Sunday, December 03, 2006

LES JUIFS ....LES INNOMABLES

Raphaël Confiant et les "Innommables"


L'écrivain martiniquais Raphaël Confiant a décidé d'apporter son appui à l'humoriste Dieudonné. Il ne s'agit pas d'une simple déclaration, mais d'un texte qui circule sur Internet. Et la polémique grandit très vite aux Antilles. S'agit-il d'un soutien mûrement réfléchi ? D'un dérapage du romancier à succès ?


L'objet de la querelle est simple : Raphaël Confiant, 55 ans, universitaire et romancier publié notamment chez Gallimard, donne à sa manière quitus intellectuel à l'humoriste après son récent passage au rassemblement du Front national, le 11 novembre. Dieudonné s'était attardé entre les stands de la fête du FN, mettant en avant un point commun entre lui et Jean-Marie Le Pen : "Tous deux nous avons connu une diabolisation extrême."
Raphaël Confiant s'estime en droit de justifier l'apparition à la fête Bleu-blanc-rouge de celui chez qui il croit déceler une double souffrance : "L'une liée à sa personne, à son être métis (père africain, mère blanche) ; l'autre liée à ces gens qu'il est interdit de nommer (il a été partenaire de scène de l'un d'eux pendant une dizaine d'années (Elie Semoun)) et que dans ce papier je désignerai donc sous le vocable d'Innommables."
Une fois ce mot lâché, plus rien n'arrête le romancier. Mais c'est bien sûr ce qualificatif d'"innommable" qui fait bondir d'indignation ses pairs et anciens amis. Pierre Pinalie, métropolitain vivant de longue date en Martinique, militant du créole aux côtés de Confiant, est l'un d'eux. C'est en réponse à l'un de ses textes que l'écrivain a réagi, le traitant au passage systématiquement de "petit Blanc". Alors que Raphaël Confiant se refuse à utiliser le mot "juif", Pierre Pinalie rétorque : "Aucune loi n'interdit de prononcer ou d'écrire le mot "juif" et il est assez abject d'employer l'adjectif "innommables" pour désigner les membres de cette communauté ! En effet, si le premier sens du mot convient pour ce qui ne peut pas être nommé, l'usage habituel correspond à ce qui est trop bas ou trop vil pour être prononcé. Il faut donc être vraiment bas et honteusement vil pour jouer sur les mots en utilisant "innommables" à propos des juifs."
De son côté, Pascal Vaillant, linguiste à l'université des Antilles et de la Guyane, ancien membre du Gerec, le Groupe d'étude et de recherche en espace créolophone, codirigé par M. Confiant, termine ainsi sa réplique à son ancien compagnon : "Lorsque Raphaël Confiant répond à un discours argumenté, il y répond en essayant de traîner le débat dans la fange, car c'est le seul endroit où il se sent bien. Et c'est naturellement le seul endroit, pour un homme honnête, où le débat ne peut plus avoir lieu. Il est donc clos d'avance."
Raphaël Confiant n'avait pas soutenu Dieudonné en mars 2005. A l'époque, l'humoriste s'était fait agresser sur un parking, à Fort-de-France, par quatre hommes de confession juive qui voulaient le punir pour ses déclarations du genre : "Les juifs, c'est une secte, une escroquerie, c'est une des plus graves parce que c'est la première."
Dieudonné n'avait pas été blessé mais l'émotion avait été forte et le grand poète Aimé Césaire l'avait reçu. Le vieux sage lui avait rappelé son souhait "que nos spécificités alimentent l'Universel, et non le particularisme ou le communautarisme", mais c'est l'image des deux hommes dans les bras l'un de l'autre qui était restée. Beaucoup d'autres personnalités antillaises étaient venues réconforter et soutenir l'humoriste.
La radicalisation de Raphaël Confiant ne s'inscrit pas dans ce contexte. Cela fait un certain temps qu'il intervient sur Internet, lance ses attaques auprès de ses amis tout en désirant limiter le débat à la sphère "martinico-martiniquaise", selon son expression. Sa plus récente victime a été, à l'occasion la Coupe du monde de football et déjà dans un courriel, le journaliste et essayiste Serge Bilé, né en Côte d'Ivoire, en poste à Télé-Martinique. Ce dernier avait écrit dans Le Nouvel Observateur à propos de la fierté des Antillais chantant Allez les bleus. Confiant, né dans le nord atlantique de l'île, n'avait pas apprécié. Il avait répliqué avec violence : "Tout étranger qui se mue en agent de la francisation et du colonialisme français, c'est-à-dire en destructeur de notre langue et de notre culture martiniquaises, en clair de notre identité, ne devra pas s'étonner d'être traité en adversaire par ceux qui se battent pour que la Martinique devienne enfin libre, cela en accord avec les règlements du Comité de décolonisation de l'ONU. Si vous voulez jouer au Nègre à Blanc, au Nègre français ou au Français noir, c'est votre problème, mais allez le faire en Afrique ! Ici, nous sommes des Martiniquais, des Antillais, des Caribéens, des Créoles et rien d'autre !"
Une réplique restée pour l'instant sans réplique. Serge Bilé s'interdit encore tout commentaire, sauf à rappeler qu'il avait parlé de "guerre des cons" à laquelle il n'entendait naturellement pas participer. Autre exemple du combat de l'écrivain martiniquais : au lendemain des attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis, dans une tribune de l'hebdomadaire Antilla, il avait pris ses distances avec les critiques contre le leader du réseau Al-Qaida, Oussama Ben Laden, traité de "salaud, d'assassin, sans aucun sens des droits de l'homme" - pour ajouter aussitôt : "Christophe Colomb, par contre, était un vrai humaniste."
Raphaël Confiant a publié, en 1993, un pamphlet contre Aimé Césaire, Une traversée paradoxale du siècle, dont il dénonçait l'échec, évoquant sa propre "passion déçue". Il était alors le fils rebelle de celui qu'on surnomme le "nègre fondamental". Son nom était inséparable de celui de l'écrivain Patrick Chamoiseau, auteur de Texaco, roman couronné par le prix Goncourt en 1992.
Et depuis ? Chamoiseau laisse dire ceux qui évoquent une rupture entre lui et son ancien camarade. Et Confiant ? Il traite avec mépris ses détracteurs, "épiphénomènes" qu'il oppose à tous ceux qui lui envoient des courriels approbateurs, lui disant qu'il a raison.
Interpellé cette semaine par un internaute, il conclut sa réponse par cette démonstration : "S'agissant du racisme européen, pourquoi faut-il 100 % de "sang blanc" pour être blanc alors qu'il suffit d'1 % de "sang noir" pour être noir ? Qui a instauré cette arithmétique surréalisto-raciste ? Pourquoi aucun intellectuel euro-américain ne la dénonce et pourquoi tous continuent à appeler "Noir" toute personne qui a du "sang noir" ? Les mères de Yannick Noah, de Harlem Désir, de Dieudonné et de milliers d'autres sont blanches pourtant ! Bref, il y aurait tant à dire. Ce monde est désespérant."
Désespérant, Confiant ? Il se trouvera bien un jour quelqu'un pour qualifier ses écrits d'"innommables". En attendant, les élites et les élus martiniquais observent un silence total, comme si la violence de la polémique n'était pas arrivée jusqu'à eux.

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