirigé par Henri Rousso, qui a abouti quatre ans plus tard à la publication du rapport de Christian Bachelier : La SNCF sous l'occupation allemande 1940-1944.
Pour contourner la prescription des faits, le tribunal a même estimé que ce n'était qu'à compter de la publication de ce rapport au mois de septembre 1996, que les consorts Lipietz avaient pu disposer des informations « historiques précises et incontestables » pour faire valoir leur créance.
Ainsi, le premier paradoxe de cette affaire aura été de condamner la SNCF sur le fondement d'un travail qu'elle avait souhaité et encouragé. L'outrage est plus grand encore quand l'on sait que la société nationale a créé un site Internet (www.ahicf.com) pour publier les conclusions des travaux de recherche précités, a financé la rénovation du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) et enfin ouvert ses gares à Serge Klarsfeld pour l'organisation d'une exposition itinérante entre 2002 et 2004 sur les enfants déportés. Partant de ce constat, l'alibi affiché par les 200 nouveaux requérants pour justifier leur démarche - à savoir qu'« à la différence de l'État, la SNCF refuse de reconnaître sa responsabilité » - est au mieux fallacieux au pire grossier. Le plus grave reste la démonstration de la responsabilité de la SNCF qui n'est qu'un artifice destiné à faire payer deux fois la puissance publique. En droit comme en fait, la dichotomie entre l'État et la SNCF pendant la guerre n'a pas lieu d'être dès lors qu'à l'époque des faits et en dépit du statut de société d'économie mixte de l'entreprise, la SNCF était un service de l'État. Un juge fédéral américain lui a d'ailleurs accordé le bénéfice de l'immunité réservée aux États étrangers estimant que durant la période considérée, celle-ci était un « démembrement de l'administration ».
Or, depuis la reconnaissance de la responsabilité de l'État français prononcée par le président de la République le 16 juillet 1995, notre pays a pris sa juste part dans la réparation des souffrances engendrées par les persécutions du régime de Vichy : une commission dite « Mattéoli » sur la spoliation des juifs de France a été créée, la commission d'indemnisation des victimes des spoliations lui a succédé et, en 2000, la Fondation pour la mémoire de la Shoah a été inaugurée.
Cette reconnaissance n'a pas été que financière. L'histoire de la Shoah est enseignée dans les collèges ; à Paris des plaques rappellent dans chaque école communale le nom des enfants arrachés à leurs camarades par la déportation et une journée nationale a été instituée pour commémorer la rafle du Vél'd'Hiv. À l'énumération de ces exemples, il est clair que les dernières procédures lancées contre la SNCF ne peuvent aboutir qu'à faire prévaloir une logique pécuniaire sur le devoir de mémoire qui avait cours jusqu'alors.
Il faut le reconnaître, la requête de ces 200 familles nous plonge dans une nouvelle ère : l'heure n'est plus à la mémoire mais aux affaires. Combien vaut un déporté ? À cette question qui aurait auparavant insulté son auteur, on vous répondra désormais que cela dépend s'il est revenu ou non. (Le Monde du 28 août 2006). Ainsi, s'il faut en dernier ressort empêcher cette mise à l'encan de la mémoire, ce n'est pas seulement parce qu'elle est indécente, mais surtout parce qu'elle pourrait mettre un terme à la volonté des institutions de connaître leur passé et de nous révéler notre histoire.
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