AVEC QUI ROMANO PRODI A ETE ELU....
Front contre front
Marquée cette semaine par le dernier duel entre Silvio Berlusconi et Romano Prodi, cette campagne électorale restera comme “la plus brutale de la dernière décennie”. La violence des débats a été à la mesure de l’incertitude du résultat, même après l’ultime débat du 3 avril. La loi italienne interdit la parution de sondages dans les quinze derniers jours de la campagne mais les derniers chiffres disponibles étaient contradictoires : la plupart donnaient à la gauche une avance de 2 à 3 points ; d’autres annonçaient une quasi-parité entre les deux camps, voire un très léger avantage à la droite.Cette situation a poussé les coalitions opposées à radicaliser l’enjeu et leur jeu. La défaite de Silvio Berlusconi était considérée comme certaine il y a seulement deux mois. Le président du Conseil pouvait l’éviter s’il réussissait à rassembler ses électeurs de 2001 qui, déçus par cinq ans de gouvernement pas assez “révolutionnaire”, étaient tentés de se réfugier dans l’abstention.Toute la stratégie médiatique du Cavaliere a visé à ramener au bercail ces électeurs en dramatisant la campagne. Berlusconi a parlé de « risque pour la démocratie » en cas de victoire de l’Unione de Prodi, cherchant d’abord à exploiter les nombreuses contradictions de la coalition de gauche plus qu’à défendre l’action de son gouvernement.Les extrêmes minent l’unité des deux coalitions.Certaines erreurs de communication de la gauche ont joué en sa faveur, notamment en matière d’impôts : Prodi a promis d’augmenter la taxation des valeurs d’État ; l’extrême gauche veut imposer un impôt sur les grandes fortunes et réintroduire la taxe sur les successions abolie par l’exécutif de centre droit. L’Unione a été contrainte à la défensive.La gauche s’est aussi divisée sur le sort de la loi Biagi, du nom de l’économiste collaborateur du ministère du Travail, assassiné en 2002 par les Brigades rouges. Biagi avait contribué à introduire une certaine flexibilité dans le marché du travail en Italie. L’extrême gauche veut abroger cette loi, au nom du combat contre la “précarité”. La gauche modérée propose de ne la modifier que marginalement.Sur ce sujet, Berlusconi joue sur du velours. Tout montre que son gouvernement de centre droit a atteint son principal objectif dans la lutte contre le chômage : le taux est passé de 10,4 % de la population active en 2000 – supérieur à la moyenne européenne – à 7,5 % en 2005, bien au-dessous de 8,8 %, moyenne de l’Union. La création nette d’emplois a été de 1,57 million, dont 1,25 million en contrat à durée indéterminée. Berlusconi a réduit la précarité dans son pays.Ces chiffres, assure-t-il, n’ont pas été appréciés à leur juste valeur à cause d’un “déficit de communication” du gouvernement, assez paradoxal pour un premier ministre défini comme il grande comunicatore, “le grand communicateur”. L’omniprésence médiatique de la coalition de centre droit est dénoncée par la gauche, niée par Berlusconi. Il a beau jeu de rappeler que les grands quotidiens italiens ont tous pris position contre lui. Le directeur du premier journal d’Italie, le Corriere della Sera, a ouvertement appelé à voter pour la gauche, ajoutant sa voix à celles de La Repubblica, second quotidien du pays, et de La Stampa, propriété de Fiat.Berlusconi stigmatise ce qu’il appelle « le bloc de pouvoirs » : la magistrature de gauche, qui le harcèle depuis des années sans arriver à le condamner, le patronat des principaux quotidiens, la grande industrie endettée qui a besoin de l’aide de l’État pour survivre. Fin manœuvrier, le premier ministre a réussi à diviser la Confindustria (le Medef italien) pendant son congrès annuel, avec un irrévérencieux one-man show qui lui a valu une ovation de la part des patrons des petites et moyennes entreprises qui représentent la grande majorité de l’économie italienne. Les dirigeants de l’organisation, expression de la grande industrie, lui ont battu froid.Les ailes extrêmes des deux coalitions n’ont pas facilité la tâche des deux leaders. À l’extrême gauche, Refondation communiste, alliée à Prodi, présente la candidature du dirigeant altermondialiste Francesco Caruso. Les remous provoqués par cette décision ont secoué la gauche modérée, surtout après les événements de mars à Milan, où les militants antiglobalisation, dont Caruso fait partie, ont dévasté le centre-ville. Vingt-trois procédures judiciaires menacent cet homme, véritable provocation ambulante : Caruso fait l’éloge du Hamas, justifie les kamikazes islamistes (« une forme de désespoir social »), propose « d’exproprier » le voilier de Massimo D’Alema, président des Démocrates de gauche (ex-parti communiste).À l’extrême droite, Alessandra Mussolini, petite-fille du dictateur, alliée à Berlusconi, s’est installée dans le débat en apostrophant à la télévision Vladimir Luxuria, candidat travesti de Refondation communiste : « Mieux vaux être fasciste que pédé ! »La violence des insultes n’est pas réservée aux extrêmes. Le placide Romano Prodi a décrit le ministre de l’Économie, Tremonti, comme un « délinquant politique ». Berlusconi a traité le chef de la gauche de « pauvre type ». Prodi a répliqué que, « par rapport à Berlusconi, Goebbels était un enfant ». Le leader de la droite avait entre-temps défini l’ex-premier ministre Massimo D’Alema comme un « chacal communiste ».L’anticommunisme virulent de Berlusconi a débordé les frontières italiennes, provoquant une crise diplomatique entre l’Italie et la Chine. Pendant un meeting, le président du Conseil avait déclaré que la Chine maoïste avait fait bouillir des enfants « pour en faire de l’engrais », citation d’un fait réel, tirée du Livre noir du communisme. Pékin n’a pas apprécié et l’a fait savoir dans une note officielle remise au gouvernement. La gauche s’est dite indignée, la droite embarrassée, à l’exception de la Ligue du Nord : « Berlusconi s’est trompé mais “par défaut” car il a été “trop modéré”. »Si la parité entre les deux coalitions, annoncée dans certains sondages, se confirmait dans les urnes, l’Italie se retrouverait le 10 avril au soir avec une Chambre dominée par la gauche et un Sénat à majorité de droite. Le système parlementaire italien étant un bicaméralisme parfait (les deux chambres du Parlement ont un poids égal), ni la droite ni la gauche ne pourraient trouver une majorité pour soutenir un gouvernement. Si tel devait être le cas, Berlusconi et Prodi ont déclaré qu’il faudrait revoter.Cette hypothèse n’est pas certaine : les ex-démocrates-chrétiens de gauche et la droite pourraient alors se réunir pour former un gouvernement “modéré”, excluant les extrêmes des deux coalitions. Ce choix ressusciterait ainsi la Démocratie chrétienne, ce bloc centriste qui domina la vie politique italienne pendant quarante ans, jusqu’à sa destruction par les enquêtes judiciaires anticorruption des années 1992-1994.Le premier acte du nouveau Parlement devra être l’élection du président de la République, car le mandat de Carlo Azeglio Ciampi expire en mai. Malgré l’estime dont il jouit à droite et à gauche, il est difficile de confirmer pour sept ans à la tête de l’État un homme de 86 ans. Le nom de l’ex-socialiste Giuliano Amato, homme de gauche apprécié à droite, est cité fréquemment pour occuper le poste.Retour possible au scénario de 1998.La victoire de l’Unione de Romano Prodi serait de courte durée, estiment plusieurs observateurs. Son gouvernement pourrait éclater après quelques mois, victime des contradictions de sa coalition. Elle s’est unie pour chasser Berlusconi, mais elle est restée divisée sur tout le reste, de la réalisation des grandes infrastructures à la présence du contingent italien en Irak, approuvée par la droite et quelques partis de gauche.L’Italie reviendrait alors au scénario de 1998 qui vit tomber le premier gouvernement Prodi, victime d’un changement de majorité parlementaire à cause de la participation de son pays à la guerre américaine contre la Serbie. Premier ex-communiste à conduire un gouvernement italien, Massimo D’Alema devint président du Conseil sans passer par les élections.Quel que soit le camp qui va l’emporter, ce 10 avril, le nouveau gouvernement devra gérer une situation psychologique dégradée. Le “nouveau miracle économique” annoncé par Berlusconi en 2001 a laissé place à un certain désenchantement. Ses réformes volontaristes n’ont pas toutes été menées à leur terme, souvent bloquées par les conservatismes syndicaux de la gauche. Les derniers sondages le montraient : elle-même peinait à tirer profit de cette déception ambiante.
Pierluca Pucci Poppi
Marquée cette semaine par le dernier duel entre Silvio Berlusconi et Romano Prodi, cette campagne électorale restera comme “la plus brutale de la dernière décennie”. La violence des débats a été à la mesure de l’incertitude du résultat, même après l’ultime débat du 3 avril. La loi italienne interdit la parution de sondages dans les quinze derniers jours de la campagne mais les derniers chiffres disponibles étaient contradictoires : la plupart donnaient à la gauche une avance de 2 à 3 points ; d’autres annonçaient une quasi-parité entre les deux camps, voire un très léger avantage à la droite.Cette situation a poussé les coalitions opposées à radicaliser l’enjeu et leur jeu. La défaite de Silvio Berlusconi était considérée comme certaine il y a seulement deux mois. Le président du Conseil pouvait l’éviter s’il réussissait à rassembler ses électeurs de 2001 qui, déçus par cinq ans de gouvernement pas assez “révolutionnaire”, étaient tentés de se réfugier dans l’abstention.Toute la stratégie médiatique du Cavaliere a visé à ramener au bercail ces électeurs en dramatisant la campagne. Berlusconi a parlé de « risque pour la démocratie » en cas de victoire de l’Unione de Prodi, cherchant d’abord à exploiter les nombreuses contradictions de la coalition de gauche plus qu’à défendre l’action de son gouvernement.Les extrêmes minent l’unité des deux coalitions.Certaines erreurs de communication de la gauche ont joué en sa faveur, notamment en matière d’impôts : Prodi a promis d’augmenter la taxation des valeurs d’État ; l’extrême gauche veut imposer un impôt sur les grandes fortunes et réintroduire la taxe sur les successions abolie par l’exécutif de centre droit. L’Unione a été contrainte à la défensive.La gauche s’est aussi divisée sur le sort de la loi Biagi, du nom de l’économiste collaborateur du ministère du Travail, assassiné en 2002 par les Brigades rouges. Biagi avait contribué à introduire une certaine flexibilité dans le marché du travail en Italie. L’extrême gauche veut abroger cette loi, au nom du combat contre la “précarité”. La gauche modérée propose de ne la modifier que marginalement.Sur ce sujet, Berlusconi joue sur du velours. Tout montre que son gouvernement de centre droit a atteint son principal objectif dans la lutte contre le chômage : le taux est passé de 10,4 % de la population active en 2000 – supérieur à la moyenne européenne – à 7,5 % en 2005, bien au-dessous de 8,8 %, moyenne de l’Union. La création nette d’emplois a été de 1,57 million, dont 1,25 million en contrat à durée indéterminée. Berlusconi a réduit la précarité dans son pays.Ces chiffres, assure-t-il, n’ont pas été appréciés à leur juste valeur à cause d’un “déficit de communication” du gouvernement, assez paradoxal pour un premier ministre défini comme il grande comunicatore, “le grand communicateur”. L’omniprésence médiatique de la coalition de centre droit est dénoncée par la gauche, niée par Berlusconi. Il a beau jeu de rappeler que les grands quotidiens italiens ont tous pris position contre lui. Le directeur du premier journal d’Italie, le Corriere della Sera, a ouvertement appelé à voter pour la gauche, ajoutant sa voix à celles de La Repubblica, second quotidien du pays, et de La Stampa, propriété de Fiat.Berlusconi stigmatise ce qu’il appelle « le bloc de pouvoirs » : la magistrature de gauche, qui le harcèle depuis des années sans arriver à le condamner, le patronat des principaux quotidiens, la grande industrie endettée qui a besoin de l’aide de l’État pour survivre. Fin manœuvrier, le premier ministre a réussi à diviser la Confindustria (le Medef italien) pendant son congrès annuel, avec un irrévérencieux one-man show qui lui a valu une ovation de la part des patrons des petites et moyennes entreprises qui représentent la grande majorité de l’économie italienne. Les dirigeants de l’organisation, expression de la grande industrie, lui ont battu froid.Les ailes extrêmes des deux coalitions n’ont pas facilité la tâche des deux leaders. À l’extrême gauche, Refondation communiste, alliée à Prodi, présente la candidature du dirigeant altermondialiste Francesco Caruso. Les remous provoqués par cette décision ont secoué la gauche modérée, surtout après les événements de mars à Milan, où les militants antiglobalisation, dont Caruso fait partie, ont dévasté le centre-ville. Vingt-trois procédures judiciaires menacent cet homme, véritable provocation ambulante : Caruso fait l’éloge du Hamas, justifie les kamikazes islamistes (« une forme de désespoir social »), propose « d’exproprier » le voilier de Massimo D’Alema, président des Démocrates de gauche (ex-parti communiste).À l’extrême droite, Alessandra Mussolini, petite-fille du dictateur, alliée à Berlusconi, s’est installée dans le débat en apostrophant à la télévision Vladimir Luxuria, candidat travesti de Refondation communiste : « Mieux vaux être fasciste que pédé ! »La violence des insultes n’est pas réservée aux extrêmes. Le placide Romano Prodi a décrit le ministre de l’Économie, Tremonti, comme un « délinquant politique ». Berlusconi a traité le chef de la gauche de « pauvre type ». Prodi a répliqué que, « par rapport à Berlusconi, Goebbels était un enfant ». Le leader de la droite avait entre-temps défini l’ex-premier ministre Massimo D’Alema comme un « chacal communiste ».L’anticommunisme virulent de Berlusconi a débordé les frontières italiennes, provoquant une crise diplomatique entre l’Italie et la Chine. Pendant un meeting, le président du Conseil avait déclaré que la Chine maoïste avait fait bouillir des enfants « pour en faire de l’engrais », citation d’un fait réel, tirée du Livre noir du communisme. Pékin n’a pas apprécié et l’a fait savoir dans une note officielle remise au gouvernement. La gauche s’est dite indignée, la droite embarrassée, à l’exception de la Ligue du Nord : « Berlusconi s’est trompé mais “par défaut” car il a été “trop modéré”. »Si la parité entre les deux coalitions, annoncée dans certains sondages, se confirmait dans les urnes, l’Italie se retrouverait le 10 avril au soir avec une Chambre dominée par la gauche et un Sénat à majorité de droite. Le système parlementaire italien étant un bicaméralisme parfait (les deux chambres du Parlement ont un poids égal), ni la droite ni la gauche ne pourraient trouver une majorité pour soutenir un gouvernement. Si tel devait être le cas, Berlusconi et Prodi ont déclaré qu’il faudrait revoter.Cette hypothèse n’est pas certaine : les ex-démocrates-chrétiens de gauche et la droite pourraient alors se réunir pour former un gouvernement “modéré”, excluant les extrêmes des deux coalitions. Ce choix ressusciterait ainsi la Démocratie chrétienne, ce bloc centriste qui domina la vie politique italienne pendant quarante ans, jusqu’à sa destruction par les enquêtes judiciaires anticorruption des années 1992-1994.Le premier acte du nouveau Parlement devra être l’élection du président de la République, car le mandat de Carlo Azeglio Ciampi expire en mai. Malgré l’estime dont il jouit à droite et à gauche, il est difficile de confirmer pour sept ans à la tête de l’État un homme de 86 ans. Le nom de l’ex-socialiste Giuliano Amato, homme de gauche apprécié à droite, est cité fréquemment pour occuper le poste.Retour possible au scénario de 1998.La victoire de l’Unione de Romano Prodi serait de courte durée, estiment plusieurs observateurs. Son gouvernement pourrait éclater après quelques mois, victime des contradictions de sa coalition. Elle s’est unie pour chasser Berlusconi, mais elle est restée divisée sur tout le reste, de la réalisation des grandes infrastructures à la présence du contingent italien en Irak, approuvée par la droite et quelques partis de gauche.L’Italie reviendrait alors au scénario de 1998 qui vit tomber le premier gouvernement Prodi, victime d’un changement de majorité parlementaire à cause de la participation de son pays à la guerre américaine contre la Serbie. Premier ex-communiste à conduire un gouvernement italien, Massimo D’Alema devint président du Conseil sans passer par les élections.Quel que soit le camp qui va l’emporter, ce 10 avril, le nouveau gouvernement devra gérer une situation psychologique dégradée. Le “nouveau miracle économique” annoncé par Berlusconi en 2001 a laissé place à un certain désenchantement. Ses réformes volontaristes n’ont pas toutes été menées à leur terme, souvent bloquées par les conservatismes syndicaux de la gauche. Les derniers sondages le montraient : elle-même peinait à tirer profit de cette déception ambiante.
Pierluca Pucci Poppi
0 Comments:
Post a Comment
<< Home