Saturday, October 25, 2008

Philippe Val : ''L'affaire Siné est un avertissement''
Par Christophe Barbier, mis à jour le 23/10/2008 18:38:18 - publié le 22/10/2008 17:06

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« Page : 2 sur 3 » République et nation, c'est la même chose, écrivez-vous. Est-ce si sûr ?

En France, oui : la République a accouché de la Nation.

Etes-vous républicain avant tout ?

Je suis avant tout démocrate.


JP Guilloteau/L'Express

Philippe Val.

Acceptez-vous qu'on soit républicain avant d'être démocrate ?

C'est un point de vue qui ne me gêne pas, sauf à gauche. Quand la nation se crée en France, elle se veut souveraine parce qu'elle est entourée de régimes hostiles. Lorsque cette souveraineté fondatrice est considérée comme un absolu - la « France éternelle » - alors, elle devient une idée maurrassienne, qui fonde la droite. Etre de gauche, au contraire, c'est approuver la mutation, accepter de se fondre dans un idéal collectif plus grand que la nation, de perdre une dose de souveraineté, d'accroître le partage démocratique. Je me demande donc ce que Jean-Pierre Chevènement ou Jean-Luc Mélenchon font à gauche, alors qu'ils défendent ces thèses de droite. Tout à fait honorables, mais de droite.

Selon vous, une partie de l'anticolonialisme des années 1960 s'est muée en antisionisme. Effet de génération, qui s'éteindra ?

Besancenot ne serait pas si « tendance » si cela s'éteignait. L'anticolonialisme était une lutte tout à fait noble. Mais, dix ans après la Seconde Guerre mondiale, pour une partie de la gauche qui avait raté le rendez-vous avec la Résistance, l'enthousiasme anticolonial tombait à pic. L'Algérie, ce fut une session de rattrapage confortable : plus facile de lutter contre l'Etat français colon que contre les Allemands... Pour certains, il y a une revanche à prendre sur leur propre pays ou, comme chez Vergès ou Genet, une haine de la France. Après 1967 et la guerre des Six Jours, ils trouvent un colon de substitution : Israël. Avec une confusion entre les colonies d'Israël - qui ne serait pas contre ces obstacles à la paix ? - et Israël considéré comme colonie dans son intégralité. Cela permet à cette gauche d'exprimer son antisémitisme sans risquer l'opprobre.

Ceux qui tolèrent l'antisémitisme des pays arabes les « infantilisent » : que voulez-vous dire ?

On accepte chez eux des comportements, des propos qu'on ne supporte pas, qu'on pénalise chez les Occidentaux. C'est un mépris. Il faut dire aux Arabes : faites un travail de mémoire sur les liens de certains mouvements nationalistes et religieux arabes avec le nazisme, sinon vous n'édifierez pas de démocratie et ne profiterez donc jamais des richesses que vous pouvez produire.

Philippe Val
14 septembre 1952 : Naissance à Paris

1970 : Débuts du duo scénique avec Patrick Font ; ils rompent tout contact après la condamnation du second pour attouchements sexuels sur mineurs de moins de 15 ans, en 1998.

1992 : Lance La Grosse Bertha, puis relance, avec Cabu, Charlie Hebdo, dont il devient le directeur de la rédaction et de la publication.

Février 2006 : Charliepublie les caricatures de Mahomet.

Juillet 2008 : Philippe Val stoppe la collaboration de Siné à Charlie HebdoQuelle taille a aujourd'hui la « nébuleuse rouge-brun » ?

Elle est disparate. Je ne pense pas qu'aujourd'hui elle puisse faire bloc autour d'un leader, mais elle empoisonne notre démocratie. C'est un toxique qu'on refuse d'attaquer, car on craint qu'elle ait, comme un iceberg, une importance cachée. Les politiques sont timides, prison- niers de l'idéologie de l'AOC, l'appellation d'origine contrôlée : comme s'il y avait aussi, derrière le « rouge-brun », une tradition à préserver ! Cela donne aujourd'hui, en France, une paranoïa antiaméricaine de type chaveziste, ou cette ahurissante mode de Cuba. Cuba est une horrible dictature, mais elle est AOC ; le juif, lui, est nomade, pas AOC. Quand la droite dit qu'il y a des choses éternelles et que la gauche affirme qu'il faut des mutations, la démocratie fonctionne. Que la gauche célèbre à son tour l'immuable, c'est anormal.

Virer Siné pour avoir insinué que Jean Sarkozy se convertirait au judaïsme par ambition sociale, n'est-ce pas oublier la leçon des caricatures ?

Ne pas voir la différence entre les deux affaires montre comme la médiation est difficile aujourd'hui. D'abord, Siné n'a pas dessiné une caricature, mais écrit un texte : c'est une différence importante. Ensuite, les caricatures de Mahomet tentaient de dénoncer l'instrumentalisation de la religion à des fins de crime de masse. Elles ne tombaient pas dans la vulgate raciste, comme, par exemple, établir un lien entre « Arabe » et « voleur ». Siné, lui, relie « juif » et « argent ».

Ne fallait-il pas attendre qu'un tribunal le condamne pour antisémitisme ?

Je ne l'ai pas viré pour antisémitisme et ne l'ai pas qualifié d'antisémite : je lui ai demandé de partir parce qu'il a refusé de lever l'ambiguïté de ses propos et de présenter des excuses.

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Philippe Val : ''L'affaire Siné est un avertissement''
Par Christophe Barbier, mis à jour le 23/10/2008 18:38:18 - publié le 22/10/2008 17:06

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« Page : 3 sur 3 Que répondez-vous à ceux qui disent que son propos a été sanctionné parce qu'il visait Jean Sarkozy ?

Pour n'importe qui, j'aurais agi de la même façon. En outre, quel directeur d'un journal indépendant virerait un de ses collaborateurs à la demande de Sarkozy ? Aucun, je pense. Etant donné les fâcheux précédents, il est probable que Sarkozy ne demanderait jamais ça. Par ailleurs, il y a le reste de la chronique de Siné : quand il dessine une juive rasée, c'est non pas la représentation d'une Loubavitch, mais d'une déportée qui vient immédiatement à l'esprit. Comment Siné pourrait-il l'ignorer, lui qui a passé cinquante ans à dessiner des juifs et des Arabes ?

L'antisarkozysme est-il un antisémitisme ?

Dans un édito, il y a quelques mois, sur la énième loi sur l'immigration, j'ai écrit qu'elle encourageait la xénophobie, et j'ai pronostiqué que cela se retournerait contre Sarkozy : ceux qui applaudissaient ces lois, déçus plus tard par le président, le traiteraient de petit juif hongrois, et nous serions bien peu nombreux, ce jour-là, pour le défendre contre une opinion raciste. L'affaire Siné et les réactions qu'elle a suscitées sont un avertissement. C'est tombé sur son fils.

Le dessin de Plantu, dans L'Express, a choqué : est-ce à cause du brassard, dont il affuble tous les sbires, mais qui a été vu comme un insigne nazi sur votre bras, tandis que vous chassiez Siné à coups de bottes ?

Plantu utilise trop la symbolique et pas assez l'imagination. C'est le recours à la symbolique par manque d'idées qui l'a fait déraper. De ce point de vue, mais c'est moins grave, même ses colombes de la paix sont insupportables. De plus, son dessin me concernant a un côté « il y a le feu et j'apporte mon bidon d'essence ».

L'affaire Siné a-t-elle dépassé Saint-Germain-des-Prés ?

Le plus gênant, c'est qu'elle soit possible, avec Marianne, Libé, Le Monde, L'Obs, L'Express et Télérama, qui, à un moment ou à un autre, publient des pages contre moi. Cela lève des tabous et les gens se lâchent. Jamais, pendant l'affaire des caricatures, je n'ai été aussi insulté que lors de l'affaire Siné. La première a révélé quelque chose de la société, la seconde a dit quelque chose de nous, les « médiateurs ».

Si c'était à refaire ?

Je referais la même chose.

Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous, par Philippe Val (Grasset).
295 p., 18,50 euros.

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