Sunday, February 18, 2007

Pas le cas Papon, l’exemple Papon !

Pas le cas Papon, l’exemple Papon !
18 février 2007 - Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

Le criminel de guerre fasciste Papon, devenu préfet de De Gaulle, et ministre de Giscard D’Estaing
Il a collectionné la Francisque et la Légion d’Honneur


Maurice Papon est mort hier, à l’âge de 96 ans, libre, dans une clinique de Seine-et-Marne. La candidate communiste à l’élection présidentielle française, Marie-George Buffet, a commenté l’évènement ainsi : "(…) Si tardivement condamné pour ses crimes contre l’humanité, il aura bénéficié jusqu’à sa mort d’un traitement de faveur.".



Il existe divers angles par lesquels il est possible de considérer l’existence du personnage Papon. La plupart des commentateurs français se limitent aujourd’hui à décrire ses crimes sous le régime nazi et les aléas de son procès pour "complicité de crimes contre l’humanité", reconnaissant son active participation dans l’organisation de huit convois de la mort. Quelque 1 690 personnes, juives dans leur écrasante majorité, dont 250 enfants, ont ainsi connu les camps d’extermination du fait de l’œuvre de ce haut fonctionnaire français.



Beaucoup moins nombreux sont les confrères de l’Hexagone qui s’attardent ce dimanche à relever ce qui, de Métula, nous semble cependant encore plus problématique : Papon a poursuivi sa carrière, en mode crescendo, après la libération, jusqu’à se voir remettre, le 12 juillet 1961, les insignes de commandeur de la Légion d’Honneur des mains du général De Gaulle.



Il sera par deux fois élu député, du Cher, et de Saint-Armand-Montron, occupant ce dernier siège jusqu’en 1983. Il aura également été trésorier de l’UDF-RPR gaullien. Mais c’est en 1978 que ce criminel de guerre atteindra l’apogée de sa carrière politique, en devenant ministre du Budget sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, alors que Raymond Barre occupait Matignon.



La capacité de faire carrière au cœur de l’Etat vichyste, puis de la poursuivre, sans intermède, dans le système gaulliste et post-gaulliste, se doivent de surprendre. L’identification de cette apparente incongruité, agrégée aux difficultés juridiques énormes qu’il y a eu pour traduire tardivement Papon en justice, et à l’impossibilité, due à son état de santé, de le voir purger en totalité sa peine de 10 ans de réclusion, ajoutent à la symptomatologie du cas Papon en France.



L’analyse de ce cas démontre, à ceux qui ne craignent pas de regarder la vérité en face, que les frontières entre le régime inféodé à l’Allemagne hitlérienne et ceux ayant suivi la libération de la France par les forces anglo-américaines n’ont jamais été aussi nettement tracées que certains veulent le faire croire.



Le cursus de Papon était connu du sommet de l’establishment, mais cela ne l’a nullement gêné d’intégrer dans ses rangs cet auteur de crimes contre l’humanité et, en particulier, contre la minorité juive de ladite humanité.



Cette méprisable collaboration a débuté lorsque le criminel de guerre, à la libération, fut nommé "directeur du commissariat de la République pour la région bordelaise". Il s’agissait du titre attribué à ceux qui remplaçaient les préfets de Vichy. De Gaulle le confirmera à ce poste, l’intronisant même préfet des Landes. Puis l’organisateur de convois pour Auschwitz sera fait préfet de Corse, de Constantine et, en 1954, Secrétaire général du protectorat du Maroc.





Le criminel de guerre fasciste Papon, devenu préfet de De Gaulle, et ministre de Giscard D’Estaing
Il a collectionné la Francisque et la Légion d’Honneur
Ici, en 1958, lors de sa nomination de préfet de police de Paris


Non content de se servir de l’expérience administrative de Papon, le "nouveau régime" et le Général font également appel aux méthodes que Papon avait développées dans son traitement de la question juive durant la guerre. Trois mois après avoir épinglé la Légion d’Honneur sur son uniforme – il est depuis 1958 préfet de police de Paris – c’est Papon qui se charge de réprimer, le 17 octobre 1961, (voir notre article : Il n’y a pas génocides et génocides) une manifestation pacifique d’ouvriers algériens au centre de Paris. Le traitement de ces désordres par la police française, sous les ordres du criminel de guerre pétainiste, fera plus de 600 morts. Il procède sans aucun doute des mêmes méthodes barbares que celles qui étaient prisées par la Gestapo et ses séides français : des manifestants, des mineurs parmi eux, sont précipités dans la Seine du haut des ponts. D’autres sont passés par les armes sur les pavés de la capitale ; d’autres, encore, sont liquidés au sein des centres de détention de la police.



Aucun fonctionnaire – et Papon n’a pas exécuté six cents personnes tout seul ! - ne sera poursuivi pour ce massacre. De plus, ce qui n’avait aucune chance d’échapper à notre attention, c’est déjà l’unanimisme de la presse tricolore au lendemain du carnage : le Figaro rendait grâce, en gros titres, "à la vigilance, à la prompte action de la police". Le Monde et La Croix reprenaient la version officielle, faisant état de "3 morts, 55 blessés", et de "policiers" qui "se sont défendus face à des manifestants agressifs et armés…". Seuls Libération et l’Humanité ne marchent pas dans la combine, se gardant cependant de faire entendre des critiques, par crainte de la censure gaulliste et par peur de voir leur édition saisie.



On ne va certes pas sombrer dans l’amalgame facile consistant à comparer la docilité des media français face aux intérêts supérieurs de leur establishment en 1961 à ce qu’elle est de nos jours. Mais on ne va pas non plus tomber dans le cas de cécité contraire : il existe des réflexes corporatistes et des réseaux pouvoir-presse qui sévissent en France depuis longtemps. Ils permettent toujours d’orienter l’opinion publique sur des affaires d’Etat, voire de les passer sous silence, comme dans le cas de la participation du gouvernement et de l’armée français au génocide des Tutsis ainsi que dans celui du boycott général des informations de la Ména et de la diabolisation de notre agence au sujet de l’imposture de France 2 lors de l’Affaire A-Dura.



L’unanimisme est affaire de temps et de relations, il n’aurait pas pu naître spécifiquement pour dénaturer des objets précis.



Il n’existe aucun doute sérieux quant au fait que les dirigeants politiques et les rédactions du Monde, du Figaro, de La Croix, etc. savaient, en octobre 1961, avant cette date et après elle, qu’un collabo de l’hitlérisme dirigeait la police de Paris. Ni que Papon s’était illustré en envoyant des enfants juifs à Auschwitz !



Au lendemain de la mort de ce salopard, il y a plus de questions qui restent posées que de réponses que les Français ont reçues. Ce qui est certain, c’est que le problème ne réside pas autour du destin d’un homme, ni même de quelques-uns. C’est l’histoire du passage de la collaboration active avec un système qui gaza, entre autres crimes, 6 millions de Juifs, et les questionnements concernant la construction des élites politico-médiatiques actuelles françaises.



D’autant que l’on parle largement des mêmes hommes et des mêmes familles. De ceux, comme François Mitterrand et Jean Védrine – le père d’Hubert Védrine, ex-ministre des Affaires Etrangères – qui ont reçu la Francisque du Maréchal Pétain. Qui provenaient tant et tellement du même moule, qu’"après quarante-huit heures", de rencontre, "nous étions amis et même complices", pouvait confier Jean Védrine à Pierre Péan à propos de Mitterrand.



On peut également parler de René Bousquet, ami et protégé de Mitterrand, qui fut Secrétaire général à la police de l’occupation et, à ce titre, responsable de la déportation de dizaines de milliers d’Israélites. Bousquet, qui échappa au peloton d’exécution sur des considérations obscures et qui, lui aussi, fit une carrière éblouissante durant les ères gaullienne et mitterrandienne.



Assurément, à l’instar de Papon, tous ces autres ont été maréchalistes. Ils l’ont été suffisamment bien et suffisamment longtemps pour mériter la décoration supérieure de la France qui collaborait avec l’hitlérisme. Comme ils le prétendent pour la plupart, encore à l’instar de Papon, à un moment ou un autre, ils ont probablement eu des contacts avec la résistance.



Certains ont carrément basculé des occupations officielles qu’ils remplissaient pour Vichy à la résistance active, nous n’avons aucune raison d’en douter. Mais la guerre était déjà vieille, il y avait eu Stalingrad, les Allemands n’étaient plus invincibles et dès lors la victoire du monde contre l’immonde devenait prévisible.









Feu le président François Mitterrand recevant la Francisque des mains de feu le Maréchal Philippe Pétain



Qui par opportunisme ? Qui par conviction ? Qui pour sauver sa carrière ? Qui pour sauver sa peau ? Et cela suffit-il ? Je veux dire, suffit-il de basculer du fascisme vers autre chose pour en sortir propre ? Devant quelle instance ? Dans quelle démocratie ? Est-il seulement envisageable de permettre à un homme qui a servi Pétain de devenir président de la République ?



La carrière de Maurice Papon montre en tous cas que les réseaux qui existaient avant le second conflit mondial ont traversé l’hitlérisme et le pétainisme pour se perpétuer ensuite. Sans cela, Papon ne serait pas devenu préfet de police de Paris ni ministre de Giscard d’Estaing (dont le père, Edmond Giscard d'Estaing, était lui aussi titulaire de la Francisque). Quant à savoir si une certaine façon de concevoir les Juifs dans ces milieux ainsi que la tentative de les exterminer, n’ont pas, elles aussi, traversé ce qui, pour les "certains" dont je parle, n’a effectivement été qu’une péripétie de l’Histoire, on ne possède aucune bonne raison de l’exclure.



Devant leur capacité à recevoir des dessous de table de Saddam Hussein pour la vente de leur âme et de la bombe atomique ; devant le peu de cas qu’ils font lorsque Ahmadinejad promet de nous exterminer et que le Hamas met la main à la pâte ; devant leur manière de se liguer pour empêcher que la France sache que les Juifs n’ont pas tiré sur Mohamed A-Dura, on peut garder cette interrogation grande ouverte.



Papon est mort. Il ne faut surtout pas laisser ce mort faire désormais office de bouc émissaire.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home