ARDISSON... UN LIVRE SUR SA TROUBLANTE OBSESSION POUR LES JUIFS
Médiatiques
Son Influence Ardisson
par Daniel SCHNEIDERMANNQUOTIDIEN : vendredi 28 avril 2006
Dans l'avalanche quotidienne des révélations éphémères et des scandales formatés, comment repérer les authentiques briseurs de tabous ? Facile. Ce sont ceux dont les médias ne parleront pas. On peut ainsi parier qu'un épais silence va entourer le livre d'un jeune inconnu, Jean Robin, Ils ont tué la télé publique (1).
Charge au canon contre «une génération d'irresponsables télévisuels subventionnés par chacun d'entre nous», le livre de Robin concentre en fait le tir sur Thierry Ardisson, «chef de file» de cette génération. L'offensive ne manque pas de panache. Ardisson est aujourd'hui intouchable. Quand l'homme en noir regarde autour de lui, quelle jubilation doit être la sienne. Son règne est sans partage. L'autobiographie sur mesure de l'an dernier, confession soigneusement contrôlée, a été un succès. Les échecs, les mensonges, sont effacés des mémoires. A perte de vue, ce ne sont que louanges, et têtes courbées. Le matin, son miroir lui susurre : Tu règnes sur les Lettres. Nul succès de librairie en dehors de Toi. Il ne se trouvera personne, dans la République des Lettres, pour oser porter contre Toi la moindre critique. Les ministres, les anciens ministres, les anciens Premiers ministres, qui pourraient se rebeller contre Ton arrogance, écrivent des livres. Les polémistes, les pamphlétaires, qui pourraient questionner Tes obsessions, écrivent des livres. Les journalistes, les directeurs de journaux, qui pourraient enquêter sur Ton art de l'omission, écrivent des livres. Personne ne parle de Tout le monde en parle, sauf pour la célébrer. Si un auteur avait quelques velléités, l'éditeur veillerait à prévenir les tendances suicidaires. Nul doute que tous les muets, un jour ou l'autre, se rattraperont, et que le lynchage sera alors à la mesure de la terreur d'aujourd'hui. Mais on n'y est pas.
Il faut être tête brûlée, et un peu suicidaire, pour s'attaquer au monument. Peu importe à Jean Robin. L'an dernier, il a croisé le sujet Ardisson, en découvrant par hasard que l'animateur avait minimisé son péché de plagiat dans son Pondichéry. Ardisson admettait six pages plagiées. Robin en a découvert soixante. Silence des médias. Le trublion a tenté de perturber quelques émissions en direct où promotionnait l'animateur. Il a essuyé les jappements des chiens de garde. Et le silence est retombé. Peu lui importe, il continue.
On ouvre avec réticence le livre, qu'il vient de publier à quasi-compte d'auteur (tous les grands éditeurs parisiens ayant refusé son projet). On se dit : «Encore Ardisson ? Est-ce bien la peine ?» Et puis, magie de la compilation, saute aux yeux ce que l'on finissait par ne plus voir. Commençons par le moins convaincant : les mensonges et les ambiguïtés de l'animateur sur lui-même. Qu'Ardisson instrumentalise son catholicisme ou son monarchisme supposés pour faire admettre à la télévision publique son obsession sexuelle, Robin s'y attarde trop longtemps, au risque de verser dans la chasse à l'homme. Qu'il surreprésente, dans ses invitations, ses propres éditeurs ou ceux de ses proches (Plon, éditeur de Ruquier, Flammarion, employeur de Beigbeder et éditeur d'Ardisson lui-même) peut aussi être considéré comme secondaire : il n'est pas le seul après tout, dans les médias, à pratiquer le copinage et la consanguinité.
Mais là où Robin touche juste, c'est en pointant les thèmes que Ardisson, semaine après semaine, sans en avoir l'air, injecte dans le débat public. Retenons-en deux : la théorie du complot, et l'obsession des Juifs.
La dilection d'Ardisson pour toutes les théories du complot n'est pas née avec sa mémorable invitation de Thierry Meyssan (l'homme qui affirmait qu'aucun Boeing ne s'est écrasé sur le Pentagone). Jean Robin en retrouve des traces notamment dans son livre Louis XX, pointant la fascination de l'auteur à propos de la thèse de l'évasion du Temple du petit Louis XVII. De Louis XVII au Pentagone, Ardisson, selon Robin, dresse le portrait cohérent d'une société où «la vérité est ailleurs», où toutes les paroles officielles, à l'instar de la sienne, ne sont que mensonge.
Aussi pernicieuse est sa trouble obsession des Juifs. Certes, il n'est pas question d'antisémitisme, d'hostilité déclarée. Mais ces citations antisémites répétées à l'antenne, sous couvert de les dénoncer ; cet acharnement à mettre en avant, gentiment, en vieux copain, l'origine juive de ses invités, qui s'y prêtent complaisamment ; cette insistance sur la judaïté de François Truffaut ou... du tango argentin : la compilation de Jean Robin est implacable. Et amène une question : cette insistance d'Ardisson à souffler sur les braises de la compétition communautaire, de la lutte des mémoires, à organiser semaine après semaine des matchs judéo-musulmans ou israélo-palestiniens, ne contribue-t-elle pas à entretenir en France les crispations communautaires ?
C'est ainsi, dans la durée, qu'un être seul est mis en position d'influer sur l'imaginaire collectif. C'est ainsi, par petites touches, qu'un talentueux bateleur multimédia fait passer une vision du monde, des obsessions personnelles, comme évidentes et naturelles. C'est un dispositif d'influence permanente sur le débat public (comme par exemple, dans un genre différent, la permanente posture de rebelle boutiquier d'un Jean-Pierre Pernaut sur TF1). Un message d'autant plus efficace qu'il est habilement noyé dans le sirop des trouvailles visuelles, des effets spéciaux, et des applaudissements.
(1) Editions du Journalisme continu.
Son Influence Ardisson
par Daniel SCHNEIDERMANNQUOTIDIEN : vendredi 28 avril 2006
Dans l'avalanche quotidienne des révélations éphémères et des scandales formatés, comment repérer les authentiques briseurs de tabous ? Facile. Ce sont ceux dont les médias ne parleront pas. On peut ainsi parier qu'un épais silence va entourer le livre d'un jeune inconnu, Jean Robin, Ils ont tué la télé publique (1).
Charge au canon contre «une génération d'irresponsables télévisuels subventionnés par chacun d'entre nous», le livre de Robin concentre en fait le tir sur Thierry Ardisson, «chef de file» de cette génération. L'offensive ne manque pas de panache. Ardisson est aujourd'hui intouchable. Quand l'homme en noir regarde autour de lui, quelle jubilation doit être la sienne. Son règne est sans partage. L'autobiographie sur mesure de l'an dernier, confession soigneusement contrôlée, a été un succès. Les échecs, les mensonges, sont effacés des mémoires. A perte de vue, ce ne sont que louanges, et têtes courbées. Le matin, son miroir lui susurre : Tu règnes sur les Lettres. Nul succès de librairie en dehors de Toi. Il ne se trouvera personne, dans la République des Lettres, pour oser porter contre Toi la moindre critique. Les ministres, les anciens ministres, les anciens Premiers ministres, qui pourraient se rebeller contre Ton arrogance, écrivent des livres. Les polémistes, les pamphlétaires, qui pourraient questionner Tes obsessions, écrivent des livres. Les journalistes, les directeurs de journaux, qui pourraient enquêter sur Ton art de l'omission, écrivent des livres. Personne ne parle de Tout le monde en parle, sauf pour la célébrer. Si un auteur avait quelques velléités, l'éditeur veillerait à prévenir les tendances suicidaires. Nul doute que tous les muets, un jour ou l'autre, se rattraperont, et que le lynchage sera alors à la mesure de la terreur d'aujourd'hui. Mais on n'y est pas.
Il faut être tête brûlée, et un peu suicidaire, pour s'attaquer au monument. Peu importe à Jean Robin. L'an dernier, il a croisé le sujet Ardisson, en découvrant par hasard que l'animateur avait minimisé son péché de plagiat dans son Pondichéry. Ardisson admettait six pages plagiées. Robin en a découvert soixante. Silence des médias. Le trublion a tenté de perturber quelques émissions en direct où promotionnait l'animateur. Il a essuyé les jappements des chiens de garde. Et le silence est retombé. Peu lui importe, il continue.
On ouvre avec réticence le livre, qu'il vient de publier à quasi-compte d'auteur (tous les grands éditeurs parisiens ayant refusé son projet). On se dit : «Encore Ardisson ? Est-ce bien la peine ?» Et puis, magie de la compilation, saute aux yeux ce que l'on finissait par ne plus voir. Commençons par le moins convaincant : les mensonges et les ambiguïtés de l'animateur sur lui-même. Qu'Ardisson instrumentalise son catholicisme ou son monarchisme supposés pour faire admettre à la télévision publique son obsession sexuelle, Robin s'y attarde trop longtemps, au risque de verser dans la chasse à l'homme. Qu'il surreprésente, dans ses invitations, ses propres éditeurs ou ceux de ses proches (Plon, éditeur de Ruquier, Flammarion, employeur de Beigbeder et éditeur d'Ardisson lui-même) peut aussi être considéré comme secondaire : il n'est pas le seul après tout, dans les médias, à pratiquer le copinage et la consanguinité.
Mais là où Robin touche juste, c'est en pointant les thèmes que Ardisson, semaine après semaine, sans en avoir l'air, injecte dans le débat public. Retenons-en deux : la théorie du complot, et l'obsession des Juifs.
La dilection d'Ardisson pour toutes les théories du complot n'est pas née avec sa mémorable invitation de Thierry Meyssan (l'homme qui affirmait qu'aucun Boeing ne s'est écrasé sur le Pentagone). Jean Robin en retrouve des traces notamment dans son livre Louis XX, pointant la fascination de l'auteur à propos de la thèse de l'évasion du Temple du petit Louis XVII. De Louis XVII au Pentagone, Ardisson, selon Robin, dresse le portrait cohérent d'une société où «la vérité est ailleurs», où toutes les paroles officielles, à l'instar de la sienne, ne sont que mensonge.
Aussi pernicieuse est sa trouble obsession des Juifs. Certes, il n'est pas question d'antisémitisme, d'hostilité déclarée. Mais ces citations antisémites répétées à l'antenne, sous couvert de les dénoncer ; cet acharnement à mettre en avant, gentiment, en vieux copain, l'origine juive de ses invités, qui s'y prêtent complaisamment ; cette insistance sur la judaïté de François Truffaut ou... du tango argentin : la compilation de Jean Robin est implacable. Et amène une question : cette insistance d'Ardisson à souffler sur les braises de la compétition communautaire, de la lutte des mémoires, à organiser semaine après semaine des matchs judéo-musulmans ou israélo-palestiniens, ne contribue-t-elle pas à entretenir en France les crispations communautaires ?
C'est ainsi, dans la durée, qu'un être seul est mis en position d'influer sur l'imaginaire collectif. C'est ainsi, par petites touches, qu'un talentueux bateleur multimédia fait passer une vision du monde, des obsessions personnelles, comme évidentes et naturelles. C'est un dispositif d'influence permanente sur le débat public (comme par exemple, dans un genre différent, la permanente posture de rebelle boutiquier d'un Jean-Pierre Pernaut sur TF1). Un message d'autant plus efficace qu'il est habilement noyé dans le sirop des trouvailles visuelles, des effets spéciaux, et des applaudissements.
(1) Editions du Journalisme continu.
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