Gaza : «usual suspects»
Rebonds
Gaza : «usual suspects»
Les Européens portent une responsabilité en refusant de dialoguer avec le Hamas.
Par Daniel, pseudonyme d’un haut fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères.
QUOTIDIEN : mardi 26 juin 2007
Le désastre humain, social, politique qui vient de se dérouler à Gaza est un nouvel épisode d’une interminable agonie : celle du projet national palestinien et du processus de paix. Est-il utile de chercher les responsabilités de ce désastre ? Car les fautes sont en apparence simples à démêler, et les coupables, ces usual suspects des crises proche et moyen-orientales sur qui retombent toujours les soupçons : Israël, l’Iran, le Hamas.
Israël, l’éternel fauteur d’occupation et des violences d’Etat ; l’Iran, éternel fauteur de fanatisme théocratique et antioccidental ; le Hamas, éternel fauteur de terrorisme, d’islamisme, de radicalisme. Et si le désastre de Gaza était le produit d’une longue chaîne d’erreurs dont les responsables seraient tout autres que nos suspects habituels ? Entendons-nous : il ne s’agit d’exonérer aucun de ces trois acteurs de leurs responsabilités très réelles dans la crise présente. Mais il s’agit de comprendre qu’Israël, l’Iran et le Hamas se comportent de manière rationnelle, cohérente, et sans erreurs majeures au regard de leurs intérêts propres.
Ces intérêts (la sécurité sans la paix pour Israël, l’affirmation d’une hégémonie régionale pour l’Iran, la prise du pouvoir en Palestine pour le Hamas) ont leur légitimité interne, même si elle est contestable au regard des systèmes de valeurs supposés régir les relations internationales. Ces intérêts doivent être contrôlés pour éviter cette répétition des conflits. C’est ce contrôle qui a échoué la semaine dernière, tout un système de gestion du conflit proche-oriental et du processus de paix qui vient d’avouer sa faillite. Il faut désigner les responsables - ceux qui, par leurs erreurs répétées, ont laissé la situation s’envenimer. Ils sont trois : Yasser Arafat, les Etats-Unis et l’Union Européenne.
Yasser Arafat parce qu’il est le premier responsable de l’effondrement actuel du Fatah. L’erreur historique du défunt dirigeant palestinien, que nous n’avons pas fini de payer, aura été son incapacité à opérer la mue indispensable qui devait transformer le Fatah de mouvement de libération nationale en véritable parti politique, l’OLP de conglomérat de mouvements de lutte armée en préfiguration d’Etat, et lui-même de chef de clan et perpétuel négociateur en homme d’Etat. Ce triple échec a fait de l’Autorité palestinienne un monstre hybride, sorte d’extension démesurée du «système Arafat», fondé sur le clientélisme, le népotisme et la corruption. Le Fatah, dépourvu de toute colonne vertébrale idéologique et programmatique, se condamnait ainsi à devenir un simple réseau d’influences et de redistribution des prébendes, ouvrant un espace politique considérable au Hamas - espace que celui-ci ne s’est pas fait faute d’occuper. Le successeur d’Arafat, le président Mahmoud Abbas, faible, sans appuis réels et sans véritable stratégie, n’a fait qu’accentuer par son indécision les défauts du système jusqu’à le laisser se bloquer complètement.
Les Etats-Unis ensuite. Non par le «désinvestissement» qui leur a souvent été reproché depuis 2001, inévitable après l’échec du surinvestissement opéré par le président Clinton sur la fin de son mandat, mais par leur enfermement dans la logique absurde de la «guerre contre la terreur», qui s’est révélée à l’usage être un piège infernal bloquant toute possibilité de gérer les crises par des moyens politiques. Quelle que fût ainsi la légitimité électorale et démocratique du Hamas, quels que fussent sa centralité dans le dispositif politique palestinien et son caractère durable, analyser la situation postélectorale à travers le prisme de la lutte antiterroriste était se condamner à récuser un processus électoral reconnu comme exemplaire et à ne reconnaître comme issue à cette contradiction que l’éviction du Hamas du pouvoir. Ramener le Hamas à sa seule nature d’organisation terroriste revient à lui interdire d’évoluer, fût-ce pour tenter sa transformation en parti politique de plein exercice. On le renvoie ainsi à son propre extrémisme. L’Union européenne enfin, qui disposait de tous les atouts pour lancer une initiative politique et qui s’est réfugiée dans la frilosité depuis dix-huit mois. L’UE s’est laissée aller à son défaut coutumier : abandonner le terrain politique et se donner caution par l’activisme humanitaire, dépenser faute de pouvoir ou d’oser agir. Les Européens, pour justifier leur passivité, se cachent derrière les trois conditions définies par le Quartette pour reconnaître la présence du Hamas au gouvernement. Certes, la reconnaissance formelle d’Israël, l’abandon de la violence, la reconnaissance des accords passés sont des éléments indispensables : mais les accords de La Mecque du 8 février comportaient cette reconnaissance, mais le Hamas respecte globalement une trêve avec Israël depuis deux ans et demi, mais ses responsables parlent d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967 et d’une «coexistence» avec Israël.
Autant de gestes dont aucun n’était pleinement satisfaisant, certes, mais qui constituaient des ouvertures réelles, des tentatives de nouer un dialogue, des efforts qu’il ne fallait pas négliger et que les Européens ont négligé. Eux seuls disposaient à la fois de la confiance des Palestiniens, de la capacité de se faire entendre du Hamas, de la crédibilité et de la confiance nécessaires pour rassurer Israël. L’UE était en mesure voila quelques mois encore de faire accepter au Hamas le principe de ce donnant donnant devant aboutir au terme d’un processus maîtrisé au plein respect des conditions du Quartette, et donc à une relance réussie du processus de paix.
Face à cette crise gravissime qui menace d’aboutir à un découplage durable de Gaza et de la Cisjordanie, à un blocus de fait de la bande de Gaza et à la disparition de toute possibilité de paix solide, continuons d’aider un président affaibli, contesté, démonétisé, un parti qui refuse de se réformer, continuons d’ignorer un pouvoir de fait, établi par des voies démocratiques puis par la force, qui a pour lui les apparences de la légalité et la réalité du pouvoir. La Cisjordanie tombera demain, dans un an, cinq ans, de façon inéluctable, aux mains du Hamas. Demain, l’Iran sera présent sur trois fronts au contact d’Israël, un peu plus triomphant, et les Etats arabes modérés un peu plus décrédibilisés.
Certes le Hamas reste un mouvement coupable d’actes d’une barbarie insensée, en Israël hier, à Gaza aujourd’hui ; certes il reste prisonnier d’une idéologie rétrograde et dangereuse, aux antipodes de notre modernité démocratique. Devons-nous tenter d’amener le Hamas à résipiscence, par une négociation sans illusion et sans faiblesse, ou sommes-nous prêts à assumer le risque d’embrasement général que comporterait la poursuite de nos erreurs passées ?
http://www.liberation.fr/rebonds/263417.FR.php
Gaza : «usual suspects»
Les Européens portent une responsabilité en refusant de dialoguer avec le Hamas.
Par Daniel, pseudonyme d’un haut fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères.
QUOTIDIEN : mardi 26 juin 2007
Le désastre humain, social, politique qui vient de se dérouler à Gaza est un nouvel épisode d’une interminable agonie : celle du projet national palestinien et du processus de paix. Est-il utile de chercher les responsabilités de ce désastre ? Car les fautes sont en apparence simples à démêler, et les coupables, ces usual suspects des crises proche et moyen-orientales sur qui retombent toujours les soupçons : Israël, l’Iran, le Hamas.
Israël, l’éternel fauteur d’occupation et des violences d’Etat ; l’Iran, éternel fauteur de fanatisme théocratique et antioccidental ; le Hamas, éternel fauteur de terrorisme, d’islamisme, de radicalisme. Et si le désastre de Gaza était le produit d’une longue chaîne d’erreurs dont les responsables seraient tout autres que nos suspects habituels ? Entendons-nous : il ne s’agit d’exonérer aucun de ces trois acteurs de leurs responsabilités très réelles dans la crise présente. Mais il s’agit de comprendre qu’Israël, l’Iran et le Hamas se comportent de manière rationnelle, cohérente, et sans erreurs majeures au regard de leurs intérêts propres.
Ces intérêts (la sécurité sans la paix pour Israël, l’affirmation d’une hégémonie régionale pour l’Iran, la prise du pouvoir en Palestine pour le Hamas) ont leur légitimité interne, même si elle est contestable au regard des systèmes de valeurs supposés régir les relations internationales. Ces intérêts doivent être contrôlés pour éviter cette répétition des conflits. C’est ce contrôle qui a échoué la semaine dernière, tout un système de gestion du conflit proche-oriental et du processus de paix qui vient d’avouer sa faillite. Il faut désigner les responsables - ceux qui, par leurs erreurs répétées, ont laissé la situation s’envenimer. Ils sont trois : Yasser Arafat, les Etats-Unis et l’Union Européenne.
Yasser Arafat parce qu’il est le premier responsable de l’effondrement actuel du Fatah. L’erreur historique du défunt dirigeant palestinien, que nous n’avons pas fini de payer, aura été son incapacité à opérer la mue indispensable qui devait transformer le Fatah de mouvement de libération nationale en véritable parti politique, l’OLP de conglomérat de mouvements de lutte armée en préfiguration d’Etat, et lui-même de chef de clan et perpétuel négociateur en homme d’Etat. Ce triple échec a fait de l’Autorité palestinienne un monstre hybride, sorte d’extension démesurée du «système Arafat», fondé sur le clientélisme, le népotisme et la corruption. Le Fatah, dépourvu de toute colonne vertébrale idéologique et programmatique, se condamnait ainsi à devenir un simple réseau d’influences et de redistribution des prébendes, ouvrant un espace politique considérable au Hamas - espace que celui-ci ne s’est pas fait faute d’occuper. Le successeur d’Arafat, le président Mahmoud Abbas, faible, sans appuis réels et sans véritable stratégie, n’a fait qu’accentuer par son indécision les défauts du système jusqu’à le laisser se bloquer complètement.
Les Etats-Unis ensuite. Non par le «désinvestissement» qui leur a souvent été reproché depuis 2001, inévitable après l’échec du surinvestissement opéré par le président Clinton sur la fin de son mandat, mais par leur enfermement dans la logique absurde de la «guerre contre la terreur», qui s’est révélée à l’usage être un piège infernal bloquant toute possibilité de gérer les crises par des moyens politiques. Quelle que fût ainsi la légitimité électorale et démocratique du Hamas, quels que fussent sa centralité dans le dispositif politique palestinien et son caractère durable, analyser la situation postélectorale à travers le prisme de la lutte antiterroriste était se condamner à récuser un processus électoral reconnu comme exemplaire et à ne reconnaître comme issue à cette contradiction que l’éviction du Hamas du pouvoir. Ramener le Hamas à sa seule nature d’organisation terroriste revient à lui interdire d’évoluer, fût-ce pour tenter sa transformation en parti politique de plein exercice. On le renvoie ainsi à son propre extrémisme. L’Union européenne enfin, qui disposait de tous les atouts pour lancer une initiative politique et qui s’est réfugiée dans la frilosité depuis dix-huit mois. L’UE s’est laissée aller à son défaut coutumier : abandonner le terrain politique et se donner caution par l’activisme humanitaire, dépenser faute de pouvoir ou d’oser agir. Les Européens, pour justifier leur passivité, se cachent derrière les trois conditions définies par le Quartette pour reconnaître la présence du Hamas au gouvernement. Certes, la reconnaissance formelle d’Israël, l’abandon de la violence, la reconnaissance des accords passés sont des éléments indispensables : mais les accords de La Mecque du 8 février comportaient cette reconnaissance, mais le Hamas respecte globalement une trêve avec Israël depuis deux ans et demi, mais ses responsables parlent d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967 et d’une «coexistence» avec Israël.
Autant de gestes dont aucun n’était pleinement satisfaisant, certes, mais qui constituaient des ouvertures réelles, des tentatives de nouer un dialogue, des efforts qu’il ne fallait pas négliger et que les Européens ont négligé. Eux seuls disposaient à la fois de la confiance des Palestiniens, de la capacité de se faire entendre du Hamas, de la crédibilité et de la confiance nécessaires pour rassurer Israël. L’UE était en mesure voila quelques mois encore de faire accepter au Hamas le principe de ce donnant donnant devant aboutir au terme d’un processus maîtrisé au plein respect des conditions du Quartette, et donc à une relance réussie du processus de paix.
Face à cette crise gravissime qui menace d’aboutir à un découplage durable de Gaza et de la Cisjordanie, à un blocus de fait de la bande de Gaza et à la disparition de toute possibilité de paix solide, continuons d’aider un président affaibli, contesté, démonétisé, un parti qui refuse de se réformer, continuons d’ignorer un pouvoir de fait, établi par des voies démocratiques puis par la force, qui a pour lui les apparences de la légalité et la réalité du pouvoir. La Cisjordanie tombera demain, dans un an, cinq ans, de façon inéluctable, aux mains du Hamas. Demain, l’Iran sera présent sur trois fronts au contact d’Israël, un peu plus triomphant, et les Etats arabes modérés un peu plus décrédibilisés.
Certes le Hamas reste un mouvement coupable d’actes d’une barbarie insensée, en Israël hier, à Gaza aujourd’hui ; certes il reste prisonnier d’une idéologie rétrograde et dangereuse, aux antipodes de notre modernité démocratique. Devons-nous tenter d’amener le Hamas à résipiscence, par une négociation sans illusion et sans faiblesse, ou sommes-nous prêts à assumer le risque d’embrasement général que comporterait la poursuite de nos erreurs passées ?
http://www.liberation.fr/rebonds/263417.FR.php
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