Sunday, February 18, 2007

l'héritage de pierre mendés-france

Analyse
Pierre Mendès France en héritage, par Bertrand Le Gendre
LE MONDE | 17.02.07 | 13h21 • Mis à jour le 17.02.07 | 13h31
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ierre Mendès France aurait eu cent ans le 11 janvier : c'est l'occasion de s'interroger sur l'héritage de l'ancien président du conseil (1954-1955). Héritage politique et intellectuel, spirituel aussi. Le culte dont il est l'objet est toujours vivace, comme l'a montré le colloque "Pierre Mendès France le juste", qui a réuni récemment au Sénat ses proches, des historiens et d'anciens collaborateurs. "Nous sommes tous des mendésistes", leur a dit Michel Dreyfus-Schmidt, sénateur socialiste du Territoire de Belfort, en les accueillant.


Le Mendès des uns n'est pas forcément celui des autres. C'est la première famille de "PMF" qui veille aujourd'hui sur l'héritage, en insistant sur les lointaines racines familiales.

Pierre Mendès France avait eu deux fils de son premier mariage avec Lily Cicurel en 1933 : Bernard (1934-1991), et Michel, qui préside aujourd'hui l'Institut Pierre-Mendès-France, après la disparition en 2004 de Marie-Claire Servan-Schreiber, que l'ancien président du conseil avait épousée en 1971. L'Institut, hébergé par le Collège de France au 3, rue d'Ulm à Paris (5e), a pour secrétaire général Tristan Mendès France, le fils de Michel. Il tient sur Internet un "vidéoblog" consacré à la mémoire de son grand-père (www.mendes-france.fr). Ces racines familiales ont été longuement évoquées lors du colloque au Sénat, organisé par l'Institut Pierre-Mendès-France.

"PMF" était très curieux de ses ancêtres. Toute sa vie, il a collecté des documents les concernant. Le fruit de ses recherches, menées avec une méticulosité de chartiste, occupe plus de quarante cartons annotés de sa main, conservés aujourd'hui à l'Alliance israélite universelle (45, rue La-Bruyère à Paris, 9e).

Parmi d'autres épisodes, ils relatent l'histoire de l'aïeul portugais de "PMF", Luiz Mendès de Franca, un marchand d'étoffes converti au catholicisme qui fut arrêté en 1683 par l'Inquisition. Soumis à la question, il dut avouer qu'il n'avait pas renoncé au judaïsme, avant de livrer le nom d'une trentaine de ses proches soupçonnés du même "crime". Réfugié en France, il mit fin à ses jours à Bordeaux, en 1694. C'est là que sa lignée fit souche sous le nom francisé de Mendès France, avant de s'établir à Paris à la fin du XIXe siècle.

Une exposition organisée jusqu'au 1er mars à la bibliothèque de l'Alliance israélite universelle montre les documents que Mendès France avait patiemment rassemblés sur ses origines ainsi que des objets lui ayant appartenu. Un livre récent, Le"Juif" Mendès France (Calmann-Lévy, 370 p., 21,50 €), de l'avocat bordelais Gérard Boulanger, traite lui aussi de ce sujet et de l'antisémitisme qui fut le lot de "PMF". Pas français, le "juif Mendès" ? Cette accusation, il l'entendra souvent ; d'où sa passion pour la généalogie.

Cette accusation de ne pas être français est au coeur du procès que lui intente, en 1940, le régime de Vichy. Le chef d'inculpation est fantaisiste : désertion. Mais le tribunal militaire de Clermont-Ferrand, celui-là même qui a condamné de Gaulle à mort, s'en prend à la personne du lieutenant Mendès France, ancien ministre de Blum, aux origines "impures", une nouvelle proie qu'il ne lâchera pas.

Ce procès en sorcellerie a tout de l'Inquisition, a fait observer le magistrat Denis Salas. Un procès où, d'avance, " tout acquittement est prohibé", selon l'expression de Me Georges Kiejman. Mais le descendant de Luiz de Franca sut garder la tête haute. Condamné à six ans d'emprisonnement, il s'évada et gagna Londres via le Portugal, la terre de ses ancêtres, l'honneur de son nom intact.

Auteur d'un livre minutieux sur ce procès (Un tribunal au garde-à-vous, Fayard, 2002), Me Jean-Denis Bredin a rappelé l'interminable combat que Mendès France dut mener pour obtenir la cassation de son procès, qui n'intervint qu'en avril 1954. Le 18 juin de la même année, Pierre Mendès France est investi président du conseil. Il gouverna la France sept mois et dix-sept jours, le temps de faire la paix en Indochine et d'accorder l'autonomie interne à la Tunisie.

Pour parler de Pierre Mendès France le décolonisateur, deux de ses biographes avaient été invités : Jean Lacouture (Pierre Mendès France, Le Seuil, 1981) et Eric Roussel, auteur d'un ouvrage plus récent, Pierre Mendès France (Gallimard, 608 p., 29 €).


L'ALGÉRIE, C'EST LA FRANCE


S'il est facile de s'accorder sur le courage et la lucidité de "PMF" dans ces moments décisifs, sa réaction au lendemain de l'insurrection algérienne du 1er novembre 1954 prête à controverse : "Les départements d'Algérie constituent une partie de la République française (...). Jamais la France (...) ne cédera sur ce principe fondamental." Tel fut le premier mouvement du président du conseil.

L'historien Benjamin Stora est enclin à absoudre Mendès France de ce faux pas. La conviction que l'Algérie et la France ne faisaient qu'une était très répandue à l'époque, a-t-il expliqué. Jean Lacouture en veut pour preuve les articles que Le Monde publia immédiatement après l'insurrection, dans le même ton. Il n'empêche. La perspicacité légendaire de Mendès avait été prise en défaut. Si Pierre Mendès France a laissé une trace dans l'histoire, à l'égal du général de Gaulle et de François Mitterrand, a dit Jean Daniel, ce n'est pas à l'Algérie qu'il le doit mais à sa foi dans la démocratie.

Faisant allusion à la candidate socialiste Ségolène Royal, le directeur du Nouvel Observateur s'est demandé ce qu'aurait pensé l'auteur de La République moderne (Gallimard, 1962) du débat qui s'est installé dans la campagne sur les vertus respectives de la démocratie participative et de la démocratie représentative. Pierre Mendès France, a-t-il expliqué, se faisait une haute idée de la fonction d'élu. Il voyait dans les représentants du peuple des citoyens plus réfléchis que les autres, sacralisés par l'onction du suffrage universel. A charge pour eux d'informer les électeurs de ce qu'ils comptent faire, sans leur cacher les difficultés, et de respecter leurs engagements. Dans le cas contraire, la parole doit revenir au peuple car nul n'est propriétaire de son mandat.

Ce sage principe valait pour la IVe République, laquelle le foulait aux pieds. Il vaut bien sûr pour aujourd'hui. Ce qu'il faut retenir de l'héritage de Pierre Mendès France, a dit Stéphane Hessel qui fut son collaborateur à la présidence du conseil, c'est sa faculté à inspirer confiance au peuple. Les jeunes d'aujourd'hui, a-t-il conclu, ne peuvent qu'être sensibles à ce message, eux qui doutent tant de leurs élus.

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