Sunday, May 06, 2007

L'un soutient Royal, l'autre Sarkozy...

L'un soutient Royal, l'autre Sarkozy...
Le duel BHL-Glucksmann 1 réaction
Ils n'avaient pas débattu depuis trente ans. Les deux grandes figures de la « nouvelle philosophie » ont partagé bien des combats, et puis leurs chemins ont divergé. Jusqu'à cette présidentielle, qui les oppose. Pour « le Nouvel Observateur », ils ont accepté de croiser le fer. Une controverse passionnée et éclairante



Le Nouvel Observateur. - Pour commencer, pouvez-vous nous donner chacun trois raisons de choisir Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy?
Bernard-Henri Lévy. - Vous savez - je m'en suis expliqué dans vos colonnes - que Ségolène Royal n'était pas, au départ, ma candidate idéale puisque j'étais partisan de Strauss-Kahn. Mais au point où nous en sommes, et puisque vous nous demandez trois raisons, voici les miennes. Primo, parce que c'est une femme et que, dans ce vieux pays machiste et misogyne qui n'est jamais sorti de la loi salique et qui a les problèmes que vous savez avec la parité, ce serait un vrai bond en avant. Secundo, parce que son style, sa souplesse, son côté démocratie participative, voire son tropisme girondin, font qu'elle me paraît mieux placée que son adversaire pour faire passer les fameuses réformes dont la France a besoin. Et puis, enfin, ce qu'elle dit sur un certain nombre de grands sujets de politique internationale qui me paraissent cruciaux : l'Iran, par exemple, face auquel elle manifeste une fermeté constante ; ou encore le Darfour, avec la courageuse position qu'elle a prise, comme Bayrou, sur l'éventuel boycott des jeux Olympiques de Pékin...
André Glucksmann. - Nicolas Sarkozy a le mérite d'effectuer un constat radical et courageux, qui met en cause ses adversaires comme son propre camp : le mal-être de la France ne date pas des cinq, mais des trente dernières années. Trois décennies d'absence de réformes claires ont plongé notre pays dans une stagnation pire que celle de nos voisins. Croissance faible, chômage record, accumulation des frustrations : la France n'a pas pu, pas su, prendre le train européen en marche. De ce constat découlent trois ambitions. Premièrement, Nicolas Sarkozy ose une rupture nécessaire avec un modèle socio-économique franco-français qui laisse tant de nos compatriotes sur la touche, il veut débloquer un marché du travail sclérosé. Deuxièmement, la France a mis en panne l'Europe, notamment avec la victoire du non en 2005. Assumer la construction européenne, c'est oser dire qu'un nouveau référendum risque de briser l'Union européenne. Sa promesse totalement antidémagogique d'adopter rapidement un traité constitutionnel minimal par voie parlementaire permet une reprise de l'élan européen. Enfin, troisièmement, Nicolas Sarkozy a, et cela depuis longtemps, mené une critique de fond de la realpolitik française en matière de relations internationales. Il a le premier, au sujet de la Tchétchénie ou de la Françafrique, remis les droits de l'homme au coeur du débat français. Au prix d'une rupture totale avec les conceptions de Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Hubert Védrine ou Jean-Pierre Chevènement. Ces trois ambitions témoignent d'une démarche qui réhabilite la volonté politique et assume des clivages essentiels à la démocratie.


N. O. - Sommes-nous, à la veille de ce second tour, face à un choix véritablement historique?
A. Glucksmann. - Nous sommes à une croisée des chemins. Ces élections représentent une sorte de kairos, d'instant à saisir. Les récentes émeutes de banlieue signalent que nous ne pouvons plus attendre. 20% de jeunes sans emploi, 40% dans les quartiers « défavorisés », telle est la principale cause du malaise français. Quand les pères sont au chômage, quand le frère, à bac+4, enchaîne CDD et périodes de galère, comment croire en l'avenir ? La France ne peut s'offrir cinq ans d'immobilisme supplémentaires. Sous peine d'une explosion des frustrations, d'un rejet accru de la politique, d'un repli sur soi généralisé. Dès 1984, Edmond Maire, leader de la CFDT, reprochait au gouvernement socialiste de ne pas s'attaquer à la source de toutes les inégalités dans la société moderne : le chômage. Vingt-trois ans plus tard, le temps est venu de s'inspirer des pays comme l'Angleterre, l'Espagne, le Danemark ou même l'Allemagne (laquelle a su absorber 17 millions d'Allemands de l'Est en moins de vingt ans). C'est crucial pour la France et, enjeu des enjeux, c'est décisif pour l'Europe.
B.-H. Lévy. - Moi non, je ne suis pas certain qu'il faille parler de « choix historique ». Car aucun des deux candidats n'incarne « le » Mal. Ni aucun, symétriquement, « le » Bien. On est dans le domaine de la politique. C'est-à-dire du compromis. Ou, si vous préférez, du moindre mal. Et il faut être, donc, bien plus modestes, pragmatiques, que cela - il faut éviter de tomber dans le mythe de l'homme (ou de la femme) providentiel qui viendrait tout résoudre par un coup de baguette magique. C'est le fond, d'ailleurs, de mon désaccord avec André. Qu'il choisisse Sarkozy, c'est son droit. Mais j'ai été surpris par l'emphase, le lyrisme, qu'il y a mis. Je pense, moi, juste, qu'une Royal rétablissant la police de proximité dans les banlieues sera plus capable de résoudre le problème que le ministre de l'Intérieur qui l'a supprimée pour la remplacer par des compagnies de CRS. Et, pour prendre la question de l'Europe, qui est, naturellement, essentielle, il me semble que la démarche de Royal organisant un nouveau référendum, réexpliquant les choses et convainquant ceux des partisans du non qui se trouvent être dans son camp, a plus de chances de marcher que celle d'un Sarkozy faisant repasser le traité en catimini par un acte parlementaire...
A. Glucksmann. - « Catimini » ! Tu exagères doublement. D'une part, c'est une proposition formulée devant le corps électoral avant le second tour. Elle n'a rien de dissimulé. Deuxièmement, un acte parlementaire ne relève du « catimini » qu'aux yeux d'un populiste que tu n'es pas.
Quant à la femme ou l'homme providentiel, Bernard, je n'y crois pas plus que toi. Nous vivons en démocratie, le choix n'oppose pas une sainte et un diable, ou vice versa. Voter n'est pas entrer en religion, je reste comme Stendhal athée en politique. Je n'approuve pas Nicolas Sarkozy sur tout, je constate simplement qu'il repolitise la France en la clivant autour de questions brûlantes et propose un programme audacieux. Toi et moi, nous ne voterons pas pour le même candidat, mais cela ne remet pas en cause le fait que nous partagions les mêmes répulsions, le même héritage antitotalitaire et un nombre d'engagements moraux et mondiaux (l'Europe, la Tchétchénie, le Darfour, le Rwanda et l'Iran). L'alternative totalitaire/antitotalitaire, terrorisme/antiterrorisme ou cosmopolite/antimondialiste transcende le clivage droite/gauche.
N. O. - Bernard-Henri Lévy, quand vous critiquez l'emphase d'André Glucksmann, faites-vous notamment allusion à cette phrase de sa tribune au «Monde» : «Nicolas Sarkozy est le seul candidat aujourd'hui à s'être engagé dans le sillage de la France du coeur»?
B.-H. Lévy. - Oui, bien sûr. Je connais l'absolue sincérité d'André. Mais je découvre aussi là, qu'il me pardonne, une forme de naïveté. Car, enfin, c'est vrai que le discours de candidature de Sarkozy était un beau discours. Mais ce n'était qu'un discours. Et un discours dont on peut facilement imaginer qu'il a été écrit par l'un quelconque de ses speech writers. Alors, s'engager ainsi, avec un tel enthousiasme, sur la seule foi d'un seul discours, ça me semble franchement problématique. Et problématique, j'y insiste, au regard même de l'éthique de prudence, de minimalisme éthique, de défiance, que nous avons bâtie ensemble pendant les dernières décennies. Je ne nie pas que Sarkozy ait du coeur. Mais quand je le vois, il y a trois semaines, devant une assemblée de sportifs, trouver « ridicule » l'idée d'utiliser l'arme du boycott des Jeux de Pékin pour contraindre les Chinois à bouger sur le Darfour, quand je le vois donc, à ce moment-là, revenir sur l'engagement qu'il avait lui-même pris de ne pas traiter, s'il était élu, la tragédie du Darfour comme « un détail de l'Histoire », il y a vraiment quelque chose qui ne passe pas. Et c'est moi qui, pour le coup, en ai le coeur serré...
A. Glucksmann. - Naïveté pour naïveté, cher Bernard, je crois moins naïf de juger sur des discours publics qui valent engagements publics que de juger sur rumeurs ou propos rapportés. Sur quoi évalues-tu Ségolène, sinon sur ses déclarations ? A nous et à chaque citoyen de rappeler plus tard à l'élu(e) promesses et engagements.
B.-H. Lévy. - Sur quoi j'« évalue » Royal et Sarkozy ? C'est très simple. Prends cette question, par exemple, du Darfour. L'un a un discours à géométrie variable selon le public auquel il s'adresse. L'autre n'a, à ma connaissance, pas varié d'un iota depuis ses engagements pris à la Mutualité.
N. O. - Bernard-Henri Lévy, vous semblez avoir du mal à comprendre la trajectoire d'André Glucksmann, de Mai-68 à Sarko.
B.-H. Lévy. - Je viens de vous le dire. Le problème, ce n'est pas tellement cet engagement en soi. Ce qui m'a surpris, c'est qu'il le fasse si tôt, avant même que la campagne n'ait commencé. Et c'est aussi qu'il y mette tant de flamme - une flamme que nous étions d'accord, depuis trente ans justement, pour réserver aux résistants bosniaques, aux martyrs tchétchènes ou aux dissidents soviétiques qui nous réapprenaient le sens et le goût de la liberté. J'ajoute qu'il y a quand même eu, depuis, la proposition d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. Les déclarations sur le caractère inné de la pédophilie. Ou bien encore les provocations répétées sur les « racines chrétiennes de la France » ou sur le fait que la France n'a jamais « commis de génocide » (ce qui est, à la lettre, faux puisque arrêter et déporter sont, selon la définition de Nuremberg, constitutifs du crime de génocide). J'ai beau dire qu'il ne faut pas diaboliser Sarkozy. J'ai eu beau dire et répéter que « Sarko = facho » est un mot d'ordre débile. Il a vraiment, là, franchi la ligne jaune. Et il a pris le risque terrible de déculpabiliser, voire d'encourager, des réflexes terribles dans ce pays. C'est Robert Badinter, n'est-ce pas, qui parlait de lepénisation des esprits ? Eh bien, nous y sommes en plein. Et je vois mal comment on peut s'accommoder de cela.
A. Glucksmann. - Soyons sérieux, se prononcer pour la candidature Sarkozy et s'effrayer d'une capitale rasée par l'armée russe (Grozny, 400 000 habitants jadis), ça fait deux. Mon article dans « le Monde » a fait du bruit, il a choqué ceux qui considèrent la gauche comme l'unique choix possible pour un intellectuel humaniste. Je n'ai ensuite accepté aucun passage à la télé ou à la radio pour justement ne pas avoir à m'enflammer face à la bêtise des dévots et des sectaires. Les opinions de Nicolas Sarkozy sur le caractère inné de la pédophilie sont les siennes, pas les miennes (je laisse aux scientifiques la discussion sempiternelle sur les rôles respectifs de l'inné et de l'acquis). Mais en quoi est-ce plus rédhibitoire que l'apologie de la justice chinoise - plusieurs milliers d'exécutions capitales chaque année ? Pourquoi ne pas s'émouvoir qu'un intellectuel puisse incliner pour Ségolène Royal après ces propos ? Pourquoi pas de franchissement de ligne jaune lorsqu'elle approuve les propos d'un dignitaire du Hezbollah ? Je ne fais pas passer à Sarkozy l'agrégation de philosophie. Nous portons des jugements politiques. Touchant le fameux « ministère », tu le sais comme moi, sa conception de l'identité nationale n'est pas ethnique, mais républicaine, fondée sur l'intégration de vagues successives d'immigration dont sa famille a fait partie. Il a levé l'hypothèque que faisait peser le FN sur la vie démocratique française. Il fallait voir l'émotion de Simone Veil au soir des résultats, l'embrassant pour avoir réussi ce que personne n'avait fait avant. Surtout pas Mitterrand...
B.-H. Lévy. - Attends. On mélange tout. Sur la Tchétchénie, nous sommes évidemment d'accord. Sur Royal et la justice chinoise ou le Hezbollah, il est établi, le feu de la polémique passé, que c'étaient des malentendus - et on a d'ailleurs vu, dès le lendemain, qu'elle n'était pas moins l'amie d'Israël que ses principaux adversaires. Maintenant, il y a deux questions de fond. L'identité nationale : on dira ce qu'on voudra, mais faire le lien entre l'identité nationale et l'immigration c'est considérer que la seconde est la principale menace qui pèse sur la première ; et, puisque tu parles de Simone Veil, parlons-en - on a tous vu, non pas son « émotion », mais son extrême embarras quand son candidat s'est aventuré sur ce terrain. Et, quant au FN, c'est vrai que Sarkozy est pour beaucoup dans le fait que l'hypothèque soit levée. Mais es-tu sûr qu'il en soit seul responsable ? Le fait que Royal arrive en tête dans certaines des catégories sociales qui votèrent Le Pen en 2002 ne suggère-t-il pas qu'elle y est aussi pour quelque chose ? Rappelle-toi comment nous réagissions quand Mitterrand se targuait d'avoir levé l'hypothèque communiste en France. Nous disions - et nous avions raison - que les choses étaient bien plus compliquées que cela. Et que l'Eglise catholique, les dissidents, le mouvement des idées, que sais-je, avaient aussi eu leur part à cette fantastique libération. Eh bien, c'est pareil pour le FN aujourd'hui. C'est une illusion d'attribuer à tel ou tel, seul ou principalement, la responsabilité de son déclin. Surtout quand ce tel ou tel-là a pris, lui, le risque colossal de le faire en surfant sur les thèmes qu'il entendait combattre...
A. Glucksmann. - Le recul du FN est certes dû à un sursaut de la société dans son ensemble. Sarkozy, en restituant la franchise du débat politique, a largement contribué à ce réveil démocratique. Un ministère de l'Immigration ET de l'Identité nationale n'est pas un ministère de l'Identité nationale CONTRE l'Immigration. La lepénisation qui installe un rapport d'exclusion entre l'immigration et la nation est une maladie de l'esprit. Le malveillant de gauche qui insinue que ce rapport va de soi lepénise à son insu, par volonté de dénigrer. La nation n'est pas une ethnie, l'immigration n'est pas majoritairement communautariste. Dans un monde bouffé par les guerres de religion, la France doit donner un exemple de laïcité et de tolérance qu'elle porte dans sa culture depuis au moins Montaigne. La discrimination positive prônée par Sarkozy va dans ce sens.
N. O. - André Glucksmann, vous aussi, vous avez vu votre ami évoluer. Comment jugez-vous le soutien de l'auteur de «l'Idéologie française» à celle qui voudrait voir un drapeau tricolore dans chaque foyer?
A. Glucksmann. - Le drapeau ne me pose pas problème, bien que cette réplique au débat lancé par Sarkozy sur l'identité nationale me semble faible. Ce qui m'interpelle, ce qui me gêne, c'est la réponse tous azimuts : « Mon programme, c'est vous », « Je pense ce que vous pensez »... Ce renvoi de miroir narcissique n'est pas ma conception de la politique.
B.-H. Lévy. - Royal ne dit pas exactement cela. Le fond de sa position est plutôt : « Il faut faire bouger la France ; il faut casser les dogmes, les privilèges, qui la sclérosent ; mais il faut le faire, non pas contre, mais avec les Français et en prenant soin, avant, de les consulter et de les écouter. » Franchement, qu'avons-nous à dire contre ça ? Est-ce que ce n'est pas la moins mauvaise des façons de faire de la politique ? Et est-ce qu'il n'y a pas là une manière intéressante, au contraire, de faire évoluer la gouvernance démocratique ? Il y a aujourd'hui tout un courant qui, tu le sais, est en train d'essayer de nous refiler en douce, sous prétexte de « Politique » avec un grand P, le « décisionnisme » schmittien (1). Ce courant, cette façon de se gargariser de « grande politique » à partir d'un penseur qui fut un penseur nazi, c'est une chose qui vient de gens comme Balibar, Negri, Badiou, bref, de l'extrême-gauche. Eh bien, je trouve que Royal, avec sa « démocratie participative », est un assez bon antidote à cela. De même que, d'une façon générale, elle est en train de faire un travail tout à fait intéressant par rapport aux archaïsmes qui minent la gauche française. De cela aussi, il faut la louer. Et ce n'est pas la moindre des raisons de voter pour elle... L'affaire du drapeau, c'est encore autre chose : j'aurais évidemment préféré qu'elle y ajoute le drapeau européen.
A. Glucksmann. - Excuse-moi, Bernard. Les démêlés possibles de Royal avec une ultragauche qui s'inspire d'un penseur plus ou moins nazi ne m'intéressent pas. Le décisionnisme de Carl Schmitt consiste dictatorialement à décider (définir) un état d'urgence. Au contraire la décision démocratique se prend devant un état d'urgence perçu par les électeurs. Vouloir éviter le décisionnisme schmittien en récusant les décisions démocratiquement proposées et votées me paraît dérisoire. Si Sarkozy inquiète en proposant des choix, comment ne pas s'inquiéter davantage du goût immodéré de Royal pour les moratoires qui remettent les décisions cruciales à plus tard. Elle a des partisans qui dirent oui au référendum sur l'Europe et d'autres qui firent triompher le non, ceux qu'on dénonce comme « sociaux-libéraux » et ceux qui invoquent une « autre société » ou un bouleversement radical, les pronucléaires et les anti, les pro-Palestiniens et les amis d'Israël, les laïques et les islamophiles, ceux qui fêtent et ceux qui déplorent les 35 heures, etc. Rien n'y fait, le « pacte présidentiel » qu'elle propose saute allègrement au-dessus des risques, des difficultés, des options urgentes. Surréaliste, ce « pacte » se profère «d'un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicatif et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement», comme le dit André Breton.
N. O. - Sarko aurait les pieds sur terre, et le ségolénisme serait une chimère?
B.-H. Lévy. - Le problème, c'est ce qu'André appelle les « démêlés » de la gauche avec elle-même. Ils m'intéressent, moi, au contraire. Et je dirais même qu'intervenir là-dessus, aider ce qu'on appelle la gauche à penser, pour s'en défaire, son insistante compromission avec l'esprit totalitaire, a été et reste, depuis trente ans, l'un de mes combats essentiels. Par ailleurs, surréalisme pour surréalisme, à mon tour de dire qu'il faut essayer d'être sérieux. Car que dire, alors, de la grande alliance proposée par Sarkozy et où sont censés cohabiter les disciples de Jaurès et les déçus de Le Pen, les héritiers de Jean Moulin et ceux de Barrès, l'esprit de la Résistance et celui qui considère que la France de 1940 ne s'est finalement pas si mal conduite ? Aux dernières nouvelles, la famille vient même de s'ouvrir à l'inénarrable monsieur Besson, qui aura réussi cette grande première, dans l'histoire de la République, de commencer une campagne dans un camp et de la finir dans l'autre ! Non. Il y a un moment où il faut en revenir à des questions simples. Qui, des deux, aura les moyens politiques de remettre la France à la table de l'Europe ? Réponse : plutôt Royal - précisément parce qu'elle peut parler aux gens du non. Qui, des deux, réussira à réduire, et non à radicaliser, la fameuse fracture sociale ? Réponse : plutôt Royal - parce qu'elle jouera les syndicats, les associations, les régions et, encore une fois, ce dialogue social sans quoi rien ne se fait. Qui, des deux, aura la politique étrangère que nous appelons de nos voeux et qui fera avancer - un peu - la cause des droits de l'homme ? Réponse : ne soyons pas trop ingénus car nous savons comment les promesses de campagne cèdent devant les exigences de la realpolitik - mais enfin c'est vrai que, là aussi, je préfère l'entêtement de Royal sur, par exemple, le nucléaire iranien à l'attitude d'un Sarkozy qui va négocier, à Alger, un contrat « gaz contre nucléaire » qui laisse pantois quand on connaît la stabilité politique légendaire de l'Algérie !
N. O. - Bernard-Henri Lévy, vous avez pris la parole le premier dans ce débat. André Glucksmann, à vous de conclure...
A. Glucksmann. - Trois remarques. 1) Les présidentielles se décident fifty-fifty à quelques unités près. Il est donc évident que 50% des gens se retrouvent ici et les autres là. Ils ne s'aiment pas tous, et tu ne les aimes pas tous. Mais ce n'est pas la guerre. Arrêtons. 2) On peut être ému par Guy Môquet, se réclamer de Jaurès, de Blum à droite, de De Gaulle et de Jeanne d'Arc à gauche sans être pilleur de sépulture. 3) Par contre, on ne peut proposer des politiques antinomiques (nucléaire/antinucléaire, etc.) sans offenser le principe de non-contradiction et s'emberlificoter dans les moratoires qui remettent la décision aux calendes grecques. Assez d'une pathologie unanimiste qui prétend d'emblée représenter deux Français sur trois (Giscard) ou réconcilier définitivement le pays réel et sa représentation politique (Mitterrand). Le paroxysme d'une pareille aboulie emporta Chirac, qui ne se remit jamais d'un 82% accidentel. Agir implique choisir. Agir démocratiquement suppose que les alternatives soient présentées devant l'électeur et non négociées après coup, derrière son dos, dans les dîners et les conciliabules de militants exaltés. Donc, plutôt Sarkozy.
N. O. - C'était votre mot de la fin...
B.-H. Lévy. - Arrêtons, en effet. Je crois que quelque chose de clair, de digne, sans trop de conciliabules ni de manoeuvres, est en train de se dessiner entre l'aile réformiste du vieux Parti socialiste et ce fameux « centre », réputé introuvable, et qui émerge pour la première fois grâce à Bayrou. Déclin du FN, mort du PC et, sur leurs ruines, dans les décombres de ce qui fut l'exception française, l'apparition d'une vraie majorité arc-en-ciel : c'est mon voeu depuis si longtemps - ce n'est pas aujourd'hui que je vais changer d'avis !
A. Glucksmann. - Inch Allah! Que ton voeu soit exaucé ! Préparons de nouvelles alternances, j'espère que la gauche va enfin commencer sa mue, laquelle prendra plus de dix jours. Le temps, lui, n'attend pas. L'instabilité planétaire croît. Quand l'Europe n'avance pas, elle recule. Ses populations retrouvent les xénophobies de jadis et les gouvernements, la tentation munichoise de céder aux chantages terroristes ou énergétiques. Il faut choisir le 6 mai, pour les cinq ans à venir, entre principe de réalité et principe de surréalité. Pour conclure, j'ajoute qu'il ne s'agit pas d'un vote pour ou contre Nicolas Sarkozy, mais d'un choix entre deux projets. Le fameux « Tout sauf Sarkozy » ne doit pas transformer l'élection présidentielle en référendum.


(1) Carl Schmitt (1888-1985), juriste et philosophe allemand. Conseiller juridique du Parti nazi, acquitté au procès de Nuremberg, il est le théoricien de l'absolutisme de la puissance étatique.



Marie-France Etchegoin, Sylvain Courage
Le Nouvel Observateur





ARES 06/05/2007 02:10

Lamentable pour un intellectuel dont la trajectoire va de mai 68 au soutien ?a guerre d'Irak (apparue avec le temps comme une non moins lamentable affaire d'inter? p?oliers...) et pour finir par le soutien ?n homme politique manipulateur et dangereux comme SARKOZY. Je ne saurais trop vous conseiller de pr?rer vos arguments pour justifier l'echec qui se profile ?'horizon lorsque la strat?e pour le pouvoir aura accouch?e solutions "?a petite semaine" au moment du compte qu'il faudra bien rendre au peuple!!!

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