VICHY, UN ANTISEMITISME ADMINISTRATIF
Un antisémitisme administratif
Eric Roussel
Une étude sur le Commissariat aux questions juives montre la dérive d'une politique ambiguë devenue complice du génocide prôné par les nazis.
Vichy dans la Solution finale Histoire du Commissariat général aux questions juives (1941-1944) de Laurent Joly Grasset, 432p., 21,80 €." src="http://medias.lefigaro.fr/photos/20060526.WWW000000250_12725_1.jpg" Custom="Vichy dans la Solution finale Histoire du Commissariat général aux questions juives (1941-1944) de Laurent Joly Grasset, 432p., 21,80 €. ">
LA SCÈNE se déroule, à Vichy, le 15 mars 1941. Le maréchal Pétain reçoit le grand rabbin de France, Isaïe Schwartz. Un dialogue, que l'on qualifierait de burlesque si le contexte n'était pas dramatique, s'engage. Isaïe Schwartz s'alarme de la mise en application du statut des juifs : « Nous sommes donc mis à part ? » « Le tort que vous avez, rétorque le chef de l'Etat, c'est de ne pas être intégrés dans la nationalité française. » Indignation du grand rabbin : « Comment ? Tout ce que nous avons fait dans tant de domaines, et au point de vue patriotique. » « Vous n'avez pas d'artisanat, pas de paysannerie : par là, vous êtes écartés de la nation, réplique Pétain... Achetez des terres, cultivez-les en famille et toute animosité disparaîtra. » En s'exprimant ainsi, le Maréchal prouvait, si l'on pouvait en douter, qu'il n'était plus tout à fait en possession de ses facultés intellectuelles, mais ces remarques montraient surtout combien l'idéologie d'extrême droite s'était répandue au-delà de sa sphère d'influence traditionnelle, contaminant une partie de la société française.
Laurent Joly, qui rapporte ces faits, montre très bien les responsabilités intellectuelles écrasantes portées par ceux qui, dès le lendemain de la défaite, voulurent profiter de l'occasion pour régler des comptes, prendre une revanche sur les dreyfusards. Sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil, proche de Pétain depuis des années, Raphaël Alibert, ancien maître des requêtes au Conseil d'Etat, fut sans doute celui qui exerça alors l'influence la plus nocive. Maurrassien de stricte obédience, (encore que certains l'aient jugé proche de la Cagoule), ce juriste aigri, maniaque, peu équilibré, n'envisageait évidemment pas la liquidation physique des juifs, seulement leur mise à l'écart de la fonction publique et des postes de responsabilité, conformément à ce que demandait le théoricien de l'Action française depuis des années. Avant même que les Allemands eussent formulé des exigences, le statut des juifs se trouva donc élaboré et mis en application. Personne, dans les cercles officiels, ne s'aperçut qu'un piège à retardement était ainsi en train de se refermer sur le régime de Vichy, qu'un jour prochain l'antisémitisme d'exclusion prôné sur les bords de l'Allier serait condamné pour complicité avec l'antisémitisme d'extermination des nazis.
Un processus inéluctable
Comme l'auteur l'établit, ce processus était d'autant plus inéluctable que les hommes choisis pour diriger le commissariat aux questions juives furent tous, à des degrés divers, soit inconscients de la tragédie qui se préparait, soit carrément désireux de la faciliter. Xavier Vallat, premier titulaire du poste, appartenait à la première catégorie. Prototype du politicien d'extrême droite, catholique ultraconservateur, ce brillant orateur mettra jusqu'au bout un point d'honneur à n'envisager les mesures à prendre contre les juifs que du seul point de vue d'un intérêt national conçu de bien étrange façon et sans voir que son travail facilitait celui des nazis.
Avec le sinistre Darquier de Pellepoix, son successeur en 1942, toute ambiguïté fut levée : la nomination de cet antisémite furieux témoigna de la vassalisation progressive de l'Etat français. Paradoxalement, Charles du Paty de Clam, qui devait prendre le relais en 1944, ne fut pas le pire des trois commissaires. Appelé à ces fonctions uniquement parce qu'il était le fils de l'accusateur de Dreyfus, il s'acquitta de sa triste tâche sans dureté, en portant un intérêt sincère à la détresse des représentants de la communauté juive.
Fondé sur un ample travail d'archives, l'ouvrage de Laurent Joly, très éclairant sur les pressions allemandes, constitue une contribution solide à la connaissance des années noires. Les recherches de Tal Bruttmann lui apportent un utile complément. Sur le terrain, dans l'Isère plus précisément, cet historien s'est attaché à savoir comment la législation antijuive entra dans les faits. Le résultat bouscule bien des idées reçues, même s'il révèle des initiatives courageuses émanant de fonctionnaires qui n'acceptaient pas le nouvel ordre imposé par Vichy.
Au bureau des affaires juives L'administration française et l'application de la législation antisémite (1940-1944) de Tal Bruttmann La Découverte, 300 p., 23 €.
Une étude sur le Commissariat aux questions juives montre la dérive d'une politique ambiguë devenue complice du génocide prôné par les nazis.
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LA SCÈNE se déroule, à Vichy, le 15 mars 1941. Le maréchal Pétain reçoit le grand rabbin de France, Isaïe Schwartz. Un dialogue, que l'on qualifierait de burlesque si le contexte n'était pas dramatique, s'engage. Isaïe Schwartz s'alarme de la mise en application du statut des juifs : « Nous sommes donc mis à part ? » « Le tort que vous avez, rétorque le chef de l'Etat, c'est de ne pas être intégrés dans la nationalité française. » Indignation du grand rabbin : « Comment ? Tout ce que nous avons fait dans tant de domaines, et au point de vue patriotique. » « Vous n'avez pas d'artisanat, pas de paysannerie : par là, vous êtes écartés de la nation, réplique Pétain... Achetez des terres, cultivez-les en famille et toute animosité disparaîtra. » En s'exprimant ainsi, le Maréchal prouvait, si l'on pouvait en douter, qu'il n'était plus tout à fait en possession de ses facultés intellectuelles, mais ces remarques montraient surtout combien l'idéologie d'extrême droite s'était répandue au-delà de sa sphère d'influence traditionnelle, contaminant une partie de la société française.
Laurent Joly, qui rapporte ces faits, montre très bien les responsabilités intellectuelles écrasantes portées par ceux qui, dès le lendemain de la défaite, voulurent profiter de l'occasion pour régler des comptes, prendre une revanche sur les dreyfusards. Sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil, proche de Pétain depuis des années, Raphaël Alibert, ancien maître des requêtes au Conseil d'Etat, fut sans doute celui qui exerça alors l'influence la plus nocive. Maurrassien de stricte obédience, (encore que certains l'aient jugé proche de la Cagoule), ce juriste aigri, maniaque, peu équilibré, n'envisageait évidemment pas la liquidation physique des juifs, seulement leur mise à l'écart de la fonction publique et des postes de responsabilité, conformément à ce que demandait le théoricien de l'Action française depuis des années. Avant même que les Allemands eussent formulé des exigences, le statut des juifs se trouva donc élaboré et mis en application. Personne, dans les cercles officiels, ne s'aperçut qu'un piège à retardement était ainsi en train de se refermer sur le régime de Vichy, qu'un jour prochain l'antisémitisme d'exclusion prôné sur les bords de l'Allier serait condamné pour complicité avec l'antisémitisme d'extermination des nazis.
Un processus inéluctable
Comme l'auteur l'établit, ce processus était d'autant plus inéluctable que les hommes choisis pour diriger le commissariat aux questions juives furent tous, à des degrés divers, soit inconscients de la tragédie qui se préparait, soit carrément désireux de la faciliter. Xavier Vallat, premier titulaire du poste, appartenait à la première catégorie. Prototype du politicien d'extrême droite, catholique ultraconservateur, ce brillant orateur mettra jusqu'au bout un point d'honneur à n'envisager les mesures à prendre contre les juifs que du seul point de vue d'un intérêt national conçu de bien étrange façon et sans voir que son travail facilitait celui des nazis.
Avec le sinistre Darquier de Pellepoix, son successeur en 1942, toute ambiguïté fut levée : la nomination de cet antisémite furieux témoigna de la vassalisation progressive de l'Etat français. Paradoxalement, Charles du Paty de Clam, qui devait prendre le relais en 1944, ne fut pas le pire des trois commissaires. Appelé à ces fonctions uniquement parce qu'il était le fils de l'accusateur de Dreyfus, il s'acquitta de sa triste tâche sans dureté, en portant un intérêt sincère à la détresse des représentants de la communauté juive.
Fondé sur un ample travail d'archives, l'ouvrage de Laurent Joly, très éclairant sur les pressions allemandes, constitue une contribution solide à la connaissance des années noires. Les recherches de Tal Bruttmann lui apportent un utile complément. Sur le terrain, dans l'Isère plus précisément, cet historien s'est attaché à savoir comment la législation antijuive entra dans les faits. Le résultat bouscule bien des idées reçues, même s'il révèle des initiatives courageuses émanant de fonctionnaires qui n'acceptaient pas le nouvel ordre imposé par Vichy.
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Laurent Joly, qui rapporte ces faits, montre très bien les responsabilités intellectuelles écrasantes portées par ceux qui, dès le lendemain de la défaite, voulurent profiter de l'occasion pour régler des comptes, prendre une revanche sur les dreyfusards. Sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil, proche de Pétain depuis des années, Raphaël Alibert, ancien maître des requêtes au Conseil d'Etat, fut sans doute celui qui exerça alors l'influence la plus nocive. Maurrassien de stricte obédience, (encore que certains l'aient jugé proche de la Cagoule), ce juriste aigri, maniaque, peu équilibré, n'envisageait évidemment pas la liquidation physique des juifs, seulement leur mise à l'écart de la fonction publique et des postes de responsabilité, conformément à ce que demandait le théoricien de l'Action française depuis des années. Avant même que les Allemands eussent formulé des exigences, le statut des juifs se trouva donc élaboré et mis en application. Personne, dans les cercles officiels, ne s'aperçut qu'un piège à retardement était ainsi en train de se refermer sur le régime de Vichy, qu'un jour prochain l'antisémitisme d'exclusion prôné sur les bords de l'Allier serait condamné pour complicité avec l'antisémitisme d'extermination des nazis.
Un processus inéluctable
Comme l'auteur l'établit, ce processus était d'autant plus inéluctable que les hommes choisis pour diriger le
Eric Roussel
Une étude sur le Commissariat aux questions juives montre la dérive d'une politique ambiguë devenue complice du génocide prôné par les nazis.
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Laurent Joly, qui rapporte ces faits, montre très bien les responsabilités intellectuelles écrasantes portées par ceux qui, dès le lendemain de la défaite, voulurent profiter de l'occasion pour régler des comptes, prendre une revanche sur les dreyfusards. Sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil, proche de Pétain depuis des années, Raphaël Alibert, ancien maître des requêtes au Conseil d'Etat, fut sans doute celui qui exerça alors l'influence la plus nocive. Maurrassien de stricte obédience, (encore que certains l'aient jugé proche de la Cagoule), ce juriste aigri, maniaque, peu équilibré, n'envisageait évidemment pas la liquidation physique des juifs, seulement leur mise à l'écart de la fonction publique et des postes de responsabilité, conformément à ce que demandait le théoricien de l'Action française depuis des années. Avant même que les Allemands eussent formulé des exigences, le statut des juifs se trouva donc élaboré et mis en application. Personne, dans les cercles officiels, ne s'aperçut qu'un piège à retardement était ainsi en train de se refermer sur le régime de Vichy, qu'un jour prochain l'antisémitisme d'exclusion prôné sur les bords de l'Allier serait condamné pour complicité avec l'antisémitisme d'extermination des nazis.
Un processus inéluctable
Comme l'auteur l'établit, ce processus était d'autant plus inéluctable que les hommes choisis pour diriger le commissariat aux questions juives furent tous, à des degrés divers, soit inconscients de la tragédie qui se préparait, soit carrément désireux de la faciliter. Xavier Vallat, premier titulaire du poste, appartenait à la première catégorie. Prototype du politicien d'extrême droite, catholique ultraconservateur, ce brillant orateur mettra jusqu'au bout un point d'honneur à n'envisager les mesures à prendre contre les juifs que du seul point de vue d'un intérêt national conçu de bien étrange façon et sans voir que son travail facilitait celui des nazis.
Avec le sinistre Darquier de Pellepoix, son successeur en 1942, toute ambiguïté fut levée : la nomination de cet antisémite furieux témoigna de la vassalisation progressive de l'Etat français. Paradoxalement, Charles du Paty de Clam, qui devait prendre le relais en 1944, ne fut pas le pire des trois commissaires. Appelé à ces fonctions uniquement parce qu'il était le fils de l'accusateur de Dreyfus, il s'acquitta de sa triste tâche sans dureté, en portant un intérêt sincère à la détresse des représentants de la communauté juive.
Fondé sur un ample travail d'archives, l'ouvrage de Laurent Joly, très éclairant sur les pressions allemandes, constitue une contribution solide à la connaissance des années noires. Les recherches de Tal Bruttmann lui apportent un utile complément. Sur le terrain, dans l'Isère plus précisément, cet historien s'est attaché à savoir comment la législation antijuive entra dans les faits. Le résultat bouscule bien des idées reçues, même s'il révèle des initiatives courageuses émanant de fonctionnaires qui n'acceptaient pas le nouvel ordre imposé par Vichy.
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Laurent Joly, qui rapporte ces faits, montre très bien les responsabilités intellectuelles écrasantes portées par ceux qui, dès le lendemain de la défaite, voulurent profiter de l'occasion pour régler des comptes, prendre une revanche sur les dreyfusards. Sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil, proche de Pétain depuis des années, Raphaël Alibert, ancien maître des requêtes au Conseil d'Etat, fut sans doute celui qui exerça alors l'influence la plus nocive. Maurrassien de stricte obédience, (encore que certains l'aient jugé proche de la Cagoule), ce juriste aigri, maniaque, peu équilibré, n'envisageait évidemment pas la liquidation physique des juifs, seulement leur mise à l'écart de la fonction publique et des postes de responsabilité, conformément à ce que demandait le théoricien de l'Action française depuis des années. Avant même que les Allemands eussent formulé des exigences, le statut des juifs se trouva donc élaboré et mis en application. Personne, dans les cercles officiels, ne s'aperçut qu'un piège à retardement était ainsi en train de se refermer sur le régime de Vichy, qu'un jour prochain l'antisémitisme d'exclusion prôné sur les bords de l'Allier serait condamné pour complicité avec l'antisémitisme d'extermination des nazis.
Un processus inéluctable
Comme l'auteur l'établit, ce processus était d'autant plus inéluctable que les hommes choisis pour diriger le commissariat aux questions juives furent tous, à des degrés divers, soit inconscients de la tragédie qui se préparait, soit carrément désireux de la faciliter. Xavier Vallat, premier titulaire du poste, appartenait à la première catégorie. Prototype du politicien d'extrême droite, catholique ultraconservateur, ce brillant orateur mettra jusqu'au bout un point d'honneur à n'envisager les mesures à prendre contre les juifs que du seul point de vue d'un intérêt national conçu de bien étrange façon et sans voir que son travail facilitait celui des nazis.
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LA SCÈNE se déroule, à Vichy, le 15 mars 1941. Le maréchal Pétain reçoit le grand rabbin de France, Isaïe Schwartz. Un dialogue, que l'on qualifierait de burlesque si le contexte n'était pas dramatique, s'engage. Isaïe Schwartz s'alarme de la mise en application du statut des juifs : « Nous sommes donc mis à part ? » « Le tort que vous avez, rétorque le chef de l'Etat, c'est de ne pas être intégrés dans la nationalité française. » Indignation du grand rabbin : « Comment ? Tout ce que nous avons fait dans tant de domaines, et au point de vue patriotique. » « Vous n'avez pas d'artisanat, pas de paysannerie : par là, vous êtes écartés de la nation, réplique Pétain... Achetez des terres, cultivez-les en famille et toute animosité disparaîtra. » En s'exprimant ainsi, le Maréchal prouvait, si l'on pouvait en douter, qu'il n'était plus tout à fait en possession de ses facultés intellectuelles, mais ces remarques montraient surtout combien l'idéologie d'extrême droite s'était répandue au-delà de sa sphère d'influence traditionnelle, contaminant une partie de la société française.
Laurent Joly, qui rapporte ces faits, montre très bien les responsabilités intellectuelles écrasantes portées par ceux qui, dès le lendemain de la défaite, voulurent profiter de l'occasion pour régler des comptes, prendre une revanche sur les dreyfusards. Sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil, proche de Pétain depuis des années, Raphaël Alibert, ancien maître des requêtes au Conseil d'Etat, fut sans doute celui qui exerça alors l'influence la plus nocive. Maurrassien de stricte obédience, (encore que certains l'aient jugé proche de la Cagoule), ce juriste aigri, maniaque, peu équilibré, n'envisageait évidemment pas la liquidation physique des juifs, seulement leur mise à l'écart de la fonction publique et des postes de responsabilité, conformément à ce que demandait le théoricien de l'Action française depuis des années. Avant même que les Allemands eussent formulé des exigences, le statut des juifs se trouva donc élaboré et mis en application. Personne, dans les cercles officiels, ne s'aperçut qu'un piège à retardement était ainsi en train de se refermer sur le régime de Vichy, qu'un jour prochain l'antisémitisme d'exclusion prôné sur les bords de l'Allier serait condamné pour complicité avec l'antisémitisme d'extermination des nazis.
Un processus inéluctable
Comme l'auteur l'établit, ce processus était d'autant plus inéluctable que les hommes choisis pour diriger le
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