LE RECIT DES GEOLIERS D'ILAN HALIMI
Geôliers d'Ilan Halimi
«Je ne me posais pas de questions»
Surnommés «Smiler», «Coup-de-Tête» ou «Zigo», les complices de Youssouf Fofana ont surveillé leur victime pendant que «le boss» négociait la rançon. Tous étaient attirés par l'argent facile.
par Patricia TOURANCHEAUQUOTIDIEN : jeudi 13 avril 2006
ls se font appeler «Smiler» ou «Agent Smith», «Coup-de-Tête» ou «Zigo». Ils habitent Bagneux, Hauts-de-Seine, entre les cités de la Pierre-Plate et du Prunier-Hardy. Après avoir erré dans les couloirs du collège Joliot-Curie, ils ont séché les cours sans espoir d'entrer au lycée. Et tous sont devenus «les barbares» ; c'est comme ça qu'ils s'appelaient. Barbares pour la «thune», complices d'un «plan séquestration», comme ils l'ont avoué aux enquêteurs. Leur chef aussi avait des surnoms. Youssouf Fofana, «le grand qui fait peur», était «the brain», «le boss», «le django», parfois. Leur victime, retrouvée morte le 13 février, s'appelait Ilan Halimi. Il avait 23 ans.
«J'ai fini mes études au niveau de la cinquième», dit Samir Ait Abdelmalek, l'aîné, que les petits appellent «Smiler» et les grands «Agent Smith», en référence à Matrix. A 27 ans, Smiler est SDF, tantôt chez Priscilla, la mère de ses deux filles, tantôt chez sa soeur. Il a fait de la prison pour vols de voitures et trafic de shit. Il y a un an, il a travaillé dans une imprimerie de la porte de Montreuil, puis a touché les Assedic. Il a connu Fofana dix ans plus tôt. «C'est un copain d'adolescence, pas de business. Lui a fait son chemin de son côté et il est devenu quelqu'un d'endurci et de craint.» Smiler a continué ses trafics, et ses marottes «mes jeux en réseau, ma musique, mon basket». Il fume «quatre à cinq joints par jour». Il connaît un gardien d'immeuble qui lui permet d'entreposer sa came dans une cave. Fofana le sait, et lui a demandé de trouver «un endroit pour faire quelque chose», qui durerait «deux ou trois jours». Samir flaire le «plan louche». «J'ai bien pensé que ce n'était pas pour planter des roses.» Mais il marche dans le coup. Il en a marre de «manger aux Restos du coeur». «Pour moi, c'était de l'argent rapide, donc je ne me suis pas posé de questions sur ce qu'il allait faire de ce local. Je m'attendais à toucher deux ou trois mille euros. En plus, je me voyais mal lui refuser sans me faire casser la gueule.» Il s'arrange avec le concierge, lui promet 1 500 euros et trouve un appartement inoccupé, au troisième étage du numéro 1 de la rue Prokofiev. Smiler donne la clé à Fofana. Il croit sa mission terminée.
Le samedi 21 janvier, Fofana le retrouve sur le terrain de boules. «Les locaux sont occupés, c'est bon, y a quelqu'un là-haut», dit-il. Smiler comprend alors qu'«il a soulevé quelqu'un». L'autre précise qu'il a demandé une rançon. «C'est un juif, parce qu'ils ont plein d'argent.» Ça inquiète Smiler. «J'ai eu très peur que ce soit un juif car je venais de lire un article sur les événements de Munich et le film qui en a été tiré. J'avais peur que le Mossad vienne me buter.» Il se dit «en panique», «en galère». Il explique tout au gardien. «On s'est fait dépasser [...] et impossible de faire machine arrière.» Smiler se rend à l'appartement. «Par curiosité», dit-il. «J'ai vu Ilan, seul allongé à même le sol» dans une chambre du F2, «menotté par-devant», les pieds «attachés par du ruban adhésif argenté, complètement momifié. Je n'ai vu que son nez. J'ai eu peur, j'ai laissé des consignes à Jérôme pour qu'ils ne laissent pas leurs détritus par terre». Et effacent toutes traces.
Cagoules noires et scotch gris
Jérôme, c'est Jérôme Ribeiro. Il a 20 ans. Dans le quartier, on l'appelle «Coup-de-Tête» parce qu'enfant il se tapait le crâne contre les murs en faisant du roller. Parents divorcés, famille recomposée, Jérôme a six frères et soeurs. Il a été embauché dans une société d'arrosage automatique après la 3e. Il a quitté la maison au cours de l'automne 2005 après une dispute avec son beau-père. Il a une copine, Leïla, et Audrey, une autre moins régulière. Il n'a plus de travail depuis le 16 décembre fin de contrat. Quand Fofana le croise en bas des HLM, allée du Prunier-Hardy, ça tombe bien : «Tu veux te faire beaucoup d'argent ?» «J'ai dit oui.» Il s'agit de «garder trois jours» un homme. Il repère l'endroit avec Fofana puis l'accompagne au Cora d'Arcueil acheter deux cagoules noires et un rouleau de scotch gris. Endormi dans les bras de Leïla, Jérôme rate le rendez-vous du vendredi minuit pour réceptionner Ilan. Le samedi matin, il rejoint trois autres geôliers, qui ont passé la nuit à fumer du shit. Comme tous, il enfile des gants et n'a pas le droit de se servir de son portable. Ordres de Fofana.
Dans le groupe, il y a aussi «un métis boutonneux». Jean-Christophe dit «Zigo», 17 ans. Viré en 4e du collège parisien Béranger pour indiscipline, Zigo traîne depuis deux ans. Sa mère, gouvernante en hôtellerie dans un Ibis, dit qu'il «ne tient pas en place». En décembre, il a été attrapé par les policiers au Prunier-Hardy pour vols de MP3 et usage de cannabis, puis placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de revenir dans la cité. Peu importe. Il y prend racine. Zigo marche dans le coup, prêt à tout pour toucher «cinq barres, 5 000 euros». Fofana débarque avec «des draps blancs à motifs orange pour masquer les murs et les fenêtres». Sur son «instruction» et avec 100 euros qu'il lui a remis, Zigo achète deux boîtes de protéines en poudre, «aux légumes et à la vanille» pour nourrir l'otage, des pailles, des gobelets et des ciseaux à bouts ronds. Vers minuit, Zigo frappe à la porte, «deux coups puis un coup». «La personne séquestrée était réveillée, elle m'a même appelé en s'agitant. Je lui ai proposé de manger. Comme il a acquiescé, j'ai fait un trou avec une paire de ciseaux d'école au niveau de sa bouche et je lui ai donné des protéines à l'aide d'une paille.»
Fofana réclame une photo «gore avec du sang»
Certain d'avoir trouvé «une idée infaillible» pour récupérer la rançon de 450 000 euros qu'il exige, Fofana appelle Smiler. «Les parents d'Ilan veulent une photo de leur fils en bonne santé. Comme je veux absolument qu'il rentre chez lui, j'ai accepté ce service empoisonné.» Smiler se rend à l'appartement et prend une photo d'Ilan entortillé d'adhésif argenté, pistolet pointé sur la tempe «pour impressionner». Zigo et Jérôme emportent l'appareil numérique de Fofana dans un cybercafé d'Arcueil, près du RER Laplace. Ils envoient cette photo à la famille.
Jérôme «parle en cachette avec l'otage». Il lui achète «deux cheeseburgers, des frites et une boisson à un grec», enlève son bâillon et le nourrit. «Ilan me faisait confiance et il n'a pas essayé de crier.» Les geôliers attendent la libération de l'otage pour le mardi. Comme convenu, ils le déshabillent et le nettoient. «Parce que le boss a gardé les clés des menottes», ils découpent son blouson de cuir, son jean, et sa chemise avec les ciseaux d'écolier. Mais quand Smiler revient, il annonce : «C'est mort, il ne part pas ce soir.»
Fofana, qui négocie à distance depuis la Côte-d'Ivoire, l'a appelé «vachement remonté car il ne devait pas avoir eu l'argent qu'il escomptait». Il lui demande alors une «photo gore avec du sang qui marque les esprits». Ou alors «avec un manche à balai dans l'anus». Pas d'accord, Smiler et Jérôme disent essayer vainement de «trouver du faux sang dans un magasin de farces et attrapes». Ils organisent néanmoins une mise en scène avec le manche à balai, sans parvenir à envoyer l'image. Ils essaient encore. Et transmettent par mégarde une photo au fond orné de ballons et du mot «happy birthday».
Les geôliers s'impatientent. Ils sont «sans nouvelles de personne». Ils passent le temps. «J'ai dit à Zigo que je donnerais une partie de cet argent à ma mère pour payer mes amendes à la RATP et l'autre partie pour acheter des vêtements et peut-être partir au ski avec ma copine Leïla. Zigo m'a dit que lui allait s'acheter des vêtements et mettre le reste à gauche», avoue Jérôme. Il explique aux enquêteurs qu'il ne comprenait pas que les autres soient «brutaux» avec Ilan, qui se tient pourtant «tranquille». «Surtout Zigo qui lui donne parfois des coups de manche à balai» et qui a «voulu écraser son joint sur le front d'Ilan». Parce que c'est un «feuj» (juif) ou qu'il «réclamait une deuxième cigarette». Zigo dit qu'il «n'aime pas l'accompagner faire caca». Il demande à Ilan d'attendre la relève. Si la victime insiste ou «gémit», ça «l'énerve». «Je lui mettais un coup ou une claque au visage pour qu'il se taise.» Il dit «obéir» à Fofana qui leur a ordonné «de ne pas faire de bruit». Interrogé plus tard sur le traitement subi par Ilan, Zigo dira : «Sur le coup, ça ne m'a pas dérangé, je ne me posais pas de question, je pensais à mes 5 000 euros.»
Balafre au cutter
La détention d'Ilan dure maintenant depuis une semaine. Au contraire de Zigo, geôlier jusqu'au bout, Jérôme dit avoir eu «pitié» et a laissé tomber. Smiler sent que «c'est foutu». Il retrouve Fofana à son retour de Côte-d'Ivoire. «Je lui dis : "Il faut arrêter, on doit le libérer".» L'autre refuse. «Pas de panique, je vais y arriver.» La nuit même, Fofana transporte Ilan sur son dos à la cave pour libérer le logement où commencent des travaux. D'autres gardiens se succèdent, et se sentent abandonnés du boss, reparti en Côte-d'Ivoire. La mère de Yaya, 18 ans, analphabète, livreur de pizzas et footballeur, en a marre de le voir «découcher» et menace de le mettre à la rue. Yaya décroche, lui aussi, au bout de la deuxième semaine, et trouve Fabrice et Babas, deux «potes» pour prendre sa suite. «Ils ont été d'accord puisqu'il s'agissait juste de le garder.» Ça se durcit. Fofana exige de Smiler une photo d'Ilan «avec du sang». La victime est allongée sur une couette, dans la chaufferie. Smiler trouve Ilan «épuisé, au bout du rouleau» mais dit que «personne n'ose le libérer par crainte de Youssouf». L'aîné du gang pressent que «tout est cuit». Qu'il n'y aura pas d'argent. Il balafre quand même son otage à la joue, d'un coup de cutter, et transmet le cliché à sa famille.
Le dimanche 12 février, Fofana rentre d'Afrique. Nouvel échec. Les derniers geôliers baissent les bras. Smiler répète que «tout le monde en a marre», qu'il faut relâcher l'otage. Youssouf Fofana n'a plus le choix. «D'accord, c'est bon, il va partir.» Il ordonne aux geôliers de raser les cheveux d'Ilan, de le laver, puis le transporte nu dans le coffre d'une voiture volée. Smiler respire : «Je me suis couché en pensant qu'Ilan allait rentrer chez lui.» Le lendemain, Youssouf Fofana lui dit : «C'est bon, il est parti.»
«Je ne me posais pas de questions»
Surnommés «Smiler», «Coup-de-Tête» ou «Zigo», les complices de Youssouf Fofana ont surveillé leur victime pendant que «le boss» négociait la rançon. Tous étaient attirés par l'argent facile.
par Patricia TOURANCHEAUQUOTIDIEN : jeudi 13 avril 2006
ls se font appeler «Smiler» ou «Agent Smith», «Coup-de-Tête» ou «Zigo». Ils habitent Bagneux, Hauts-de-Seine, entre les cités de la Pierre-Plate et du Prunier-Hardy. Après avoir erré dans les couloirs du collège Joliot-Curie, ils ont séché les cours sans espoir d'entrer au lycée. Et tous sont devenus «les barbares» ; c'est comme ça qu'ils s'appelaient. Barbares pour la «thune», complices d'un «plan séquestration», comme ils l'ont avoué aux enquêteurs. Leur chef aussi avait des surnoms. Youssouf Fofana, «le grand qui fait peur», était «the brain», «le boss», «le django», parfois. Leur victime, retrouvée morte le 13 février, s'appelait Ilan Halimi. Il avait 23 ans.
«J'ai fini mes études au niveau de la cinquième», dit Samir Ait Abdelmalek, l'aîné, que les petits appellent «Smiler» et les grands «Agent Smith», en référence à Matrix. A 27 ans, Smiler est SDF, tantôt chez Priscilla, la mère de ses deux filles, tantôt chez sa soeur. Il a fait de la prison pour vols de voitures et trafic de shit. Il y a un an, il a travaillé dans une imprimerie de la porte de Montreuil, puis a touché les Assedic. Il a connu Fofana dix ans plus tôt. «C'est un copain d'adolescence, pas de business. Lui a fait son chemin de son côté et il est devenu quelqu'un d'endurci et de craint.» Smiler a continué ses trafics, et ses marottes «mes jeux en réseau, ma musique, mon basket». Il fume «quatre à cinq joints par jour». Il connaît un gardien d'immeuble qui lui permet d'entreposer sa came dans une cave. Fofana le sait, et lui a demandé de trouver «un endroit pour faire quelque chose», qui durerait «deux ou trois jours». Samir flaire le «plan louche». «J'ai bien pensé que ce n'était pas pour planter des roses.» Mais il marche dans le coup. Il en a marre de «manger aux Restos du coeur». «Pour moi, c'était de l'argent rapide, donc je ne me suis pas posé de questions sur ce qu'il allait faire de ce local. Je m'attendais à toucher deux ou trois mille euros. En plus, je me voyais mal lui refuser sans me faire casser la gueule.» Il s'arrange avec le concierge, lui promet 1 500 euros et trouve un appartement inoccupé, au troisième étage du numéro 1 de la rue Prokofiev. Smiler donne la clé à Fofana. Il croit sa mission terminée.
Le samedi 21 janvier, Fofana le retrouve sur le terrain de boules. «Les locaux sont occupés, c'est bon, y a quelqu'un là-haut», dit-il. Smiler comprend alors qu'«il a soulevé quelqu'un». L'autre précise qu'il a demandé une rançon. «C'est un juif, parce qu'ils ont plein d'argent.» Ça inquiète Smiler. «J'ai eu très peur que ce soit un juif car je venais de lire un article sur les événements de Munich et le film qui en a été tiré. J'avais peur que le Mossad vienne me buter.» Il se dit «en panique», «en galère». Il explique tout au gardien. «On s'est fait dépasser [...] et impossible de faire machine arrière.» Smiler se rend à l'appartement. «Par curiosité», dit-il. «J'ai vu Ilan, seul allongé à même le sol» dans une chambre du F2, «menotté par-devant», les pieds «attachés par du ruban adhésif argenté, complètement momifié. Je n'ai vu que son nez. J'ai eu peur, j'ai laissé des consignes à Jérôme pour qu'ils ne laissent pas leurs détritus par terre». Et effacent toutes traces.
Cagoules noires et scotch gris
Jérôme, c'est Jérôme Ribeiro. Il a 20 ans. Dans le quartier, on l'appelle «Coup-de-Tête» parce qu'enfant il se tapait le crâne contre les murs en faisant du roller. Parents divorcés, famille recomposée, Jérôme a six frères et soeurs. Il a été embauché dans une société d'arrosage automatique après la 3e. Il a quitté la maison au cours de l'automne 2005 après une dispute avec son beau-père. Il a une copine, Leïla, et Audrey, une autre moins régulière. Il n'a plus de travail depuis le 16 décembre fin de contrat. Quand Fofana le croise en bas des HLM, allée du Prunier-Hardy, ça tombe bien : «Tu veux te faire beaucoup d'argent ?» «J'ai dit oui.» Il s'agit de «garder trois jours» un homme. Il repère l'endroit avec Fofana puis l'accompagne au Cora d'Arcueil acheter deux cagoules noires et un rouleau de scotch gris. Endormi dans les bras de Leïla, Jérôme rate le rendez-vous du vendredi minuit pour réceptionner Ilan. Le samedi matin, il rejoint trois autres geôliers, qui ont passé la nuit à fumer du shit. Comme tous, il enfile des gants et n'a pas le droit de se servir de son portable. Ordres de Fofana.
Dans le groupe, il y a aussi «un métis boutonneux». Jean-Christophe dit «Zigo», 17 ans. Viré en 4e du collège parisien Béranger pour indiscipline, Zigo traîne depuis deux ans. Sa mère, gouvernante en hôtellerie dans un Ibis, dit qu'il «ne tient pas en place». En décembre, il a été attrapé par les policiers au Prunier-Hardy pour vols de MP3 et usage de cannabis, puis placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de revenir dans la cité. Peu importe. Il y prend racine. Zigo marche dans le coup, prêt à tout pour toucher «cinq barres, 5 000 euros». Fofana débarque avec «des draps blancs à motifs orange pour masquer les murs et les fenêtres». Sur son «instruction» et avec 100 euros qu'il lui a remis, Zigo achète deux boîtes de protéines en poudre, «aux légumes et à la vanille» pour nourrir l'otage, des pailles, des gobelets et des ciseaux à bouts ronds. Vers minuit, Zigo frappe à la porte, «deux coups puis un coup». «La personne séquestrée était réveillée, elle m'a même appelé en s'agitant. Je lui ai proposé de manger. Comme il a acquiescé, j'ai fait un trou avec une paire de ciseaux d'école au niveau de sa bouche et je lui ai donné des protéines à l'aide d'une paille.»
Fofana réclame une photo «gore avec du sang»
Certain d'avoir trouvé «une idée infaillible» pour récupérer la rançon de 450 000 euros qu'il exige, Fofana appelle Smiler. «Les parents d'Ilan veulent une photo de leur fils en bonne santé. Comme je veux absolument qu'il rentre chez lui, j'ai accepté ce service empoisonné.» Smiler se rend à l'appartement et prend une photo d'Ilan entortillé d'adhésif argenté, pistolet pointé sur la tempe «pour impressionner». Zigo et Jérôme emportent l'appareil numérique de Fofana dans un cybercafé d'Arcueil, près du RER Laplace. Ils envoient cette photo à la famille.
Jérôme «parle en cachette avec l'otage». Il lui achète «deux cheeseburgers, des frites et une boisson à un grec», enlève son bâillon et le nourrit. «Ilan me faisait confiance et il n'a pas essayé de crier.» Les geôliers attendent la libération de l'otage pour le mardi. Comme convenu, ils le déshabillent et le nettoient. «Parce que le boss a gardé les clés des menottes», ils découpent son blouson de cuir, son jean, et sa chemise avec les ciseaux d'écolier. Mais quand Smiler revient, il annonce : «C'est mort, il ne part pas ce soir.»
Fofana, qui négocie à distance depuis la Côte-d'Ivoire, l'a appelé «vachement remonté car il ne devait pas avoir eu l'argent qu'il escomptait». Il lui demande alors une «photo gore avec du sang qui marque les esprits». Ou alors «avec un manche à balai dans l'anus». Pas d'accord, Smiler et Jérôme disent essayer vainement de «trouver du faux sang dans un magasin de farces et attrapes». Ils organisent néanmoins une mise en scène avec le manche à balai, sans parvenir à envoyer l'image. Ils essaient encore. Et transmettent par mégarde une photo au fond orné de ballons et du mot «happy birthday».
Les geôliers s'impatientent. Ils sont «sans nouvelles de personne». Ils passent le temps. «J'ai dit à Zigo que je donnerais une partie de cet argent à ma mère pour payer mes amendes à la RATP et l'autre partie pour acheter des vêtements et peut-être partir au ski avec ma copine Leïla. Zigo m'a dit que lui allait s'acheter des vêtements et mettre le reste à gauche», avoue Jérôme. Il explique aux enquêteurs qu'il ne comprenait pas que les autres soient «brutaux» avec Ilan, qui se tient pourtant «tranquille». «Surtout Zigo qui lui donne parfois des coups de manche à balai» et qui a «voulu écraser son joint sur le front d'Ilan». Parce que c'est un «feuj» (juif) ou qu'il «réclamait une deuxième cigarette». Zigo dit qu'il «n'aime pas l'accompagner faire caca». Il demande à Ilan d'attendre la relève. Si la victime insiste ou «gémit», ça «l'énerve». «Je lui mettais un coup ou une claque au visage pour qu'il se taise.» Il dit «obéir» à Fofana qui leur a ordonné «de ne pas faire de bruit». Interrogé plus tard sur le traitement subi par Ilan, Zigo dira : «Sur le coup, ça ne m'a pas dérangé, je ne me posais pas de question, je pensais à mes 5 000 euros.»
Balafre au cutter
La détention d'Ilan dure maintenant depuis une semaine. Au contraire de Zigo, geôlier jusqu'au bout, Jérôme dit avoir eu «pitié» et a laissé tomber. Smiler sent que «c'est foutu». Il retrouve Fofana à son retour de Côte-d'Ivoire. «Je lui dis : "Il faut arrêter, on doit le libérer".» L'autre refuse. «Pas de panique, je vais y arriver.» La nuit même, Fofana transporte Ilan sur son dos à la cave pour libérer le logement où commencent des travaux. D'autres gardiens se succèdent, et se sentent abandonnés du boss, reparti en Côte-d'Ivoire. La mère de Yaya, 18 ans, analphabète, livreur de pizzas et footballeur, en a marre de le voir «découcher» et menace de le mettre à la rue. Yaya décroche, lui aussi, au bout de la deuxième semaine, et trouve Fabrice et Babas, deux «potes» pour prendre sa suite. «Ils ont été d'accord puisqu'il s'agissait juste de le garder.» Ça se durcit. Fofana exige de Smiler une photo d'Ilan «avec du sang». La victime est allongée sur une couette, dans la chaufferie. Smiler trouve Ilan «épuisé, au bout du rouleau» mais dit que «personne n'ose le libérer par crainte de Youssouf». L'aîné du gang pressent que «tout est cuit». Qu'il n'y aura pas d'argent. Il balafre quand même son otage à la joue, d'un coup de cutter, et transmet le cliché à sa famille.
Le dimanche 12 février, Fofana rentre d'Afrique. Nouvel échec. Les derniers geôliers baissent les bras. Smiler répète que «tout le monde en a marre», qu'il faut relâcher l'otage. Youssouf Fofana n'a plus le choix. «D'accord, c'est bon, il va partir.» Il ordonne aux geôliers de raser les cheveux d'Ilan, de le laver, puis le transporte nu dans le coffre d'une voiture volée. Smiler respire : «Je me suis couché en pensant qu'Ilan allait rentrer chez lui.» Le lendemain, Youssouf Fofana lui dit : «C'est bon, il est parti.»
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