Emmanuelle Mignon, la mère supérieure de l'Elysée
LE MONDE | 22.02.08 | 14h36 • Mis à jour le 22.02.08 | 14h36
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Sa consigne est claire. Pas de portrait, pas de rencontre, pas de photo : "C'est contraire à ma conception la plus élémentaire de l'Etat... J'ai déjà refusé à tout le monde." A l'heure où nombre de conseillers de l'Elysée étalonnent leur influence au nombre d'articles qu'ils suscitent, la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy énumère ses refus : "J'ai dit non au Figaro, j'ai dit non au Point, j'ai dit non à L'Express..." Un peu plus tard, elle s'adoucit : "Je veux bien vous aider sur des points de détail."
PARCOURS
1968 Naissance à Paris.
1995 Major de l'ENA.
2002 Rejoint l'équipe de Nicolas Sarkozy.
2004 Directrice des études de l'UMP.
2007 Directrice de cabinet à l'Elysée.
2008 Discours de Nicolas Sarkozy devant le CRIF.
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Cette discrétion forcerait le respect si Emmanuelle Mignon, 40 ans, ne s'était pas elle-même mise en lumière, signant plusieurs des discours les plus controversés de Nicolas Sarkozy sur la religion : à Saint-Jean-de-Latran, à Riyad (Arabie saoudite) et devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Un triptyque détonant qui fait craindre aux laïques que Dieu lui-même ait pris ses quartiers à l'Elysée.
Son cas s'aggrave lorsqu'elle déclare au magazine VSD que la scientologie ne mérite pas l'appellation de secte. Propos qu'elle dément dans la foulée, mais qui ressemblent tant à celle qui proposait, voilà cinq ans, de privatiser l'éducation nationale. "Ce qui me fait du tort, c'est ma franchise. J'ai du mal à faire des périphrases... Et parfois je provoque", avoue-t-elle. Les politiques, les vrais, la jugent avec la morgue des professionnels : "S'exprimer, c'est un métier", balance Jean-Pierre Raffarin.
Réputée libérale, on la découvre bigote. On épluche son passé. Et si la diplômée de l'Essec et major de l'ENA, promotion René Char, n'était qu'une grenouille de bénitier ? N'est-elle pas le produit de l'enseignement privé ? N'a-t-elle pas été cheftaine scout ? N'a-t-elle pas commencé une licence de théologie ? Nombre de ses amis d'enfance ne sont-ils pas dans les ordres ? Ses parents, gaullistes, n'ont-ils pas défilé le 30 mai 1968 sur les Champs-Elysées ? Son compte est bon.
Son chapelet, ce sont les clés USB qu'elle porte accrochées à une chaîne autour du cou. Emmanuelle Mignon se déplace avec son travail et sa réputation de bûcheuse. Toujours prête à rédiger une note, à fournir un argumentaire, à relire un dossier. Nicolas Sarkozy vante la clarté de son esprit : "Elle est limpide." Comme le Monsieur Teste de Valéry, la bêtise n'est pas son fort. Fausse modeste, elle nuance. "J'étais une étudiante moyenne. Je me suis révélée à Sciences Po et à l'ENA." Il n'empêche qu'à l'Elysée, lorsqu'elle parle de quelqu'un, elle commence invariablement ses phrases par "Ce crétin de...". Certains se sont convaincus que c'était affectueux.
Mais c'est bien grâce à sa réputation de "meilleur cerveau de la République" qu'elle débarque un jour de 2002, du Conseil d'Etat, pour prendre ses quartiers au ministère de l'intérieur, base arrière de la prochaine campagne de Nicolas Sarkozy. Leur première rencontre a déjà été racontée. Elle voit dans le candidat "un grand professionnel", lui devine "sa rigueur". Ils feront la paire. "Elle est emblématique de l'univers de Sarkozy, décrypte la conseillère et ancienne journaliste Catherine Pégard. Elle aussi aime casser les codes."
A Beauvau, Emmanuelle Mignon se passionne pour le problème de la double peine. Elle reçoit les familles, ou leurs représentants. Arrange les coups. Par charité chrétienne ? "Non, dit-elle. Simplement, il ne fallait pas faire preuve de rigidité. Or la loi peut être rigide." Malgré son allure démodée, elle s'intègre dans la bande des conseillers du ministre de l'intérieur au look de jeunes gens modernes. Ils s'amusent de ses coiffures : un jour un microchignon d'un autre âge, un autre une coupe "bec de canard", un autre encore, les cheveux en pétard. Elle apprécie leur gaieté et leur intelligence, mais ne partage pas leurs codes. Quand ils boivent des mojitos au Buddah Bar, elle file pour des courses en montagne : "J'aime le dépassement de soi et la solitude."
Directrice des études de l'UMP, fin 2004, elle vire la moitié de l'équipe précédente, veille au projet du candidat, organise les colloques du parti, tisse un vaste réseau d'intellectuels. Durant la campagne présidentielle, rue d'Enghien, sa lumière est la dernière à s'éteindre. Au matin, lorsqu'ils allument leurs ordinateurs, les conseillers découvrent ses mails, envoyés vers 4 ou 5 heures du matin.
La victoire la laisse amère. "La belle équipe de Beauvau n'a pas résisté à la violence de la campagne, dit-elle. La politique pousse aux affrontements des ego." Elle paye ses choix. Elle se rêvait ministre ou conseillère économique, au moins. La voilà, en dessous de ses espérances, directrice de cabinet. "Elle méritait mieux", se plaint un ami. Bravache, le jour de la passation de pouvoirs à l'Elysée, elle commente : "Si c'est pour m'occuper des gommes et des crayons, je ne resterai pas." Petite vengeance : responsable du budget de l'Elysée, elle taille dans les dépenses - mais octroie une substantielle augmentation au chef de l'Etat. Elle ne fera allumer le chauffage du palais que fort tard, cet hiver-là : "Je l'ouvrirai quand je le ferai chez moi. Le plus tard possible."
Rancoeur ? Elle est sévère sur les premiers temps du sarkozysme. "Le big bang était possible sur le paquet fiscal. On s'est plantés, on n'a pas été assez loin", juge-t-elle devant quelques journalistes à l'automne. Devant les mêmes, elle fustige "la vision de préfet" d'un Claude Guéant et les "ayatollahs de la dépense publique". Les murs de l'Elysée résonnent de ses conflits avec le secrétaire général, ou avec la plume du président, Henri Guaino. On se plaint de sa "rigidité" de sa "rugosité". Elle convient : "La douceur n'est pas ma principale qualité."
Elle en a une autre : la fidélité à toute épreuve pour Nicolas Sarkozy. En échange, et parce qu'il déteste les conflits, le chef de l'Etat élargit ses compétences. Ce sera "les gommes et les crayons", mais aussi l'audiovisuel, les institutions et la question des cultes. Du lourd. Depuis, elle est devenue plus amène. A l'Elysée, les conseillers louent dorénavant ses compétences "pour mettre de l'huile dans les rouages". De fait, elle est devenue secrétaire générale adjointe, dit-on au palais.
La voilà donc propulsée au statut de vedette. Elle aussi a eu droit à son baptême médiatique et polémique, comme la plupart des conseillers. Cataloguée Mère supérieure du président, elle est obligée de monter au créneau des médias. A contrecoeur, à contre-emploi : "Quand j'étais petite, j'étais déjà comme ça. Je commençais par dire "non", puis je disais "d'accord"."
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PARCOURS
1968 Naissance à Paris.
1995 Major de l'ENA.
2002 Rejoint l'équipe de Nicolas Sarkozy.
2004 Directrice des études de l'UMP.
2007 Directrice de cabinet à l'Elysée.
2008 Discours de Nicolas Sarkozy devant le CRIF.
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Cette discrétion forcerait le respect si Emmanuelle Mignon, 40 ans, ne s'était pas elle-même mise en lumière, signant plusieurs des discours les plus controversés de Nicolas Sarkozy sur la religion : à Saint-Jean-de-Latran, à Riyad (Arabie saoudite) et devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Un triptyque détonant qui fait craindre aux laïques que Dieu lui-même ait pris ses quartiers à l'Elysée.
Son cas s'aggrave lorsqu'elle déclare au magazine VSD que la scientologie ne mérite pas l'appellation de secte. Propos qu'elle dément dans la foulée, mais qui ressemblent tant à celle qui proposait, voilà cinq ans, de privatiser l'éducation nationale. "Ce qui me fait du tort, c'est ma franchise. J'ai du mal à faire des périphrases... Et parfois je provoque", avoue-t-elle. Les politiques, les vrais, la jugent avec la morgue des professionnels : "S'exprimer, c'est un métier", balance Jean-Pierre Raffarin.
Réputée libérale, on la découvre bigote. On épluche son passé. Et si la diplômée de l'Essec et major de l'ENA, promotion René Char, n'était qu'une grenouille de bénitier ? N'est-elle pas le produit de l'enseignement privé ? N'a-t-elle pas été cheftaine scout ? N'a-t-elle pas commencé une licence de théologie ? Nombre de ses amis d'enfance ne sont-ils pas dans les ordres ? Ses parents, gaullistes, n'ont-ils pas défilé le 30 mai 1968 sur les Champs-Elysées ? Son compte est bon.
Son chapelet, ce sont les clés USB qu'elle porte accrochées à une chaîne autour du cou. Emmanuelle Mignon se déplace avec son travail et sa réputation de bûcheuse. Toujours prête à rédiger une note, à fournir un argumentaire, à relire un dossier. Nicolas Sarkozy vante la clarté de son esprit : "Elle est limpide." Comme le Monsieur Teste de Valéry, la bêtise n'est pas son fort. Fausse modeste, elle nuance. "J'étais une étudiante moyenne. Je me suis révélée à Sciences Po et à l'ENA." Il n'empêche qu'à l'Elysée, lorsqu'elle parle de quelqu'un, elle commence invariablement ses phrases par "Ce crétin de...". Certains se sont convaincus que c'était affectueux.
Mais c'est bien grâce à sa réputation de "meilleur cerveau de la République" qu'elle débarque un jour de 2002, du Conseil d'Etat, pour prendre ses quartiers au ministère de l'intérieur, base arrière de la prochaine campagne de Nicolas Sarkozy. Leur première rencontre a déjà été racontée. Elle voit dans le candidat "un grand professionnel", lui devine "sa rigueur". Ils feront la paire. "Elle est emblématique de l'univers de Sarkozy, décrypte la conseillère et ancienne journaliste Catherine Pégard. Elle aussi aime casser les codes."
A Beauvau, Emmanuelle Mignon se passionne pour le problème de la double peine. Elle reçoit les familles, ou leurs représentants. Arrange les coups. Par charité chrétienne ? "Non, dit-elle. Simplement, il ne fallait pas faire preuve de rigidité. Or la loi peut être rigide." Malgré son allure démodée, elle s'intègre dans la bande des conseillers du ministre de l'intérieur au look de jeunes gens modernes. Ils s'amusent de ses coiffures : un jour un microchignon d'un autre âge, un autre une coupe "bec de canard", un autre encore, les cheveux en pétard. Elle apprécie leur gaieté et leur intelligence, mais ne partage pas leurs codes. Quand ils boivent des mojitos au Buddah Bar, elle file pour des courses en montagne : "J'aime le dépassement de soi et la solitude."
Directrice des études de l'UMP, fin 2004, elle vire la moitié de l'équipe précédente, veille au projet du candidat, organise les colloques du parti, tisse un vaste réseau d'intellectuels. Durant la campagne présidentielle, rue d'Enghien, sa lumière est la dernière à s'éteindre. Au matin, lorsqu'ils allument leurs ordinateurs, les conseillers découvrent ses mails, envoyés vers 4 ou 5 heures du matin.
La victoire la laisse amère. "La belle équipe de Beauvau n'a pas résisté à la violence de la campagne, dit-elle. La politique pousse aux affrontements des ego." Elle paye ses choix. Elle se rêvait ministre ou conseillère économique, au moins. La voilà, en dessous de ses espérances, directrice de cabinet. "Elle méritait mieux", se plaint un ami. Bravache, le jour de la passation de pouvoirs à l'Elysée, elle commente : "Si c'est pour m'occuper des gommes et des crayons, je ne resterai pas." Petite vengeance : responsable du budget de l'Elysée, elle taille dans les dépenses - mais octroie une substantielle augmentation au chef de l'Etat. Elle ne fera allumer le chauffage du palais que fort tard, cet hiver-là : "Je l'ouvrirai quand je le ferai chez moi. Le plus tard possible."
Rancoeur ? Elle est sévère sur les premiers temps du sarkozysme. "Le big bang était possible sur le paquet fiscal. On s'est plantés, on n'a pas été assez loin", juge-t-elle devant quelques journalistes à l'automne. Devant les mêmes, elle fustige "la vision de préfet" d'un Claude Guéant et les "ayatollahs de la dépense publique". Les murs de l'Elysée résonnent de ses conflits avec le secrétaire général, ou avec la plume du président, Henri Guaino. On se plaint de sa "rigidité" de sa "rugosité". Elle convient : "La douceur n'est pas ma principale qualité."
Elle en a une autre : la fidélité à toute épreuve pour Nicolas Sarkozy. En échange, et parce qu'il déteste les conflits, le chef de l'Etat élargit ses compétences. Ce sera "les gommes et les crayons", mais aussi l'audiovisuel, les institutions et la question des cultes. Du lourd. Depuis, elle est devenue plus amène. A l'Elysée, les conseillers louent dorénavant ses compétences "pour mettre de l'huile dans les rouages". De fait, elle est devenue secrétaire générale adjointe, dit-on au palais.
La voilà donc propulsée au statut de vedette. Elle aussi a eu droit à son baptême médiatique et polémique, comme la plupart des conseillers. Cataloguée Mère supérieure du président, elle est obligée de monter au créneau des médias. A contrecoeur, à contre-emploi : "Quand j'étais petite, j'étais déjà comme ça. Je commençais par dire "non", puis je disais "d'accord"."
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