Thursday, February 22, 2007

Papon, hors-la-loi jusque dans la tombe

Maurice Papon a été inhumé hier en Seine-et-Marne. Avec sa Légion d'honneur.
Papon, hors-la-loi jusque dans la tombe
Maurice Papon. REUTERS
Par Renaud LECADRE
QUOTIDIEN : jeudi 22 février 2007
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Maurice Papon a été inhumé, hier, dans le cimetière de Gretz-Armainvilliers, petite ville de Seine-et-Marne dont son père, Arthur Papon, décédé en 1942, fut autrefois le maire. Une rue porte son nom. Son fils ne risque pas un tel honneur. Sa tombe porte sobrement l'intitulé «Famille Papon», aux côtés de ses parents et de sa femme décédée en 1998. Cérémonie sobre, sans funérailles à l'Eglise, réunissant une quarantaine de proches aux tempes grises.
La famille et les quelques amis font corps, sans un mot pour l'extérieur. Ils sont presque moins nombreux que les journalistes. Un homme sort du lot et se présente : Olivier de Sarnez, président de l'association des médaillés de la Résistance et «fier de la porter en ce jour». Il est le père de Marielle de Sarnez, principale collaboratrice de François Bayrou, mais la malheureuse n'y est pour rien. Il assène : «C'est une nouvelle affaire Dreyfus. On compare Papon à Touvier ou Barbie, qui sont de vrais salauds. Mais des centaines de préfets ont signé les mêmes papiers que lui, des agents SNCF ont fait partir des trains.» Olivier de Sarnez reviendra plus tard confier le fond de sa pensée : «Toute cette affaire est un complot contre la mémoire du général de Gaulle.»
Dans l'enceinte du cimetière, à l'écart du clan Papon qui ne dit mot et du maul médiatique tenu à distance, des badauds refont tranquillement le match, pèsent et soupèsent la désobéissance en temps de guerre.
Druide. Un vieux monsieur : «Collabo, ça... c'est le dernier, y'en a plus.» Des jeunes à capuche : «Y a rien à voir, là, on voit même pas son corps. Ils auraient dû l'enterrer vivant.» La cérémonie attire une petite mais étrange faune. Comme cet autoproclamé druide, en peau de renard : «Papon est diabolisé par les médias juifs. Les pauvres Gaulois ne sont plus rien dans leur propre pays.»
Autour de la tombe, les obsèques sont animées par Michel Lelong, prêtre catholique ayant autrefois soutenu le négationniste Roger Garaudy, qui a témoigné en faveur de la Ligue islamique mondiale dans son procès intenté à Charlie Hebdo. Le père Lelong entame une lecture du sermon sur la montagne, «heureux les pauvres et les simples d'esprit, le royaume des cieux est à eux». Les deux qualificatifs conviennent peu à Maurice Papon, mais il s'agit d'en venir au point convenu : «Heureux ceux qui sont persécutés.» Michel Lelong se lance alors dans une diatribe contre la justice des hommes : «Rarement des jurés n'ont à ce point subi une telle pression médiatique. Heureusement, il y aura le jugement de l'histoire, puis la justice de Dieu.» Il refait le procès en parfait avocat de Papon : «Il ne s'est senti en rien coupable de ce qui ne dépendait pas de lui. Il a aidé ceux qui pouvaient l'être.»
Le petit groupe s'était tenu à l'écart, en bordure du cimetière, sans chercher à perturber la cérémonie. Mais sitôt la dalle scellée, ils applaudissent : «Bravo ! C'est un grand jour pour la France, enfin débarrassée de cette saloperie.» A la sortie, l'avocat de Maurice Papon, Bernard Vuillemin, fait les frais de quolibets : «Merci pour les Algériens jetés à la Seine !» souvenir de la répression policière d'octobre 1961. Une Parisienne brandit la liste reliée des déportés juifs de France : «Vous nous faites honte.»
Médaille. L'avocat doit surtout répondre à LA grande question : Maurice Papon a-t-il été enterré avec sa médaille de la Légion d'honneur ? Elle lui avait été officiellement retirée près sa condamnation en avril 1998 pour complicité de crimes contre l'humanité. En mars 2005, Papon avait même été condamné derechef pour «port illégal» de décoration. Me Vuillemin, bravache : «La classe politique peut aboyer, j'ai tenu parole. La croix de la Légion d'honneur remise des mains du général de Gaulle veille sur l'âme de Maurice Papon pour l'éternité.» Aucune autorité n'a jugé utile de faire ouvrir le cercueil pour vérifier. Parmi les quelques gerbes de fleurs, celle du sénateur-maire UMP de Saint-Amand-Montrond, successeur à ce poste de Maurice Papon. Une fois tout le monde parti, une petite poignée reviendra vers la tombe, pour un crachat symbolique.
L'éditeur Jean Picollec a indiqué, hier, que Papon lui avait remis une première ébauche de ses mémoires, le manuscrit devant être retravaillé. Sans surprise, «il ne renie rien», dans ce texte de 164 pages.

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