Saturday, November 24, 2007

Quelques remarques après l'audience de visionnage des rushes de France 2, le 14 novembre 2007, devant la Cour d'appel de Paris - par Luc Rosenzweig
Mis en ligne le 22 novembre 2007


Je me limiterai, dans ce compte-rendu d'audience aux éléments qui me paraissent essentiels pour la suite de l'affaire, tant sur le plan des faits que sur celui de la stratégie de défense de France 2 qui s'est dessinée lors de cette audience.


18 minutes ou 27 minutes ?

A l'origine du chiffre de 27 minutes, il y a la déclaration de Talal Abou Rahma affirmant sous serment devant Me Raji Sourani, du PCHR (Palestinian Centre for Human Rights), avoir filmé 27 minutes de la scène de fusillade, qui aurait, selon lui, duré environ 45 minutes. Lors de ma visite à Charles Enderlin, le 1er juillet 2004, et lors du visionnage des rushes au siège de France 2, le 22 octobre 2004, cette durée a été évoquée sans qu'Enderlin ni France 2 ne la contestent. Il y avait donc un consensus sur la longueur de la matière brute qui est à la base du sujet diffusé au JT de France 2 du 30 septembre 2000.

Chez Enderlin à Jérusalem, comme au siège de France 2, je n'étais pas dans un état d'esprit d'huissier de justice venant vérifier ce point, d'autant plus qu'il n'apparaissait pas comme litigieux. Je suis venu en journaliste pour voir si l'ensemble du matériel filmé dont disposait Charles Enderlin pouvait justifier le commentaire qu'il fit ce soir-là. Néanmoins, dans mon souvenir, je suis certain que le time code apparaissant à l'image lors de ces visionnages dépassait le chiffre vingt. Aujourd'hui, également, je suis certain que le DVD qui a été projeté devant le tribunal ne comporte pas toutes les scènes visionnées avec Arlette Chabot, Denis Jeambar, Daniel Leconte et des membres de l'état major de France 2 en octobre 2004. Cette conviction s'appuie sur l'échange que j'ai eu avec Didier Epelbaum, conseiller à la direction de France 2, pendant le visionnage, relatif à l'évidence d'une mise en scène pour un adolescent qui faisait une sorte de triple saut pour faire croire à une blessure reçue alors qu'il s'apprêtait à lancer un cocktail molotov. Cette scène, dont je suis maintenant absolument certain qu'elle figurait dans la bande vidéo montrée par la direction de France 2 aux personnes citées supra ne figurait pas dans le DVD fourni à la Cour.

J'ai cru entendre, mais cela reste à vérifier, que Charles Enderlin, lors de ses déclarations devant la Cour, avait détruit certaines images qui n'étaient pas directement liées à l'incident « Al Doura », comme il est courant dans le fonctionnement habituel d'un bureau de correspondant de télévision. Cela ne m'explique pas pourquoi la direction de France 2 a supprimé cette scène (au moins) du DVD présenté à la cour. Je précise que je suis prêt à faire cette même déclaration sous serment devant la Cour, si celle ci juge mon témoignage utile.

J'ai cru entendre, mais cela reste également à vérifier sur le PV d'audience, que Charles Enderlin aurait, pour faire son sujet, du 30 septembre 2000 utilisé également des images de Gaza tournées par l'agence Reuters. S'agirait-il alors des images qui manquent dans un DVD où l'on n'aurait retenu que les rushes envoyés à Charles Enderlin par Talal Abou Rahma ? Tout cela n'est pas sans importance : La Cour n'aura pas eu connaissance des images les plus évidemment mises en scène tournées ce jour-là.


De l'étrangeté de faire commenter des images par quelqu'un qui n'était pas sur place

Pour la première fois, Charles Enderlin avait daigné se déplacer en personne devant les juges. Il s'est livré à un commentaire, sur un ton docte et pontifiant des images du cameraman Talal Abou Rahma. Il est de notoriété publique que Talal Abou Rahma existe, qu'il fournit régulièrement des images de Gaza à France 2, et que sa liberté de mouvement est sans entraves : c'est d'ailleurs un argument utilisé par Enderlin et de France 2 d'affirmer que la latitude laissée par l'armée israélienne à Talal Abou Rahma d'entrer et de sortir de Gaza à sa guise vaut reconnaissance de validité factuelle des images qu'il a tournées au carrefour de Netzarim. Que n'est-il alors venu commenter en personne les images qu'il a tournées? Le chemin n'est guère plus long de Gaza à Paris que celui de Jérusalem à la capitale française effectué le 14 novembre par Charles Enderlin. Ce dernier est-il plus habilité à fournir le contexte de ces images que n'importe quel journaliste familier avec le conflit israélo-palestinien ? Nous n'étions pas, faut-il le rappeler, dans une conférence à Sciences-po, mais devant la justice qui cherche à faire la lumière sur une affaire controversée. Lorsque l'on est partie, il n'est pas admissible de se poser en expert extérieur à l'affaire comme a tenté de le faire Enderlin lors de l'audience. Ce tour de passe-passe ne devrait pas, en bonne justice, être avalisé par la présidente et ses assesseurs...

On aimerait connaître quelle version de ses nombreuses et contradictoires déclarations Talal Abou Rahma retient aujourd'hui concernant la durée de la fusillade, la durée de celle-ci filmée par lui, ce que sont devenues les images manquantes, l'heure à laquelle s'est déroulé l'incident, comment s'est effectué l'évacuation du père et de l'enfant etc. La justice française n'a pas, à ma connaissance, l'habitude de se contenter de témoignages de seconde main, quand l'acteur et le témoin direct des faits en cause peut être entendu...


Talal Abou Rahma en état de choc trois jours après les faits ?

La déclaration sous serment de Talal Abou Rahma relative à la fusillade de Netzarim devant Me Raji Sourani, faite le 3 octobre 2000 est très ennuyeuse pour France 2 et Charles Enderlin : elle est réduite à néant par les images, celles qui existent, comme celles qui manquent. Au fil du temps, Charles Enderlin s'est efforcé, par divers stratagèmes, de minimiser la portée et la valeur de ce témoignage. Tantôt il ne s'agissait que d' un simple interview où les propos du caméraman auraient été déformés, tantôt, comme dans un entretien à Télérama, Enderlin mettait en doute la reconnaissance par l'ONU du PCHR, donc sa crédibilité, quitte a s'en excuser plus tard dans un fax embarrassé envoyé à un Raji Sourani qui avait modérément apprécié cette déclaration.

Lors de l'audience du 14 novembre, et cette fois-ci j'ai entendu distinctement les paroles d'Enderlin : il prétend que ces déclarations ne doivent pas être prises à la lettre en raison de « l'état de choc » dans lequel se trouvait à l'époque Talal Abou Rahma. On pourrait admettre, à la rigueur, que le cameraman, interrogé dans les minutes ou les heures ayant suivi ces scènes prétendument atroces, soit quelque peu confus dans ses déclarations. Mais trois jours après, un Talal Abou Rahma, présenté par ailleurs par France 2 comme un « baroudeur » de l'information télévisée, habitué à filmer sous les balles, aurait été dans un état psychologique tel qu'il faille tenir ses déclarations comme nulles et non avenues ? J'ai, pour ma part, visionné dans le bureau de Charles Enderlin des scènes tournées le lendemain de l'incident par la télévision palestinienne où l'on voit Talal Abou Rahma au chevet de Jamal Al Dura: l'homme est souriant, actif, et n'a aucunement l'air d'être sous l'effet d'un choc psychologique...


Où sont les scènes d'agonie, coupées parce qu'elles étaient trop atroces ?

Scripta manent...en 2003, Charles Enderlin, en réponse à un article de James Fallows dans la revue américaine Atlantic mettant en doute sa version de l'affaire Al Dura, envoyait un courrier en anglais à cette revue affirmant, pour justifier son commentaire des images, qui donne l'enfant mort et le père grièvement blessé, qu'il avait décidé de couper les scènes de l'agonie de l'enfant car elles étaient « too unbearable », « trop insupportables » pour un téléspectateur. L'audience du 14 novembre a démontré qu'aucune image plus « insupportable » que celles diffusées le 30 septembre 2000 n'est présente dans les rushes, et qu'a l'inverse, le plan final de 3 secondes qui clôt ces mêmes rushes, coupé dans le sujet montré au JT du 30 septembre 2000, montre l'enfant levant la jambe et jetant un regard furtif en direction de la caméra. Pour Mme Christine Delavennat, directrice de la communication de France 2, la diffusion de ces images, devant la 11ème Chambre de la Cour d'appel de Paris est un « non-événement » qui n'intéresse plus personne hormis une poignée d'irréductibles (déclaration, le 15 novembre ,à Brett Kline de la Jewish Telegraphic Agency). Charles Enderlin a désormais ordre de se murer dans le « no comment ». France 2, cherche, d'évidence à poser l'étouffoir sur cette affaire jusqu'à l'audience de février, car tout ce qui survient met à mal la thèse défendue par la chaîne publique. L'intérêt des médias américains et israéliens pour cette affaire est actuellement très grand, à juste titre .Ceux qui, aujourd'hui, dans les médias français, se font complices de cette opération silence se rendent coupable d'un grave manquement à l'éthique d'une profession à laquelle je ne sais plus si je dois encore m'honorer d'avoir appartenu.



Luc Rosenzweig

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