LA SI LONGUE CARRIERE D UN SALAUD SI RESPECTABLE
Condamné pour complicité de crime contre l'humanité, Maurice Papon est mort libre, samedi, à 96 ans.
Par Annette LEVY-WILLARD
QUOTIDIEN : lundi 19 février 2007
51 réactions
L'homme est distingué et vif. Il se lève d'un bond quand on entre dans la pièce pour un baisemain à l'ancienne, la Légion d'honneur à la boutonnière d'un costume élégant. Il n'est plus ministre depuis que Giscard a perdu les élections en 1981, mais trône dans le cabinet de son avocat du XVIe arrondissement comme s'il présidait la préfecture de Gironde sous l'Occupation, celle de Constantine ou de Corse, nommé par de Gaulle, la préfecture de police de Paris, ou, encore plus au sommet, le ministère du Budget. Un homme de pouvoir qui incarne toujours, pense-t-il, l'Etat français. Il a accepté cette première interview à la presse alors qu'on ignore encore s'il y aura un procès Papon. Nous sommes le 5 mars 1996. Le lendemain, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux doit se réunir pour prendre une décision historique : Maurice Papon doit-il ou non comparaître devant une cour d'assises pour «complicité de crimes contre l'humanité» ? La guerre est finie depuis un demi-siècle.
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Vos réactions à la mort de papon sur liberation.fr
L'arrêt de la Cour de cassation
Un des rares prisonniers libérés grâce à la loi Kouchner
«La France n'en a pas fini avec ces années noires»
Mémoire
Préfet, ministre, criminel
1999 : piteuse fuite en Suisse
«Je me suis caché dans un minuscule placard»
«On a vécu chaque minute avec la mort»
L'affaire Papon ne cesse de rebondir depuis quinze ans et rien n'affaiblit la combativité du vieux monsieur de 85 ans. «Je n'ai rien à me reprocher, au contraire... J'ai la conscience parfaitement tranquille», dit-il dès que le magnétophone se met à tourner. Cela restera sa ligne de défense jusqu'à sa mort.
Est-il convaincant ? Est-il sincère ? Il se présente comme un simple «téléphoniste», un petit fonctionnaire qui contresignait seulement les ordres d'arrestation des Juifs de Bordeaux après avoir d'abord nié que ce soit vraiment sa signature au bas des documents publiés par le Canard enchaîné en 1981. Un faux. Un complot politique de la gauche, expliquait alors Papon, une vengeance, «parce que j'ai fait une carrière exceptionnelle». Secrétaire général de la préfecture de Gironde, il prétend que ses services jouaient un rôle qu'on appellerait aujourd'hui «humanitaire», en apportant nourriture et couvertures aux «malheureux» Juifs parqués dans la synagogue en attendant leur transfert vers Drancy puis Auschwitz. «Il y a deux choses dont je suis fier, dit-il. J'ai remplacé la Feldgendarmerie, qui escortait les convois de Juifs par la gendarmerie française, et j'ai remplacé les wagons à bestiaux par des wagons de voyageurs. Une fois.» Il parle déjà des «130 israélites» qu'il aurait rayés des listes pour les sauver des rafles.
Alors qu'il avait eu des témoignages directs, à Bordeaux, racontant la destination des trains qui partaient de Drancy vers Auschwitz, il affirme sèchement : «Personne ne savait. Je l'ai découvert quand Churchill l'a dit à la Libération.» Une défense béton qui sera développée plus tard pendant les six mois que durera le procès Papon d'octobre 1997 à avril 1998 , troublante, au point qu'on pense que toute cette affaire peut se terminer par l'acquittement du haut fonctionnaire de Vichy.
«Une part d'inspiration étrangère»
Certes, deux ans avant son procès, Papon se laisse aller, à la fin de l'entretien, à un dérapage antisémite, voyant la main d'un lobby juif agissant contre la France «Il y a une part d'inspiration étrangère dans cette affaire... M. Klarsfeld est un salarié de l'organisation américaine Anti-Defamation League... Ces gens ont participé notamment par leur argent...» , mais pour le reste ses explications sont claires et précises. Froides. Convaincantes.
Un problème. Fallait-il lui donner la parole sans répondre point par point à son argumentation ? Ou remettre un peu de l'horrible réalité à côté de sa démonstration brillante ? Libération choisit de publier, à côté de l'interview, les photos de quelques-uns des enfants arrêtés à Bordeaux par l'administration française. Comme les deux petites soeurs Stopnicki, Rachel, 2 ans, et Nelly, 5 ans. Leurs parents ont été déportés, mais une famille a recueilli les fillettes dans les Landes. La préfecture de Bordeaux prendra la peine d'envoyer les policiers français chercher les deux petites à Salles, dans leur famille d'accueil, pour les mettre dans un train pour Drancy. Elles seront ensuite déportées, seules, à Auschwitz, le 31 août 1942, où elles seront assassinées à l'arrivée. Leur soeur Thérèse, qui a survécu, sera l'une des parties civiles contre Papon. Lequel, d'ailleurs, se justifiera au cours de son procès, expliquant que certains de ces enfants avaient été «réclamés» par leurs parents. Or ces parents étaient déjà morts.
Papon, «qui n'a rien à se reprocher», se mettra en colère à la fin de cette rencontre de 1996. Comment, lui, le grand serviteur de l'Etat, peut-il être confondu avec des criminels comme Paul Touvier, ancien chef de la milice à Lyon qui, eux, ont du sang sur les mains : «Vous ne croyez pas que ça me fait mal d'être associé à Touvier, qui est un assassin ?» lance-t-il.
Sa carrière exceptionnelle, comme dit Papon, fut en effet une carrière très réussie de respectable salaud.
Plus respectable que le chef de la Gestapo Klaus Barbie, qui a été un salaud toute sa vie de tortionnaire à Lyon pendant la guerre, à tortionnaire en Bolivie, embauché par la dictature dans les années d'après-guerre. Retrouvé en Bolivie et enlevé en 1983 par les Français, parce que la France de Mitterrand voulait juger l'Allemand, le nazi, le boucher de Lyon, l'assassin de Jean Moulin. Mais Klaus Barbie ne pouvait plus être poursuivi pour ces crimes de guerre, il sera condamné à la perpétuité en 1987 pour la déportation des enfants juifs de la colonie d'Izieu, un «crime contre l'humanité», donc imprescriptible.
Plus respectable, aussi, que l'autre accusé de «crimes contre l'humanité», Paul Touvier. Voyou, voleur, milicien, chef de bande, assassin, il sera condamné en 1994 à perpétuité pour avoir lui-même choisi des Juifs parmi les otages enfermés à Lyon et les avoir fusillés après que la Résistance a abattu un porte-parole de la collaboration.
Et même plus respectable que l'ami de Mitterrand René Bousquet, qui, lui, avait les mains encore plus sales que Papon. Chef de la police de Vichy, René Bousquet, fonctionnaire zélé, avait organisé et exécuté, en juillet 1942, à la demande des Allemands, les grandes rafles du Vél' d'Hiv' à Paris ; 12 884 Juifs arrêtés par les policiers français, pas un Allemand en vue. Bousquet, toujours zélé, avait proposé de livrer aussi les Juifs étrangers réfugiés en zone libre, et en particulier les enfants que les nazis ne réclamaient pas encore. Il avait ordonné aux préfets des régions du Sud d'aller chercher les Juifs qui se cachaient. Des milliers de morts sous l'autorité de René Bousquet, jeune fonctionnaire qui ne fit pas carrière dans l'administration mais qui, après avoir été acquitté par une haute cour de la Libération, utilisa ses relations pour réussir une carrière de banquier directeur de la Banque d'Indochine et d'homme d'affaires prospère. Il déjeunait souvent avec François Mitterrand, son vieil ami du temps de Vichy, qui l'invitait aussi dans sa maison de Latche.
«Papon n'a jamais sauvé 130 Juifs»
Pour Mitterrand, on pouvait, comme lui, avoir servi Pétain Mitterrand avait même été décoré de la francisque par le gouvernement vichyste et rejoindre plus tard le camp gaulliste. S'il avait longtemps caché dans sa biographie officielle le début de sa carrière, le président a revendiqué, à la fin de sa vie, ses services dans le gouvernement français de Vichy, refusant, ce que fera Jacques Chirac («La France, ce jour-là accomplissait l'irréparable»), de reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs. Comme Papon, étrangement, Mitterrand dit tout ignorer du statut des Juifs quand il travaille pour le gouvernement, à Vichy, ville interdite aux Juifs : «Je ne suivais pas la législation du moment», déclare Mitterrand à son biographe Pierre Péan. Et, comme Papon et Bousquet, il pense encore que l'exclusion des Juifs de la société française ne visait que... les étrangers. En tout cas, il continuera de faire déposer une gerbe sur la tombe de Pétain à l'Ile-d'Yeu (Vendée), au nom du président de la République. Et tentera d'éviter que son ami Bousquet soit jugé pour crimes contre l'humanité. Lequel sera assassiné en 1993 par un déséquilibré.
Plus respectable que les Barbie, Touvier et Bousquet, ses coaccusés de crimes contre l'humanité, Maurice Papon, le haut fonctionnaire français a mené une carrière exceptionnelle de menteur et de salaud.
Menteur sur ses actes de résistance, affirmant qu'il a utilisé ses fonctions pour un «double jeu», se précipitant, à la dernière minute, en 1944, pour donner un coup de main à un Juif résistant, Roger-Samuel Bloch. Une «résistance» qui lui permet en 1981, d'être blanchi par un jury d'honneur de vrais résistants que Maurice Papon a lui-même convoqué pour contrer les accusations du Canard enchaîné. Qui lui vaut aussi d'être mis sur orbite par de Gaulle sans illusions , qui le nommera directeur de cabinet du commissaire de la République à Bordeaux, puis préfet.
Menteur encore quand il affirme qu'il a sauvé des Juifs en les rayant du fichier. Ces «130 israélites» qui ont failli convaincre la cour d'assises de Bordeaux que Papon avait au moins sauvé des gens. Mensonge établi par Libération , avec l'aide des Klarsfeld. «Papon n'a jamais sauvé 130 Juifs», titrait le journal le 3 décembre 1997, prouvant que l'ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde n'a pas pris la moindre initiative : il a rayé 130 personnes du fichier des israélites... parce qu'elles n'étaient pas juives. Plus jamais Papon ne revendiquera un prétendu sauvetage des Juifs. Jugé pour la déportation de 1 690 Juifs de Bordeaux, il sera condamné, le 2 avril 1998, à dix ans de réclusion criminelle par la cour d'assises de Gironde pour «complicité de crimes contre l'humanité».
Vieillard d'une étonnante vitalité, Papon n'hésitera pas non plus à mentir sur son état de santé, pour sortir de prison et comparaître libre à son procès. Après sa condamnation il a l'énergie de partir en cavale comme un jeune (lire ci-contre). Mais, rattrapé en Suisse et emprisonné à Fresnes, il réussit à se faire libérer en 2002, encore pour raisons de santé, bénéficiant de la loi Kouchner sur le droit des malades (lire page 5). Un état de «moribond» qui a duré jusqu'à samedi et sa mort, à 96 ans, dans une clinique de la région parisienne.
Ni regrets ni excuses
Respectable salaud ? Après avoir montré son efficacité dans les rafles de Juifs à Bordeaux, il fera une carrière de superflic de la répression. En 1958, de Gaulle le nomme préfet de police de Paris, en pleine guerre d'Algérie. C'est lui qui dirige donc les policiers chargés d'empêcher les manifestations d'Algériens. Il est au poste de commande le 17 octobre 1961 quand près de 200 Algériens disparaissent (lire page 3). On retrouvera leurs corps dans la Seine, certains pieds et poings liés. Là encore, ni regrets ni excuses pour ces crimes d'Etat. D'ailleurs, le ministre des Armées de l'époque, Pierre Messmer, est venu apporter son soutien à Papon, déclarant au procès qu' «[il assumait] avec le gouvernement tout entier, depuis le général de Gaulle jusqu'au dernier secrétaire d'Etat, la responsabilité des événements».
Papon est toujours à la tête de la police parisienne quand les communistes organisent, le 8 février 1962, une grande manifestation contre la guerre d'Algérie et l'OAS autour de la Bastille. Le préfet fera charger brutalement ses troupes contre les jeunes manifestants qui tentent de se réfugier dans le métro à la station Charonne. La foule s'écrasera sur les grilles de la station fermée, neuf manifestants meurent étouffés et piétinés.
Maurice Grimaud, préfet de police pendant les événements de mai 1968, confiera que face aux manifestants «certains regrettaient les méthodes plus rudes de mon prédécesseur, Maurice Papon... mais Pompidou résistait aux pressions, voulant à tout prix éviter que cela se termine par un bain de sang».
Maurice Papon, lui, en 1968, a repris sa brillante carrière. Bref passage dans l'industrie, puis élu gaulliste, il est un pilier du gouvernement Barre, sous la présidence de Giscard d'Estaing, quand le Canard Enchaîné publie le document signé de sa main organisant la déportation des Juifs de Bordeaux. Ce gaulliste ancien fonctionnaire de Vichy a eu une carrière exemplaire dans une France schizophrène qui refusait de regarder et d'examiner les années noires de la collaboration. Quelques semaines après l'émouvante cérémonie au Panthéon pour honorer les Justes ceux qui ont sauvé des milliers de Juifs de la mort le fantôme de Papon vient aujourd'hui rappeler, une dernière fois, le visage de l'autre France.
Par Annette LEVY-WILLARD
QUOTIDIEN : lundi 19 février 2007
51 réactions
L'homme est distingué et vif. Il se lève d'un bond quand on entre dans la pièce pour un baisemain à l'ancienne, la Légion d'honneur à la boutonnière d'un costume élégant. Il n'est plus ministre depuis que Giscard a perdu les élections en 1981, mais trône dans le cabinet de son avocat du XVIe arrondissement comme s'il présidait la préfecture de Gironde sous l'Occupation, celle de Constantine ou de Corse, nommé par de Gaulle, la préfecture de police de Paris, ou, encore plus au sommet, le ministère du Budget. Un homme de pouvoir qui incarne toujours, pense-t-il, l'Etat français. Il a accepté cette première interview à la presse alors qu'on ignore encore s'il y aura un procès Papon. Nous sommes le 5 mars 1996. Le lendemain, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux doit se réunir pour prendre une décision historique : Maurice Papon doit-il ou non comparaître devant une cour d'assises pour «complicité de crimes contre l'humanité» ? La guerre est finie depuis un demi-siècle.
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L'arrêt de la Cour de cassation
Un des rares prisonniers libérés grâce à la loi Kouchner
«La France n'en a pas fini avec ces années noires»
Mémoire
Préfet, ministre, criminel
1999 : piteuse fuite en Suisse
«Je me suis caché dans un minuscule placard»
«On a vécu chaque minute avec la mort»
L'affaire Papon ne cesse de rebondir depuis quinze ans et rien n'affaiblit la combativité du vieux monsieur de 85 ans. «Je n'ai rien à me reprocher, au contraire... J'ai la conscience parfaitement tranquille», dit-il dès que le magnétophone se met à tourner. Cela restera sa ligne de défense jusqu'à sa mort.
Est-il convaincant ? Est-il sincère ? Il se présente comme un simple «téléphoniste», un petit fonctionnaire qui contresignait seulement les ordres d'arrestation des Juifs de Bordeaux après avoir d'abord nié que ce soit vraiment sa signature au bas des documents publiés par le Canard enchaîné en 1981. Un faux. Un complot politique de la gauche, expliquait alors Papon, une vengeance, «parce que j'ai fait une carrière exceptionnelle». Secrétaire général de la préfecture de Gironde, il prétend que ses services jouaient un rôle qu'on appellerait aujourd'hui «humanitaire», en apportant nourriture et couvertures aux «malheureux» Juifs parqués dans la synagogue en attendant leur transfert vers Drancy puis Auschwitz. «Il y a deux choses dont je suis fier, dit-il. J'ai remplacé la Feldgendarmerie, qui escortait les convois de Juifs par la gendarmerie française, et j'ai remplacé les wagons à bestiaux par des wagons de voyageurs. Une fois.» Il parle déjà des «130 israélites» qu'il aurait rayés des listes pour les sauver des rafles.
Alors qu'il avait eu des témoignages directs, à Bordeaux, racontant la destination des trains qui partaient de Drancy vers Auschwitz, il affirme sèchement : «Personne ne savait. Je l'ai découvert quand Churchill l'a dit à la Libération.» Une défense béton qui sera développée plus tard pendant les six mois que durera le procès Papon d'octobre 1997 à avril 1998 , troublante, au point qu'on pense que toute cette affaire peut se terminer par l'acquittement du haut fonctionnaire de Vichy.
«Une part d'inspiration étrangère»
Certes, deux ans avant son procès, Papon se laisse aller, à la fin de l'entretien, à un dérapage antisémite, voyant la main d'un lobby juif agissant contre la France «Il y a une part d'inspiration étrangère dans cette affaire... M. Klarsfeld est un salarié de l'organisation américaine Anti-Defamation League... Ces gens ont participé notamment par leur argent...» , mais pour le reste ses explications sont claires et précises. Froides. Convaincantes.
Un problème. Fallait-il lui donner la parole sans répondre point par point à son argumentation ? Ou remettre un peu de l'horrible réalité à côté de sa démonstration brillante ? Libération choisit de publier, à côté de l'interview, les photos de quelques-uns des enfants arrêtés à Bordeaux par l'administration française. Comme les deux petites soeurs Stopnicki, Rachel, 2 ans, et Nelly, 5 ans. Leurs parents ont été déportés, mais une famille a recueilli les fillettes dans les Landes. La préfecture de Bordeaux prendra la peine d'envoyer les policiers français chercher les deux petites à Salles, dans leur famille d'accueil, pour les mettre dans un train pour Drancy. Elles seront ensuite déportées, seules, à Auschwitz, le 31 août 1942, où elles seront assassinées à l'arrivée. Leur soeur Thérèse, qui a survécu, sera l'une des parties civiles contre Papon. Lequel, d'ailleurs, se justifiera au cours de son procès, expliquant que certains de ces enfants avaient été «réclamés» par leurs parents. Or ces parents étaient déjà morts.
Papon, «qui n'a rien à se reprocher», se mettra en colère à la fin de cette rencontre de 1996. Comment, lui, le grand serviteur de l'Etat, peut-il être confondu avec des criminels comme Paul Touvier, ancien chef de la milice à Lyon qui, eux, ont du sang sur les mains : «Vous ne croyez pas que ça me fait mal d'être associé à Touvier, qui est un assassin ?» lance-t-il.
Sa carrière exceptionnelle, comme dit Papon, fut en effet une carrière très réussie de respectable salaud.
Plus respectable que le chef de la Gestapo Klaus Barbie, qui a été un salaud toute sa vie de tortionnaire à Lyon pendant la guerre, à tortionnaire en Bolivie, embauché par la dictature dans les années d'après-guerre. Retrouvé en Bolivie et enlevé en 1983 par les Français, parce que la France de Mitterrand voulait juger l'Allemand, le nazi, le boucher de Lyon, l'assassin de Jean Moulin. Mais Klaus Barbie ne pouvait plus être poursuivi pour ces crimes de guerre, il sera condamné à la perpétuité en 1987 pour la déportation des enfants juifs de la colonie d'Izieu, un «crime contre l'humanité», donc imprescriptible.
Plus respectable, aussi, que l'autre accusé de «crimes contre l'humanité», Paul Touvier. Voyou, voleur, milicien, chef de bande, assassin, il sera condamné en 1994 à perpétuité pour avoir lui-même choisi des Juifs parmi les otages enfermés à Lyon et les avoir fusillés après que la Résistance a abattu un porte-parole de la collaboration.
Et même plus respectable que l'ami de Mitterrand René Bousquet, qui, lui, avait les mains encore plus sales que Papon. Chef de la police de Vichy, René Bousquet, fonctionnaire zélé, avait organisé et exécuté, en juillet 1942, à la demande des Allemands, les grandes rafles du Vél' d'Hiv' à Paris ; 12 884 Juifs arrêtés par les policiers français, pas un Allemand en vue. Bousquet, toujours zélé, avait proposé de livrer aussi les Juifs étrangers réfugiés en zone libre, et en particulier les enfants que les nazis ne réclamaient pas encore. Il avait ordonné aux préfets des régions du Sud d'aller chercher les Juifs qui se cachaient. Des milliers de morts sous l'autorité de René Bousquet, jeune fonctionnaire qui ne fit pas carrière dans l'administration mais qui, après avoir été acquitté par une haute cour de la Libération, utilisa ses relations pour réussir une carrière de banquier directeur de la Banque d'Indochine et d'homme d'affaires prospère. Il déjeunait souvent avec François Mitterrand, son vieil ami du temps de Vichy, qui l'invitait aussi dans sa maison de Latche.
«Papon n'a jamais sauvé 130 Juifs»
Pour Mitterrand, on pouvait, comme lui, avoir servi Pétain Mitterrand avait même été décoré de la francisque par le gouvernement vichyste et rejoindre plus tard le camp gaulliste. S'il avait longtemps caché dans sa biographie officielle le début de sa carrière, le président a revendiqué, à la fin de sa vie, ses services dans le gouvernement français de Vichy, refusant, ce que fera Jacques Chirac («La France, ce jour-là accomplissait l'irréparable»), de reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs. Comme Papon, étrangement, Mitterrand dit tout ignorer du statut des Juifs quand il travaille pour le gouvernement, à Vichy, ville interdite aux Juifs : «Je ne suivais pas la législation du moment», déclare Mitterrand à son biographe Pierre Péan. Et, comme Papon et Bousquet, il pense encore que l'exclusion des Juifs de la société française ne visait que... les étrangers. En tout cas, il continuera de faire déposer une gerbe sur la tombe de Pétain à l'Ile-d'Yeu (Vendée), au nom du président de la République. Et tentera d'éviter que son ami Bousquet soit jugé pour crimes contre l'humanité. Lequel sera assassiné en 1993 par un déséquilibré.
Plus respectable que les Barbie, Touvier et Bousquet, ses coaccusés de crimes contre l'humanité, Maurice Papon, le haut fonctionnaire français a mené une carrière exceptionnelle de menteur et de salaud.
Menteur sur ses actes de résistance, affirmant qu'il a utilisé ses fonctions pour un «double jeu», se précipitant, à la dernière minute, en 1944, pour donner un coup de main à un Juif résistant, Roger-Samuel Bloch. Une «résistance» qui lui permet en 1981, d'être blanchi par un jury d'honneur de vrais résistants que Maurice Papon a lui-même convoqué pour contrer les accusations du Canard enchaîné. Qui lui vaut aussi d'être mis sur orbite par de Gaulle sans illusions , qui le nommera directeur de cabinet du commissaire de la République à Bordeaux, puis préfet.
Menteur encore quand il affirme qu'il a sauvé des Juifs en les rayant du fichier. Ces «130 israélites» qui ont failli convaincre la cour d'assises de Bordeaux que Papon avait au moins sauvé des gens. Mensonge établi par Libération , avec l'aide des Klarsfeld. «Papon n'a jamais sauvé 130 Juifs», titrait le journal le 3 décembre 1997, prouvant que l'ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde n'a pas pris la moindre initiative : il a rayé 130 personnes du fichier des israélites... parce qu'elles n'étaient pas juives. Plus jamais Papon ne revendiquera un prétendu sauvetage des Juifs. Jugé pour la déportation de 1 690 Juifs de Bordeaux, il sera condamné, le 2 avril 1998, à dix ans de réclusion criminelle par la cour d'assises de Gironde pour «complicité de crimes contre l'humanité».
Vieillard d'une étonnante vitalité, Papon n'hésitera pas non plus à mentir sur son état de santé, pour sortir de prison et comparaître libre à son procès. Après sa condamnation il a l'énergie de partir en cavale comme un jeune (lire ci-contre). Mais, rattrapé en Suisse et emprisonné à Fresnes, il réussit à se faire libérer en 2002, encore pour raisons de santé, bénéficiant de la loi Kouchner sur le droit des malades (lire page 5). Un état de «moribond» qui a duré jusqu'à samedi et sa mort, à 96 ans, dans une clinique de la région parisienne.
Ni regrets ni excuses
Respectable salaud ? Après avoir montré son efficacité dans les rafles de Juifs à Bordeaux, il fera une carrière de superflic de la répression. En 1958, de Gaulle le nomme préfet de police de Paris, en pleine guerre d'Algérie. C'est lui qui dirige donc les policiers chargés d'empêcher les manifestations d'Algériens. Il est au poste de commande le 17 octobre 1961 quand près de 200 Algériens disparaissent (lire page 3). On retrouvera leurs corps dans la Seine, certains pieds et poings liés. Là encore, ni regrets ni excuses pour ces crimes d'Etat. D'ailleurs, le ministre des Armées de l'époque, Pierre Messmer, est venu apporter son soutien à Papon, déclarant au procès qu' «[il assumait] avec le gouvernement tout entier, depuis le général de Gaulle jusqu'au dernier secrétaire d'Etat, la responsabilité des événements».
Papon est toujours à la tête de la police parisienne quand les communistes organisent, le 8 février 1962, une grande manifestation contre la guerre d'Algérie et l'OAS autour de la Bastille. Le préfet fera charger brutalement ses troupes contre les jeunes manifestants qui tentent de se réfugier dans le métro à la station Charonne. La foule s'écrasera sur les grilles de la station fermée, neuf manifestants meurent étouffés et piétinés.
Maurice Grimaud, préfet de police pendant les événements de mai 1968, confiera que face aux manifestants «certains regrettaient les méthodes plus rudes de mon prédécesseur, Maurice Papon... mais Pompidou résistait aux pressions, voulant à tout prix éviter que cela se termine par un bain de sang».
Maurice Papon, lui, en 1968, a repris sa brillante carrière. Bref passage dans l'industrie, puis élu gaulliste, il est un pilier du gouvernement Barre, sous la présidence de Giscard d'Estaing, quand le Canard Enchaîné publie le document signé de sa main organisant la déportation des Juifs de Bordeaux. Ce gaulliste ancien fonctionnaire de Vichy a eu une carrière exemplaire dans une France schizophrène qui refusait de regarder et d'examiner les années noires de la collaboration. Quelques semaines après l'émouvante cérémonie au Panthéon pour honorer les Justes ceux qui ont sauvé des milliers de Juifs de la mort le fantôme de Papon vient aujourd'hui rappeler, une dernière fois, le visage de l'autre France.
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