Saturday, February 02, 2008

L’appel de Tsahal
Noam Ohana. En 2002, alors qu’il était élève à Sciences-Po, ce Juif de gauche s’est radicalisé. Jusqu’à aller combattre l’Intifada au sein des commandos israéliens.
JEAN-DOMINIQUE MERCHET photo Samuel Kirszenbaum
QUOTIDIEN : mardi 22 janvier 2008
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Ses deux parents sont nés au Maghreb, et il a passé son adolescence en Seine-Saint-Denis. Ni son prénom ni son physique ne lui permettent de faire oublier ses origines. Il a vécu le racisme, les insultes, l’incompréhension. Les images de l’Intifada l’ont révolté. Il s’est senti personnellement agressé et n’a pas compris pourquoi son pays - la France - ne lui accordait pas plus de place dans son cœur. Ce jeune homme en colère n’est pas musulman. S’il l’avait été, qu’aurait-il fait ? Un aller simple pour le terrorisme islamiste ? Mais Noam Ohana est juif. Le bon élève de la République a tout plaqué. Il est parti dans un autre pays, Israël, s’y est engagé dans l’armée, a servi dans les unités spéciales qui combattent dans les territoires palestiniens. Il en est revenu, vivant, mûri, sans aucun regret.

A l’automne 2002, il aurait dû être à Sciences-Po en train de préparer l’ENA. Il s’est retrouvé, non loin de Tel-Aviv, sous une chaleur infernale, à passer les tests de sélection des troupes d’élite de Tsahal. Après une semaine d’épreuves physiques, un officier l’interroge. «Tu t’appelles Noam. Tu as fait des études. Parle-moi de Noam Chomsky.» Le jeune militaire est un peu sonné par cette question de grand oral au pied d’une dune de sable. «C’est un linguiste américain, plutôt anti-israélien…», répond-il. L’officier retire ses lunettes de soleil : «Anti-israélien ? Je dirais plutôt qu’il est très critique à l’égard d’Israël. Tu auras l’occasion de rencontrer des vrais anti-Israéliens pendant ton service militaire. Tu vas voir : ils sont assez différents de Chomsky.»

Si Noam s’appelle Noam, c’est justement à cause de Chomsky. Sa mère préparait un doctorat de linguistique à Paris lorsqu’elle est tombée enceinte. Issus de vieilles familles juives du Maroc, ses deux parents sont arrivés en France à la fin des années 60 pour y poursuivre leurs études. Physique nucléaire pour le père, fin lettré qui lit aussi bien le français que l’hébreu et l’arabe classique. Des «bobos» avant l’heure, qui envoient leur fils aîné dans une école Freinet, habitent la rue Daguerre, en face de la cinéaste Agnès Varda, transmettent à leurs enfants leurs idées de gauche et leur culture juive d’Afrique du Nord. Chez les Ohana, sans être très religieux, on respecte les traditions : la synagogue pour les fêtes et pas de cochon à table.

A 10 ans, ses parents achètent une maison de l’autre côté du périphérique, en Seine-Saint-Denis. Premier choc. Noam rapporte une scène vécue : «Tu parles le juif ? - C’est une langue, ça, le juif ? - Allez, fait pas le malin, sale Juif ! - Lâche-le Ahmed, il est avec nous.» «C’était le moment où il fallait dire merci à ceux qui m’acceptaient bien que je sois juif», dit-il. Noam et ses potes séfarades fréquentent pourtant les jeunes «beurs». A la maison, ils mangent la même chose, écoutent la même musique, font de la boxe américaine ensemble. Mais c’est la fin d’une époque. En banlieue, l’antisémitisme est de plus en plus vigoureux. Chaque communauté se replie sur elle-même. Noam espère encore échapper à cet enfermement identitaire.

Il croit en la République. Mais dès son entrée à Sciences-Po, il déchante. Un jour, un militant étudiant du syndicat Sud l’interpelle : «C’est dégueulasse ce que vous avez fait au Sud-Liban !» Qui est-ce «vous» ? «Ça a commencé à vraiment m’énerver, reconnaît-il. Et je suis entré dans le rôle qu’on voulait me donner.» Il a 20 ans et ne fait pas dans la dentelle. Il affronte la direction de l’IEP, qui lui explique qu’«Israël n’est pas un pays comme les autres». Après Sciences-Po, option «service public», Noam fait son service militaire à Matignon. Il travaille avec Aquilino Morelle, l’homme qui rédige les discours de Jospin. Lors de ses classes, il a étonné ses officiers en chantant la Marseillaise… Sa voie semble toute tracée : la haute fonction publique française.

En attendant, il part à Stanford (Californie) pour un master en relations internationales. C’est de là-bas qu’il assiste au début de la deuxième Intifada en septembre 2000. Avec les morts palestiniens, mais aussi les attentats-suicides en Israël et les retombées de ce conflit en France. Il est rivé devant sa télé et scotché au téléphone. Ce qu’il lit dans la presse française le met en rage. «Se faire exploser dans un bus à Tel-Aviv, c’est dire aux Juifs qu’ils n’ont pas le droit de vivre là-bas. Il y a un message génocidaire derrière les attentats-suicides», s’emporte-t-il. Des propos extrêmes, fruits d’une colère sourde. Dans le même temps, il voit - toujours depuis la Californie - que l’on jette des cocktails Molotov contre la synagogue de son quartier. «Je ne comprenais pas pourquoi la police ne faisait rien, pourquoi les politiques ne disaient rien, pourquoi la presse minimisait ces attaques.» Il l’avoue : «Je perdais les pédales.»

Noam décide de partir en Israël. Il n’a pas envie de se plaindre, de signer des pétitions, d’être sioniste à la terrasse des cafés parisiens. Il souhaitait faire quelque chose qui lui semblait «juste et efficace», témoigne Aquilino Morelle. A ses parents, il ne dit pas la vérité, prétextant qu’il va poursuivre ses études à Jérusalem.

Pour lui, aller en Israël est quelque chose de naturel. Depuis le XVIe siècle, des membres de sa famille s’y sont régulièrement installés. Il apprend l’hébreu en quelques mois : «Comme si je redécouvrais un patois oublié, tant j’avais baigné dedans». Mais Israël est aussi un pays étranger, dont la bureaucratie militaire regarde d’un drôle d’œil ce petit Français de 24 ans un peu rondouillard qui prétend intégrer les troupes d’élite… Il y parvient pourtant et atterrit à la Sayeret Tzanhanim, les commandos parachutistes. Curiosité israélienne, c’est une unité militaire réputée être de gauche. Chez les paras, il se retrouve avec des jeunes appelés issus des kibboutz qui votent pour le parti Meretz, le plus à gauche de l’échiquier israélien.

Après dix-huit mois de formation, il va passer une année en unité opérationnelle. Son job : l’antiterrorisme dans la région de Naplouse. Briefés par le Shabak (sécurité intérieure), ces soldats ont pour mission d’arrêter des Palestiniens soupçonnés d’activités terroristes. Les interventions ont lieu de nuit, «plusieurs fois par semaine». C’est un sale boulot. A chaque fois, le même scénario : l’approche discrète, la porte fracassée, les cris de la famille, l’arrestation plus ou moins violente du suspect remis à la police, le retour à la base. Vivre en Occident, en regardant les chaînes câblées, puis aller frapper en Orient dans le dédale des rues arabes. Parfois des coups de feu, parfois des morts. Jamais de véritables doutes. Il y a deux camps : nous et eux. Les deux camps sont d’accord là-dessus.

En mars 2005, Noam est rendu à la vie civile. Sa petite amie, Mélanie, juive elle aussi, cadre dans une entreprise française, est mutée à New York. Elle n’en peut plus de cette vie à distance. Il l’épouse à la mairie du XIVe et la rejoint aux Etats-Unis, où il travaille dans la finance. A la présidentielle, il aurait aimé voter DSK, a choisi Bayrou. La parenthèse semble refermée. C’est évidemment faux. Il pense sans cesse à ces potes militaires de la Sayeret. Pour le dire, il conçoit le besoin d’écrire un livre. «Ma mère l’a lu. Elle m’a dit : "Comment tu as pu me faire ça ?" Il sourit : «J’ai une mère juive.»

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