Monday, January 23, 2006

138 - PASQUA SE DECLARE CONTRE LA POSITION DE CHIRAC SUR LA REPENTANCE .

HISTOIRELe droit colonial inspirateur de la législation antisémite de Vichy
Depuis des mois le retour sur le colonialisme croise de bien mauvaise façon la - question de l’antisémitisme. Charles Pasqua y fut à son tour conduit lors d’une interview sur France-Inter, le 6 janvier dernier. L’ancien ministre de l’Intérieur jugea la fameuse disposition législative sur l’oeuvre positive de la colonisation comme une « bêtise », pour ajouter aussitôt que l’annuler en constituerait une seconde. Puis, dans la foulée d’une charge contre ce qu’il a appelé « la repentance permanente », il s’est déclaré « contre » les propos tenus par Jacques Chirac le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la rafle du Vél’d’Hiv’ des 16 et 17 juillet 1942 : « La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. »
L’Europe, siège d’immenses massacres
C’est d’une tout autre façon que nous entendons à notre tour croiser colonialisme et antisémitisme. Avant d’aller plus loin, il paraît cependant indispensable de baliser le terrain tant les confusions sont grandes et dangereuses les concurrences de mémoires que l’on voit se déchaîner.
L’expansion territoriale des
puissances européennes n’a pas
commencé au XIXe siècle en Afrique mais à l’extrême fin du XVe siècle en Amérique et avec la violence que l’on sait. Faut-il ajouter que toutes les grandes civilisations dont nous admirons les vestiges et dont nous sommes les héritiers pour le meilleur s’épanouirent dans la cadre d’empires qui n’ont rien ignoré du maniement du fer et du feu. Et rien ne suggère que l’Afrique précoloniale et pré-esclavagiste constituait un havre de la féli-
cité humaine. L’Europe elle-même
fut longtemps le siège d’immenses massacres.
À cet égard, l’extermination de masse perpétrée par l’Allemagne nazie se caractérise avant tout par sa motivation exclusivement idéologique - l’antisémitisme - et par sa rationalité industrielle. De ce double point de vue, elle a plus à voir avec l’eugénisme né de la transposition du déterminisme darwinien à la société et avec le capitalisme industriel (1), évolutions endogènes propres aux sociétés occidentales développées, qu’avec l’aventure coloniale exogène.
Ces quelques remarques n’estompent ni ne hiérarchisent quoi que ce soit : quel sens y a-t-il d’ailleurs à hiérarchiser les épisodes les pires de l’histoire humaine sinon à justifier toujours et encore de nouvelles exclusions-dominations ?
Cela étant posé, l’une des dimensions du bilan du colonialisme français nous semble à chercher dans son rapport à l’idéal républicain. L’empire colonial a été contemporain de l’assise de cet idéal avec la IIIe République. A-t-il constitué un vecteur de la propagation de cet idéal ou de sa négation ?
Nous y voilà. Dans la France de Vichy, l’historien américain Robert Paxton établit sans conteste combien ce régime avait eu une politique active de collaboration avec l’Allemagne hitlérienne dans le cadre d’une « Révolution nationale » qui rejetait la République. Avec Vichy et les juifs, Michaël Marrus et Robert Paxton ont mis au jour l’ampleur de l’initiative que n’a eu de cesse de développer « l’État français » en matière d’antisémitisme. Il n’eut aucun rôle protecteur ni même amortisseur, bien au contraire. Reste que si Vichy s’est fait le complice de plus en plus actif de l’extermination, il n’a en rien pensé celle-ci. Sur les 168 lois et décrets antijuifs promulgués sous le régime de l’État français, 111 ont vu le jour avant le départ du premier convoi de Compiègne et Drancy pour Auschwitz, le 27 mars 1942.
Marrus et Paxton soulignent : « Le gouvernement Pétain n’a pas inventé la politique antijuive qu’il met en place avec tant de zèle et de passion en 1940. Chacun des éléments de ce plan était présent dans les années qui ont précédé la chute de la IIIe République. » Une accumulation impressionnante de lois et de décrets hostiles aux étrangers résidant en France eut lieu en effet de la fin des années vingt à 1939. Les juifs en étaient l’une des cibles pour autant qu’ils étaient immigrés non naturalisés. Les deux historiens conviennent d’ailleurs qu’une rupture s’est produite à la faveur du séisme de l’effondrement de juin 1940.
La loi du 3 octobre 1940 portant sur le statut des juifs a été élaborée à Vichy hors de toute demande allemande. Comme l’ont montré Dominique Gros et d’autres juristes lors du colloque consacré à « l’encadrement juridique de l’antisémitisme sous le régime de Vichy » tenu en 1994 à Dijon (2), ce statut brise avec les fondements du droit civil français issu des idéaux des Lumières. Il brise avec l’universalisme des droits individuels de la personne humaine. Mais cette rupture était-elle réellement dépourvue de tout précédent ? En vérité elle n’a fait que transposé en droit interne à
la métropole des règles de droit commun dans les colonies.
L’élaboration
du Code de l’indigénat
Les indigènes n’étaient pas des citoyens (3). La loi du 28 juin 1881 avait intégré au corpus législatif de la République le régime des « infractions spéciales à l’indigénat », dit « Code de l’indigénat ». Élaboré dans le cours même de la conquête de l’Algérie pour soumettre les populations, ce code définissait un ensemble d’infractions - la simple désobéissance, l’irrespect à l’égard de l’autorité ou le refus de payer l’impôt de capitation, résurgence du droit féodal, étaient du nombre - réprimées « par voie disciplinaire » à l’initiative des « administrateurs » civils. Un décret du 4 novembre 1928 relatif au « statut des métis nés de parents légalement inconnus en Indochine » prévoit en son article 2 que « la présomption que le père ou la mère » inconnu « est d’origine et de race française peut être établie par tous les moyens ». L’énoncé non limitatif de ces moyens n’exclut en rien celui mentionné dans un arrêt de la cour de Hanoï du 12 novembre 1926 et faisant jurisprudence : « Au besoin en ayant recours à une expertise médico-légale destinée à préciser les caractères ethniques du sujet » (4).
Une abondante littérature universitaire faisait la glose de ce droit fondamentalement antirépublicain et l’administration coloniale était experte dans son application. Il ne pouvait qu’être familier aux deux principaux rédacteurs du statut juif de l’automne 1940, Raphaël Alibert, le ministre de la Justice, spécialiste du droit public et constitutionnel, antisémite notoire, adepte de l’Action française et admirateur de Charles Maurras, et Marcel Peyroutin, le ministre de l’Intérieur, secrétaire général du gouvernorat d’Algérie au début des années trente puis résident général de France en Tunisie où il se distingua par la brutalité de la répression coloniale.
Dès le 30 juillet 1885, répliquant, à la Chambre des députés, à Jules Ferry qui, l’avant-veille, défendait la politique d’expansion coloniale au nom du devoir civilisateur, Georges Clemenceau avertissait : « Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas un droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence l’hypocrisie. »
(1) Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage ? Mille et Une Nuits ; entretien dans l’Humanité
du 27 janvier 2005.
(2) Les actes de ce colloque ont été publiés sous le titre : le Droit antisémite de Vichy, « Le Genre humain », Le Seuil, 1996, 612 pages.
(3) Selon les données publiées par Gérard Fritz et Jean-Claude Fritz, même ouvrage (pages 78 et 83),
sur quelque 36 millions de colonisés l’accès à la citoyenneté
par naturalisation aurait concerné
en moyenne moins de 50 indigènes par an de 1914 à 1925.
(4) Cité par les mêmes auteurs, page 82.
Marc Blachère

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