Le «tout sauf Sarkozy» a justifié trop de dérapages à gauche.
Rebonds
Le «tout sauf Sarkozy» a justifié trop de dérapages à gauche.
Lettre à mes vieux amis
Par Liliane KANDEL
QUOTIDIEN : jeudi 17 mai 2007
Liliane Kandel sociologue.
45 réactions
C'est fait. J'ai voté Ségolène Royal. Et je l'ai fait en souhaitant qu'elle gagne. C'était un voeu tardif, mais raisonné, et un pari. Voeu non exaucé. Pari perdu. J'ai voté Royal. Pas à cause d'elle. Pas à cause de son programme, qui changeait au fil des jours, et des publics. Pas à cause de ceux et celles parfois vous, mes ami(e)s de longue date qui la soutenaient. J'ai voté Ségolène Royal malgré vous, malgré vos arguments, vos justifications, vos injonctions, et vos lyriques incantations.
Il aurait fallu, à vous écouter, que je vote pour elle parce qu'elle est une femme, et que j'en suis une autre. Mais je ne sais toujours pas ce qu'est une «femme» c'est sur cette incertitude que s'est bâti, en grande partie, le MLF, et que j'y ai, avec vous, passionnément participé.
Il aurait fallu que je vote pour elle afin que toutes les femmes de ce pays, que dis-je, de la planète, à la minute même de son élection, relèvent la tête, se redressent et se sentent, enfin , lavées des «siècles d'infini servage» qu'elles eurent à subir. Je crois aux symboles, mais pas à la caricature que vous en donniez.
Il aurait fallu que je vote pour elle parce qu'elle était une victime, victime d'innombrables attaques, insultes et humiliations misogynes. Comme vous, je hais le sexisme et, avec certain(e)s d'entre vous, j'ai passé des années à le traquer dans tous ses états, le débusquer dans ses plus infimes manifestations, ses avatars les plus imperceptibles y compris lorsqu'il s'attaquait aux hommes : aux mecs qui «n'en avaient pas».
Mais ce sexisme-là, c'était vraiment le dernier de vous soucis : avoir raillé la jupe de Ségolène Royal était un crime de lèse-humanité, avoir traité son adversaire de «cocu», ou de «nabot» toutes épithètes venues elles aussi du plus vieux fonds machiste du monde ne vous gênait en rien. Le sexisme c'est mal quand ça s'attaque aux femmes, s'il atteint par ricochet les hommes, c'est bien fait pour leur poire. Z'avaient qu'à pas naître du mauvais côté du genre.
Et il en fut de même pour l'injure xénophobe ou raciste. Il fut dit que l'adversaire de Royal était un «néoconservateur américain avec un passeport français». Et aussi qu'il était inconvenant de voir l'Elysée brigué par un homme qui n'a «qu'un seul grand-parent français», mais qui «aurait pu faire une très belle carrière en Hongrie» : Sarkozy était expéditivement dénaturalisé par un homme, de gauche (à l'époque !), tout aussi expéditivement reconduit à la frontière par un autre, d'extrême droite. Qui a réagi ? Qui s'est indigné ? Qui a protesté ? Lanzmann oui, Finkielkraut aussi, mais pas vous. Vous, vous riiez, vous disiez : il «l'a bien cherché, avec son ministère de l'identité nationale» ! Vous disiez : «On ne va quand même défendre Sarko !» ; et vous disiez encore : « Tout sauf Sarkozy !»
Avez-vous seulement regardé qui vous côtoyiez dans vos réunions, vos écrits, vos blogs ? Avez-vous entendu les arguments de ceux qui, pour mieux soutenir Ségolène Royal, avaient entrepris de diaboliser Sarkozy ? D'en faire un émule de Pétain, voire de Hitler ? Ou pire. TSS, «tout sauf Sarkozy», votre cri de ralliement était aussi le nom d'un site où cohabitent harmonieusement des intellectuels d'extrême gauche et des militants de droite extrême, des penseurs anticolonialistes, des philosophes hédonistes, et des négationnistes patentés. Sarkozy y est vilipendé comme «agent sioniste», représenté au centre d'une étoile à six branches, dont deux se nomment Washington et Tel-Aviv. Le soutien à Ségolène réussissait, en un seul mouvement, ce tour de force : tout à la fois hitlériser Sarkozy et le judaïser.
Nul parmi les thuriféraires de «la France présidente», nul correspondant des «désirs d'avenir», nul parmi vous ne jugea utile de protester, de se démarquer de ces propos, de les désavouer, de dire «nous n'accepterons jamais de ces discours-là, nous ne voulons pas de ces voix-là» . Non. Les antisémites et les racistes les plus abjects étaient à vos côtés, mais c'est à Sarkozy que vous dessiniez la petite moustache d'Adolf. TSS promettait de «faire ravaler sa kippa» au juif Sarkozy, mais c'est ce «juif» qui pour vous était la réincarnation de Hitler.
Tout cela vous ne pouviez pas l'ignorer. Pas un mot pourtant de votre part, pas une protestation : l'union sacrée contre Sarko-Hitler, Sarko-le-Juif devait être sans faille . Pensiez-vous aux voix de ceux qui, stupéfaits, lisaient déclarations, tracts et blogs immondes et espéraient, en vain, que, du côté de la France présidente, quelque chose en soit dit ?
Aujourd'hui les jeux sont faits. On parle partout de résistance, et un blog s'intitule «Ici Londres». Le front uni, le TSS prospèrent, allégrement c'est même pour l'éviter que je souhaitais la victoire de la gauche : une gauche victorieuse sait se débarrasser de ses alliés les plus compromettants, pas une gauche affaiblie. Et vous, mes ami(e)s de longue date, prolongerez-vous l'union sacrée ? Continuerez-vous à côtoyer, en sifflotant d'un air absent, des alliés racistes et négationnistes ? Direz-vous encore mais j'oublie, vous l'aviez déjà dit : «L'ennui avec Sarko, c'est qu'il va susciter de l'antisémitisme.»
«Susciter» !
Le «tout sauf Sarkozy» a justifié trop de dérapages à gauche.
Lettre à mes vieux amis
Par Liliane KANDEL
QUOTIDIEN : jeudi 17 mai 2007
Liliane Kandel sociologue.
45 réactions
C'est fait. J'ai voté Ségolène Royal. Et je l'ai fait en souhaitant qu'elle gagne. C'était un voeu tardif, mais raisonné, et un pari. Voeu non exaucé. Pari perdu. J'ai voté Royal. Pas à cause d'elle. Pas à cause de son programme, qui changeait au fil des jours, et des publics. Pas à cause de ceux et celles parfois vous, mes ami(e)s de longue date qui la soutenaient. J'ai voté Ségolène Royal malgré vous, malgré vos arguments, vos justifications, vos injonctions, et vos lyriques incantations.
Il aurait fallu, à vous écouter, que je vote pour elle parce qu'elle est une femme, et que j'en suis une autre. Mais je ne sais toujours pas ce qu'est une «femme» c'est sur cette incertitude que s'est bâti, en grande partie, le MLF, et que j'y ai, avec vous, passionnément participé.
Il aurait fallu que je vote pour elle afin que toutes les femmes de ce pays, que dis-je, de la planète, à la minute même de son élection, relèvent la tête, se redressent et se sentent, enfin , lavées des «siècles d'infini servage» qu'elles eurent à subir. Je crois aux symboles, mais pas à la caricature que vous en donniez.
Il aurait fallu que je vote pour elle parce qu'elle était une victime, victime d'innombrables attaques, insultes et humiliations misogynes. Comme vous, je hais le sexisme et, avec certain(e)s d'entre vous, j'ai passé des années à le traquer dans tous ses états, le débusquer dans ses plus infimes manifestations, ses avatars les plus imperceptibles y compris lorsqu'il s'attaquait aux hommes : aux mecs qui «n'en avaient pas».
Mais ce sexisme-là, c'était vraiment le dernier de vous soucis : avoir raillé la jupe de Ségolène Royal était un crime de lèse-humanité, avoir traité son adversaire de «cocu», ou de «nabot» toutes épithètes venues elles aussi du plus vieux fonds machiste du monde ne vous gênait en rien. Le sexisme c'est mal quand ça s'attaque aux femmes, s'il atteint par ricochet les hommes, c'est bien fait pour leur poire. Z'avaient qu'à pas naître du mauvais côté du genre.
Et il en fut de même pour l'injure xénophobe ou raciste. Il fut dit que l'adversaire de Royal était un «néoconservateur américain avec un passeport français». Et aussi qu'il était inconvenant de voir l'Elysée brigué par un homme qui n'a «qu'un seul grand-parent français», mais qui «aurait pu faire une très belle carrière en Hongrie» : Sarkozy était expéditivement dénaturalisé par un homme, de gauche (à l'époque !), tout aussi expéditivement reconduit à la frontière par un autre, d'extrême droite. Qui a réagi ? Qui s'est indigné ? Qui a protesté ? Lanzmann oui, Finkielkraut aussi, mais pas vous. Vous, vous riiez, vous disiez : il «l'a bien cherché, avec son ministère de l'identité nationale» ! Vous disiez : «On ne va quand même défendre Sarko !» ; et vous disiez encore : « Tout sauf Sarkozy !»
Avez-vous seulement regardé qui vous côtoyiez dans vos réunions, vos écrits, vos blogs ? Avez-vous entendu les arguments de ceux qui, pour mieux soutenir Ségolène Royal, avaient entrepris de diaboliser Sarkozy ? D'en faire un émule de Pétain, voire de Hitler ? Ou pire. TSS, «tout sauf Sarkozy», votre cri de ralliement était aussi le nom d'un site où cohabitent harmonieusement des intellectuels d'extrême gauche et des militants de droite extrême, des penseurs anticolonialistes, des philosophes hédonistes, et des négationnistes patentés. Sarkozy y est vilipendé comme «agent sioniste», représenté au centre d'une étoile à six branches, dont deux se nomment Washington et Tel-Aviv. Le soutien à Ségolène réussissait, en un seul mouvement, ce tour de force : tout à la fois hitlériser Sarkozy et le judaïser.
Nul parmi les thuriféraires de «la France présidente», nul correspondant des «désirs d'avenir», nul parmi vous ne jugea utile de protester, de se démarquer de ces propos, de les désavouer, de dire «nous n'accepterons jamais de ces discours-là, nous ne voulons pas de ces voix-là» . Non. Les antisémites et les racistes les plus abjects étaient à vos côtés, mais c'est à Sarkozy que vous dessiniez la petite moustache d'Adolf. TSS promettait de «faire ravaler sa kippa» au juif Sarkozy, mais c'est ce «juif» qui pour vous était la réincarnation de Hitler.
Tout cela vous ne pouviez pas l'ignorer. Pas un mot pourtant de votre part, pas une protestation : l'union sacrée contre Sarko-Hitler, Sarko-le-Juif devait être sans faille . Pensiez-vous aux voix de ceux qui, stupéfaits, lisaient déclarations, tracts et blogs immondes et espéraient, en vain, que, du côté de la France présidente, quelque chose en soit dit ?
Aujourd'hui les jeux sont faits. On parle partout de résistance, et un blog s'intitule «Ici Londres». Le front uni, le TSS prospèrent, allégrement c'est même pour l'éviter que je souhaitais la victoire de la gauche : une gauche victorieuse sait se débarrasser de ses alliés les plus compromettants, pas une gauche affaiblie. Et vous, mes ami(e)s de longue date, prolongerez-vous l'union sacrée ? Continuerez-vous à côtoyer, en sifflotant d'un air absent, des alliés racistes et négationnistes ? Direz-vous encore mais j'oublie, vous l'aviez déjà dit : «L'ennui avec Sarko, c'est qu'il va susciter de l'antisémitisme.»
«Susciter» !
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