JOSPIN ... POUR DIRE CELA "NE REVIENT PAS"
L'Union européenne doit modifier la décision prise après l'élection du Hamas.
Il faut aider les Palestiniens
par Lionel JOSPINQUOTIDIEN : mercredi 03 mai 2006
Lionel Jospin ancien Premier ministre
Il faut maintenir l'aide de l'Europe aux Palestiniens. C'est ce que vient de dire le président de la République aux présidents égyptien et palestinien. Il a raison. Mais on se demande alors pourquoi il a laissé auparavant son gouvernement adopter au Conseil européen de Bruxelles, à l'unanimité, une position exactement inverse. S'agit-il d'une vieille pratique du double langage ou d'un nouveau dysfonctionnement de l'exécutif français ? En tout cas, la suspension de l'aide directe de l'Europe s'applique désormais.
Sans doute est-il délicat de définir la position juste. Le Hamas reste sur les listes des organisations terroristes. Il ne condamne pas les attentats perpétrés en Israël. Il ne reconnaît pas l'existence de cet Etat. Sa conception des rapports entre la religion et la société est aux antipodes de la nôtre. Lui accorder notre aide pourrait, selon certains, apparaître comme une reconnaissance de son organisation ou une acceptation de ses normes et de ses méthodes. Car le Hamas, malgré les pressions internationales, n'a pas accepté de se plier à nos préalables. Faudrait-il donc aider le nouveau gouvernement palestinien, en dépit de ce qu'il est et au risque de contredire nos valeurs, à cause des conditions de vie très précaires des Palestiniens ?
Cesser l'aide au gouvernement palestinien, le rendre incapable de payer ses fonctionnaires et d'assurer des fonctions d'Etat essentielles ou réduire notre aide à des missions humanitaires, tant que le Hamas n'aura pas reconnu Israël et réprouvé le terrorisme, nous assurera de demeurer en accord avec nos principes. Mais qu'en sera-t-il de la réalité ?
L'arrêt de l'aide internationale va provoquer très vite d'extrêmes souffrances dans la population palestinienne, déjà si éprouvée, et sans doute un immense désordre dans les territoires. Ceux-ci, tels qu'ils sont aujourd'hui, vivent dans une étroite dépendance vis-à-vis d'Israël, pour l'eau, l'approvisionnement, le commerce extérieur et ses recettes, l'emploi. Ils sont totalement tributaires, pour le fonctionnement de leur administration, de l'aide internationale, et en particulier de l'aide européenne.
Déjà les 150 000 fonctionnaires (qui font vivre plus de 800 000 personnes en Cisjordanie et à Gaza) ne sont plus payés depuis le mois de mars. Si cette situation perdure, elle entraînera un drame humain, une insécurité désastreuse et peut-être un chaos politique. Alors, il ne nous servira de rien d'invoquer l'entêtement du Hamas. Nous serons face au contrecoup direct de nos décisions et placés devant notre propre responsabilité. Au point que je n'exclus pas que nous soyons amenés, dans l'urgence, à changer une position initiale devenue intenable. Notons que les collectivités locales françaises, plus sages, ont en général maintenu leurs coopérations.
Une catastrophe dans les territoires palestiniens, le désespoir répandu dans de plus larges couches de la population, une vie rendue plus insoutenable pour de si nombreux jeunes rendront plus fragile encore l'espoir de trouver un jour la paix et pourraient avoir des conséquences dangereuses pour la sécurité d'Israël. Il me semble que le gouvernement en cours de formation dans ce pays le devine.
Une telle situation serait-elle au moins susceptible d'amener le Hamas à changer ses positions, notamment à l'égard d'Israël ? Immédiatement, sur injonction politique extérieure, et sans avoir rien obtenu en échange, rien ne permet de l'escompter. Ce qui peut faire évoluer le Hamas, c'est le temps. C'est la logique des responsabilités, ce sont les contraintes gouvernementales, c'est l'inévitable cohabitation avec Israël dans l'exiguïté des territoires déjà obtenus ou encore disputés : sur les questions de l'eau, des approvisionnements, du travail, de la sécurité. La réalité peut amener le Hamas à changer progressivement. Elle peut aussi conduire les Palestiniens à écarter le Hamas lors des élections suivantes, si celui-ci faillit à sa tâche, si le Fatah se redresse. Mais il est peu vraisemblable que les Palestiniens se détournent, dans un contexte de détresse générale et d'extrême désordre, d'un gouvernement qu'on aurait placé dans l'impossibilité de remplir sa mission. Tout conduirait au contraire à la radicalisation et aux actes de désespoir.
Est-ce cela que nous voulons ? Nous affirmons souhaiter que la démocratie progresse au Proche-Orient. Or des élections libres viennent d'avoir lieu dans les territoires palestiniens, même si le résultat n'a pas comblé nos voeux. Nous prétendons agir pour qu'existe demain un Etat palestinien viable au côté d'Israël. Et nous rendrions nous-mêmes inviable l'ébauche de cet Etat, en lui interdisant de payer ses serviteurs, d'ailleurs nommés pour l'essentiel par le Fatah ? Une telle attitude serait incohérente et risquée. Il vaut mieux être présents dans la réalité des territoires et veiller à l'utilisation de nos aides plutôt que de laisser se faire, dans l'isolement, une possible réislamisation de la société palestinienne.
Je n'ai pas à me prononcer sur les modalités par lesquelles l'aide aux Palestiniens doit être maintenue ou rétablie. Il y a bien sûr tout ce qui peut transiter sans peine par les organisations non gouvernementales à vocation humanitaire. Mais cela ne peut suffire. Pas plus qu'il n'est évident que la Banque mondiale (où l'influence américaine est notoire) veuille ou puisse prendre en charge les fonctionnaires palestiniens. De la même manière, il paraît difficile de confier au seul président de l'Autorité palestinienne la gestion d'une aide et de salaires qui sont indissociables de la fonction gouvernementale. Ne fuyons donc pas la réalité de l'existence d'un gouvernement légitimement élu, de qui nous sommes en revanche en droit d'exiger qu'il ne détourne pas notre aide de son objet.
Nous n'avons pas à approuver l'idéologie du Hamas. Les demandes politiques que lui adresse le Quartet sont légitimes et justes. Nous réaffirmons que la reconnaissance de l'Etat d'Israël et le respect de sa sécurité par les représentants des Palestiniens sont des préalables indispensables à toute solution politique du conflit israélo-palestinien. Mais notre responsabilité immédiate est d'épargner à la population palestinienne le naufrage qui la menace. Aider les Palestiniens, ce n'est pas cautionner le Hamas. L'Union européenne a pris une décision hâtive, dont l'interprétation est discutée mais dont les conséquences sont graves. Il lui faut reprendre la discussion et modifier sa position.
Nous devons assumer aujourd'hui notre responsabilité à l'égard du peuple palestinien en ne l'abandonnant pas à l'isolement et au désespoir, si nous voulons préserver pour demain l'idée de deux Etats liés par une paix négociée.
Il faut aider les Palestiniens
par Lionel JOSPINQUOTIDIEN : mercredi 03 mai 2006
Lionel Jospin ancien Premier ministre
Il faut maintenir l'aide de l'Europe aux Palestiniens. C'est ce que vient de dire le président de la République aux présidents égyptien et palestinien. Il a raison. Mais on se demande alors pourquoi il a laissé auparavant son gouvernement adopter au Conseil européen de Bruxelles, à l'unanimité, une position exactement inverse. S'agit-il d'une vieille pratique du double langage ou d'un nouveau dysfonctionnement de l'exécutif français ? En tout cas, la suspension de l'aide directe de l'Europe s'applique désormais.
Sans doute est-il délicat de définir la position juste. Le Hamas reste sur les listes des organisations terroristes. Il ne condamne pas les attentats perpétrés en Israël. Il ne reconnaît pas l'existence de cet Etat. Sa conception des rapports entre la religion et la société est aux antipodes de la nôtre. Lui accorder notre aide pourrait, selon certains, apparaître comme une reconnaissance de son organisation ou une acceptation de ses normes et de ses méthodes. Car le Hamas, malgré les pressions internationales, n'a pas accepté de se plier à nos préalables. Faudrait-il donc aider le nouveau gouvernement palestinien, en dépit de ce qu'il est et au risque de contredire nos valeurs, à cause des conditions de vie très précaires des Palestiniens ?
Cesser l'aide au gouvernement palestinien, le rendre incapable de payer ses fonctionnaires et d'assurer des fonctions d'Etat essentielles ou réduire notre aide à des missions humanitaires, tant que le Hamas n'aura pas reconnu Israël et réprouvé le terrorisme, nous assurera de demeurer en accord avec nos principes. Mais qu'en sera-t-il de la réalité ?
L'arrêt de l'aide internationale va provoquer très vite d'extrêmes souffrances dans la population palestinienne, déjà si éprouvée, et sans doute un immense désordre dans les territoires. Ceux-ci, tels qu'ils sont aujourd'hui, vivent dans une étroite dépendance vis-à-vis d'Israël, pour l'eau, l'approvisionnement, le commerce extérieur et ses recettes, l'emploi. Ils sont totalement tributaires, pour le fonctionnement de leur administration, de l'aide internationale, et en particulier de l'aide européenne.
Déjà les 150 000 fonctionnaires (qui font vivre plus de 800 000 personnes en Cisjordanie et à Gaza) ne sont plus payés depuis le mois de mars. Si cette situation perdure, elle entraînera un drame humain, une insécurité désastreuse et peut-être un chaos politique. Alors, il ne nous servira de rien d'invoquer l'entêtement du Hamas. Nous serons face au contrecoup direct de nos décisions et placés devant notre propre responsabilité. Au point que je n'exclus pas que nous soyons amenés, dans l'urgence, à changer une position initiale devenue intenable. Notons que les collectivités locales françaises, plus sages, ont en général maintenu leurs coopérations.
Une catastrophe dans les territoires palestiniens, le désespoir répandu dans de plus larges couches de la population, une vie rendue plus insoutenable pour de si nombreux jeunes rendront plus fragile encore l'espoir de trouver un jour la paix et pourraient avoir des conséquences dangereuses pour la sécurité d'Israël. Il me semble que le gouvernement en cours de formation dans ce pays le devine.
Une telle situation serait-elle au moins susceptible d'amener le Hamas à changer ses positions, notamment à l'égard d'Israël ? Immédiatement, sur injonction politique extérieure, et sans avoir rien obtenu en échange, rien ne permet de l'escompter. Ce qui peut faire évoluer le Hamas, c'est le temps. C'est la logique des responsabilités, ce sont les contraintes gouvernementales, c'est l'inévitable cohabitation avec Israël dans l'exiguïté des territoires déjà obtenus ou encore disputés : sur les questions de l'eau, des approvisionnements, du travail, de la sécurité. La réalité peut amener le Hamas à changer progressivement. Elle peut aussi conduire les Palestiniens à écarter le Hamas lors des élections suivantes, si celui-ci faillit à sa tâche, si le Fatah se redresse. Mais il est peu vraisemblable que les Palestiniens se détournent, dans un contexte de détresse générale et d'extrême désordre, d'un gouvernement qu'on aurait placé dans l'impossibilité de remplir sa mission. Tout conduirait au contraire à la radicalisation et aux actes de désespoir.
Est-ce cela que nous voulons ? Nous affirmons souhaiter que la démocratie progresse au Proche-Orient. Or des élections libres viennent d'avoir lieu dans les territoires palestiniens, même si le résultat n'a pas comblé nos voeux. Nous prétendons agir pour qu'existe demain un Etat palestinien viable au côté d'Israël. Et nous rendrions nous-mêmes inviable l'ébauche de cet Etat, en lui interdisant de payer ses serviteurs, d'ailleurs nommés pour l'essentiel par le Fatah ? Une telle attitude serait incohérente et risquée. Il vaut mieux être présents dans la réalité des territoires et veiller à l'utilisation de nos aides plutôt que de laisser se faire, dans l'isolement, une possible réislamisation de la société palestinienne.
Je n'ai pas à me prononcer sur les modalités par lesquelles l'aide aux Palestiniens doit être maintenue ou rétablie. Il y a bien sûr tout ce qui peut transiter sans peine par les organisations non gouvernementales à vocation humanitaire. Mais cela ne peut suffire. Pas plus qu'il n'est évident que la Banque mondiale (où l'influence américaine est notoire) veuille ou puisse prendre en charge les fonctionnaires palestiniens. De la même manière, il paraît difficile de confier au seul président de l'Autorité palestinienne la gestion d'une aide et de salaires qui sont indissociables de la fonction gouvernementale. Ne fuyons donc pas la réalité de l'existence d'un gouvernement légitimement élu, de qui nous sommes en revanche en droit d'exiger qu'il ne détourne pas notre aide de son objet.
Nous n'avons pas à approuver l'idéologie du Hamas. Les demandes politiques que lui adresse le Quartet sont légitimes et justes. Nous réaffirmons que la reconnaissance de l'Etat d'Israël et le respect de sa sécurité par les représentants des Palestiniens sont des préalables indispensables à toute solution politique du conflit israélo-palestinien. Mais notre responsabilité immédiate est d'épargner à la population palestinienne le naufrage qui la menace. Aider les Palestiniens, ce n'est pas cautionner le Hamas. L'Union européenne a pris une décision hâtive, dont l'interprétation est discutée mais dont les conséquences sont graves. Il lui faut reprendre la discussion et modifier sa position.
Nous devons assumer aujourd'hui notre responsabilité à l'égard du peuple palestinien en ne l'abandonnant pas à l'isolement et au désespoir, si nous voulons préserver pour demain l'idée de deux Etats liés par une paix négociée.
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