omment peut-on être juif au pays de Kafka
05/12/08
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- - Thème: Mémoire
Le site Internet de la radio tchèque en langue française publie, vendredi 5 décembre 2008, un grand article sur la communauté juive tchèque, reproduit ici dans sa totalité :
« Outre la destruction de millions d’êtres humains, la Shoah a aussi abouti à l’effacement d’une culture multiséculaire en Europe centrale. Depuis la chute du communisme dans l’ex Tchécoslovaquie, le patrimoine juif de Bohême-Moravie renaît lentement de ses cendres. Un phénomène que l’on doit à quelques associations actives, parmi lesquelles celle de la synagogue de Krnov, dont nous recevons aujourd’hui un membre éminent, Pavel Kuča.
En exterminant les Juifs de Bohême-Moravie, les nazis s’en prennent tout simplement aux principaux soutiens de la culture allemande en terre tchèques durant le XIXème siècle. On peut évoquer les associations allemandes de Prague, qui doivent leur survie, dans le dernier tiers du siècle, aux Juifs. Ainsi la Ligue des Allemands, fondée en 1894 en Autriche, dans une option nationaliste et raciste. A Prague, elle sera obligée de purger ses discours antisémites... Autre vecteur important de la culture allemande, les deux grands journaux, le Bohemia et le Prager Tagblatt, qui appartiennent à la bourgeoisie juive allemande, avec des signatures célèbres comme celle d’Egon Erwin Kisch.
Le patrimoine juif, en hommes comme en biens, sera entièrement dévasté par les nazis. En exterminant les Juifs d’Europe centrale, ce sont des pans séculaires de culture et de vie quotidienne qui sont balayés et ce en 4-5 ans seulement. La dictature communiste et son antisémitisme d’Etat ayant suivi, la Bohême, la Moravie, comme la Pologne ou la Slovaquie, s’est quasiment vidée de ses Juifs.
Inévitablement, ce sont, aujourd’hui, des non-Juifs qui s’occupent de la revalorisation de ce patrimoine. Pavel Kuča, qui a fondé avec deux amis, une association allant dans ce sens, en est un exemple éloquent.
« L’association s’appelle la synagogue de Krnov. Krnov est une ville de 26 000 habitants située à la frontière polonaise, en Silésie tchèque. Avant la Seconde Guerre mondiale, c’était une ville germanophone, ses habitants ont été expulsés après la fin de la guerre. La ville abrite une synagogue qui a survécu au nazisme. Sous le communisme, elle servit d’entrepôt pour les archives d’Etat. »
En 1997, les archives de Krnov sont détruites suite à des inondations. Pavel et ses amis s’intéressent au sort de la synagogue et du cimetière juif.
« Après des négociations avec la communauté juive, nous sommes devenus gestionnaires de la synagogue. On y organise des événements culturels et des concerts de musique klezmer. On est en contact avec d’anciens habitants juifs de Krnov, qui vivent aujourd’hui en Israël, au Canada, aux Etats-Unis... Ils nous ont envoyé des photos de leur famille, d’où sont sorties des expositions, que nous avons montrées aux habitants actuels de la ville ».
Si la synagogue de Krnov a échappé à la destruction par les nazis, elle le doit à des circonstances plutôt inhabituelles. Rappelons, pour mémoire, que la Nuit de Cristal eut ses équivalents dans les villes sudètes de Bohême, comme à Karlovy Vary par exemple, avec des destructions partielles de synagogues.
« C’est un Allemand des Sudètes, catholique, entrepreneur, membre du conseil municipal et du parti nazi, un certain Franz Hirblich, qui est à l’origine du sauvetage de la synagogue. Quelques jours avant la Nuit de Cristal, la mairie avait reçu l’ordre d’incendier la synagogue. Hirblich a proposé aux autres membres du conseil un subterfuge : ils ont incendié le hall des cérémonies du cimetière et ont simplement annoncé à la Gestapo qu’il avaient accompli leur tâche. Ils ont ensuite transformé la synagogue en marché couvert. Hirblich a toujours affirmé qu’il avait fait cela par respect pour un lieu de culte. Cela a probablement été aussi du pragmatisme : la poste est juste à côté, Hirblich était propriétaire d’une entreprise de bâtiments... Difficile de savoir ses motivations réelles. »
Si cette initiative peut paraître ambiguë, ce qui l’est moins, c’est l’engagement de certains anciens habitants de Krnov, par ailleurs Allemands, et qui furent expulsés de Tchécoslovaquie après guerre. Parmi eux, un nom, Pepi Bayer, membre d’une Association de Sudètes expulsés de Tchécoslovaquie (en 1945), fortuné et sans enfants, et qui a décidé d’aider financièrement les projets de revalorisation du patrimoine juif de Krnov. Pavel nous a appris que ces Allemands totalisent environ 30 % de l’aide apportée.
«Parmi eux, des Allemands des Sudètes, des anciens élèves du professeur de littérature allemande M. Langsur, juif et victime de la Shoah, ou encore M. Schwartz, ancien médecin de famille pour beaucoup d’entre eux. Ils ont un rapport personnel avec le souvenir de ces noms. Ces anciens Allemands des Sudètes, peut-être par un sentiment indirect de culpabilité, ont fait le choix de nous aider dans nos projets. »
Une partie des membres de l’Association de la synagogue de Krnov a eu un arrière-grand-parent juif mais certains d’entre eux ont appris tardivement cette partie de leur histoire familiale car le communisme maintenait un certain tabou sur la question. Pour certains d’entre eux, il s’agit donc d’un retour sur une partie de leur propre culture. Pavel Kuča a d’ailleurs étudié l’hébreu à l’Université juive de Brno.
D’une manière générale, un certain regain d’intérêt pour l’histoire juive en terres tchèques est favorisé par des projets lancés par les municipalités dans le pays. On peut évoquer le quartier juif de Třebíč, inscrit à l’UNESCO et particulièrement bien conservé. Pavel nous parle aussi d’un projet éducatif initié par le centre juif de Prague :
« Le centre culturel éducatif du musée juif de Prague a lancé un projet intitulé les voisins perdus. Il s’adresse aux professeurs des collèges et lycées qui le souhaitent et obtiennent alors tout le support. L’idée est simple : les écoliers vont dans les archives pour établir une sorte de dialogue avec leurs grands-parents, la chose la plus importante... Ce faisant, ils découvrent que leur grand-mère avait une voisine juive, qui a disparu pendant la guerre. La Shoah cesse ainsi d’être de la science-fiction ou un film américain et ces jeunes, non-juifs, sont touchés personnellement. »
05/12/08
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Le site Internet de la radio tchèque en langue française publie, vendredi 5 décembre 2008, un grand article sur la communauté juive tchèque, reproduit ici dans sa totalité :
« Outre la destruction de millions d’êtres humains, la Shoah a aussi abouti à l’effacement d’une culture multiséculaire en Europe centrale. Depuis la chute du communisme dans l’ex Tchécoslovaquie, le patrimoine juif de Bohême-Moravie renaît lentement de ses cendres. Un phénomène que l’on doit à quelques associations actives, parmi lesquelles celle de la synagogue de Krnov, dont nous recevons aujourd’hui un membre éminent, Pavel Kuča.
En exterminant les Juifs de Bohême-Moravie, les nazis s’en prennent tout simplement aux principaux soutiens de la culture allemande en terre tchèques durant le XIXème siècle. On peut évoquer les associations allemandes de Prague, qui doivent leur survie, dans le dernier tiers du siècle, aux Juifs. Ainsi la Ligue des Allemands, fondée en 1894 en Autriche, dans une option nationaliste et raciste. A Prague, elle sera obligée de purger ses discours antisémites... Autre vecteur important de la culture allemande, les deux grands journaux, le Bohemia et le Prager Tagblatt, qui appartiennent à la bourgeoisie juive allemande, avec des signatures célèbres comme celle d’Egon Erwin Kisch.
Le patrimoine juif, en hommes comme en biens, sera entièrement dévasté par les nazis. En exterminant les Juifs d’Europe centrale, ce sont des pans séculaires de culture et de vie quotidienne qui sont balayés et ce en 4-5 ans seulement. La dictature communiste et son antisémitisme d’Etat ayant suivi, la Bohême, la Moravie, comme la Pologne ou la Slovaquie, s’est quasiment vidée de ses Juifs.
Inévitablement, ce sont, aujourd’hui, des non-Juifs qui s’occupent de la revalorisation de ce patrimoine. Pavel Kuča, qui a fondé avec deux amis, une association allant dans ce sens, en est un exemple éloquent.
« L’association s’appelle la synagogue de Krnov. Krnov est une ville de 26 000 habitants située à la frontière polonaise, en Silésie tchèque. Avant la Seconde Guerre mondiale, c’était une ville germanophone, ses habitants ont été expulsés après la fin de la guerre. La ville abrite une synagogue qui a survécu au nazisme. Sous le communisme, elle servit d’entrepôt pour les archives d’Etat. »
En 1997, les archives de Krnov sont détruites suite à des inondations. Pavel et ses amis s’intéressent au sort de la synagogue et du cimetière juif.
« Après des négociations avec la communauté juive, nous sommes devenus gestionnaires de la synagogue. On y organise des événements culturels et des concerts de musique klezmer. On est en contact avec d’anciens habitants juifs de Krnov, qui vivent aujourd’hui en Israël, au Canada, aux Etats-Unis... Ils nous ont envoyé des photos de leur famille, d’où sont sorties des expositions, que nous avons montrées aux habitants actuels de la ville ».
Si la synagogue de Krnov a échappé à la destruction par les nazis, elle le doit à des circonstances plutôt inhabituelles. Rappelons, pour mémoire, que la Nuit de Cristal eut ses équivalents dans les villes sudètes de Bohême, comme à Karlovy Vary par exemple, avec des destructions partielles de synagogues.
« C’est un Allemand des Sudètes, catholique, entrepreneur, membre du conseil municipal et du parti nazi, un certain Franz Hirblich, qui est à l’origine du sauvetage de la synagogue. Quelques jours avant la Nuit de Cristal, la mairie avait reçu l’ordre d’incendier la synagogue. Hirblich a proposé aux autres membres du conseil un subterfuge : ils ont incendié le hall des cérémonies du cimetière et ont simplement annoncé à la Gestapo qu’il avaient accompli leur tâche. Ils ont ensuite transformé la synagogue en marché couvert. Hirblich a toujours affirmé qu’il avait fait cela par respect pour un lieu de culte. Cela a probablement été aussi du pragmatisme : la poste est juste à côté, Hirblich était propriétaire d’une entreprise de bâtiments... Difficile de savoir ses motivations réelles. »
Si cette initiative peut paraître ambiguë, ce qui l’est moins, c’est l’engagement de certains anciens habitants de Krnov, par ailleurs Allemands, et qui furent expulsés de Tchécoslovaquie après guerre. Parmi eux, un nom, Pepi Bayer, membre d’une Association de Sudètes expulsés de Tchécoslovaquie (en 1945), fortuné et sans enfants, et qui a décidé d’aider financièrement les projets de revalorisation du patrimoine juif de Krnov. Pavel nous a appris que ces Allemands totalisent environ 30 % de l’aide apportée.
«Parmi eux, des Allemands des Sudètes, des anciens élèves du professeur de littérature allemande M. Langsur, juif et victime de la Shoah, ou encore M. Schwartz, ancien médecin de famille pour beaucoup d’entre eux. Ils ont un rapport personnel avec le souvenir de ces noms. Ces anciens Allemands des Sudètes, peut-être par un sentiment indirect de culpabilité, ont fait le choix de nous aider dans nos projets. »
Une partie des membres de l’Association de la synagogue de Krnov a eu un arrière-grand-parent juif mais certains d’entre eux ont appris tardivement cette partie de leur histoire familiale car le communisme maintenait un certain tabou sur la question. Pour certains d’entre eux, il s’agit donc d’un retour sur une partie de leur propre culture. Pavel Kuča a d’ailleurs étudié l’hébreu à l’Université juive de Brno.
D’une manière générale, un certain regain d’intérêt pour l’histoire juive en terres tchèques est favorisé par des projets lancés par les municipalités dans le pays. On peut évoquer le quartier juif de Třebíč, inscrit à l’UNESCO et particulièrement bien conservé. Pavel nous parle aussi d’un projet éducatif initié par le centre juif de Prague :
« Le centre culturel éducatif du musée juif de Prague a lancé un projet intitulé les voisins perdus. Il s’adresse aux professeurs des collèges et lycées qui le souhaitent et obtiennent alors tout le support. L’idée est simple : les écoliers vont dans les archives pour établir une sorte de dialogue avec leurs grands-parents, la chose la plus importante... Ce faisant, ils découvrent que leur grand-mère avait une voisine juive, qui a disparu pendant la guerre. La Shoah cesse ainsi d’être de la science-fiction ou un film américain et ces jeunes, non-juifs, sont touchés personnellement. »
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