Barre; une droite française
Raymond Barre, une droite française
Par David Bronner pour Guysen Israël News
Lundi 5 mars 2007 à 18:57
Il n’est pas insolite de s’interroger sur la démarche intellectuelle et l’inspiration politique d’un homme public, surtout lorsqu’il est l’auteur de déclarations tonitruantes comme celles que fit Raymond Barre dans une interview diffusée le 1er mars dans l’émission "le rendez-vous des politiques" sur "France Culture", dans laquelle l’ancien Premier ministre dénonce "la campagne qui a été faite par le lobby juif le plus lié à la gauche" en 1980 et considère qu’on a fait de Maurice Papon un "bouc émissaire".
Certes, on lui connaît des petites phrases qui déclenchèrent un profond malaise en France. Dans les heures qui suivirent l'attentat meurtrier contre la synagogue de la rue Copernic, en 1980, il avait cru bon de dénoncer "un attentat odieux qui a voulu frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et a frappé des Français innocents qui traversaient la rue".
On le soupçonna alors d’être un habitué du jugement hâtif. Alors que l’affaire aurait pu rester un mauvais souvenir de l’histoire institutionnelle et politique de la Cinquième République, Raymond Barre a confirmé.
Vingt-cinq ans plus tard, il ne regrette pas ses propos, et continue de les justifier avec obstination, mais sans convaincre : "…parce que c’était des Français qui circulaient dans la rue et qui se trouvent fauchés parce qu’on veut faire sauter une synagogue. Alors, ceux qui voulaient s’en prendre aux Juifs, ils auraient pu faire sauter la synagogue et les juifs. Mais pas du tout, ils font un attentat aveugle et y a trois Français, non juifs, c’est une réalité, non juifs. Et cela ne veut pas dire que les Juifs, eux ne sont pas Français". Pourquoi "Innocents" ? "Parce que ce qui était la caractéristique de ceux qui faisaient l’attentat c’était de châtier des Juifs coupables".
Et il ajoute qu'il y a eu à ce moment "une campagne (...) faite par le lobby juif le plus lié à la gauche" : "Je considère que le lobby juif – pas seulement en ce qui me concerne – est capable de monter des opérations indignes, et je tiens à le dire publiquement", insiste-t-il.
Invité pour parler de son livre "L'Expérience du pouvoir", il a été interrogé sur Maurice Papon, qui fut son ministre du budget de 1978 à 1981. A la question de savoir si l’homme qui a été condamné par la justice française pour complicité de crime contre l’humanité aurait dû démissionner de ses fonctions à la préfecture de la Gironde, Raymond Barre répond :
"Quand on a des responsabilités essentielles dans un département, une région ou à plus forte raison dans le pays, on ne démissionne pas. On démissionne lorsqu'il s'agit vraiment d'un intérêt national majeur. (...) Ce n'était pas le cas car il fallait faire fonctionner la France."
L'ancien Premier ministre estime que Maurice Papon a été "un bouc émissaire". Une victime expiatoire de la France de Vichy. Raymond Barre affirme que la France est le pays qui a le mieux protégé ses juifs et que proportionnellement aux autres pays touchés par la déportation, la France a su limiter les dégâts…
Et le pire n’est plus sûr… Troisième déroute pour l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, son amitié pour Bruno Gollnisch, élu FN au conseil municipal de Lyon, condamné pour propos négationnistes, Raymond Barre a maintenu sa position : "J'ai dit en parlant de Bruno Gollnisch que je blâmais ce qu'il avait dit mais que pour le reste, je l'avais connu et que c'était un homme bien. C’était un bon conseiller municipal et que ceux qui ne sont pas satisfaits de cela pensent ce qu’ils veulent."
Le triptyque "Copernic – Papon - Gollnisch" a suscité l’indignation du CRIF qui se dit "scandalisé", un article du rabbin Gabriel Farhi dénonçant l’antisémitisme de l’ancien Premier ministre. Le débat est lancé. On observera toutefois que les candidats en campagne se sont abstenus de commenter l’interview de Raymond Barre et que la presse se fait davantage l’écho de la réaction de Roger Cukierman que de l’auteur des propos inacceptables.
Maurice Papon et Bruno Gollnisch ont été tous deux condamnés. L’un pour avoir joué un rôle dans la déportation des Juifs de Bordeaux. L’autre pour négationnisme. Deux figures de la droite française qui se répondent sur l’une des questions fondamentales de l’histoire contemporaine: la collaboration avec l’Allemagne.
Raymond Barre est probablement un des rares hommes politiques français contemporains à avoir occupé d'aussi hautes fonctions sans jamais avoir été membre d'un parti politique. Politiquement classé au centre droit et proche de l'UDF, celui que se dit aujourd’hui "victime du lobby juif" fut invité par le cercle lyonnais du "Club de l’Horloge" pour "plancher" sur la décentralisation en 1982. Rappelons que Jean-Yves Le Gallou président du groupe FN au conseil régional d’Île-de-France de 1992 à 1999 et président du groupe MNR au même conseil régional jusqu’en 2004, fut le premier secrétaire général du Club de l’Horloge… Un Club qui rassemble des déçus du RPR et du giscardisme, et s’attaque notamment au "péril bureaucratique"…
Celui que l’on présentait comme "le meilleur économiste de France" n’est pas éloigné du courant de la "Nouvelle Droite". Il signe la préface de "La révolution des termites", un roman ironique qui raconte comment une espèce particulière de termites, sensible à l'odeur des documents administratifs, fait s'écrouler peu à peu tous les bâtiments de l'État… L’auteur de "La révolution des termites", Claude Reichman, a animé ses premières émissions à "Radio-Courtoisie" par l'intermédiaire de Serge de Beketch, qui, après l'avoir reçu plusieurs fois comme invité à la fois dans son libre-journal et à "Minute", lui a sous-traité périodiquement, à partir de 1992, la seconde partie de son émission.
Claude Reichman créé en 1996, le Parti pour la Liberté (PPL) qui est un "mouvement authentiquement libéral", refusant toute compromission avec "les marxistes et les socio-démocrates". Le PPL appelle en France à l’union des forces de la "droite réelle", et refuse de diaboliser le Front National. En 1999, Reichman devient vice-président de la Droite Libérale-Chrétienne (DLC) de Charles Millon…
Raymond Barre est aussi proche de l’Opus Dei, dont l’objectif est de faire triompher le catholicisme d’Etat comme nouvel ordre moral. Fondé en 1928 par Monseigneur José-Maria Escriva de Balaguer, l’Opus Dei soutient de façon occulte les régimes de Franco en Espagne, de Mussolini en Italie et le régime de Vichy. Certaines associations sont directement liées à l’Opus Dei, dont "Cité Catholique" qui fut rebaptisée ICTUS par Jacques Trémolet de Villers, l'avocat du milicien Paul Touvier et du gouvernement de Vichy.
En 1988 à Lyon, c’est Raymond Barre qui a organisé la messe de béatification du fondateur de l'Opus Dei, José-Maria Escriva de Balaguer. L’ancien Premier ministre était le "guide" de l'avocat de Villers au sein de l'Opus Dei…
Raymond Barre, qui avait toujours pris ses distances avec une droite bonapartiste, patriote, plus sociale et autoritaire à la fois, aujourd’hui fondue dans le gaullisme, incarnait une droite "orléaniste" conservatrice et libérale, ralliée au modèle républicain.
En disant "du bien" de Papon et Gollnisch, celui qui appelait François Mitterrand "le prince de l’ambiguïté", nous montre que ses propos rejoignent désormais une droite légitimiste et réactionnaire, opposée aux acquis de la Révolution et aux principes républicains, une droite proche de l’extrême droite.
Par David Bronner pour Guysen Israël News
Lundi 5 mars 2007 à 18:57
Il n’est pas insolite de s’interroger sur la démarche intellectuelle et l’inspiration politique d’un homme public, surtout lorsqu’il est l’auteur de déclarations tonitruantes comme celles que fit Raymond Barre dans une interview diffusée le 1er mars dans l’émission "le rendez-vous des politiques" sur "France Culture", dans laquelle l’ancien Premier ministre dénonce "la campagne qui a été faite par le lobby juif le plus lié à la gauche" en 1980 et considère qu’on a fait de Maurice Papon un "bouc émissaire".
Certes, on lui connaît des petites phrases qui déclenchèrent un profond malaise en France. Dans les heures qui suivirent l'attentat meurtrier contre la synagogue de la rue Copernic, en 1980, il avait cru bon de dénoncer "un attentat odieux qui a voulu frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et a frappé des Français innocents qui traversaient la rue".
On le soupçonna alors d’être un habitué du jugement hâtif. Alors que l’affaire aurait pu rester un mauvais souvenir de l’histoire institutionnelle et politique de la Cinquième République, Raymond Barre a confirmé.
Vingt-cinq ans plus tard, il ne regrette pas ses propos, et continue de les justifier avec obstination, mais sans convaincre : "…parce que c’était des Français qui circulaient dans la rue et qui se trouvent fauchés parce qu’on veut faire sauter une synagogue. Alors, ceux qui voulaient s’en prendre aux Juifs, ils auraient pu faire sauter la synagogue et les juifs. Mais pas du tout, ils font un attentat aveugle et y a trois Français, non juifs, c’est une réalité, non juifs. Et cela ne veut pas dire que les Juifs, eux ne sont pas Français". Pourquoi "Innocents" ? "Parce que ce qui était la caractéristique de ceux qui faisaient l’attentat c’était de châtier des Juifs coupables".
Et il ajoute qu'il y a eu à ce moment "une campagne (...) faite par le lobby juif le plus lié à la gauche" : "Je considère que le lobby juif – pas seulement en ce qui me concerne – est capable de monter des opérations indignes, et je tiens à le dire publiquement", insiste-t-il.
Invité pour parler de son livre "L'Expérience du pouvoir", il a été interrogé sur Maurice Papon, qui fut son ministre du budget de 1978 à 1981. A la question de savoir si l’homme qui a été condamné par la justice française pour complicité de crime contre l’humanité aurait dû démissionner de ses fonctions à la préfecture de la Gironde, Raymond Barre répond :
"Quand on a des responsabilités essentielles dans un département, une région ou à plus forte raison dans le pays, on ne démissionne pas. On démissionne lorsqu'il s'agit vraiment d'un intérêt national majeur. (...) Ce n'était pas le cas car il fallait faire fonctionner la France."
L'ancien Premier ministre estime que Maurice Papon a été "un bouc émissaire". Une victime expiatoire de la France de Vichy. Raymond Barre affirme que la France est le pays qui a le mieux protégé ses juifs et que proportionnellement aux autres pays touchés par la déportation, la France a su limiter les dégâts…
Et le pire n’est plus sûr… Troisième déroute pour l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, son amitié pour Bruno Gollnisch, élu FN au conseil municipal de Lyon, condamné pour propos négationnistes, Raymond Barre a maintenu sa position : "J'ai dit en parlant de Bruno Gollnisch que je blâmais ce qu'il avait dit mais que pour le reste, je l'avais connu et que c'était un homme bien. C’était un bon conseiller municipal et que ceux qui ne sont pas satisfaits de cela pensent ce qu’ils veulent."
Le triptyque "Copernic – Papon - Gollnisch" a suscité l’indignation du CRIF qui se dit "scandalisé", un article du rabbin Gabriel Farhi dénonçant l’antisémitisme de l’ancien Premier ministre. Le débat est lancé. On observera toutefois que les candidats en campagne se sont abstenus de commenter l’interview de Raymond Barre et que la presse se fait davantage l’écho de la réaction de Roger Cukierman que de l’auteur des propos inacceptables.
Maurice Papon et Bruno Gollnisch ont été tous deux condamnés. L’un pour avoir joué un rôle dans la déportation des Juifs de Bordeaux. L’autre pour négationnisme. Deux figures de la droite française qui se répondent sur l’une des questions fondamentales de l’histoire contemporaine: la collaboration avec l’Allemagne.
Raymond Barre est probablement un des rares hommes politiques français contemporains à avoir occupé d'aussi hautes fonctions sans jamais avoir été membre d'un parti politique. Politiquement classé au centre droit et proche de l'UDF, celui que se dit aujourd’hui "victime du lobby juif" fut invité par le cercle lyonnais du "Club de l’Horloge" pour "plancher" sur la décentralisation en 1982. Rappelons que Jean-Yves Le Gallou président du groupe FN au conseil régional d’Île-de-France de 1992 à 1999 et président du groupe MNR au même conseil régional jusqu’en 2004, fut le premier secrétaire général du Club de l’Horloge… Un Club qui rassemble des déçus du RPR et du giscardisme, et s’attaque notamment au "péril bureaucratique"…
Celui que l’on présentait comme "le meilleur économiste de France" n’est pas éloigné du courant de la "Nouvelle Droite". Il signe la préface de "La révolution des termites", un roman ironique qui raconte comment une espèce particulière de termites, sensible à l'odeur des documents administratifs, fait s'écrouler peu à peu tous les bâtiments de l'État… L’auteur de "La révolution des termites", Claude Reichman, a animé ses premières émissions à "Radio-Courtoisie" par l'intermédiaire de Serge de Beketch, qui, après l'avoir reçu plusieurs fois comme invité à la fois dans son libre-journal et à "Minute", lui a sous-traité périodiquement, à partir de 1992, la seconde partie de son émission.
Claude Reichman créé en 1996, le Parti pour la Liberté (PPL) qui est un "mouvement authentiquement libéral", refusant toute compromission avec "les marxistes et les socio-démocrates". Le PPL appelle en France à l’union des forces de la "droite réelle", et refuse de diaboliser le Front National. En 1999, Reichman devient vice-président de la Droite Libérale-Chrétienne (DLC) de Charles Millon…
Raymond Barre est aussi proche de l’Opus Dei, dont l’objectif est de faire triompher le catholicisme d’Etat comme nouvel ordre moral. Fondé en 1928 par Monseigneur José-Maria Escriva de Balaguer, l’Opus Dei soutient de façon occulte les régimes de Franco en Espagne, de Mussolini en Italie et le régime de Vichy. Certaines associations sont directement liées à l’Opus Dei, dont "Cité Catholique" qui fut rebaptisée ICTUS par Jacques Trémolet de Villers, l'avocat du milicien Paul Touvier et du gouvernement de Vichy.
En 1988 à Lyon, c’est Raymond Barre qui a organisé la messe de béatification du fondateur de l'Opus Dei, José-Maria Escriva de Balaguer. L’ancien Premier ministre était le "guide" de l'avocat de Villers au sein de l'Opus Dei…
Raymond Barre, qui avait toujours pris ses distances avec une droite bonapartiste, patriote, plus sociale et autoritaire à la fois, aujourd’hui fondue dans le gaullisme, incarnait une droite "orléaniste" conservatrice et libérale, ralliée au modèle républicain.
En disant "du bien" de Papon et Gollnisch, celui qui appelait François Mitterrand "le prince de l’ambiguïté", nous montre que ses propos rejoignent désormais une droite légitimiste et réactionnaire, opposée aux acquis de la Révolution et aux principes républicains, une droite proche de l’extrême droite.
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