GUNTER GRASS ET LE PAPE...DEUX PASSES NAZIS
Günter Grass dit avoir croisé le futur pape dans un camp de prisonniers.
Par Odile BENYAHIA-KOUIDER
QUOTIDIEN : Lundi 11 septembre 2006 - 06:00
avec
Les révélations du prix Nobel de littérature Günter Grass sur son passé dans la Waffen SS ont bien failli gâcher la visite du pape Benoît XVI dans sa Bavière natale. Accueilli par des «Panzer Kardinal» lors de son élection, en avril 2005, le cardinal Joseph Ratzinger pensait en avoir terminé avec le IIIe Reich. Mais, dans sa biographie coup de tonnerre, Beim Häuten der Zwiebel («en épluchant les oignons»), Günter Grass raconte avoir rencontré dans le camp militaire américain de Bad Aibling (Bavière), où il séjourna au milieu de 100 000 autres prisonniers, un certain Joseph, féru de citations latines et très croyant.
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«Un peu coincé». «Nous avons essayé de passer le temps, nous avons joué aux dés et nous avons parlé de nos perspectives d'avenir, écrit le prix Nobel. Je voulais devenir artiste et il voulait faire carrière dans l'Eglise. Il me paraissait un peu coincé, mais c'était un gentil garçon.» Conclusion de Grass : «Je ne suis, hélas, devenu qu'écrivain, tandis que lui...» Vrai ? Faux ? Pendant quelques jours, la presse allemande s'est demandé si Grass avait vraiment rencontré le futur pape, s'il l'avait confondu avec un autre Joseph ou bien s'il avait carrément inventé l'épisode pour médiatiser encore un peu davantage ses révélations. Le Vatican n'a pas confirmé l'information et l'affaire s'est éteinte.
Le parallèle entre les vies de deux des octogénaires les plus célèbres d'Allemagne n'en demeure pas moins intéressant. De facto, Günter Grass et Joseph Ratzinger, tous deux nés en 1927 (le premier le 16 octobre et le second, le 16 avril), sont passés par le même camp de prisonniers. Mais la question de savoir s'ils se sont rencontrés ou non reste secondaire. «L'essentiel, estime l'écrivain juif allemand Rafael Seligmann, c'est que Grass a menti sur cet épisode de sa vie durant soixante et un ans, préférant styliser ses postures morales, tandis que Joseph Ratzinger, lui, a montré sa force morale en racontant la vérité.» Le cardinal Ratzinger a en effet longuement raconté, dans le Sel de la terre et dans son livre de souvenirs ( Ma Vie ), comment le jeune séminariste qu'il était a été contraint, à l'âge de 14 ans, d'adhérer aux Jeunesses hitlériennes, puis d'incorporer la défense antiaérienne (lire Grand Angle, Libération du 29 juin 2005).
Joseph Ratzinger raconte aussi comment les «vieux nazis» de la Légion autrichienne, dans laquelle il servit un temps, le réveillèrent un beau matin en lui demandant de se porter volontaire pour les SS. Motivant son refus par le fait qu'il voulait devenir prêtre, il fut «congédié à coups d'insultes et de moqueries». Ratzinger, qui a profité de l'avancée des Alliés pour déserter de la Wehrmacht en avril 1945, a certes eu la chance d'être élevé dans une famille très catholique et antinazie. Ce qui ne fut pas le cas d'un Günter Grass suffisamment sensible à la propagande pour s'inscrire, à l'âge de 15 ans, dans la section des sous-marins, avant d'atterrir dans la Waffen SS.
Polémique. «Personne en Allemagne ne lui reproche d'avoir fait une erreur à 17 ans, précise Rafael Seligmann, mais le scandale c'est qu'en 1985 il a été le premier à polémiquer au sujet de la visite du président Reagan et du chancelier Kohl au cimetière militaire de Bitburg.» Cimetière dans lequel se trouvaient 49 tombes de Waffen SS, dont 32 avaient moins de 25 ans. Au lieu de profiter de cette occasion pour dire : «Moi aussi, j'aurais pu être parmi ces tombes», Grass a continué à fournir un curriculum vitæ corrigé, se contentant de mentionner son appartenance à la Wehrmacht et à la défense antiaérienne. Et le plus extraordinaire, c'est qu'aucun de ses biographes n'a songé à pousser ses recherches jusqu'au centre de documentation de la Wehrmacht à Berlin, où sont consignés les dossiers de 18 millions de soldats allemands. Les états de service de Günter Grass étaient consignés sur un tout petit papier : l'acte de libération délivré par les Américains. «Finalement, souligne Rafael Seligmann, Günter Grass s'est comporté comme l'Allemand moyen d'après-guerre, incapable d'envisager son passé avec lucidité.»
Par Odile BENYAHIA-KOUIDER
QUOTIDIEN : Lundi 11 septembre 2006 - 06:00
avec
Les révélations du prix Nobel de littérature Günter Grass sur son passé dans la Waffen SS ont bien failli gâcher la visite du pape Benoît XVI dans sa Bavière natale. Accueilli par des «Panzer Kardinal» lors de son élection, en avril 2005, le cardinal Joseph Ratzinger pensait en avoir terminé avec le IIIe Reich. Mais, dans sa biographie coup de tonnerre, Beim Häuten der Zwiebel («en épluchant les oignons»), Günter Grass raconte avoir rencontré dans le camp militaire américain de Bad Aibling (Bavière), où il séjourna au milieu de 100 000 autres prisonniers, un certain Joseph, féru de citations latines et très croyant.
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«Un peu coincé». «Nous avons essayé de passer le temps, nous avons joué aux dés et nous avons parlé de nos perspectives d'avenir, écrit le prix Nobel. Je voulais devenir artiste et il voulait faire carrière dans l'Eglise. Il me paraissait un peu coincé, mais c'était un gentil garçon.» Conclusion de Grass : «Je ne suis, hélas, devenu qu'écrivain, tandis que lui...» Vrai ? Faux ? Pendant quelques jours, la presse allemande s'est demandé si Grass avait vraiment rencontré le futur pape, s'il l'avait confondu avec un autre Joseph ou bien s'il avait carrément inventé l'épisode pour médiatiser encore un peu davantage ses révélations. Le Vatican n'a pas confirmé l'information et l'affaire s'est éteinte.
Le parallèle entre les vies de deux des octogénaires les plus célèbres d'Allemagne n'en demeure pas moins intéressant. De facto, Günter Grass et Joseph Ratzinger, tous deux nés en 1927 (le premier le 16 octobre et le second, le 16 avril), sont passés par le même camp de prisonniers. Mais la question de savoir s'ils se sont rencontrés ou non reste secondaire. «L'essentiel, estime l'écrivain juif allemand Rafael Seligmann, c'est que Grass a menti sur cet épisode de sa vie durant soixante et un ans, préférant styliser ses postures morales, tandis que Joseph Ratzinger, lui, a montré sa force morale en racontant la vérité.» Le cardinal Ratzinger a en effet longuement raconté, dans le Sel de la terre et dans son livre de souvenirs ( Ma Vie ), comment le jeune séminariste qu'il était a été contraint, à l'âge de 14 ans, d'adhérer aux Jeunesses hitlériennes, puis d'incorporer la défense antiaérienne (lire Grand Angle, Libération du 29 juin 2005).
Joseph Ratzinger raconte aussi comment les «vieux nazis» de la Légion autrichienne, dans laquelle il servit un temps, le réveillèrent un beau matin en lui demandant de se porter volontaire pour les SS. Motivant son refus par le fait qu'il voulait devenir prêtre, il fut «congédié à coups d'insultes et de moqueries». Ratzinger, qui a profité de l'avancée des Alliés pour déserter de la Wehrmacht en avril 1945, a certes eu la chance d'être élevé dans une famille très catholique et antinazie. Ce qui ne fut pas le cas d'un Günter Grass suffisamment sensible à la propagande pour s'inscrire, à l'âge de 15 ans, dans la section des sous-marins, avant d'atterrir dans la Waffen SS.
Polémique. «Personne en Allemagne ne lui reproche d'avoir fait une erreur à 17 ans, précise Rafael Seligmann, mais le scandale c'est qu'en 1985 il a été le premier à polémiquer au sujet de la visite du président Reagan et du chancelier Kohl au cimetière militaire de Bitburg.» Cimetière dans lequel se trouvaient 49 tombes de Waffen SS, dont 32 avaient moins de 25 ans. Au lieu de profiter de cette occasion pour dire : «Moi aussi, j'aurais pu être parmi ces tombes», Grass a continué à fournir un curriculum vitæ corrigé, se contentant de mentionner son appartenance à la Wehrmacht et à la défense antiaérienne. Et le plus extraordinaire, c'est qu'aucun de ses biographes n'a songé à pousser ses recherches jusqu'au centre de documentation de la Wehrmacht à Berlin, où sont consignés les dossiers de 18 millions de soldats allemands. Les états de service de Günter Grass étaient consignés sur un tout petit papier : l'acte de libération délivré par les Américains. «Finalement, souligne Rafael Seligmann, Günter Grass s'est comporté comme l'Allemand moyen d'après-guerre, incapable d'envisager son passé avec lucidité.»
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