Vers un boycottage des écrivains israéliens ?
amos_oz.1202069334.jpgEst-ce un avant-goût ou un ballon d’essai ? Les deux peut-être. Toujours est-il que la tentative de boycotter la Foire du livre de Turin qui se tiendra du 8 au 12 mai provoque déjà des polémiques par l’invitation lancée aux écrivains israéliens; la même invitation au Salon du livre de Paris du 14 au 18 mars y échappe, pour l’instant. Dans un cas comme dans l’autre, les organisateurs justifient cet honneur par le 60ème anniversaire de la création de l’Etat d’Israël. La campagne avait été lancée à l’initiative de la section italienne du mouvement ISM (International Solidarity Movement) et amplifiée par des organisations musulmanes et palestiniennes d’Italie. Une organisation d’écrivains arabes a lancé un appel affirmant qu’ “on ne peut pas célébrer un Etat qui pratique l’homicide et la destruction”. La gauche communiste et les formations radicales de l’extrême-gauche, en flèche sur cette question, ne sont pas toutes d’accord entre elles si l’on en juge par la controverse entre Valentino Parlato et Alfredo Tradardi, ce dernier réclamant l’annulation pure et simple de l’invitation tandis que d’autres demandent à ce qu’elle soit étendue aux écrivains palestiniens. Interrogé, Tariq Ramadan a répondu à La Repubblica :”Il est clair qu’on ne peut rien approuver de ce qui vient d’Israël”. A la “une” de ce même journal, l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun avait publié une tribune libre dans laquelle, tout en condamnant l’occupation israélienne de la bande de Gaza, il dénonçait au contraire le caractère insensé de la campagne de boycottage ansi que l’assimilation d’écrivains à la politique de leur gouvernement. Un poète israélien Aaron Shabtaï a mis son grain de sel en annonçant qu’il, lui, boycotterait à titre personnel tant la Foire du livre de Turin que le Salon du livre de Paris en ne se joignant pas à la délégation de son pays :”Je ne pense pas qu’un État qui maintient une occupation, en cimg2312.1202069251.JPGcommettant quotidiennement des crimes contre des civils, mérite d’être invité à quelque semaine culturelle que ce soit. Ceci est anti-culturel ; c’est un acte barbare cyniquement camouflé en culture. Cela manifeste un soutien à Israël, et peut-être aussi à la France, qui appuie l’occupation. Et je ne veux pas, moi, y participer.” Omar Barghouti,l’animateur de la campagne palestinienne en faveur du boycottage, n’avait pas dit autre chose : à ces yeux tout est politique dans ces manifestations, à commencer par leur dimension littéraire; on voit mal comment il pourrait dialoguer fût-ce avec des écrivains modérés et pacifistes comme Amos Oz, David Grossmann ou Abraham Yehoshoua, puisqu’il les qualifie d’emblée de “racistes”, complices de tous les “crimes” de leur gouvernement et qu’à ce titre, comme tout intellectuel dans cette situation, ils doivent selon lui être “punis” ! Autodafé de leurs livres en place publique, exécution sommaire ou autres, il n’en dit pas davantage sur la nature de la sanction.
La qualité d’Israël comme invité d’honneur au Salon du livre a déjà fait fait débat fin 2007 à Paris puis à Tel Aviv, mais très discrètement. Chez nous, lorsque les membres du Syndicat national de l’édition ont voté pour élire le pays invité, deux éditeurs seulement n’étaient pas d’accord : l’une exprima une hostilité radicale tandis que l’autre, ne parvenant à faire inviter également la Palestine, préféra s’abstenir. Rien n’a transpiré de ce différend. Mais là-bas il n’en est pas de même car les Israéliens ont tellement l’habitude d’être mis en question à l’étranger qu’ils ont le chic pour anticiper les accusations qu’on ne leur a pas encore adressées. Certains y sont passés maîtres dans l’art de fournir les verges qui les battront. Amos Oz a mis le feu au poudre en conditionnant dans un premier temps sa venue à Paris à la présence d’écrivains sayedkashuajohnfoleyopale.1202069468.jpgarabes israéliens et de Palestiniens au sein de la délégation, même s’ils n’écrivent qu’en arabe; dans le même élan, Benny Ziffer, directeur littéraire de Haaretz,a appelé à un boycottage du Salon. Or Israël doit également la richesse et dynamisme de sa littérature à des auteurs qui n’écrivent aussi qu’en russe, en français, en polonais… Comment faire pour tous les inclure sans vexer personne quand la première liste de sélection, établie de concert par le Centre National du Livre (CNL), l’ambassade d’Israël en France et l’ambassade de France en Israël, était déjà largement excédentaire ?
Dans un premier temps furent donc exclus, outre les écrivains dont aucun livre n’est traduit en français, les essayistes, mais ça ne suffisait pas. Pour parvenir à n’inviter « que » 39 romanciers, poètes, auteurs Jeunesse et auteurs de Bandes dessinées, un critère a finalement été retenu : la langue. Ainsi fut-il décidé de n’inviter que des auteurs écrivant en hébreu, qui est tout de même la langue nationale du pays. Outre Amos Oz, on retrouvera donc sur cette liste Aharon Appelfeld, David Grossman, A.B. Yehoshua, Zeruya Shalev, Etgar Keret, Orly Castel-Bloom etc. Les absents remarquables ? Anton Shammas, un Arabe israélien chrétien originaire de Galilée, dont l’œuvre est écrite soit en hébreu (Arabesques) soit en arabe, et qui échappe à ce charivari depuis son exil volontaire à l’université du Michigan ; on suppose qu’il aurait de toute façon refusé, s’étant déjà rendu au Salon du livre au sein d’une délégation arabe. Il n’y en aura donc pas un ? Si, un : Sayed Kashua, un Arabe israélien qui vit à Jérusalem, écrit en hébreu et dont le dernier livre est paru en France aux éditions de l’Olivier (Et il y eut un matin, traduit decimg2307.1202069192.JPGl’hébreu, vient de paraître en poche en Points/seuil). Nul doute qu’il sera l’un des plus sollicités de la délégation et pas uniquement par curiosité littéraire. En fait, depuis la mort de Emile Habibi, ils sont peu nombreux à écrire en arabe car le choix de l’hébreu, leur autre langue, leur assure une bien meilleure diffusion même si c’est « la langue du conquérant »comme le dit Kashua. « Cela illustre bien le niveau de ridicule qu’on atteint ces histoires d’équilibre entre Israéliens et Palestiniens : quand va-t-on cesser de nous demander aux uns et aux autres de sortir accompagnés ? » s’interroge l’éditeur Dov Alfon. Le fait est que la polémique est sans objet. Car qui les connaît un peu devine que dans leur grande majorité, les Arabes israéliens et plus encore les Palestiniens, n’accepteraient jamais de se rendre à Paris au sein d’une délégation officielle d’écrivains d’Israël.
Les partisans du boycottage seraient bien inspirés de réfléchir à cet absolu : un roman est par excellence le lieu de la liberté de l’esprit, un écrivain est un individu qui ne représente et n’engage que lui-même, il n’a de comptes à rendre personne. Il n’y a pas à en sortir. C’est valable pour tous les pays. On verra bien si la campagne prend de l’ampleur, comme c’est le cas dans certaines universités britanniques qui refusent depuis quelques années d’inviter et de rencontrer des chercheurs israéliens (mais uniquement eux, curieusement, leur cas de conscience à géométrie variable ne s’étendant pas aux universitaires de pays du Moyen-Orient qui pratiquent la peine de mort pour les drogués et les homosexuels, la lapidation en public des femmes adultères etc). Mais à Paris comme à Turin, on n’imagine pas que les organisateurs du salon du livre infléchiront en quoi que ce soit leur position, et c’est heureux. Car si à la suite de ce type de pressions, les écrivains israéliens devaient être exclus d’une grande manifestation littéraire internationale organisée dans un pays démocratique, rendus ainsi responsables, coupables et comptables des initiatives de leur gouvernement, eux et eux seuls car on n’en voit pas d’autres actuellement avec qui un tel phénomène se produit, alors ce serait à désespérer d’un certain nombre de principes et de valeurs qui dépassent de loin le seul enjeu de cette controverse.
(”Amos Oz” Dessin de Michel Kichka) ; “Sayed Kashua” photo de John Foley/Opale; “Jérusalem” photos passou
amos_oz.1202069334.jpgEst-ce un avant-goût ou un ballon d’essai ? Les deux peut-être. Toujours est-il que la tentative de boycotter la Foire du livre de Turin qui se tiendra du 8 au 12 mai provoque déjà des polémiques par l’invitation lancée aux écrivains israéliens; la même invitation au Salon du livre de Paris du 14 au 18 mars y échappe, pour l’instant. Dans un cas comme dans l’autre, les organisateurs justifient cet honneur par le 60ème anniversaire de la création de l’Etat d’Israël. La campagne avait été lancée à l’initiative de la section italienne du mouvement ISM (International Solidarity Movement) et amplifiée par des organisations musulmanes et palestiniennes d’Italie. Une organisation d’écrivains arabes a lancé un appel affirmant qu’ “on ne peut pas célébrer un Etat qui pratique l’homicide et la destruction”. La gauche communiste et les formations radicales de l’extrême-gauche, en flèche sur cette question, ne sont pas toutes d’accord entre elles si l’on en juge par la controverse entre Valentino Parlato et Alfredo Tradardi, ce dernier réclamant l’annulation pure et simple de l’invitation tandis que d’autres demandent à ce qu’elle soit étendue aux écrivains palestiniens. Interrogé, Tariq Ramadan a répondu à La Repubblica :”Il est clair qu’on ne peut rien approuver de ce qui vient d’Israël”. A la “une” de ce même journal, l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun avait publié une tribune libre dans laquelle, tout en condamnant l’occupation israélienne de la bande de Gaza, il dénonçait au contraire le caractère insensé de la campagne de boycottage ansi que l’assimilation d’écrivains à la politique de leur gouvernement. Un poète israélien Aaron Shabtaï a mis son grain de sel en annonçant qu’il, lui, boycotterait à titre personnel tant la Foire du livre de Turin que le Salon du livre de Paris en ne se joignant pas à la délégation de son pays :”Je ne pense pas qu’un État qui maintient une occupation, en cimg2312.1202069251.JPGcommettant quotidiennement des crimes contre des civils, mérite d’être invité à quelque semaine culturelle que ce soit. Ceci est anti-culturel ; c’est un acte barbare cyniquement camouflé en culture. Cela manifeste un soutien à Israël, et peut-être aussi à la France, qui appuie l’occupation. Et je ne veux pas, moi, y participer.” Omar Barghouti,l’animateur de la campagne palestinienne en faveur du boycottage, n’avait pas dit autre chose : à ces yeux tout est politique dans ces manifestations, à commencer par leur dimension littéraire; on voit mal comment il pourrait dialoguer fût-ce avec des écrivains modérés et pacifistes comme Amos Oz, David Grossmann ou Abraham Yehoshoua, puisqu’il les qualifie d’emblée de “racistes”, complices de tous les “crimes” de leur gouvernement et qu’à ce titre, comme tout intellectuel dans cette situation, ils doivent selon lui être “punis” ! Autodafé de leurs livres en place publique, exécution sommaire ou autres, il n’en dit pas davantage sur la nature de la sanction.
La qualité d’Israël comme invité d’honneur au Salon du livre a déjà fait fait débat fin 2007 à Paris puis à Tel Aviv, mais très discrètement. Chez nous, lorsque les membres du Syndicat national de l’édition ont voté pour élire le pays invité, deux éditeurs seulement n’étaient pas d’accord : l’une exprima une hostilité radicale tandis que l’autre, ne parvenant à faire inviter également la Palestine, préféra s’abstenir. Rien n’a transpiré de ce différend. Mais là-bas il n’en est pas de même car les Israéliens ont tellement l’habitude d’être mis en question à l’étranger qu’ils ont le chic pour anticiper les accusations qu’on ne leur a pas encore adressées. Certains y sont passés maîtres dans l’art de fournir les verges qui les battront. Amos Oz a mis le feu au poudre en conditionnant dans un premier temps sa venue à Paris à la présence d’écrivains sayedkashuajohnfoleyopale.1202069468.jpgarabes israéliens et de Palestiniens au sein de la délégation, même s’ils n’écrivent qu’en arabe; dans le même élan, Benny Ziffer, directeur littéraire de Haaretz,a appelé à un boycottage du Salon. Or Israël doit également la richesse et dynamisme de sa littérature à des auteurs qui n’écrivent aussi qu’en russe, en français, en polonais… Comment faire pour tous les inclure sans vexer personne quand la première liste de sélection, établie de concert par le Centre National du Livre (CNL), l’ambassade d’Israël en France et l’ambassade de France en Israël, était déjà largement excédentaire ?
Dans un premier temps furent donc exclus, outre les écrivains dont aucun livre n’est traduit en français, les essayistes, mais ça ne suffisait pas. Pour parvenir à n’inviter « que » 39 romanciers, poètes, auteurs Jeunesse et auteurs de Bandes dessinées, un critère a finalement été retenu : la langue. Ainsi fut-il décidé de n’inviter que des auteurs écrivant en hébreu, qui est tout de même la langue nationale du pays. Outre Amos Oz, on retrouvera donc sur cette liste Aharon Appelfeld, David Grossman, A.B. Yehoshua, Zeruya Shalev, Etgar Keret, Orly Castel-Bloom etc. Les absents remarquables ? Anton Shammas, un Arabe israélien chrétien originaire de Galilée, dont l’œuvre est écrite soit en hébreu (Arabesques) soit en arabe, et qui échappe à ce charivari depuis son exil volontaire à l’université du Michigan ; on suppose qu’il aurait de toute façon refusé, s’étant déjà rendu au Salon du livre au sein d’une délégation arabe. Il n’y en aura donc pas un ? Si, un : Sayed Kashua, un Arabe israélien qui vit à Jérusalem, écrit en hébreu et dont le dernier livre est paru en France aux éditions de l’Olivier (Et il y eut un matin, traduit decimg2307.1202069192.JPGl’hébreu, vient de paraître en poche en Points/seuil). Nul doute qu’il sera l’un des plus sollicités de la délégation et pas uniquement par curiosité littéraire. En fait, depuis la mort de Emile Habibi, ils sont peu nombreux à écrire en arabe car le choix de l’hébreu, leur autre langue, leur assure une bien meilleure diffusion même si c’est « la langue du conquérant »comme le dit Kashua. « Cela illustre bien le niveau de ridicule qu’on atteint ces histoires d’équilibre entre Israéliens et Palestiniens : quand va-t-on cesser de nous demander aux uns et aux autres de sortir accompagnés ? » s’interroge l’éditeur Dov Alfon. Le fait est que la polémique est sans objet. Car qui les connaît un peu devine que dans leur grande majorité, les Arabes israéliens et plus encore les Palestiniens, n’accepteraient jamais de se rendre à Paris au sein d’une délégation officielle d’écrivains d’Israël.
Les partisans du boycottage seraient bien inspirés de réfléchir à cet absolu : un roman est par excellence le lieu de la liberté de l’esprit, un écrivain est un individu qui ne représente et n’engage que lui-même, il n’a de comptes à rendre personne. Il n’y a pas à en sortir. C’est valable pour tous les pays. On verra bien si la campagne prend de l’ampleur, comme c’est le cas dans certaines universités britanniques qui refusent depuis quelques années d’inviter et de rencontrer des chercheurs israéliens (mais uniquement eux, curieusement, leur cas de conscience à géométrie variable ne s’étendant pas aux universitaires de pays du Moyen-Orient qui pratiquent la peine de mort pour les drogués et les homosexuels, la lapidation en public des femmes adultères etc). Mais à Paris comme à Turin, on n’imagine pas que les organisateurs du salon du livre infléchiront en quoi que ce soit leur position, et c’est heureux. Car si à la suite de ce type de pressions, les écrivains israéliens devaient être exclus d’une grande manifestation littéraire internationale organisée dans un pays démocratique, rendus ainsi responsables, coupables et comptables des initiatives de leur gouvernement, eux et eux seuls car on n’en voit pas d’autres actuellement avec qui un tel phénomène se produit, alors ce serait à désespérer d’un certain nombre de principes et de valeurs qui dépassent de loin le seul enjeu de cette controverse.
(”Amos Oz” Dessin de Michel Kichka) ; “Sayed Kashua” photo de John Foley/Opale; “Jérusalem” photos passou
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