L'ISLAMISME ET L'ANTISEMITISME PROGRESSENT AU MAROC
‘L’islamisme et l’antisémitisme progressent au Maroc’
By ELIAS LEVY Reporter
L’islamisme et un de ses principaux corollaires, l’antisémitisme, progressent au Maroc, soutient Jean-Pierre Tuquoi.
Journaliste au grand quotidien français Le Monde, spécialiste chevronné des questions politiques du Maghreb, fin connaisseur du Maroc, auteur d’un essai très remarqué sur la monarchie marocaine, Le dernier roi. Crépuscule d’une dynastie (Éditions Grasset, 2001), Jean-Pierre Tuquoi vient de publier, aux Éditions Albin Michel, un nouveau livre sur le règne du roi Mohammed VI et la relation singulière existant entre Rabat et Paris, ““Majesté, je dois beaucoup à votre père”. France-Maroc, une affaire de famille”.
Radioscopie d’un royaume chérifien confronté à la montée imparable de l’intégrisme islamiste.
Canadian Jewish News: Le Maroc a-t-il connu des changements politiques et sociaux importants depuis 1999, année de l’accession au trône alaouite du roi Mohammed VI?
Jean-Pierre Tuquoi: Le règne de Mohammed VI s’inscrit jusqu’à présent dans la continuité de celui de son père, feu le roi Hassan II. Ce dernier, qui a été un monarque très dur, peut-être pas un tyran, mais il avait instauré un régime très autoritaire, a libéralisé, durant les dernières années de son règne, le système politique marocain. Ce qui se passe aujourd’hui au Maroc, c’est finalement la continuité de cette impulsion originelle donnée par Hassan II à la fin de sa vie.
Depuis son arrivée au pouvoir, Mohammed VI n’a apporté des changements importants que dans un seul domaine: les droits des femmes. Il a fait promulguer une loi par le Parlement marocain, une législation sans équivalent dans le monde arabo-musulman, qui a fait que la femme marocaine est pratiquement devenue l’égale de l’homme marocain. Mais ce n’est qu’un changement législatif. Il faut maintenant que ce changement s’inscrive dans la société et dans la culture marocaines. Ce qui prendra beaucoup de temps. C’est vrai que Mohammed VI a pesé pour améliorer le sort de la femme marocaine. À mon avis, c’est le principal crédit qu’on peut lui donner.
Pour le reste, le Maroc continue sur la lancée des dernières années du roi Hassan II. En matière de presse, on ne peut pas dire qu’il y ait eu une amélioration. Des journaux sont toujours censurés ou interdits de publication. En matière de droits de l’homme, très franchement, je ne pense pas qu’il y ait eu non plus une amélioration. Il y a encore beaucoup d’abus, qui ont été dénoncés dernièrement par le gouvernement américain. En réalité, depuis l’intronisation de Mohammed VI, le Maroc n’a pas connu des grands changements sociaux, politiques et économiques, mis à part l’avancée des droits des femmes.
C.J.N.: La société marocaine s’est-elle sensiblement islamisée?
J.-P. Tuquoi: Oui. Il suffit de se promener dans les rues du Maroc pour constater que la société marocaine s’est fortement islamisée. Vous verrez beaucoup plus de femmes voilées qu’il y a 5 ou 10 ans. Cette islamisation est très visible. Je suis convaincu que si demain il y avait des élections législatives au Maroc, une consultation électorale honnête et transparente, le parti islamiste PJD -Parti de la Justice et du Développement- les remporterait haut la main. Ce Parti islamiste, proche du Palais royal, respecte la monarchie marocaine.
C.J.N.:Le scénario algérien -victoire électorale des islamistes du FIS suivie d’un bannissement de ces derniers- pourrait-il se reproduire au Maroc?
J.-P. Tuquoi: Non. Le cas du Maroc est différent. Et puis, l’Histoire ne se répète pas. Ce qui intéresse le parti islamiste PJD, ce n’est pas de remplacer la monarchie -les leaders et les membres de ce parti ont fait allégeance à la couronne alaouite- et détenir les rênes du pouvoir, mais d’islamiser la société marocaine. C’est-à-dire, de faire en sorte que certains films ne passent plus à la télévision, que les boissons alcoolisées ne soient plus permises, que les femmes se soumettent entièrement à la Charia…
C.J.N.: En autorisant aux islamistes à participer pleinement à la vie politique marocaine, Mohammed VI n’a-t-il pas ouvert une boîte de pandore périlleuse?
J.-P. Tuquoi: Durant son règne, Hassan II a favorisé aussi les islamistes. Ils les a utilisés pour contrer la gauche marocaine. La gauche noyautait alors les universités. Donc, pour couper l’herbe sous les pieds à ses adversaires de gauche, les écarter, les éliminer, Hassan II a fait le jeu des islamistes. Ça a tellement bien marché que les islamistes ont fini par remplacer la gauche. Aujourd’hui, les universités marocaines sont contrôlées par les islamistes. Qu’a fait le roi Mohammed VI? Pas grand-chose. Il a simplement redonné sa liberté à un des principaux leaders islamistes marocains, le Cheikh Yassine, qui vivait en résidence surveillée. Mais, l’Association que le Cheikh Yassine contrôle n’a pas été autorisée à devenir un parti politique. Pour le reste, Mohammed VI s’inscrit tout à fait dans la continuité de son défunt père.
Le PJD est aujourd’hui étroitement contrôlé par le Palais royal, comme il l’était aussi du temps de Hassan II. Ce n’est pas un parti extrémiste. Il est constitué d’islamistes partisans de la monarchie, qui ne remettent pas en cause la légitimité du roi Mohammed VI, pas plus qu’ils n’avaient remis en cause celle de Hassan II. Ces islamistes sont des alliés du trône alaouite. Il faut conserver cette idée à l’esprit.
Mais les attentats terroristes perpétrés à Casablanca en 2003, par des islamistes salafistes ont sensiblement changé la donne. Cette violence terroriste a été la preuve manifeste qu’il y a aussi au Maroc des islamistes radicaux. Ça c’est une nouveauté. Jusque là, on considérait que le Maroc, où l’islam est la religion de l’État et le roi le numéro 1 dans cette religion -il est le descendant direct du Prophète et le Commandeur des croyants-, était, avec ces attributs-là, à l’abri des attentats et des violences islamistes. Ce n’est plus le cas.
C.J.N.: Le Maroc de Mohammed VI doit aussi relever des grands défis socioéconomiques?
J. P. Tuquoi: Tout à fait. La situation sociale et économique s’est considérablement dégradée ces dernières années. La pauvreté ne cesse de gagner du terrain. C’est un des grands reproches que l’on fait aujourd’hui à la monarchie marocaine. Au début de son règne, on a surnommé Mohammed VI le “roi des pauvres”. Ça n’a pas duré très longtemps. Ce n’était que du marketing politique. D’ailleurs, lui-même a rectifié le tir assez rapidement en déclarant qu’il était le “roi des pauvres”, mais également le “roi des riches”. C’est un slogan qui ne veut plus rien dire. Les Marocains sont très sensibles au fossé qui ne cesse de se creuser, comme dans d’autres pays, entre les riches et les pauvres. Il y a une classe dirigeante très riche, qui exhibe son opulence et, à côté, il y a les Marocains de la classe moyenne et de la classe populaire dont le niveau de vie n’augmente pas, ou très peu. Ce décalage est porteur de dangers.
C.J.N.: Quelles sont les perspectives d’avenir des quelque 2500 Juifs vivant encore au Maroc?
J. P. Tuquoi: Il n’y a presque plus de Juifs au Maroc. Peut-être encore un millier. Un nombre insignifiant par rapport à la population juive qui vivait dans le royaume chérifien il y a 30 ou 40 ans. La population juive au Maroc ne représente, et ne pèse, plus rien. Par ailleurs, il y a aujourd’hui au Maroc un antisémitisme rampant, attisé essentiellement, puisqu’il n’y a presque plus de Juifs dans le pays, par les événements du Moyen-Orient et le conflit entre Israël et la Palestine. Le Maroc n’échappe pas au fait qu’il est un pays arabo-musulman. Donc, comme tous les États arabo-musulmans, il est très sensible aux événements du Moyen-Orient.
Un courant antisémite s’est développé ces dernières années dans la société marocaine. On le voit apparaître lors de manifestations, où on martèle des slogans antisémites. La rhétorique islamiste doctrinaire antisémite a désormais pignon sur rue dans les milieux populaires marocains. Tout comme l’islamisme, l’antisémitisme progresse aussi au Maroc.
C.J.N.: Il n’en demeure pas moins que le Maroc est le seul pays arabo-musulman où un Juif, en l’occurrence André Azoulay, est conseiller d’un monarque arabe.
J.-P. Tuquoi: C’est vrai que c’est une exception dans le monde arabo-musulman. Mais je pense qu’André Azoulay n’occupe plus qu’un poste honorifique. À cause de la différence de génération, il y a un décalage important entre lui et le roi Mohammed VI. André Azoulay est un septuagénaire. Je ne pense pas que Mohammed VI ait des liens privilégiés avec lui. Il est toujours conseiller royal, mais je pense qu’il est marginalisé. Mohammed VI le garde à ses côtés à cause de l’image d’ouverture et de tolérance que sa présence lui donne vis-à-vis des Occidentaux. C’est pour cette raison qu’il est toujours conseiller du roi, et qu’il le restera. Mais Azoulay ne joue pas un grand rôle. Même s’il souhaitait ne plus assumer cette fonction, il n’a pas le choix. Quand le roi vous nomme à un poste, vous ne pouvez pas démissionner.
C.J.N.: Le roi Hassan II a joué un rôle d’intermédiaire de premier plan dans le conflit israélo-arabe. Pourquoi le roi Mohammed VI est-il beaucoup moins actif dans le processus de paix au Moyen-Orient?
J.-P. Tuquoi: Hassan II était un fin politique. Il s’intéressait beaucoup à la politique étrangère. À cette époque, le contexte international était très différent. Le Maroc a servi de tête de pont, de passerelle, entre Israël et le monde arabe. Il n’y avait pas alors beaucoup de moyens de communication, ni des canaux pouvant favoriser des contacts directs, pour que les deux Communautés puissent enfin se parler. Aujourd’hui, la situation est complètement différente. Si les Israéliens et les Palestiniens veulent se parler, ils peuvent le faire directement. Ils n’ont plus besoin d’un intermédiaire. Par ailleurs, la diplomatie n’est pas la tasse de thé de Mohammed VI. Ce dernier ne participe pas, ou très rarement, au Comité Al-Qods et à des rencontres interarabes ou internationales. Le nouveau souverain marocain snobe les relations internationales. Il est très peu présent dans l’arène mondiale.
C.J.N.: Comment envisagez-vous l’avenir du Maroc?
J.-P. Tuquoi: Je suis convaincu que l’islamisme continuera à gagner du terrain au Maroc. Je pense que ce qui est vrai pour les autres pays du monde arabe l’est également pour le Maroc. Finalement, on est en train de redécouvrir que le Maroc appartient à l’ère arabo-musulmane. On le redécouvre parce que le roi Hassan II avait joué la carte inverse. Il a voulu persuader ses partenaires occidentaux qu’il y avait une exception marocaine, que le royaume chérifien devait s’ancrer à l’Europe. Aujourd’hui, on découvre que, finalement, derrière ces mots de Hassan II, il y a une autre réalité. Le Maroc appartient à son ère géographique et socioculturelle: le monde arabo-musulman. Dans la mesure où ce monde-là est traversé par l’islamisme, le Maroc n’y échappe pas à ce phénomène. L’illustration la plus dramatique a été évidemment les attentats de Casablanca en 2003. Où sera le Maroc dans 5 ans ou 10 ans? Je n’en sais strictement rien. Mais, force est de constater que l’islamisation de la société marocaine est un phénomène inéluctable.
C. J.N.: Votre livre a-t-il été distribué au Maroc?
J.-P. Tuquoi: Non. Il a été censuré. Mon éditeur a fait les démarches officielles auprès des autorités marocaines pour que le livre soit diffusé. Il s’est heurté à une fin de non-recevoir de la part du gouvernement de Rabat. Mon précédent ouvrage, Le dernier Roi. Crépuscule d’une dynastie, jamais distribué au Maroc, m’avait valu lors de sa parution une campagne de presse hostile dans plusieurs journaux du royaume, assortie d’un “conseil” venu du patron d’un des services de renseignement marocains. Sans m’interdire formellement l’entrée au Maroc, il m’avait invité à ne plus m’y rendre “pendant quelque temps”. Le “quelque temps” a duré deux ans. Une période qui m’a paru bien longue.
C.J.N.: Avec la publication de ce nouveau livre n’appréhendez-vous pas d’être à nouveau persona non grata au Maroc?
J.-P. Tuquoi: Pour des raisons d’emploi du temps, je ne suis pas retourné au Maroc depuis la sortie du livre. Je pense y retourner. Très honnêtement, je pense que je pourrais y retourner. Mais, comme lors de mes précédents séjours dans le royaume, les autorités, les services de renseignement et la police marocains surveilleront de près mes allers et venues.
C.J.N.:
By ELIAS LEVY Reporter
L’islamisme et un de ses principaux corollaires, l’antisémitisme, progressent au Maroc, soutient Jean-Pierre Tuquoi.
Journaliste au grand quotidien français Le Monde, spécialiste chevronné des questions politiques du Maghreb, fin connaisseur du Maroc, auteur d’un essai très remarqué sur la monarchie marocaine, Le dernier roi. Crépuscule d’une dynastie (Éditions Grasset, 2001), Jean-Pierre Tuquoi vient de publier, aux Éditions Albin Michel, un nouveau livre sur le règne du roi Mohammed VI et la relation singulière existant entre Rabat et Paris, ““Majesté, je dois beaucoup à votre père”. France-Maroc, une affaire de famille”.
Radioscopie d’un royaume chérifien confronté à la montée imparable de l’intégrisme islamiste.
Canadian Jewish News: Le Maroc a-t-il connu des changements politiques et sociaux importants depuis 1999, année de l’accession au trône alaouite du roi Mohammed VI?
Jean-Pierre Tuquoi: Le règne de Mohammed VI s’inscrit jusqu’à présent dans la continuité de celui de son père, feu le roi Hassan II. Ce dernier, qui a été un monarque très dur, peut-être pas un tyran, mais il avait instauré un régime très autoritaire, a libéralisé, durant les dernières années de son règne, le système politique marocain. Ce qui se passe aujourd’hui au Maroc, c’est finalement la continuité de cette impulsion originelle donnée par Hassan II à la fin de sa vie.
Depuis son arrivée au pouvoir, Mohammed VI n’a apporté des changements importants que dans un seul domaine: les droits des femmes. Il a fait promulguer une loi par le Parlement marocain, une législation sans équivalent dans le monde arabo-musulman, qui a fait que la femme marocaine est pratiquement devenue l’égale de l’homme marocain. Mais ce n’est qu’un changement législatif. Il faut maintenant que ce changement s’inscrive dans la société et dans la culture marocaines. Ce qui prendra beaucoup de temps. C’est vrai que Mohammed VI a pesé pour améliorer le sort de la femme marocaine. À mon avis, c’est le principal crédit qu’on peut lui donner.
Pour le reste, le Maroc continue sur la lancée des dernières années du roi Hassan II. En matière de presse, on ne peut pas dire qu’il y ait eu une amélioration. Des journaux sont toujours censurés ou interdits de publication. En matière de droits de l’homme, très franchement, je ne pense pas qu’il y ait eu non plus une amélioration. Il y a encore beaucoup d’abus, qui ont été dénoncés dernièrement par le gouvernement américain. En réalité, depuis l’intronisation de Mohammed VI, le Maroc n’a pas connu des grands changements sociaux, politiques et économiques, mis à part l’avancée des droits des femmes.
C.J.N.: La société marocaine s’est-elle sensiblement islamisée?
J.-P. Tuquoi: Oui. Il suffit de se promener dans les rues du Maroc pour constater que la société marocaine s’est fortement islamisée. Vous verrez beaucoup plus de femmes voilées qu’il y a 5 ou 10 ans. Cette islamisation est très visible. Je suis convaincu que si demain il y avait des élections législatives au Maroc, une consultation électorale honnête et transparente, le parti islamiste PJD -Parti de la Justice et du Développement- les remporterait haut la main. Ce Parti islamiste, proche du Palais royal, respecte la monarchie marocaine.
C.J.N.:Le scénario algérien -victoire électorale des islamistes du FIS suivie d’un bannissement de ces derniers- pourrait-il se reproduire au Maroc?
J.-P. Tuquoi: Non. Le cas du Maroc est différent. Et puis, l’Histoire ne se répète pas. Ce qui intéresse le parti islamiste PJD, ce n’est pas de remplacer la monarchie -les leaders et les membres de ce parti ont fait allégeance à la couronne alaouite- et détenir les rênes du pouvoir, mais d’islamiser la société marocaine. C’est-à-dire, de faire en sorte que certains films ne passent plus à la télévision, que les boissons alcoolisées ne soient plus permises, que les femmes se soumettent entièrement à la Charia…
C.J.N.: En autorisant aux islamistes à participer pleinement à la vie politique marocaine, Mohammed VI n’a-t-il pas ouvert une boîte de pandore périlleuse?
J.-P. Tuquoi: Durant son règne, Hassan II a favorisé aussi les islamistes. Ils les a utilisés pour contrer la gauche marocaine. La gauche noyautait alors les universités. Donc, pour couper l’herbe sous les pieds à ses adversaires de gauche, les écarter, les éliminer, Hassan II a fait le jeu des islamistes. Ça a tellement bien marché que les islamistes ont fini par remplacer la gauche. Aujourd’hui, les universités marocaines sont contrôlées par les islamistes. Qu’a fait le roi Mohammed VI? Pas grand-chose. Il a simplement redonné sa liberté à un des principaux leaders islamistes marocains, le Cheikh Yassine, qui vivait en résidence surveillée. Mais, l’Association que le Cheikh Yassine contrôle n’a pas été autorisée à devenir un parti politique. Pour le reste, Mohammed VI s’inscrit tout à fait dans la continuité de son défunt père.
Le PJD est aujourd’hui étroitement contrôlé par le Palais royal, comme il l’était aussi du temps de Hassan II. Ce n’est pas un parti extrémiste. Il est constitué d’islamistes partisans de la monarchie, qui ne remettent pas en cause la légitimité du roi Mohammed VI, pas plus qu’ils n’avaient remis en cause celle de Hassan II. Ces islamistes sont des alliés du trône alaouite. Il faut conserver cette idée à l’esprit.
Mais les attentats terroristes perpétrés à Casablanca en 2003, par des islamistes salafistes ont sensiblement changé la donne. Cette violence terroriste a été la preuve manifeste qu’il y a aussi au Maroc des islamistes radicaux. Ça c’est une nouveauté. Jusque là, on considérait que le Maroc, où l’islam est la religion de l’État et le roi le numéro 1 dans cette religion -il est le descendant direct du Prophète et le Commandeur des croyants-, était, avec ces attributs-là, à l’abri des attentats et des violences islamistes. Ce n’est plus le cas.
C.J.N.: Le Maroc de Mohammed VI doit aussi relever des grands défis socioéconomiques?
J. P. Tuquoi: Tout à fait. La situation sociale et économique s’est considérablement dégradée ces dernières années. La pauvreté ne cesse de gagner du terrain. C’est un des grands reproches que l’on fait aujourd’hui à la monarchie marocaine. Au début de son règne, on a surnommé Mohammed VI le “roi des pauvres”. Ça n’a pas duré très longtemps. Ce n’était que du marketing politique. D’ailleurs, lui-même a rectifié le tir assez rapidement en déclarant qu’il était le “roi des pauvres”, mais également le “roi des riches”. C’est un slogan qui ne veut plus rien dire. Les Marocains sont très sensibles au fossé qui ne cesse de se creuser, comme dans d’autres pays, entre les riches et les pauvres. Il y a une classe dirigeante très riche, qui exhibe son opulence et, à côté, il y a les Marocains de la classe moyenne et de la classe populaire dont le niveau de vie n’augmente pas, ou très peu. Ce décalage est porteur de dangers.
C.J.N.: Quelles sont les perspectives d’avenir des quelque 2500 Juifs vivant encore au Maroc?
J. P. Tuquoi: Il n’y a presque plus de Juifs au Maroc. Peut-être encore un millier. Un nombre insignifiant par rapport à la population juive qui vivait dans le royaume chérifien il y a 30 ou 40 ans. La population juive au Maroc ne représente, et ne pèse, plus rien. Par ailleurs, il y a aujourd’hui au Maroc un antisémitisme rampant, attisé essentiellement, puisqu’il n’y a presque plus de Juifs dans le pays, par les événements du Moyen-Orient et le conflit entre Israël et la Palestine. Le Maroc n’échappe pas au fait qu’il est un pays arabo-musulman. Donc, comme tous les États arabo-musulmans, il est très sensible aux événements du Moyen-Orient.
Un courant antisémite s’est développé ces dernières années dans la société marocaine. On le voit apparaître lors de manifestations, où on martèle des slogans antisémites. La rhétorique islamiste doctrinaire antisémite a désormais pignon sur rue dans les milieux populaires marocains. Tout comme l’islamisme, l’antisémitisme progresse aussi au Maroc.
C.J.N.: Il n’en demeure pas moins que le Maroc est le seul pays arabo-musulman où un Juif, en l’occurrence André Azoulay, est conseiller d’un monarque arabe.
J.-P. Tuquoi: C’est vrai que c’est une exception dans le monde arabo-musulman. Mais je pense qu’André Azoulay n’occupe plus qu’un poste honorifique. À cause de la différence de génération, il y a un décalage important entre lui et le roi Mohammed VI. André Azoulay est un septuagénaire. Je ne pense pas que Mohammed VI ait des liens privilégiés avec lui. Il est toujours conseiller royal, mais je pense qu’il est marginalisé. Mohammed VI le garde à ses côtés à cause de l’image d’ouverture et de tolérance que sa présence lui donne vis-à-vis des Occidentaux. C’est pour cette raison qu’il est toujours conseiller du roi, et qu’il le restera. Mais Azoulay ne joue pas un grand rôle. Même s’il souhaitait ne plus assumer cette fonction, il n’a pas le choix. Quand le roi vous nomme à un poste, vous ne pouvez pas démissionner.
C.J.N.: Le roi Hassan II a joué un rôle d’intermédiaire de premier plan dans le conflit israélo-arabe. Pourquoi le roi Mohammed VI est-il beaucoup moins actif dans le processus de paix au Moyen-Orient?
J.-P. Tuquoi: Hassan II était un fin politique. Il s’intéressait beaucoup à la politique étrangère. À cette époque, le contexte international était très différent. Le Maroc a servi de tête de pont, de passerelle, entre Israël et le monde arabe. Il n’y avait pas alors beaucoup de moyens de communication, ni des canaux pouvant favoriser des contacts directs, pour que les deux Communautés puissent enfin se parler. Aujourd’hui, la situation est complètement différente. Si les Israéliens et les Palestiniens veulent se parler, ils peuvent le faire directement. Ils n’ont plus besoin d’un intermédiaire. Par ailleurs, la diplomatie n’est pas la tasse de thé de Mohammed VI. Ce dernier ne participe pas, ou très rarement, au Comité Al-Qods et à des rencontres interarabes ou internationales. Le nouveau souverain marocain snobe les relations internationales. Il est très peu présent dans l’arène mondiale.
C.J.N.: Comment envisagez-vous l’avenir du Maroc?
J.-P. Tuquoi: Je suis convaincu que l’islamisme continuera à gagner du terrain au Maroc. Je pense que ce qui est vrai pour les autres pays du monde arabe l’est également pour le Maroc. Finalement, on est en train de redécouvrir que le Maroc appartient à l’ère arabo-musulmane. On le redécouvre parce que le roi Hassan II avait joué la carte inverse. Il a voulu persuader ses partenaires occidentaux qu’il y avait une exception marocaine, que le royaume chérifien devait s’ancrer à l’Europe. Aujourd’hui, on découvre que, finalement, derrière ces mots de Hassan II, il y a une autre réalité. Le Maroc appartient à son ère géographique et socioculturelle: le monde arabo-musulman. Dans la mesure où ce monde-là est traversé par l’islamisme, le Maroc n’y échappe pas à ce phénomène. L’illustration la plus dramatique a été évidemment les attentats de Casablanca en 2003. Où sera le Maroc dans 5 ans ou 10 ans? Je n’en sais strictement rien. Mais, force est de constater que l’islamisation de la société marocaine est un phénomène inéluctable.
C. J.N.: Votre livre a-t-il été distribué au Maroc?
J.-P. Tuquoi: Non. Il a été censuré. Mon éditeur a fait les démarches officielles auprès des autorités marocaines pour que le livre soit diffusé. Il s’est heurté à une fin de non-recevoir de la part du gouvernement de Rabat. Mon précédent ouvrage, Le dernier Roi. Crépuscule d’une dynastie, jamais distribué au Maroc, m’avait valu lors de sa parution une campagne de presse hostile dans plusieurs journaux du royaume, assortie d’un “conseil” venu du patron d’un des services de renseignement marocains. Sans m’interdire formellement l’entrée au Maroc, il m’avait invité à ne plus m’y rendre “pendant quelque temps”. Le “quelque temps” a duré deux ans. Une période qui m’a paru bien longue.
C.J.N.: Avec la publication de ce nouveau livre n’appréhendez-vous pas d’être à nouveau persona non grata au Maroc?
J.-P. Tuquoi: Pour des raisons d’emploi du temps, je ne suis pas retourné au Maroc depuis la sortie du livre. Je pense y retourner. Très honnêtement, je pense que je pourrais y retourner. Mais, comme lors de mes précédents séjours dans le royaume, les autorités, les services de renseignement et la police marocains surveilleront de près mes allers et venues.
C.J.N.:
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