Ilan Halimi, un an après
Ilan Halimi, un an après
LE MONDE | 15.02.07 | 16h25 • Mis à jour le 15.02.07 | 16h25
Le 13 février 2006, le corps d'Ilan Halimi était retrouvé nu et menotté à Sainte-Geneviève-des-Bois. Le jeune homme avait été enlevé quelques semaines auparavant, puis séquestré et torturé dans une cité de Bagneux par une bande, autoproclamée "gang des barbares". Celle-ci espérait obtenir, contre sa libération, une somme d'argent qu'elle pensait trouver chez une famille juive, fantasmée comme fortunée.
Ce crime et sa signature antisémite révèlent plusieurs dysfonctionnements dans notre tissu social, politique et humain, qui sont analysés par le philosophe Adrien Barrot dans un ouvrage concis et stimulant dont le titre, Si c'est un juif, fait écho à un autre livre, Si c'est un homme. Pourtant, ce n'est pas tant le récit de Primo Levi sur son séjour à Auschwitz qu'Adrien Barrot convoque. Ce serait davantage l'ultime opus de l'écrivain italien, Les Naufragés et les Rescapés (Gallimard, 1989), dont les mots : "Cela peut arriver de nouveau" résonnent comme un terrifiant secret et un avertissement devant des temps de plus en plus sombres.
Les raisons de désespérer dans l'affaire Ilan Halimi sont nombreuses, selon Adrien Barrot. Ainsi, comment l'enlèvement, la séquestration, la torture et le meurtre d'un homme, commis au nom du cliché ancestral qui identifie les juifs au capital, a-t-il pu passer pour un simple fait divers ? Un crime qui survient de plus dans un contexte où les attentats antisémites se multiplient en France et à l'étranger. En écartant ce qu'il y a de plus spécifique dans l'assassinat d'Ilan Halimi, pour l'inclure dans le cycle infernal des violences quotidiennes, on ne dénature pas simplement le caractère des faits. On se condamne aussi à la cécité. Un aveuglement d'autant plus surprenant à une époque où la mémoire de la Shoah est devenue omniprésente. A moins que celle-ci ne soit plus qu'une mémoire vide, incapable de déchiffrer les stigmates du temps présent.
Or ce mélange de motivation crapuleuse et de haine des juifs à l'oeuvre dans le meurtre d'Ilan Halimi n'est, pour Adrien Barrot, rien d'autre que la cellule germinative du nazisme. "Ce n'est pas un crime antisémite que nous avons sous les yeux, c'est le nazisme à l'état protozoaire, c'est l'égout dont le nazisme est sorti", estime-t-il. L'analogie dressée par l'auteur entre la manifestation du 26 février 2006, organisée de la République à la Nation à la mémoire d'Ilan Halimi, qui n'aura mobilisé, peu ou prou, que la seule communauté juive, avec celle de 1990, qui, faisant suite à la profanation d'un cimetière juif à Carpentras, réunit 150 000 personnes criant leur révolte, sur les mêmes avenues, constitue le point le plus stimulant et le plus original de son ouvrage. Il était politiquement vital pour l'auteur de ne pas laisser les juifs manifester seuls contre le meurtre d'Ilan Halimi, afin d'éviter un face-à-face avec les antisémites où la différence juive se caractérise, une fois encore, par sa solitude. La généalogie dans laquelle Adrien Barrot place le meurtre d'Ilan Halimi est implacable. Il n'y a eu personne pour défendre les juifs quand, à l'heure de la chrétienté, ils devinrent le peuple déicide. Personne, au moment de la révolution industrielle, pour les protéger quand il fut écrit que les juifs étaient tous capitalistes, ou, plus tard, lorsque l'assimilation systématique du juif au révolutionnaire se montra tout aussi absurde. (1)
"Qui défendra les juifs à l'heure de la mondialisation, quand l'Etat d'Israël, qui n'est sans doute pas un crime en soi, fera la guerre pour défendre son droit à l'existence et cette chose que l'on se glorifie aujourd'hui d'abattre partout, c'est-à-dire des frontières ?" Un élément de réponse se trouve déjà dans la réaction passive des nations depuis que l'Iran du président Ahmadinejad menace, dans un silence gêné, de rayer de la carte un autre Etat membre des Nations unies, en l'occurrence Israël.
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SI C'EST UN JUIF. RÉFLEXIONS SUR LA MORT D'ILAN HALIMI d'Adrien Barrot. Editions Michalon, 160 p., 14 €.
LE MONDE | 15.02.07 | 16h25 • Mis à jour le 15.02.07 | 16h25
Le 13 février 2006, le corps d'Ilan Halimi était retrouvé nu et menotté à Sainte-Geneviève-des-Bois. Le jeune homme avait été enlevé quelques semaines auparavant, puis séquestré et torturé dans une cité de Bagneux par une bande, autoproclamée "gang des barbares". Celle-ci espérait obtenir, contre sa libération, une somme d'argent qu'elle pensait trouver chez une famille juive, fantasmée comme fortunée.
Ce crime et sa signature antisémite révèlent plusieurs dysfonctionnements dans notre tissu social, politique et humain, qui sont analysés par le philosophe Adrien Barrot dans un ouvrage concis et stimulant dont le titre, Si c'est un juif, fait écho à un autre livre, Si c'est un homme. Pourtant, ce n'est pas tant le récit de Primo Levi sur son séjour à Auschwitz qu'Adrien Barrot convoque. Ce serait davantage l'ultime opus de l'écrivain italien, Les Naufragés et les Rescapés (Gallimard, 1989), dont les mots : "Cela peut arriver de nouveau" résonnent comme un terrifiant secret et un avertissement devant des temps de plus en plus sombres.
Les raisons de désespérer dans l'affaire Ilan Halimi sont nombreuses, selon Adrien Barrot. Ainsi, comment l'enlèvement, la séquestration, la torture et le meurtre d'un homme, commis au nom du cliché ancestral qui identifie les juifs au capital, a-t-il pu passer pour un simple fait divers ? Un crime qui survient de plus dans un contexte où les attentats antisémites se multiplient en France et à l'étranger. En écartant ce qu'il y a de plus spécifique dans l'assassinat d'Ilan Halimi, pour l'inclure dans le cycle infernal des violences quotidiennes, on ne dénature pas simplement le caractère des faits. On se condamne aussi à la cécité. Un aveuglement d'autant plus surprenant à une époque où la mémoire de la Shoah est devenue omniprésente. A moins que celle-ci ne soit plus qu'une mémoire vide, incapable de déchiffrer les stigmates du temps présent.
Or ce mélange de motivation crapuleuse et de haine des juifs à l'oeuvre dans le meurtre d'Ilan Halimi n'est, pour Adrien Barrot, rien d'autre que la cellule germinative du nazisme. "Ce n'est pas un crime antisémite que nous avons sous les yeux, c'est le nazisme à l'état protozoaire, c'est l'égout dont le nazisme est sorti", estime-t-il. L'analogie dressée par l'auteur entre la manifestation du 26 février 2006, organisée de la République à la Nation à la mémoire d'Ilan Halimi, qui n'aura mobilisé, peu ou prou, que la seule communauté juive, avec celle de 1990, qui, faisant suite à la profanation d'un cimetière juif à Carpentras, réunit 150 000 personnes criant leur révolte, sur les mêmes avenues, constitue le point le plus stimulant et le plus original de son ouvrage. Il était politiquement vital pour l'auteur de ne pas laisser les juifs manifester seuls contre le meurtre d'Ilan Halimi, afin d'éviter un face-à-face avec les antisémites où la différence juive se caractérise, une fois encore, par sa solitude. La généalogie dans laquelle Adrien Barrot place le meurtre d'Ilan Halimi est implacable. Il n'y a eu personne pour défendre les juifs quand, à l'heure de la chrétienté, ils devinrent le peuple déicide. Personne, au moment de la révolution industrielle, pour les protéger quand il fut écrit que les juifs étaient tous capitalistes, ou, plus tard, lorsque l'assimilation systématique du juif au révolutionnaire se montra tout aussi absurde. (1)
"Qui défendra les juifs à l'heure de la mondialisation, quand l'Etat d'Israël, qui n'est sans doute pas un crime en soi, fera la guerre pour défendre son droit à l'existence et cette chose que l'on se glorifie aujourd'hui d'abattre partout, c'est-à-dire des frontières ?" Un élément de réponse se trouve déjà dans la réaction passive des nations depuis que l'Iran du président Ahmadinejad menace, dans un silence gêné, de rayer de la carte un autre Etat membre des Nations unies, en l'occurrence Israël.
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SI C'EST UN JUIF. RÉFLEXIONS SUR LA MORT D'ILAN HALIMI d'Adrien Barrot. Editions Michalon, 160 p., 14 €.
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