Thursday, February 08, 2007

SI L'IRAN AVAIT LA BOMBE

Après l'interview à rebondissements de Jacques Chirac
Si l'Iran avait la bombe

Que se passerait-il si l'Iran parvenait à se doter de l'arme atomique ? Et si Téhéran déclenchait une frappe nucléaire contre Israël ? Quels pays du Proche et du Moyen-Orient pourraient être tentés de se doter à leur tour de la puissance nucléaire si l'Iran en disposait ? A ces questions posées par les déclarations aventureuses du chef de l'Etat, Vincent Jauvert apporte les réponses des principaux spécialistes des questions stratégiques

L'Iran doté d'une bombe atomique serait-il dangereux ou pas ?

Commençons par insister sur deux points : un, l'Iran n'a pas pour l'instant d'arme atomique et dément vouloir en acquérir ; deux, les experts pensent que les Iraniens cherchent bien à se doter secrètement d'une capacité nucléaire militaire mais qu'ils n'y parviendront pas avant deux, voire cinq ans.
Cela dit, au cours de son interview controversée avec « le Nouvel Observateur », Jacques Chirac a déclaré que, s'il avait d'ores et déjà « une ou deux bombes », l'Iran ne serait finalement pas « très dangereux ». Pourquoi ? Parce que, selon lui, les leaders de la République islamique savent que, s'ils utilisaient ces engins contre Israël, «Téhéran serait rasé». Jamais un chef d'Etat occidental n'avait parlé publiquement de la sorte.
Que pensent les spécialistes de ces considérations stratégiques fort peu diplomatiques (et, de ce fait, amendées le lendemain) ? A l'évidence, beaucoup partagent la vision politiquement incorrecte de Jacques Chirac. Selon Hubert Védrine, les experts sont « nombreux dans le monde, et même aux Etats-Unis », à penser que l'on pourrait, sans trop de danger, s'accommoder d'un Iran nucléaire. « Un pays qui possède la bombe ne s'en sert pas, explique l'ancien ministre des Affaires étrangères. Il entre automatiquement dans le schéma de la dissuasion et ne prend pas de risque absurde. » Le président du prestigieux Institut international d'Etudes stratégiques de Londres, François Heisbourg, est d'accord : « Le danger primordial, ce n'est pas un Iran nucléaire - s'il attaquait, il commettrait un suicide - mais bien, comme Jacques Chirac l'a dit, la prolifération des armes atomiques. »



D'autres géostratèges ne sont pas aussi optimistes. « On dit que le nucléaire rend sage. Je n'en suis pas si sûr, explique Bruno Tertrais, spécialiste en dissuasion à la Fondation pour la Recherche stratégique. Parce qu'il se sent invulnérable, un pays doté de l'arme atomique se comporte différemment dans sa région. S'il avait la bombe, l'Iran pourrait se montrer plus agressif, et par exemple tenter de régler en sa faveur l'affaire des îlots du détroit d'Ormuz, voire contester à l'Arabie Saoudite la garde des lieux saints de l'islam. Et puis, surtout, qui peut être certain que les leaders iraniens sont versés dans les mêmes raisonnements stratégiques que nous, qu'ils ne sont pas prêts au suicide collectif ? »

Que se passerait-il si l'Iran lançait un (hypothétique) missile nucléaire contre Israël ?

A cette question effrayante (et qui ne se poserait que dans le scénario cauchemar où les Iraniens feraient fi de la dissuasion), Jacques Chirac a répondu de façon pour le moins approximative. Il a d'abord affirmé que, si l'Iran envoyait une bombe atomique sur Israël, l'engin « n'aurait pas fait 200 mètres dans l'atmosphère » que Téhéran serait anéanti. Or les spécialistes sont formels : cette affirmation n'a tout simplement pas de sens. « Israël ne pourrait pas frapper l'Iran instantanément, explique Yves Boyer, directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche stratégique. Même si les satellites israéliens ou américains repéraient très tôt le départ d'un engin, la riposte ne pourrait pas toucher Téhéran avant plusieurs dizaines de minutes, voire plus, c'est-à-dire après que le missile iranien eut lui-même atteint Israël ou eut été anéanti en vol. »
Jacques Chirac a ensuite modifié son propos et affirmé qu'en fait, « si [une bombe] était lancée, elle serait immédiatement détruite avant de quitter le ciel iranien ». Là encore, d'après tous les spécialistes consultés, cette nouvelle affirmation, pourtant mûrement réfléchie, est tout aussi inexacte. « Même les Américains ne sont pas encore capables de détruire un missile balistique dans sa phase de lancement. Cela n'est possible que plus tard, en phase dite intermédiaire, c'est-à-dire dans la stratosphère, ou au cours de la descente - dans tous les cas très loin du lieu de lancement de l'engin », explique Pascal Boniface, directeur de l'Institut de Relations internationales et stratégiques (Iris). Yves Boyer ajoute : « Au mieux, les missiles antimissiles dont dispose Israël, les Arrow, pourraient anéantir la bombe à mi-parcours, donc dans le ciel irakien ou jordanien. »
Plus important encore : un tir atomique serait-il intercepté à coup sûr, comme le sous-entend Jacques Chirac ? A cette question cruciale tous les experts répondent sans hésiter : non. « Loin s'en faut, précise même Yves Boyer. Les Arrow ont un pourcentage de réussite élevé, mais ce n'est pas 100%, ni même 80%... » Il ajoute : «En fait, ce n'est pas comme cela, par une interception en vol, que les Israéliens et les Américains espèrent avant tout stopper un éventuel tir nucléaire iranien. » Comment s'y prendraient-ils ? « En détruisant le missile au sol avant même qu'il soit lancé. Car, depuis la guerre du Golfe, le Pentagone a dépensé des sommes considérables en satellites de reconnaissance et d'écoute afin de repérer tout préparatif d'un départ de missile et de pouvoir frapper l'engin préventivement. Mais là encore le résultat n'est pas assuré à 100%. » Bref, dans tous les cas de figure et si, malgré les risques de représailles massives, l'Iran décidait d'attaquer l'Etat hébreu, « Israël pourrait être touché », dit Pascal Boniface.
Dernier point : une frappe iranienne qui aurait atteint son but en Israël pourrait-elle priver Tel-Aviv des moyens d'une riposte nucléaire ? « Non, car la force de frappe israélienne est à la fois constituée de missiles sol-sol Jéricho mais aussi de bombes et de missiles embarqués sur des avions et des sous-marins, dit Yves Boyer. Et même si Israël n'était pas en mesure de riposter, conclut Bruno Tertrais, les Etats-Unis ne manqueraient pas de le faire à sa place au moyen de leurs missiles ou de leurs bombardiers intercontinentaux. » Autrement dit, sur ce point Jacques Chirac a raison : Téhéran serait bien « rasé », et « probablement tout le pays avec », précise Yves Boyer.



Si l'Iran avait la bombe, combien de pays chercheraient à s'en doter aussi ?

Pour Jacques Chirac, le vrai danger, c'est la prolifération. Si l'Iran se dote de la bombe, expliquait-il au « Nouvel Observateur », il serait « très tentant pour d'autres pays de la région » d'essayer, eux aussi, d'en acquérir une. « Pourquoi, demandait-il, l'Arabie Saoudite ne le ferait-elle pas à son tour ? Pourquoi n'aiderait-elle pas l'Egypte à le faire également ? » Sur ce sujet, les experts sont d'accord avec le chef de l'Etat : au cas où Téhéran accéderait à l'arme nucléaire ou serait sur le point de le faire, le Moyen-Orient connaîtrait une course folle à la bombe atomique.
D'ailleurs, tous les grands rivaux régionaux de l'Iran sont déjà dans les starting-blocks. Tous ont fait connaître l'année dernière leur intention d'accéder, comme Téhéran, au nucléaire civil : la Turquie d'abord, au printemps, puis l'Egypte, en octobre, et enfin l'Arabie Saoudite en décembre. Et les menaces se sont faites plus précises encore. « En décembre, raconte François Heisbourg, le patron des services secrets saoudiens a déclaré que, si l'Iran poursuivait son programme, d'autres pays chercheraient à en faire autant. L'avertissement était très clair. » Début janvier, la menace est même venue de plus haut. Le président égyptien lui-même a prévenu publiquement la communauté internationale : « Nous ne voulons pas d'arme atomique dans la région mais nous sommes obligés de nous défendre, a déclaré Hosni Moubarak. Nous devrons avoir les armes appropriées. » Ces déclarations sont passées inaperçues dans les médias internationaux mais elles ont alerté toutes les chancelleries de la planète - et l'Elysée.

Pourquoi Jacques Chirac a-t-il tenu de tels propos ?

Le discours approximatif de Jacques Chirac ne vise qu'un seul objectif : contrer les Etats-Unis. Car, depuis quelques semaines, les Américains font le siège des Européens. Ils leur demandent avec insistance d'imposer à l'Iran de nouvelles sanctions plus drastiques que celles prises par le Conseil de Sécurité en décembre dernier. En réponse, et à l'instar de beaucoup d'autres, Jacques Chirac voudrait que les Etats-Unis acceptent une autre solution : au lieu de chercher à isoler l'Iran un peu plus encore, parler avec la République islamique. De quoi ? De la sécurité de l'ensemble du Moyen-Orient. Pourquoi ? Afin, justement, qu'aucun pays de la région n'ait besoin de la bombe, ni l'Iran, ni l'Arabie Saoudite, ni aucun autre. Ce n'est pas gagné.


Vincent Jauvert
Le Nouvel Observateur

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